Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANABAPTISTE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 320-321).
ANABASIEN  ►

Anabaptiste. s. m. Anabaptista. C’est un nom qu’on a donné à certains hérétiques qui prétendent qu’on ne doit pas baptiser les enfans avant l’âge de raison, ou qu’à cet âge il faut les rebaptiser, parce qu’ils soutiennent qu’il faut être en état de rendre raison de sa foi, pour recevoir validement le baptême. Ce mot vient du grec ἀνὰ, qui signifie denuò, une seconde fois, & qui dans la composition des mots signifie réitération ; & de Βαπτίζω, je baptise, verbe dérivé de Βάπτω, mergo, je plonge dans l’eau.

Il y a eu des Anabaptistes dans la primitive Eglise, c’est-à-dire, des Hérétiques qui baptisoient une seconde fois. Tels étoient les Novatiens, les Cataphryges, les Donatistes. Il y eut même au troisième siècle des Prélats Catholiques en Asie & en Afrique, qui prétendirent, que le baptême des Hérétiques n’étoit pas valide, & qu’il falloit rebaptiser ceux d’entr’eux qui se convertissoient. Ceux de Cilicie, de Cappadoce, de Galatie, & de quelques provinces voisines, dans un Concile qu’ils tinrent à Icone, ayant à leur tête Firmilien, & ceux d’Afrique, dans deux Conciles de Carthage, où présida S. Cyprien, le déclarerent ainsi ; mais le Pape Etienne I s’opposa à cette erreur, & elle n’eut pas de suite. Ces anciens Rebaptisans ne sont pas communément appelés Anabaptistes. Au XIIe siècle les Pétrobusiens, les Vaudois, les Albigeois, erroient aussi dans ce point, comme il paroît par S. Bernard, Ep. 24. & Serm. 66. sur le Cantique, & par les écrits du vénérable Pierre. Mais ceux qu’on appelle proprement Anabaptistes, sont une secte de Protestans du XVIe siècle, ainsi nommés pour la raison que l’on a dite.

Cette secte a fait beaucoup de bruit & de ravages en Allemagne dans le XVIe, sur-tout en Westphalie. Ils soutiennent qu’on ne doit point baptiser les petits enfans : qu’il n’est point permis de jurer, ni de porter les armes ; qu’un vrai Chrétien ne peut être Magistrat, &c. On ne sait pas bien quel est l’Auteur des Anabaptistes. Quoique Luther se soit fort déclaré contre ces fanatiques, il est cependant certain que quel que soit leur Chef, il est sorti de son école, & que lui-même y a donné occasion, soit en assurant qu’il faut une foi actuelle pour le baptême, soit en écrivant, dit-on, aux Vaudois, qu’il vaut mieux ne pas conférer le baptême, que de le donner aux enfans. Quelques Auteurs en accusent Carlostad, & d’autres Zuingle. Cochlæus dit que c’est Balthazar Pacimontanus qui commença à l’enseigner en 1527, disant l’avoir puisée dans les ouvrages de Luther : dans la suite il fut brûlé à Vienne en Autriche. Mezorius dit que ce fut Pelargus l’an 1522, & qu’il eut pour compagnons Bodestein, Carlostad, Melanchthon, Westenberg, Quiccou, Didyme, More, &c. Enfin, ou en fait plus communément les Auteurs Thomas Muncer de Zwickau, ville de Misnie, & Nicolas Storch de Stalberg en Saxe, tous deux disciples de Luther, dont ils se séparerent, parce qu’ils ne trouvoient pas sa doctrine assez parfaite. S’ils ne sont pas les inventeurs de cette pernicieuse doctrine, c’est eux au moins qui ont commencé, & qui ont le plus contribué à l’établir, & à la répandre dans le monde.

