Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AMEN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 286-287).
◄  AMELSFELD
AMENAGE  ►

AMEN. s. m. Terme d’Eglise, & indéclinable, qui sert de conclusion à toutes les prières qu’on y fait, & qui signifie, Ainsi soit-il, ou fiat. Il signifie aussi, Vraiment, ou fidèlement. Parmi les Juifs le peuple répondoit amen à la fin de chaque prière. Ils distinguoient quatre sortes d’amen. Celui qu’ils appeloient l’amen juste, devoit être accompagné d’attention, & de dévotion. Cette pieuse coutume a passé dans l’Eglise chrétienne. Il n’est pas vrai que le mot amen n’est qu’un composé des lettres initiales de ces paroles, Adonaï Melech Neemam, ou Dominus Rex fidelis, qui étoit une formule usitée en Judée, pour donner du poids, & faire ajouter foi aux promesses de Dieu. Il est vrai seulement, que pour exprimer par abréviation אדוני מלך נאמן, Adonaï Melech Neemam, les Rabbins ne prennent à leur ordinaire que la première lettre de chacun de ces trois mots, & que ces trois lettres jointes ensemble, sont les lettres du mot, אמן, amen. Il est vrai que les Auteurs cabalistes, par une de leurs manières de trouver les sens cachés, & qu’ils appellent Notaricon, laquelle consiste à prendre une lettre pour un mot entier, font de אמן, amen, אדוני מלך נאמן ; & qu’un de leurs Rabbins nommé Chanina, donne cette explication dans la Gemare, ou Glose du Traité Sanédrin ; mais il n’est pas vrai que ce soit là l’étymologie du mot amen, אמן, comme quelqu’un l’a prétendu. Ce mot étoit dans la langue hébraïque, & en usage avant que la cabale fût inventée, & qu’il y eût des cabalistes au monde, comme il paroît évidemment par le Deutéronome, Chap. XXVII, v. 15 & suivans. Sa véritable origine est le verbe אמן, aman, qui au passif נאמן, signifie, être vrai, fidèle, ferme, constant. De-là le nom אמן, qui signifie proprement vérité ; ensuite on en a fait une espèce d’adverbe affirmatif, qui quand il est mis après quelque chose, à la fin d’une phrase, ou proposition, signifie, Que cela soit ainsi ; que ce soit là la vérité : je le veux, je le souhaite, j’y consens. C’est ainsi qu’à l’endroit du Deutéronome que j’ai cité, Moyse ordonne que les Lévites disent à tout le peuple, Maudit soit l’homme qui fera une idole, ce qui est une chose abominable au Seigneur, un ouvrage de la main de l’homme ; & que tout le monde réponde amen ; c’est-à-dire, oui, qu’il soit maudit, nous le voulons, nous y consentons, ainsi soit-il. Mais quand il est au commencement d’une phrase, comme en plusieurs endroits du nouveau Testament, il signifie véritablement, certainement. Matth. V, 18, 26, &c. Amen dico vobis, c’est-à-dire, en vérité, certainement, je vous dis, ou comme traduit assez bien M. Simon, je vous assure. Quand il se double, ou qu’on le repète, qu’on le dit deux fois de fuite, comme a toujours fait S. Jean, il a la force de superlatif, selon le génie de la langue hébraïque & de ses filles, la syriaque, & la chaldaïque ; desorte que amen amen dico vobis, signifie très-certainement, je vous dis. Les Evangélistes ont conservé dans le grec le mot hébreu ἀμὴν, amen. S. Luc l’exprime néanmoins quelquefois par ἀληθῶς, véritablement, ou ναὶ, certainement ; comme on le peut voir en comparant Matth. XVI, 28 avec Luc. IX, 27. Matth. XXIV, 47 avec Luc XII, 44. Marc XII, 43 avec Luc XXI, 3. Matt. XXIII, 36 avec Luc XI, 51. Ce qui prouve l’explication que nous venons d’en donner. Il paroît encore par ce que nous venons de dire, que Rochefort se trompe, quand il dit qu’amen est un terme arabe, qui signifie, la fin de quelque chose ; & que c’est ce que les Latins ont exprimé par ces mots, Explicit, finis.

On voit les différentes significations du mot amen dans ces vers, rapportés par M. Du Cange.

Verum, verè, fiat, amen tria denotat ista,
Si verum nomen, adverbium sit tibi verè.
Amen, amen, verè duo sunt adverbia verè.
Amen pro, fiat, tibi verbum deficiens est.

Ce mot Amen a passé dans presque toutes les langues sans aucun changement, quand il veut dire, Ainsi soit-il. On le trouve dans les Liturgies, les versions de la Bible, & les prières de toutes les nations. Il n’en est pas de même quand il veut dire Certainement, en vérité. Les Abissins appellent Amen, le Sacrement de l’Eucharistie ; apparemment parce que, selon un ancien usage, dont nous trouvons des vestiges dans les Peres, lorsqu’on leur donne l’Eucharistie, ils répondent amen. En cette occasion, amen est employé pour affirmer que l’on croit qu’une chose est ainsi. Il est dit dans le Missel de Paris, que le communiant, après avoir entendu ces mots, Corpus Domini, doit répondre amen, pour marquer un acte de foi : & en ce sens, il signifie, cela est vrai, je crois que cela est ainsi. S. Ambroise l’a entendu dans ce sens. Les Mahométans disent aussi, amin, à la fin de leurs prières, de même qu’en témoignant le désir de voir arriver ce qu’ils souhaitent.

Quand on nous interrompt, quand on prévient ce que nous allions dire, ou qu’on nous fait une difficulté que nous allions prévenir, on dit, vous n’attendez pas jusqu’à amen ; ou bien, attendez jusqu’à amen, c’est à-dire, jusqu’à la fin, jusqu’au bout, & je vous satisferai, je dirai ce que vous demandez.

Amen, se dit pour une marque de consentement, d’acquiescement, d’approbation. M. de Turenne a bien envie de revenir, & de mettre l’armée dans les quartiers d’hiver ; tous les officiers disent amen. Mad. Sév.

On dit proverbialement, il dit amen à tout ; pour dire, il approuve tout. Tout cela n’est que du style familier.