Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AFFAIRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 133-135).
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AFFAIRE. s. f. Ce terme désigne en général tout ce qui occupe, tout ce qui est le sujet de quelque occupation. Negotium, Res. Il y a des gens toujours aussi occupés que s’ils avoient mille affaires, quoiqu’ils n’en aient point d’autre que de savoir celles d’autrui. M. Scud. Pour faire l’homme occupé, & paroître accablé d’affaires, il faut froncer le sourcil, & rêver très-profondément. La Br. Plus le poids des affaires est grand, plus elles demandent de relâche. Le Gend. Notre grande affaire est celle de notre salut. Ne vous mettez pas en peine de cela, j’en fais mon affaire. Chacun se doit mêler de ses affaires. On dit aussi d’une chose que l’on regarde comme pénible, ou difficile à exécuter, que c’est une affaire : & au contraire, on dit d’une chose dont on croit venir facilement à bout, que ce n’est pas une affaire. Virgile a trouvé tant de rapports entre Didon & Enée, qu’il a cru que les trois cens ans qui les séparoient, n’étoient pas une affaire. Cela ne fait rien à l’affaire ; pour dire, c’est un discours inutile. Du Cange dérive ce mot de Affarium, ou Affare, qui signifioit autrefois une métairie; & il dit qu’en Languedoc & en Provence il signifioit toutes sortes de biens. On a dit aussi Afferi & Affri pour signifier des chevaux de labour : ce qui a été étendu à toutes sortes de possessions, & ensuite au négoce & aux affaires qu’on est obligé d’avoir pour les acquérir ou pour les défendre. Au reste, ce mot Affaire étoit autrefois masculin, c’est pourquoi l’on met encore sur les paquets du Roi, pour les Exprès Affaires de Sa Majesté. On en a conservé le style & le genre ancien par dignité. Vaug.

Affaire, se dit aussi d’une chose de quelque manière qu’elle soit. Je vous fais le maître de cette affaire pour la terminer à votre volonté. C’est une affaire faite, pour dire, c’est une chose finie. C’est une affaire qui ne souffre point de remise. C’est une étrange affaire qu’une demoiselle. Mol. Le mariage est une affaire trop sérieuse pour lui. Vous avez pris l’affaire du biais qu’il la falloit prendre. Mol. Je viens d’apprendre de belles, d’étranges affaires. Il a poussé l’affaire d’une manière assez vigoureuse. Mol. Entreprendre vertement une affaire. Commencer courageusement une affaire. Terminer une affaire avec esprit & avec cœur.

Affaire, se dit des ordres, des soins, des négociations qui regardent l’Etat. Les grandes affaires demandent en ceux qui en ont le maniement, un jugement prompt & décisif, de peur qu’elles ne se ruinent par la lenteur. S. Evr. Un honnête homme sait mêler les plaisirs aux affaires. S. Evr. La multitude, ni l’embarras des affaires, ne mirent jamais sur son front ces nuages de chagrins qui écartent les gens. P. Gail. Depuis qu’un tel ministre a pris le timon des affaires, toutes choses vont bien. C’est un homme qui est entré dans les affaires, dans les négociations étrangères. Les affaires de Rome sont brouillées. C’est une affaire d’Etat, de Religion. On dit en ce sens, les affaires du temps ; pour dire, les nouvelles de l’état des choses du monde. Il est toujours fort dangereux d’écrire des affaires de son temps, quand on affecte trop d’en dire la vérité.

Affaire, se dit aussi quelquefois de la fortune, de l’état des biens d’une personne. Maintenant que les affaires du genre humain sont déplorées, & sans ressource, mettons Caton en sûreté. Bouh. La plupart des gens ne se mêlent des affaires d’autrui, que pour mieux faire leurs propres affaires. S. Evr. Grâces à Dieu, les affaires vont bien. Ce bourgeois est fort bien dans ses affaires ; c’est-à-dire, qu’il a du bien, qu’il n’a point d’affaires mauvaises, ni embrouillées, que les affaires sont en bon état.

Affaire, se dit encore du talent particulier qu’on a pour certaines choses. C’étoit l’affaire de Molière de jouer les Bigots, & les Médecins. C’étoit l’affaire de M. de la Bruyère de nous caractériser les mœurs de ce siècle. C’étoit l’affaire de Lucien de se moquer des Dieux. C’étoit l’affaire de la Fontaine de tourner un conte en vers.

