Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/APOCALYPSE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 407-408).

APOCALYPSE. s. f. Apocalypsis. Terme grec, qui signifie révélation. Il s’applique particulièrement au dernier Livre du Nouveau Testament. Il contient les révélations de S. Jean sur plusieurs mystères. Il écrivit son apocalypse dans l’île de Pathmos où il étoit relégué : on ne convient pas si c’étoit sous le regne, & pendant la persécution de l’Empereur Domitien. C’est le livre du nouveau Testament sur lequel les sentimens des Peres, & le témoignage de l’Eglise ont le plus long-temps varié. S. Jérôme rapporte que les Eglises grecques doutoient de la canonicité de l’Apocalypse. S. Basile, & S. Grégoire de Nazianze, la rejetoient ; & le concile de Laodicée n’en fait point mention dans le Canon des Ecritures. Quelques-uns même l’ont attribué à l’hérétique Cérinthus : & d’autres à un autre Jean, disciple de S. Jean. Denys d’Alexandrie trouvoit que l’Apocalypse étoit écrite en mauvais grec, & il y avoit remarqué des solécismes,& des barbarismes. « Je crois pourtant, disoit-il, que l’Apocalypse contient un sens caché & mistérieux, & j’admire ce que je ne saurois comprendre, plutôt que de le condamner. » S. Justin, S. Irénée, & S. Augustin, n’ont point douté qu’elle ne fût canonique. Le troisième concile de Carthage en 397, l’a mise dans le Canon des Livres sacrés ; & depuis, les Eglises d’Orient & d’Occident la lisent sous le nom de l’Apôtre S. Jean.

S. Jérôme, dans une de ses Epîtres qu’il écrit à Dardanus, parle de l’Apocalypse comme d’un Livre qui n’étoit point reçu communément des Eglises grecques de son temps ; mais le Cardinal Baronius prouve dans ses Annales, que cette pensée de S. Jérôme ne peut pas être vraie dans toute son étendue, puisque S. Epiphane qui vivoit en ce temps-là, a défendu l’autorité de l’Apocalypse contre les hérétiques Alogiens, & contre les Théodotiens. Ces Alogiens, qui l’attribuoient à Cérinthe, demandoient de quelle utilité pouvoit être cette Apocalypse, où il est parlé des sept Anges & des sept trompettes. Ils tournoient en ridicule ce qui y est dit des sept trompettes ; mais S. Epiphane les accuse en cela, ou de malice, ou d’ignorance, par les paroles de S. Paul, qui a fait mention de ces trompettes dans sa première Epître aux Corinthiens, ch. 5, ℣ 52, où il dit, que la trompette sonnera, & que les morts ressusciteront au son de cette trompette.

Ces Alogiens traitoient de ridicules plusieurs autres choses qui sont dans l’Apocalypse ; & entre autres ce qui y est rapporté touchant les quatre Anges liés sur l’Euphrate ; mais pour répondre aux objections de ces hérétiques, il suffit de remarquer en général, que ce Livre n’est pas une simple histoire, mais une prophétie, & qu’ainsi il n’est pas surprenant que l’Auteur se soit exprimé à la manière des Prophètes, dont le style est ordinairement figuré. Les Alogiens avoient donc tort de s’inscrire en faux contre l’Apocalypse, à cause des expressions qui leur paroissoient extraordinaires. Ce qu’ils opposoient de plus apparent contre l’autorité de ce Livre étoit ces paroles du chap. 2, ℣ 15. Ecrivez à l’Ange de l’Eglise de Thyatire : Il n’y avoit alors, disoient-ils, aucune Eglise Chrétienne dans Thyatire. S. Epiphane, qui suppose avec eux qu’il n’y avoit en effet aucune église alors en ce lieu-là, est obligé d’avoir recours à l’esprit prophétique, comme si S. Jean avoit prévu ce qui y devoit arriver dans la suite des tems. Il y a de l’apparence que quand S. Epiphane écrivoit contre les Alogiens, on n’avoit point de catalogue des Evêques de cette Eglise, ou d’autres actes d’où l’on pût connoître qu’elle fût une Eglise fondée dès le temps des Apôtres ; c’est pourquoi Grotius a répondu sagement à cette objection, qu’il n’y avoit à la vérité aucune église des Gentils dans Thyatire, lorsque S. Jean écrivoit son Apocalypse ; mais qu’il y en avoit une des Juifs, comme il y en avoit aussi une semblable dans Thessalonique avant que S. Paul y prêchât.

Il y a aussi eu des Ecrivains orthodoxes qui ont rejeté l’Apocalypse, comme un Livre qui autorisoit les rêveries de Cérinthe touchant le regne charnel de Jésus-Christ sur la terre. Denys, Evêque d’Alexandrie, écrivit deux Livres intitulés, Des Promesses, où il combattit fortement les explications d’un Evêque d’Egypte appelé Népos, qui donnoit un sens tout-à-fait Juif aux promesses que Dieu a faites aux hommes dans l’Ecriture. Voyez le mot Millénaires. Consultez Eusèbe, Hist. Eccles. Liv. VII, ch. 24.