Sleidan parle de la faction des Anabaptistes en plusieurs endroits de ses Commentaires historiques. Luther avoit si fort prêché la liberté évangélique, que les paysans de Suève & des environs s’attrouperent, & se liguerent contre les puissances ecclésiastiques, sous prétexte de défendre la doctrine évangélique, & de secouer le joug de leur servitude : Obductâ causâ quosi & Evangelii doctrinam tueri, & servitutem ab se profligare vellent. Voyez Sleidan à la fin de son IVe Liv. Il ne fut pas possible d’arrêter leur fureur par d’autre voie, que par celle des armes. Ils opposoient à Luther sa propre doctrine : ils disoient qu’ayant été faits libres par le sang de Jesus-Christ, c’étoit une chose indigne du nom Chrétien, qu’on les eût regardés jusqu’alors comme des serfs : Quòd huc usque sint habiti velut conditione servi. Le même Sleidan, dans son Liv. Ve, rapporte les exhortations que Luther faisoit aux Anabaptistes, pour leur faire mettre les armes bas ; mais toutes ses prédications furent inutiles. Ils publioient par-tout qu’ils n’avoient pris les armes, que parce qu’ils s’y croyoient obligés par un commandement de Dieu. Cet Hérésiarque voyant que ses longues harangues étoient inutiles, publia un Livre, où il convioit tout le monde à prendre les armes contre ces scélérats, qui abusoient ainsi de la parole de Dieu. Il fut obligé d’en écrire un second pour justifier sa conduite, qui paroissoit cruelle à bien des gens.

Ces Anabaptistes étant au nombre de quarante mille, désoloient tous les lieux par où ils passoient. Muncer, qui étoit leur chef, prétendit que Luther n’avoit encore fait que la moitié du chemin pour ce qui étoit de la réformation, & qu’il falloit joindre les révélations divines à l’Ecriture Sainte : Ex revelationibus divinis judicandum esse dicebat, & ex Bibliis, Muncerus. Consultez Sleidan au commencement de son Liv. Ve. En effet, ces Enthousiastes ne croient pas que le seul texte de l’Ecriture suffise pour établir la vérité de la religion Chrétienne, ils ont recours aux révélations.

Cet Historien fait encore mieux connoître au commencement du Xe Livre de ses Commentaires historiques, les excès où les Anabaptistes porterent cette liberté évangélique, qui avoit été prêchée par Luther. Jean de Leyde, fameux fanatique qui se déclara leur Roi, ne marchoit point en public qu’il ne fût accompagné d’un certain nombre de grands Officiers, deux jeunes gens à cheval marchoient immédiatement après lui, dont l’un, qui étoit à la droite, portoit la couronne, & l’autre portoit une épée toute nue. Mais les Anabaptistes d’aujourd’hui, quoiqu’ils soient Fanatiques & Illuminés, sont fort éloignés de ces excès de fureur où étoient leurs premiers maîtres, qui vouloient établir sur la terre le nouveau regne de J. C. par la force des armes ; ils condamnent au contraire les guerres qui sont entre les Chrétiens, & ils ne souffrent point qu’aucun parmi eux porte les armes.