On dit, avoir affaire à quelqu’un ; pour dire, avoir à lui parler, avoir quelque chose à traiter avec lui. J’ai affaire à lui. Nous n’avons point d’affaire ensemble. Un marchand a affaire à tout le monde.

On dit aussi, avoir affaire à quelqu’un ; pour dire, avoir quelque contestation, quelque démêlé avec quelqu’un. Il a affaire à un terrible homme. Il faut prendre garde à qui on a affaire. Si vous l’attaquez, vous aurez affaire à moi. Je n’avois point affaire à de la cavalerie. Bussi. Dans ce sens on se sert plutôt du verbe Faire, & l’on écrit, vous aurez à faire à moi.

Affaire, signifie aussi, devoir. Partes, munus, officium. Ce n’est point mon affaire ; pour dire, cela n’est point de mon devoir, cela ne me regarde pas. Qu’avoit il affaire d’aller porter cette nouvelle ? pour dire, cela étoit-il de son devoir ?

Affaire, signifie encore, besoin. Opus, avec le verbe sum, ou habeo. Je n’ai point affaire de vos conseils. Qu’ai-je affaire de toutes ces querelles ? Acad. Fr. Qu’ai-je affaire de me fatiguer des pensées de la mort pour la recevoir constamment ? Je mourrai peut-être sans y penser. Nic. En ce sens on dit par ironie, j’ai bien affaire de cet homme-là ; pour dire, je ne me soucie guère de lui, je n’ai pas besoin de son service.

Affaire, signifie encore, maladie dangereuse. Morbus gravis, periculosus. Tirer un malade d’affaire ; pour dire, le guérir. Je me suis tiré d’affaire en faisant diète. J’ai vu notre malade, les affaires sont faites ; pour dire, il n’en peut revenir, il faut qu’il meure.

Affaire, se dit aussi de ce qui donne beaucoup d’embarras, de peine, d’inquiétude. Cura, sollicitudo. La mort de son patron lui donnera beaucoup d’affaires, le fera bien courir. Un homme sage ne se veut point faire d’affaires. Il y a des gens qui se font des affaires de gaieté de cœur. Je lui ai fait une fâcheuse affaire, sans y penser. Cet homme vous donnera bien des affaires. On dit dans le style familier, avoir des affaires par-dessus la tête ; pour dire, avoir beaucoup d’affaires, beaucoup d’embarras.

Affaire, se dit aussi d’un grand dessein, d’une entreprise. Consilium. D’un grand coup, d’un accident particulier. Casus, eventus. L’entreprise du canal de Languedoc a été une grande affaire. La mort du Général ennemi est une grande affaire, un coup fort avantageux, très important.

Affaire, se dit particulièrement des procès, & de tout ce qui se traite en quelque Juridiction que ce soit, tant en matière civile, qu’en matière criminelle. Lis, causa, controversia. Il y a une grande affaire au Conseil, au Parlement. C’est une affaire de grande & de longue discussion. Celui qui n’entend point les affaires, ne doit point se mêler de plaider. Ce Procureur, cet Avocat, ce Juge, ont beaucoup d’affaires ; pour dire, ont beaucoup de procès à instruire, de causes à plaider, d’instances à juger. Les affaires ne finissent point maintenant. On ne sauroit sortir d’affaires, vider l’affaire, terminer une affaire avec ce chicaneur. Mon affaire va bien. Il s’est bien démêle de cette affaire. Voilà le nœud de l’affaire, la difficulté du procès. On le dit aussi en d’autres matières. Cette affaire est bien embrouillée, bien compliquée. En ce sens on appelle un homme d’affaires, celui qui fait les affaires d’une maison : un solliciteur à gages, celui qui a soin des affaires domestiques d’un Seigneur. Le droit civil accorde une action à celui qui a manié les affaires d’autrui, même sans commission, du moins pour ce qu’il a fait utilement.

