Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANÉMONE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 345-346).

ANÉMONE. s. f. Anemone. L’anémone proprement dite, chez les Fleuristes, est une plante qui a ses racines noueuses, tubéreuses, d’où naissent des feuilles qui sont tantôt arrondies, tantôt fendues en trois ou quatre segmens, & tantôt découpées fort menu. Du milieu de ces feuilles s’élevent des tiges nues jusque vers leur milieu, où sont attachées trois feuilles, quelquefois quatre, qui n’ont point de pédicule, & qui forment par une base assez large un colet aux tiges qu’elles embrassent : le haut des tiges soutient une fleur à plusieurs pétales, dont la couleur varie à l’infini ; & il n’y a point de couleur bisarre qu’on ne trouve dans l’anémone ; rien n’est plus charmant que le doux mélange des couleurs qu’on observe dans quelques-unes de ces fleurs. On appelle anémone simple, celle qui outre ces pétales colorés donne seulement des étamines d’un violet obscur qui environnent le pistil, dont toute la surface est chargée d’une infinité de semences menues, enveloppés d’une coiffe cotonneuse. Anémone double, est celle qui au lieu d’étamines, n’a que des béquillons qui sont quelquefois fleurdelisés, & qui ne sont autre chose que les étamines de la fleur simple aplaties & agrandies, leurs sommets étant avortés. Cet amas de béquillons est nommé la Peluche, & par quelques Fleuristes la Fanne ; mais comme souvent toutes les étamines n’avortent pas, elles forment aussi entre les pétales de la fleur, & la peluche, ce qu’on appelle le cordon de l’anémone ; il est tantôt composé de petits filamens plats & courts, tantôt grenés ; & on le nomme cordon grené. On dit, le vase & le calice de la fleur, pour exprimer l’épanouissement de la fleur d’une anémone. La culotte d’une anémone, c’est la naissance des pétales ou feuilles de la fleur, comme le manteau est l’extrémité de ces mêmes pétales. On dit, la culotte de cette anémone est bleu violet, & le manteau tire sur le blanc. La fanne de l’anémone sont ses feuilles. Une anémone doit être bien dômée pour être belle, c’est-à-dire, que sa peluche doit être bien arrangée, faire le dôme, & couvrir en partie les pétales qui la soutiennent. ☞ La peluche doit être garnie de béquillons larges & arrondis par le bout, qui ne s’engagent point entre les pétales de la fleur. Le cordon doit un peu se faire voir & ne point déborder, excéder les premiers béquillons, ni faire le bourlet par son épaisseur. Quand le cordon est de plusieurs couleurs différentes de sa peluche, l’anémone en est plus belle.

☞ Béquillon vient du mot bec, à cause de sa ressemblance. On dit un béquillon fleurdelisé, lorsqu’il est un peu découvert à son extrémité. Quand les béquillons sont étroits, on appelle l’anémone un chardon. La tige de l’anémone doit être basse & bien garnie. L’oignon ou bulbe, d’anémone s’appelle patte.

Il y a des anémones de jardin, & des anémones sauvages ; & l’on en voit quantité de l’une & de l’autre sorte, que l’on ne sauroit distinguer que par la couleur & par la multiplicité de leurs feuilles. Il y en a de rouges, de blanches, de violettes, de bleues, de panachées, &c. Ces couleurs différentes leur on fait donner beaucoup de noms pour ls distinguer. La Calle blanche, est celle dont la houpe est incarnate ; la Flandre blanche, celle dont la houpe est verte ; la Sermonette blanche, celle dont la houpe est cramoisi couvert ; le Cayctan colombin, est blanc ; le Salvian, blanc, marqueté d’incarnat ; le Parisien, incarnat & blanc ; le Gallipol, panaché blanc ; le Turc ou Bizantin, couleur de rose ; le Martelé, celui dont les feuilles sont couleur de paille fouettée de cramoisi, & la coupe de même couleur ; la Merveille de Bretagne, moitié blanc, moitié cramoisi. Il y a encore le S. André, le S. Charles, Matedot, l’Albret, le Passe-Albret, la rouge à peluches, la violette, la couleur de pêcher, la Flamette, la Tricolor, la Chalcédoine, l’Orbat, la Régale, la Lire, la Perche & la Couleur de feu.

Il y a deux sortes d’anémones, l’une qui a la feuille de dessous étroite & tranchée comme celle de la coriandre ; & celle de dessus dans le tour de la fleur, large, quelquefois double, quelquefois simple. L’autre au contraire a la fleur de dessous large, & faite comme celle du persil, & étroite par en-haut, & est sans houpe. Les Jardiniers de ce temps appellent celles-ci Argémones. Les anémones nuancées sont rares & précieuses ; les veloutées sont aussi des belles ; les panachées sont préférables aux pures, pourvû qu’elles aient les autres qualités de la beauté. Les ternes sont méprisées. Il y en a cependant de bizarres & de brunes qui sont très-estimées ; mais il faut qu’elles soient lustrées.

