Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANTIMOINE
ANTIMOINE. s. m. C’est un demi métal, un minéral qui approche de la nature des métaux, & que quelques uns croient en contenir tous les principes, parce qu’il se trouve près des mines des uns & des autres, & sur-tout dans celles d’argent, & de plomb ; & souvent il a sa mine propre. On l’appelle aussi Marchesite de plomb ; & les Chimistes le nomment le Loup, ou le Saturne des Philosophes, parce qu’il dévore les autres métaux quand on les fond ensemble, & qu’il les consume tous à la réserve de l’or. On l’appelle aussi Prothée, à cause de la diversité des couleurs qu’il prend par le moyen du feu. On le tient composé d’un double soufre minéral, l’un métallique approchant de la pureté & de la couleur de celui de l’or, & l’autre terrestre & combustible, semblable presque au soufre commun ; d’un mercure fuligineux & mal digéré, participant de la nature du plomb, & d’un peu de sel terrestre. Il est de couleur noire, & rempli de longues aiguilles brillantes. Le meilleur vient de Hongrie ; il est d’un rouge obscur, & a ses veines plus longues & plus luisantes. Il est fragile comme le verre, & tient le milieu entre les métaux & les pierres, parce qu’il se fond comme le métal ; mais il n’est pas ductile, non plus que les pierres. Il y en a un mâle, qui est plus sabloneux ; & un autre femelle, qui est plus pesant, plus brillant & plus friable. On le mêle avec d’autres métaux pour faire des miroirs, parce qu’il les rend plus polis. On le mêle aussi pour faire des cloches, parce qu’il rend leur son plus clair. On le mêle aussi à l’étain pour le rendre plus dur, plus blanc & plus sonnant ; & enfin au plomb dans les fontes des caractères d’Imprimerie, pour les rendre plus durs & plus unis. Il aide généralement à la fusion des autres métaux, & sur-tout à celle des boulets de canon. On a cru qu’il renfermoit une médecine universelle ; car c’est en effet celui qui fournit le plus de remèdes, & pour un plus grand nombre de maladies. Les Latins l’appellent stibium, & les Grecs στίμμι.
L’Antimoine cru, qui est celui qu’on nous apporte, n’est pas tel qu’il vient de la mine. Il a été fondu, & mis en pain de forme pyramidale. Il est employé dans les décoctions sudorifiques, lorsqu’on veut chasser les mauvaises humeurs par transpiration. On s’en sert dans les maladies vénériennes, dans les maux des yeux, & dans les plaies & les ulcères, pour les mondifier & les cicatriser.
L’Antimoine préparé, est celui qui a passé par les mains des Artistes, & qui possede des qualités différentes, suivant la maniere différente dont il a été préparé.
Le verre d’antimoine, est de l’antimoine broyé, cuit & calciné par un feu violent dans un pot de terre, jusqu’à ce qu’il ne jette plus de fumée ; ce qui est une marque que tout son soufre est évaporé. On le réduit en verre dans le fourneau à vent, & alors il est fort diaphane, rouge & brillant, & de couleur d’hyacinthe. Le verre d’antimoine est le plus violent de tous les vomitifs qui se tirent de l’antimoine.
Le régule d’antimoine est le culot, ou ce qu’on trouve au fond & au-dessous dans le creuset, où il y a de l’antimoine, après qu’il a été fondu avec des matières capables de séparer les parties pures d’avec les impures. Pour le faire, on prend de l’antimoine pulvérisé avec du tartre cru & du salpêtre rafiné, que l’on mêle exactement, & que l’on jette ensuite par cuillerées dans un creuset rougi au feu sur des charbons. Il se fait chaque fois une détonation semblable à celle de la poudre à canon. On en fait des balles purgatives qui servent toujours, & qui ressortent sans qu’il paroisse qu’il y ait eu presque rien de diminué de leur grosseur & vertu ; desorte qu’on les appelle Pilules perpétuelles. On en fait aussi des gobelets, où laissant reposer quelques temps des liqueurs, elles deviennent vomitives. C’est avec le régule, ou le verre d’antimoine, qu’on fait du vin émétique ; si on les pulvérise l’un ou l’autre, & qu’on les mette tremper dans du vin blanc.
La fleur d’antimoine, c’est de l’antimoine en poudre sublimé dans un aludel, dont les parties volatiles s’attachent à ses pots en projetant peu à peu la poudre. C’est aussi un puissant vomitif.
Le beurre d’antimoine est une liqueur blanche & gommeuse, qu’on nomme autrement, liqueur glaciale d’antimoine, qui se fait avec du régule d’antimoine & du sublimé corrosif. Cette liqueur se coagule en forme de glace dans le récipient, & est fort caustique, desorte qu’on ne l’emploie qu’à l’extérieur pour arrêter la gangrène, guérir la carie des os, des cancers, des fistules, &c. Si en voulant faire le beurre d’antimoine on se sert d’antimoine cru, & qu’après avoir tiré le beurre, on augmente peu à peu le feu, jusqu’à ce que la cornue rougisse, on retire encore le cinnabre d’antimoine, qui n’est autre chose qu’un mélange du mercure, du sublimé & du soufre de l’antimoine. Mais si on emploie le régule, après avoir tiré le beurre d’antimoine, on retire un mercure coulant, & point de cinnabre.