Quoique Denys d’Alexandrie reconnût l’Apocalypse pour un Livre divin, il prétendoit qu’il étoit d’un autre Jean, que de S. Jean l’Evangéliste, ce qu’il prétendoit prouver par la diversité du style ; mais il n’y a rien de plus foible que les raisons qu’on tire de cette diversité du style. Il est vrai que dans la plupart des exemplaires grecs, soit imprimés, soit manuscrits, on lit à la tête de ce Livre le nom de Jean le Théologien : mais ceux qui ont mis ce titre ont voulu désigner, par cette expression l’Apôtre S. Jean, que les Peres grecs nomment le Théologien par excellence, pour le distinguer des autres Evangélistes.

Erasme a été censuré par les Théologiens de Paris, pour avoir avancé, qu’on avoit douté long-temps de l’autorité de l’Apocalypse, non-seulement parmi les hérétiques, mais même parmi les orthodoxes, qui doutoient du nom de l’Auteur, bien qu’ils le reçussent comme un Livre divin. Cette proposition fut censurée par les Docteurs, qui dirent qu’on connoissoit manifestement par l’usage de l’Eglise & par les définitions des conciles, que l’Apôtre S. Jean étoit l’auteur de l’Apocalypse.

Il y a eu plusieurs Livres qui ont été publiés sous le titre d’Apocalypse. Sozomène rapporte, que dans les Eglises de la Palestine on lisoit une Apocalypse de S. Pierre. Il parle aussi d’une Apocalypse de S. Paul, que les Cophtes se vantent d’avoir encore aujourd’hui. Eusèbe dit aussi quelque chose de ces deux Apocalypses. S. Epiphane parle d’une Apocalypse d’Adam ; Nicéphore d’une Apocalypse d’Esdras. Gratien & Cedrenus font mention d’une Apocalypse de Moyse. On parle aussi d’une du Prophète Elie. Gratien nomme encore une Apocalypse de S. Thomas, & une de S. Etienne ; Porphyre, dans la vie de Plotin, passe des Apocalypses de Zoroastre, de Zostrien, & de Nicothée, d’Allogène, de Mesus. Toutes ces Apocalypses sont apocryphes & des pièces supposées. Desmarêts a fait de belles moralités sur l’Apocalypse. M. Bossuet, & M. l’Abbé de la Chétardie ont fait des Commentaires sur l’Apocalypse, ou explications de l’Apocalypse.

Apocalypse, se dit aussi figurément d’un langage ou d’un discours obscur. Obscurus sermo. Tes volumes ne sont rien qu’un éternel apocalypse. Main. Mauvaise locution.

Ce mot vient d’ἀποκαλυπτω, qui en grec signifie, je me révèle, je découvre.

Apocalypse, Chevalier de l’apocalypse : c’est ainsi que se nommerent les membres d’une société de Fanatiques qui se forma à Rome en 1694. Augustin Gabrino natif de Brescia, leur chef, se fit appeler le Prince du nombre septennaire, & le Monarque de la Sainte Trinité. Ces Fanatiques disoient que leur dessein étoit de défendre l’Eglise catholique contre l’Antechrist qui seroit adoré dans peu. Les armes de cette société étoient un sabre & un bâton de commandement placés en sautoir, une étoile rayonnante & les trois noms des Anges Gabriel, Michael & Raphael. Plusieurs des Chevaliers portoient ces armes sur leurs manteaux & sur leurs habits. Leur nombre s’accrut jusqu’à 80. La plûpart étoient des artisans qui ne travailloient jamais que l’épée au côté. Ils avoient des sentimens fort dangereux. Ils soutenoient entre autres choses qu’une femme, pourvu qu’elle ne refusât rien à son mari, pouvoit bien se livrer à d’autres, & qu’en échange un mari, sur-tout s’il étoit de leur ordre, avoit la liberté de renvoyer sa femme lorsqu’il en étoit dégoûté. Ils étoient avec cela fort charitables envers les pauvres. L’an 1694, le jour des Rameaux, Augustin Gabrino étant dans l’Eglise pendant qu’on chantoit l’antienne, Quis est iste Rex gloriæ ? courut à ces mots, l’épée à la main au milieu des Prêtres, & cria à haute voix, c’est moi qui suis ce roi de gloire. Là-dessus on conduisit Gabrino au lieu où l’on renferme les fous. Peu après un autre de ces Fanatiques, qui étoit bucheron, découvrit tout ce qu’il savoit de la conduite & de la doctrine de cette secte ; on en emprisonna une trentaine, & le reste se dissipa.