Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANCRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 336-337).
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ANCRE. s. f. Terme de Marine. Ancora. Les gens de mer le font souvent masculin. À peine l’ancre a-t-il été levé, que le vent est tombé. Abbé de Choisy. C’est une grosse pièce de fer, qui par un bout est courbée, & forme deux pointes ou pattes, ou crochets, ou qui aboutissent de deux côtés en arc, & sont semblables à un hameçon. ☞ À l’extrémité de la verge opposé au bras, est un anneau qu’on appelle l’organeau, auquel on amarre le cable, & tout auprès de l’organeau, est une pièce de bois qui croise les bras à angle droit, & qu’on nomme le Jas. Elle sert à arrêter toutes sortes de vaisseaux sur la mer, & sur les rivières, & à les tenir en état dans leur mouillage. Il y en a de quatre sortes. La plus grande qu’on nomme maîtresse, ne sert jamais que dans le danger, pour empêcher que le navire ne tombe en côte. La seconde sert à tenir le vaisseau à la rade. La troisième est l’ancre d’affourche, que l’on mouille après en avoir mouillé une autre à la partie opposée : c’est pour enfourcher le navire & l’empêcher de s’éloigner, de se tourmenter, ou de chasser sur son ancre. La quatrième s’appelle ancre à touer, dont on se sert pour haler un navire, & pour le faire avancer avec le cabestan, ou virevaux, quand il faut changer de place dans les rades, ou entrer dans un havre, ou en sortir. On appelle encore Ancre de toue, les ancres qui servent à rappeler le vaisseau à la mer, quand le vent le jette à la côte. On appelle Ancre à la veille, celle qui est prête à être mouillée ; & l’ancre du large, celle qui est mouillée vers la mer, lorsqu’il y en a une autre mouillée vers la terre, & qu’on nomme Ancre de terre. Les ancres qui sont mouillées à l’opposite l’une de l’autre, s’appellent Ancres de flot, & de jusant : l’une pour tenir contre le flux, & l’autre contre le reflux de la mer. Le cable dont on se sert dans cette occasion, s’appelle Hansière. Les parties d’une ancre sont l’anneau, la verge, les bras, ou la croisée, & les pattes. L’anneau qu’on appelle Arganeau, ou Organeau, est entortillé de certaines cordelettes qu’on nomme Bodinure. Talinguer le cable, c’est l’ajuster dans l’anneau. Les pièces de bois qui sortent en saillie à l’avant du vaisseau pour poser l’ancre, s’appellent Bosseurs. L’orin est une grosse corde, qui accole les deux bras de l’ancre, & aboutit à un liége, ou à un baril qui flotte sur l’eau, & montre l’endroit où est l’ancre. On appelle aussi la tige droite d’une ancre, Stangue, ou Scape. On dit, jeter l’ancre, mouiller l’ancre. Ancoras jacere. Lever l’ancre. Tollere, vellere. Être à l’ancre. Stare, Consistere in ancoris. Donner fond, mettre le vaisseau sur le fer, sur son ancre. On dit que l’ancre est dérapée, ou qu’elle a quitté, lorsqu’étant au fond de l’eau, elle ne tient plus à terre. Capponner l’ancre, c’est crocher à l’orin l’arganeau de l’ancre avec le cappon. Enjauler, ou enjaler une ancre, c’est attacher deux pièces de bois vers l’arganeau, pour contrebalancer les pattes de l’ancre dans l’eau, & la faire tomber d’une manière que l’une des pattes s’enfourche dans le terrain, & qu’elle morde le fond, afin de soutenir, & de faciliter le mouillage. Ces deux pièces de bois s’appellent le jas, l’aissieu ou le jouet de l’ancre. On dit aussi, qu’un vaisseau chasse sur ses ancres ; ou que l’ancre a chassé, lorsqu’elle laboure le fond, ou lorsqu’il s’éloigne du lieu où il a mouillé, soit par la violence des coups de mer, soit parce que le fond est de mauvaise tenue. On dit, gouverner sur l’ancre, quand on vire le vaisseau pour désancrer plus facilement. Faire venir l’ancre a pic ; pour dire, venir sur l’endroit où l’ancre est mouillée ; c’est lorsqu’on a retiré le cable, & qu’il n’en reste plus précisément que pour aller perpendiculairement droit à l’ancre. Brider l’ancre, c’est empêcher que le fer ne creuse, & n’élargisse le sable, par le moyen des planches qu’on met à ces pattes, & dont on les enveloppe. Bosser l’ancre, c’est la mettre sur les bosseurs, ou bossoirs. Il y a des peuples dans les Indes, qui se servent dans la navigation d’ancres de bois.

