Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANACHORÈTE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 322-323).
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ANACHORÈTE. s. m. Prononcez Anacorète. Ermite, homme dévot, qui vit seul dans le désert, & qui ne s’est ainsi retiré du commerce des hommes, que pour avoir la liberté de tourner toutes ses pensées du côté de Dieu. Homo solitarius, Anachoreta, Eremita. Ces saints hommes se retiroient dans les solitudes, parce qu’ils prétendoient y rencontrer moins de sujets de tentation, & moins d’objets pour ébranler la vertu. Du Pin. Saint Antoine, Saint Hilarion, ont été des Anachorètes. Saint Paul Ermite a été le premier des Anachorètes. Ce mot vient du grec ἀναχωρέω, qui signifie, je me retire à l’écart, par opposition aux Cénobites, qui vivent en commun.

Leo Allatius, au Liv. III, chap. 8, de Cons. Eccles. Occid. & Orient, & après lui de Moni dans son Hist. des Religions du Levant, parlent assez au long des Anachorètes Grecs. Ce sont, disent-ils, des moines qui ne pouvant travailler ni supporter les autres charges du Monastère, veulent vivre dans le repos de la solitude. Ils achetent une cellule hors du Monastère avec un petit fonds dont ils puissent vivre ; & ils n’y vont qu’aux jours de Fêtes pour assister à l’Office, après lequel ils retournent à leurs cellules, où ils s’emploient à leurs affaires, n’ayant aucunes heures arrêtées pour la prière. Il se trouve néanmoins de ces Anachorètes qui sont hors de leurs Monastères avec le consentement de leur Abbé, pour mener une vie plus retirée, & pour s’appliquer davantage à la méditation. Le monastère leur envoie une fois ou deux le mois de quoi se nourrir, parce qu’ils ne possèdent ni fonds ni vignes. Mais ceux qui ne veulent point dépendre de l’Abbé, louent quelque vigne voisine de leur cellule, dont ils mangent le raisin ; il y en a qui vivent de figues ; d’autres vivent de cerises, ou de quelques fruits semblables : ils sèment des féves dans la saison. L’on en voit de plus qui gagnent leur vie à copier des livres. On donne à ces Anachorètes le nom d’Ascètes & d’Ermites.

Dandini, parlant dans son Voyage du Mont-Liban, des religieux Maronites, dit au chap. 23, que c’est un reste des anciens Ermites, qui vivoient séparés des hommes, & habitoient les déserts de la Syrie & de la Palestine. Ils sont retirés dans les endroits les plus cachés des montagnes, éloignés de tout commerce, & sous de grands rochers. Ils vivent de ce que la terre produit d’elle-même, ne mangent jamais de chair, même lorsqu’ils sont malades & en danger de mourir ; & pour ce qui est du vin, ils n’en boivent que très-rarement. Il faut consulter Cassien sur ces anciens Anachorètes.

Il y a aussi dans l’Occident des Anachorètes. Pierre Damien, qui étoit de l’Ordre des Ermites, en fait souvent l’éloge, comme étant les plus parfaits d’entre les Moines. Il n’a aucune estime pour les Moines Cénobites, c’est-à-dire, ceux qui vivent en communauté. Il les regarde comme des Moines qui sont bien éloignés de la perfection de la vie monastique. Nous les aimons, dit-il, comme l’on aime des ânes, ou des cerfs, parce qu’ils sont utiles pour le travail. Petr. Dam. Lib. VI. Epist. 12.

Saint Benoît, qui a été le principal Auteur des Moines qui sont dans l’Occident, a aussi eu dans son Ordre des Anachorètes. Il est permis par les Constitutions de cet Ordre, de quitter la Communauté pour vivre Anachorète, ou Solitaire ; ce qui s’appeloit de Claustrensi fieri Anachoretam ; c’est à dire, d’homme de cloître devenir Anachorète. Voici la description que Jérôme Acosta fait de ces Anachorètes de l’Ordre de S. Benoît, dans son Histoire de l’origine & du progrès des revenus ecclésiastiques, pag. 52. Ces Anachorètes, qui s’étoient retirés du monastère avec la permission de leur Abbé, alloient habiter quelques lieux du voisinage, & ils n’étoient pas si solitaires, qu’ils ne fussent visités souvent par le peuple, qui venoit se recommander à leurs prières. On leur faisoit de grandes aumônes, parce qu’ils étoient estimés plus saints que les autres. Ils recevoient toutes sortes de donations, soit en fonds de terre, soit en meubles. Quand ils étoient enrichis dans un lieu, ils alloient en un autre, où le peuple leur faisoit les mêmes charités. Le bien qu’ils acquéroient par ce moyen leur appartenoit ; & avant de mourir ils en disposoient en faveur du monastère d’où ils étoient sortis.

Acosta n’a rien avancé touchant ces Anachorètes, & les biens qu’ils acquéroient pour leurs monastères, qui ne soit appuyé sur les Cartulaires des abbayes : & en effet il produit la formule de la donation, qui est conçue en ces termes dans le célébre Cartulaire de Casevre, qu’on trouve présentement dans la Bibliothèque du Roi : Moi N. Prêtre & Moine d’un tel monastère, qui suis sorti avec la permission de l’Abbé, pour mener une vie plus retirée, je donne à mon Abbé N. pour le repos de mon ame, tous les biens que je possède, & que j’ai acquis avec sa permission. L’acte de la donation contenoit un dénombrement des biens, terres & églises que ces solitaires laissoient à leurs monastères ; & ils donnoient en même temps les actes des donations particulières, qu’on gardoit dans les archives avec les autres écritures.