L’anémone est médicinale ; elle purge le cerveau, attire les flegmes, &c. Voyez Matthiole, & Chemel, Diction. écon.

Une anémone, avec ce mot, Gloria vento discutitur, dans Ferro ; ou celui-ci dans Picinellu, Tenui discutitur aurâ, a servi de devise pour exprimer la fragilité de la beauté. Tenui corrumpitur aurâ seroit mieux. Et avec ce mot, Brevis est usus, on a marqué la fragilité de la vie.

Ce mot vient du grec ἄνεμος, ventus, & cette fleur s’appelle en grec, ἀνεμονη, qui signifie, Herbe du vent, parce qu’elle ne s’épanouit que quand le vent souffle, à ce que dit Pline ; ou parce qu’elle se trouve dans des lieux exposés au vent, ou parce que le vent est propres à la faire éclore.

Hésychius, dans son Dictionnaire, comprend sous le nom d’anémone toutes les fleurs qui sont de courte durée, & qui sont facilement abattues & gâtées par le vent. D’autres disent que cette fleur a été ainsi nommée, parce que ses semences sont aisément emportées par le vent. Ovide, dans ses Métamorphoses, & Nicander, cité par le Scholiaste de Théocrite sur l’Idille 5, font naître l’anémone du sang d’Adonis. Tzetzès, sur Lycophron, dit que le sang d’Adonis tomba sur des anémones, & que ses fleurs, qui auparavant étoient blanches, en prirent la couleur rouge.

☞ Il n’y a pas long-temps que cette fleur est connue en France. M. Bachelier, fameux Fleuriste, l’apporta des Indes le siècle dernier.

Les anémones simples peuvent se planter toute l’année ; les belles anémones ne se plantent que depuis le mois de Septembre jusqu’à la fin d’Avril. A moins qu’il ne fasse un temps humide, il faut les mettre dans l’eau pendant un jour, avoir de la terre bien préparée, avec de bon terreau bien vieux, & de bon sablon, le tout bien mêlé, & soit en pot, soit en pleine terre, s’il fait sec & qu’il ne gele point, arrosez-les un peu ; s’il gele il faut les couvrir, & quand le soleil paroît, les découvrir ; si elles sont en pot, il faut mettre les pots en terre jusqu’au bord, & ne les en point tirer, que les anémones ne soient prêtes à fleurir. Aux pays froids, où les hivers sont longs & rudes, comme en Picardie & en Flandre, on replante les anémones en Novembre par un beau jour, le 5e ou 6e jour de la lune, dans des pots que l’on met dans une serre exposée au midi. Quand les pots sont petits, il faut depoter les anémones après l’hiver, & les mettre en pleine terre, bien proprement, sans rompre leur gason ; leurs fleurs en seront plus belles. En Mars il faut les arroser quelquefois ; en Avril souvent, & de même jusqu’à ce qu’elles soient en pleine fleur. Alors il faut les mettre à l’ombre, & les garantir de la pluie, afin qu’elles durent plus long-temps. Les anémones se doivent lever de terre tous les ans aussitôt que le fanage est sec, prenant soin de les nettoyer de la pourriture qui s’y trouve, la coupant jusqu’au vif de leurs bulbes. Les bulbes d’anémone se gardent deux ou trois ans en lieu sec sans les replanter. Il y a des Jardiniers qui parmi la terre mettent pour les anémones de la glaize, ou forte terre qui a passé un hiver à l’air. Elles y profitent merveilleusement.

Les Persans appellent les anémones, Laleh Deschet & Laleh Gouhi, Tulipe de campagne, & de montagne ; c’est-à-dire, sauvage & non cultivée. Les Arabes les nomment Schacaik al Noôman, c’est-à-dire, Fleurs découpées, ou panachées de Noôman ; à cause que ce fut Noôman, Roi d’Arabie, qui les transporta le premier de la campagne dans ses jardins, & qui en a fait le premier de la culture. Ce n’est peut-être cependant qu’une allusion du nom de ce Roi avec celui d’anémone. D’Herb. Cette allusion a pu suffire aux Arabes, pour dire, sans autres preuves, que ce Prince fut le premier qui cultiva ces fleurs. Voyez sur les anémones le Traité de la culture des fleurs, P. II. après la Quintinie, Tom. II.

Anémone, chez les Botanistes, est un genre de plante, qui comprend non-seulement les anémones des Fleuristes, mais encore plusieurs autres qu’ils ne cultivent pas. On distingue la renoncule d’avec l’anémone par la semence, qui dans celle-ci est enveloppée d’une coiffe cotonneuse, ce qui ne s’observe pas dans l’autre.