Calvin a écrit contre les Anabaptistes un ouvrage qui se trouve parmi ses opuscules. On y voit qu’il est fort embarrassé à leur répondre sur le baptême des enfans, qu’ils rejettent comme s’il eût été contraire à ces paroles de Jesus-Christ, au ch. 16. de S. Matth. v. 16. Celui qui croira, & sera baptisé, sera sauvé. Comme il n’y a que les adultes qui soient capables de croire, les Anabaptistes inféroient de-là qu’on ne devoit point baptiser les enfans, puisqu’on ne lit aucun passage dans tout le nouveau Testament pour appuyer clairement leur baptême. Calvin, & même tous les autres Protestans, se trouvent fort embarrassés à répondre à cet argument des Anabaptistes. Ils sont obligés de recourir à la tradition avec les Catholiques. Et en effet on voit que le baptême des enfans étoit en usage dès les premiers siècles de l’Eglise. Cela paroît évidemment par l’Auteur des Questions attribuées à S. Justin, p. 56. par Origène, Liv. V. sur le ch. 6 de l’Epître aux Romains, qui dit, que c’est là une tradition apostolique ; par un Concile d’Afrique, où S. Cyprien rapporte, Epist. ad Fidum, qu’il fut décidé d’un consentement unanime de tous les Evêques, sans en excepter un seul, qu’il falloit baptiser les enfans immédiatement après leur naissance, & ne point attendre ; par le Concile de Milève, Can. 2. le Concile d’Autun, Can. 18. le second Concile de Mâcon, Can. 3, le Concile de Girone sous Hormisdas ; le Concile de Londres en 1237, Can. 3 ; le Concile de Vienne sous Clément V, le Concile de Trente, Sess. VII, Can. 12 & 13, Sess. V, Can. 4, par les Papes Siricius, Ep. ad Himer. Innocent I, dans son épître au Concile de Milève ; Clément V, de summâ Trinit. & fide Cath. Innocent III, Extra C. Majores de bapt. par S. Irénée Liv. II, ch. 39. S. Cyprien dans la lettre que j’ai citée ; l’Auteur du Livre de la Hiérarchie Ecclés. attribué à S. Denys, au dernier ch. S. Augustin Ep. 20 à S. Jérôme, où il dit que ce ne fut point un nouveau décret que celui de S. Cyprien, qu’il ne fit que conserver la foi de l’Eglise ; le même Saint, dans le Sermon 10 De verb. Dom. Liv. III. De peccator. mer. ch. I, 26. Liv. IV. De Bapt. ch. 23. S. Amb. Liv. De Mystico Pasch. ch. 5. S. Jérôme Dial. 3, contre les Pelag. l’Auteur du Liv. de la Vocat. des Gent. ch. 6. S. Grégoire Liv. I, Ep. 17, &c. De plus, les Catholiques tirent encore de l’Ecriture même des argumens très-forts contre les Anabaptistes ; car en premier lieu il est certain que les enfans sont capables du Royaume des Cieux, & qu’ils peuvent être sauvés : Jésus-Christ l’assure en S. Marc X, 14, & en S. Luc XVIII, 16. Il les fait approcher, les bénit. Cependant Jésus-Christ dit en S. Jean III, 5, qu’on ne peut entrer dans le Royaume de Dieu, qu’on ne soit baptisé. Il faut donc que les enfans qui peuvent y entrer, puissent être baptisés. Les Anabaptistes répondent, que ceux dont Jésus-Christ parle étoient déjà grands, puisqu’ils pouvoient venir à lui ; qu’ainsi ils étoient capables de faire un acte de foi. Mais cela est manifestement contraire à l’Ecriture, qui en S. Matthieu, & en S. Marc, les appelle παιδία, & en S. Luc βρέφη, de petits enfans. Et le même S. Luc dit, qu’on les apportoit à Jésus-Christ ; preuve qu’ils ne pouvoient encore marcher, & qu’ils n’étoient point aussi grands que les Anabaptistes le disent. En second lieu, le vénérable Pierre, Liv. I, Ep. 2, disputant contre les Pétrobusiens, tire un argument contre eux des paroles que S. Paul dans le ch. V de l’Ep. aux Rom. où il dit, que si par le péché d’un seul homme la mort a regné dans le monde ; à plus forte raison ceux qui recevront l’abondance de la grâce & du don de la justice, regneront dans la vie par le moyen d’un seul. Car, dit ce Docteur, parce que tous sont coupables par un seul, nous concluons, que les enfans sont coupables. Donc, parce que tous sont justifiés par un seul, nous devons conclure aussi que les enfans sont justifiés ; ce qui ne se peut faire sans le Baptême. Tout cela étant clair, il s’ensuit que les enfans peuvent avoir la foi requise pour recevoir le Baptême. Or cette foi ne peut être que, ou une foi actuelle, qui précède le Baptême, comme une disposition nécessaire à le recevoir ; ou une foi habituelle, qui suit le Baptême, & qui est un des effets qu’il produit. Les enfans ont suffisamment l’une & l’autre avant que de recevoir le Baptême : ils ont la foi actuelle, non par eux-mêmes, comme le dit faussement Luther, car ils ne sont pas capables de produire aucun acte, mais par d’autres, c’est-à-dire, leurs parrains & marraines, qui répondent pour eux. Et il n’y a rien dans cette disposition de Dieu, non-seulement que de très-miséricordieux, mais que de très-juste & de très-raisonnable ; car il est juste, que puisqu’ils n’ont péché que par la volonté d’autrui, ils puissent aussi être justifiés par la volonté d’autrui. 2.o Ils ont la foi habituelle ; car le Baptême produit en eux les habitudes de la foi, de l’espérance & de la charité. Ainsi ils croient comme ils ont péché : le défaut de foi ne peut donc les empêcher d’être baptisés ; & c’est en vain qu’on nous oppose le vers. 16 du ch. XVI de S. Marc. Voyez Bellarm. Liv. I. de Bapt. 8, 9, 10, &c.

