Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANTHROPOPHAGE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 381).

ANTHROPOPHAGE. adj. de t. g. & f. Qui mange les hommes, qui vit de chair humaine. Peuple Anthropophage. Il est aussi substantif. Anthropophagus. Quelques-uns font remonter l’origine des Anthropophages jusqu’au déluge, & attribuent aux Géans le premier exemple de la barbare coutume de se repaître de chair humaine. On prétend que la terre de Chanaan même étoit habitée par des hommes de taille gigantesque, & d’un naturel si farouche, que les cadavres humains étoient leur nourriture ordinaire. Les Historiens parlent des Scythes & des Sauromates qui faisoient de ces horribles repas. Voyez Pline, Liv. IV. c. 12. Le même Auteur trouve encore des Anthropophages dans l’Ethiopie ; & Juvénal fait un effroyable récit de la voracité de certains peuples d’Egypte, qui, à la manière des tigres, déchiroient entre leurs dents des corps encore tout fumans. Tite-Live rapporte qu’Annibal faisoit manger de la chair humaine à ses soldats, pour les rendre plus fiers & plus intrepides dans le combat. La partie australe de l’Afrique est la demeure la plus fameuse des Anthropophages. Il y en a eu dans la Cafrerie & dans le Zanguebar. Vesputius raconte qu’il a vu ces hommes nus aussi-bien que les femmes, manger indifféremment la chair les uns des autres ; le fils rongeant avidement le cadavre du pere, & tirant gloire d’avoir dévoré un plus grand nombre d’hommes. Les Caraïbes, & les Cannibales de l’Amérique, ont encore surpassé les autres en férocité. On en a vû qui arrachoient de jeunes enfans du sein de leurs meres, parce qu’ils trouvoient cette chair tendre & nouvelle & beaucoup plus ragoûtante. Petit. Les Missionnaires vont prêcher l’Evangile jusque chez les Anthropophages. Apparemment que la nature a pétri les nations anthropophages de la même pâte, dont elle a formé les tigres & les lions. S. Evr.

☞ Ce mot n’est qu’une épithète qui marque la barbarie de ces peuples, & non pas le nom d’aucune nation particulière, quoiqu’on l’ait donné à quelques-unes, faute de savoir le véritable.

Dans les premiers siècles de l’Eglise, les Païens accusoient les Chrétiens d’être Anthropophages, comme il paroît par Tatien, par Tertullien dans son Apologétique, chap. 7, & par Salvien, de provid. Liv. IV. Ils disoient que dans leurs mystères les Chrétiens tuoient un enfant, puis le mangeoient. Cette calomnie étoit fondée sur ce qu’ils avoient oui dire du sacrifice de l’Eucharistie & de la Communion : preuve évidente que dans ces temps si voisins des Apôtres, l’Eglise enseignoit sur cela ce que l’Eglise Romaine enseigne encore aujourd’hui.

Ce mot est grec, & vient de φάγω, je mange, & d’ἄνθρωπος, homme.