La poudre d’algaroth, ou émétique, se fait avec ce beurre d’antimoine précipité & lavé plusieurs fois. Le bézoard minéral se fait avec le beurre d’antimoine dissous par trois fois dans l’esprit de nitre, & ensuite calciné. Il reste une poudre blanche qui est sudorifique.
Le foie ou le safran d’antimoine se fait de parties égales d’antimoine & de nitre réduits en poudre, mêlés exactement & mis dans un mortier de fer, couvert d’une tuile, à laquelle on a laissé une ouverture. On introduit par cette ouverture un charbon de feu, qu’on retire ensuite. La matière s’enflamme, & il se fait une détonation, laquelle étant passée & le mortier refroidi, on trouve au fond du mortier une partie luisante, qu’on appelle foie d’antimoine ou safran des métaux, à cause de sa couleur. En latin hepar antimonii, ou crocus metallorum. On en fait du vin émétique, qui est celui dont on se sert ordinairement, des poudres, du sirop, & du tartre, qui sont aussi émétiques.
L’antimoine diaphorétique est une préparation d’antimoine, qui approche de la précédente, avec cette différence, qu’au lieu que dans le foie d’antimoine on met parties égales de nitre & d’antimoine, on en met dans celle-ci une d’antimoine & trois de nitre. Par ce moyen sa qualité purgative & vomitive se change en diaphorétique.
L’huile d’antimoine est de l’antimoine pilé & mêlé ; mis en digestion dans un vase plein de fort vinaigre sous du fumier pendant plusieurs jours ; & après cette opération plusieurs fois réitérée, le vinaigre qu’on distile donne une liqueur sanguine, qu’on appelle huile d’antimoine, & qui colore l’argent en or.
La chaux d’antimoine s’appelle quelquefois céruse, à cause de son extrême blancheur. Ce n’est que l’antimoine diaphorétique.
Le soufre doré d’antimoine se fait avec des scories qui se rencontrent au-dessus du régule en le faisant bouillir dans de l’eau, & en précipitant ce qui a été dissous par le vinaigre qu’on y jette.
Avant le douzième siècle, l’antimoine n’étoit connu que pour entrer dans la composition du fard : mais en ce temps là un Moine, nommé Basile Valentin, ayant trouvé le secret de préparer ce minerai, & d’amortir les qualités redoutables de son soufre, fit un livre intitulé : Currus antimonii triumphalis, où il soutint que c’étoit un remède pour toutes sortes de maux. Mais tous ses éloges confirmés par l’expérience n’empêcherent pas que pendant 300 ans l’antimoine ne fût négligé. Au commencement du dernier siècle, Paracelse le remit en vogue : mais on en condamna l’usage par Arrêt du Parlement de l’an 1566 ; & un Médecin, nommé Besnier, y ayant contrevenu en 1609, il fut exclus de la faculté. Le mauvais usage que l’on en avoit fait en l’appliquant mal-à-propos, le faisoit regarder comme un poison. Plusieurs savans hommes murmurerent contre cette défense, & le firent valoir par d’heureuses expériences. Ainsi malgré les invectives de quelques médecins entêtés, l’antimoine fut reçu par autorité publique au nombre des remèdes purgatifs en 1637, & en l’an 1650, on cassa l’Arrêt de 1566. La faculté le fit mettre au rang des remèdes purgatifs dans l’Antidotaire imprimé par son ordre en 1637, suivant l’opinion de Matthiole. Et enfin elle a fait donner un Arrêt du 29 Mars 1668, qui a donné permission aux Docteurs de Médecine de s’en servir, avec défenses aux autres personnes de l’employer que par leur avis. M. Patin n’a rien oublié pour décrier l’antimoine, & il regne dans ses lettres un déchaînement prodigieux contre ce remède. Il avoit dressé un gros registre de ceux que les Médecins avoient tués par-là ; il le nommoit le Martyrologe de l’antimoine. Voyez sur l’antimoine les Transactions Philosophiques, Tom. II. pag. 555 & suiv.
Il y a une préparation d’antimoine, appelée la Poudre des Chartreux. Voyez Poudre ou Chartreux. Il en est parlé dans l’Histoire de l’Académie, 1720. pag. 50, & dans les Mémoires de la même année, p. 417. On l’appelle aussi, Kermès minéral. Voyez Kermès.
Ce mot d’antimoine vient, selon quelques-uns, de ce qu’un Moine Allemand (c’est ce même Valentin) qui cherchoit la Pierre philosophale, ayant jeté aux pourceaux de l’antimoine dont il se servoit pour avancer la fonte des métaux, reconnut que les pourceaux qui en avoient mangé, après avoir été purgés très-violemment, en étoient devenus bien plus gras : ce qui lui fit penser qu’en purgeant de la même sorte ses confrères, ils s’en porteroient beaucoup mieux. Mais cet essai lui réussit si mal, qu’ils en moururent tous. Cela fut cause qu’on appela ce minéral Antimoine, comme qui diroit contraire aux Moines. Cette étymologie vient d’un vieux manuscrit d’Allemagne qui est dans la Bibliothèque de M. Moreau, Médecin du Roi, cité par M. Perrault, dans son Livre du Rabat-joie de l’antimoine. M. Huet croit qu’il vient du nom grec στίμμι, auquel les Arabes ont ajouté leur article al.