Les Anabaptistes ont adopté plusieurs autres dogmes qui leur sont particuliers. Ils ont quelque chose de commun avec les anciens Gnostiques. Ils ne croient pas que Jésus-Christ ait tiré sa substance de la sainte Vierge ; & ils se fondent sur ces paroles du ch. I de S. Matth. vers. 20. Ce qui est conçu en elle vient du S. Esprit. Comme si la chair de Jésus-Christ étoit spirituelle, & de même essence que la substance de Dieu. Ils ont là-dessus, & sur plusieurs autres choses, une philosophie particulière, selon laquelle ils expliquent aussi le mystère de l’Incarnation. Ils font paroître au-dehors une grande modestie dans toutes leurs actions & dans leurs habits. Ils sont persuadés que dès cette vie on peut acquérir une pureté parfaite, & exempte de tout péché. On remarquera enfin, que Sixte de Sienne, qui réfute souvent les Anabaptistes dans sa Bibliothèque sainte, leur attribue plusieurs erreurs où ils ne sont point présentement.

Les Anabaptistes s’étant beaucoup multipliés, se diviserent en plusieurs sectes, à qui l’on donna les noms, ou de leurs Chefs, ou des erreurs particulières qu’ils ajouterent aux erreurs communes des Anabaptistes. Les principales de ces sectes sont les Muncériens, les Séparatistes, les Cantaristes, les Apostoliques, les Enthousiastes, les Silentes, ou Silentieux, les Adamites, les Géorgiens, les Libres ou indépendans, les Hutites, les Melchioristes, les Mennonites, les Bulchodiens, les Augustiniens, les Servétiens, les Denchiens, les Monastériens, les Libertins, les Déorélitiens, les Semperorantes, c’est-à-dire, prians toujours, les Polygamites, les Ambrosiens, les Clanculaires, les Manifestaires, les Baculaires, les Pacificateurs, les Pastoricides, les Sanguinaires, les Démoniaques, &c. Jovet. Il y a cependant de ces noms, qui sont plutôt de différentes épithètes données aux mêmes Hérétiques, que des noms de différentes sectes. Ceux de Moravie furent appellés Apostoliques, ou Nudipédales, c’est-à-dire, Pieds nus, Mennonites en Hollande & en d’autres endroits du Nord. Ils conservent le nom d’Anabaptistes en Angleterre. Hornbeck, dans sa Somme de Controverse, définit un Anabaptiste, un Socinien ignorant ; & un Socinien, un Anabaptiste plus instruit. Arnoldus Mezorius nous a donné une Histoire fort exacte des Anabaptistes en sept Livres. Historiæ Anabaptisticæ libri septem. Coloniæ, 1617.