Il est clair que ce mot vient d’ancora, qui vient d’ἄγϰυρα ; mais selon le P. Pezron, il a été formé sur le celtique angor. Quelles preuves qu’angor soit un mot celtique, & qu’il signifie ancre ?

Ancre, ou Tirant, en Architecture & en termes de Serrurier, c’est une grosse barre, ou pièce de fer droite, ou faite en S, ou ayant la figure de deux ancres adossées, qui se met aux encoignures des murs, & au bout des poutres, & qui sert à affermir les murailles & à tenir tout le bâtiment plus ferme & plus lié. On s’en sert aussi aux cheminées, quand elles sont sur les croupes, pour les garantir de l’effort des vents.

Ancre, est aussi un terme de Blason ; mais en cet art ses parties y sont nommées différemment. Le bois traversant qui est au-dessus s’appelle Trabe. Trabes, Transversarius ancoræ stipes, ancoræ brachia. Le fer droit qui entre dans la trabe, s’appelle Stangue. Scapus, Truncus ancoræ. Et le cable est appelé Gumene. Funis ancorarius. L’ancre est le symbole de l’espérance.

Justin, Liv. XV. ch. 4, & Appien, in Syriacis, rapportent que tous les Séleucides naissoient marqués d’une ancre à la cuisse. M. Spanheim, pag. 404 & 405 de la dernière édition, c’est-à-dire, celle de Londres, & d’habiles Antiquaires, ont cru que c’étoit la raison pour laquelle non-seulement Séleucus I, mais d’autres encore de ses successeurs ont une ancre sur leurs médailles ; & que Séleucus l’avoit gravée sur son cachet, ainsi que le dit Clément Alexandrin, Padag. Liv. III, ch. II. Pour les médailles, outre celles de Séleucus, il y en a d’Antiochus Soter, d’Antiochus surnommé θεός, Dieu, & de Demétrius Nicanor, qui ont des ancres, ou seules, ou avec d’autres figures. Il est surprenant que des gens qui se piquent d’érudition, aient dit : Ancora, marque de la famille de Séleucides, que ceux de ce nom apportoient en venant au monde ; comme s’ils n’avoient pas entendu ce que signifie ancora, & que tous les Séleucides se fussent appelés Séleucus, ou qu’il n’y eût eu que ceux qui se nommoient Séleucus qui eussent été marqués d’une ancre, quoique Justin, qu’ils citent apparemment sans l’avoir lû, dise que tous ceux de la race de Séleucus apportoient cette marque en naissant.

Ancre, se prend figurément & moralement pour recours, refuge, asyle. Refugium, azilus. La paroisse n’est que comme une dernière ancre. Patru, Plaid. S.

Ancre. Liqueur servant à écrire. Voyez Encre.

Ancre. Petit ville de France. Anchora. Elle est en Picardie, sur une rivière de même nom, entre Corbie & Bapaume. On nomme aussi cette ville, Albert.

☞ Cette ville avec le titre de Marquisat, fut achetée par Conchini, qui devenu plus puissant par les gouvernemens de Peronne, de Roye & de Montdidier, & par toutes les dignités qu’il réunit en sa personne, devint l’objet de l’exécration publique. Le Marquis d’Ancre, nouveau Séjan, sous un Prince, dont le caractère ne ressembloit en rien à celui de Tibère, après avoir long-temps bravé la patience de la nation Françoise, eut le destin que méritent tous les favoris qui abusent insolemment de la bonté & de la confiance du Souverain. Il fut déchiré par le peuple, comme le Séjan de Rome.