Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANAGRAMME

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 325).

ANAGRAMME. s. f. Transposition de lettres de quelque nom, dont on fait tant de combinaisons, qu’à la fin on y trouve quelque autre mot & un autre sens. Anagramma, Anagrammatismus. Par exemple, l’anagramme de Galenus, c’est Angelus ; de Logica, c’est Caligo ; Lorraine, c’est Alérion : c’est pour cela que la Maison de Lorraine a pris des Alérions dans ses armes. Calvin, dans le titre de son Institution, imprimé à Strasbourg l’an 1539, se donna le nom d’Alcuin, qui est l’anagramme de celui de Calvin, se voulant faire honneur du nom de ce savant homme, dont Charlemagne se servit si utilement pour faire refleurir de son temps la doctrine & les belles-lettres en France. P. Dan.. Tom. III. pag. 668. Lycophron qui écrivoit sous Ptolomée Philadelphe Roi d’Egypte, environ 280 ans avant Jésus-Christ, excella non-seulement dans la poësie, mais encore dans l’art de faire des anagrammes, au rapport de Canteurus, dans ses Prolégomènes sur Lycophron, où il en rapporte deux assez heureuses de la façon de ce Poëte. La première sur le nom du Roi Ptolomée, Πτολεμαῖος, dont il faisoit ἀπὸ μέλὶτος, de miel ; comme pour dire que ce Prince étoit tout de miel ; c’est-à-dire plein de douceur & de bonté : la seconde est sur le nom de la Reine Arsinoé, en grec Ἀρσινόη, dont il avoit fait Ἴον Ἥρας, violette de Junon. Les Cabalistes aussi chez les Juifs font perpétuellement des anagrammes. La troisième partie de leur art, qu’ils appellent תמורה, themura, c’est-à-dire, changement, n’est autre chose que l’art de faire des anagrammes, ou de trouver dans un nom, des sens cachés & mystérieux, en produisant d’autres noms & d’autres phrases, par le changement, la transposition, & la différente combinaison des lettres du même mot. Ainsi de נח, qui sont les lettres du nom de Noé, ils font חן, qui signifie grâce ; de משיח, le Messie, ils font ימשח, qui veut dire il se réjouira. Ainsi nous ne sommes point les premiers qui aient fait des anagrammes. Nous ne savons point que les Latins en aient fait. Ils ont eu cependant quelqu’idée de la première espèce d’anagramme dont nous allons parler, comme il paroît par Aulugelle, Liv. XII. chap. 6.

Les anagrammes se font en deux manières ; car 1.o quelques-unes consistent seulement à diviser un mot en plusieurs mots. Ainsi l’énigme du Dieu Terminus qu’Aulugelle rapporte à l’endroit que j’ai cité, est fondée sur l’anagramme Terminus. Ainsi dans ce vers, que les enfans dans leurs jeux innocens se proposent quelquefois à expliquer,

Fursur edit pannum, panem quoque sustineamus ;

pour qu’il y ait du sens, il faut de sustineamus en faire trois mots, sus, tinea, mus. La seconde espèce d’anagrammes est de celles où l’on renverse, & l’on dispose autrement les lettres. Telles sont celles que nous avons rapportées ci-dessus ; & encore Roma, Maro, mora, amor : Julius, Livius ; Corpus, porcus, procus, spurco. Les meilleures anagrammes sont celles dans lesquelles il ne faut ni changer ni suppléer de lettres, comme dans celles que nous avons rapportées. Quelquefois on se donne la liberté d’en changer quelqu’une. Par exemple, dans celle qu’on fit sur Marie Stuart pendant sa prison, Maria Stuarta, Virtus armata, il faut changer un a en v. Colletet a dit contre les faiseurs d’Anagrammes :

Et sur le Parnasse nous tenons,
Que tous ces renverseurs de noms
On la cervelle renversée.

C’est Daurat, qui sous le règne de Charles IX. s’avisa le premier de faire des anagrammes. Il prétendoit qu’il en avoir trouvé le plan dans le Poëte Lycophron. Il mit les anagrammes tellement en vogue, que tout le monde s’en mêloit. L’Abbé Catelan a encore enchéri sur cela, & il inventa en 1680 une anagramme mathématique, par le moyen de laquelle il trouva que les huit lettres du nom du Roi Louis XIV. font, vrais Héros.

On appelle aussi quelquefois Anagramme numérique, ces vers dont les lettres numérales, c’est-à-dire, celles qui en chiffre romain servent à marquer les nombres, prises ensemble selon leur valeur numérique, ou comme des chiffres, désignent une époque. Tel est le distique de Claude Godart sur la naissance du Roi, qui arriva en 1638 le 5 Septembre, jour auquel se fait la conjonction de l’aigle & du cœur du lion.

eXorIens DelphIn aqVILæ CorDIsqVe LeonIs
CongressV, gaLLos spe, LætItlaqVe reseCIt.