On appelle Gens d’affaires, intéressés dans les affaires, les Financiers, les Traitans & Partisans qui prennent les Fermes du Roi, ou le soin du recouvrement des impositions qu’il fait sur les peuples. Publicani, vectigalium redemptores. La Chambre de Justice est établie pour la recherche des malversations des gens d’affaires. Toutes leurs contraintes portent cette clause, comme pour les propres deniers & affaires de Sa Majesté.

☞ Ce terme s’applique encore à tout ce qu’on a à discuter, à démêler avec quelqu’un. Affaire d’honneur. Affaire d’intérêt. Se tirer d’affaire avec honneur. Ou lui a fait une mauvaise affaire dont il s’est tiré fort adroitement.

Affaire, se dit aussi des querelles, des combats, des différens, des brouilleries. Rixa, jurgium, contentio. Ne vous faites point d’affaires avec cet homme-là, il a la mine de vous mal mener. Scar. L’inquiétude des esprits vifs suscite partout des affaires. P. Gail. Cette plaisanterie lui a fait une affaire avec un de ses bons amis.

Affaire, se dit aussi des divertissemens. Oblectamenta voluptatis. Cet homme a tous les jours quelque affaire de plaisir ; pour dire, quelque partie pour se divertir.

Affaire, signifie quelquefois la même chose qu’intrigue amoureuse.

On dit, qu’un homme a affaire à une femme, ou une femme à un homme ; pour dire, qu’ils ont commerce ensemble, de même qu’en latin Res. Rem habere cum muliere.

Affaire, est quelquefois synonyme de duel. Ce jeune homme a eu affaire avec un de ses camarades, & l’a tué.

☞ On le dit aussi des actions de guerre, des siéges, des batailles, des combats. On dit qu’un homme s’est bien montré dans une affaire, qu’il a vu bien des affaires ; que l’affaire a été longtemps disputée, qu’elle a été décisive.

On dit ironiquement à un homme, que ses affaires sont faites ; pour dire, qu’il ne doit plus rien espérer, qu’il n’a plus rien à prétendre. Acad. Fr.

Affaires, signifie quelquefois, dettes, embarras. Debitum, æs alienum. C’est un homme qui a beaucoup d’affaires, de dettes. Ce marchand met ordre à ses affaires, a payé ses dettes.

Affaire, se dit aussi des choses qui nous conviennent. Il cherche un bon cheval, j’ai son affaire. Conveniens. Ce valet est son affaire. Ce mot est du style familier en ce sens.

Si feu mon pauvre père
Etoit encor vivant, c’était bien votre affaire.
Racine.

Affaire, signifie aussi, marché, traité, convention. Pactum, Conventio. J’ai fait affaire avec un tel, au sujet de la maison, par rapport à sa charge. Je vous donne ma parole, c’est une affaire faite.

En termes de Fauconnerie, on dit qu’un oiseau est de bonne affaire, qu’on l’a rendu de bonne affaire, quand on l’a bien affaité, bien dressé à la volerie.

☞ On dit familièrement aller à ses affaires, faire ses affaires ; pour dire aller à la garde-robe, satisfaire aux besoins de la nature. Latrinam petere. Exonerare ventrem.

☞ Chez le Roi, chaise d’affaires, la chaise percée, & brevet d’affaires, un brevet qui donne permission d’entrer dans l’endroit où est le Roi sur sa chaise d’affaires.

Affaire, se dit proverbialement en ces phrases : Chacun fait ses affaires, ou du moins doit les savoir ; & absolument, qu’un homme fait ses affaires, quand il conduit ses affaires avec prudence. On dit d’un homme, que ses affaires sont faites ; pour dire, qu’il est perdu, qu’il est ruiné, ou qu’il ne doit plus prétendre à quelque chose. On dit, que les affaires font les hommes ; pour dire, que le travail donne des connoissances & rend habile. On dit, qu’il n’est point de petite affaire ; pour dire, que le moindre ennemi peut donner beaucoup de peine. On dit, Dieu nous garde d’un homme qui n’a qu’une affaire ; parce qu’un homme qui n’a qu’une seule chose à faire, en est ordinairement si occupé, qu’il en fatigue tout le monde. On dit, avoir affaire à la veuve & aux héritiers ; pour dire, qu’on a beaucoup d’affaires. On dit aussi, avoir affaire à forte partie ; pour dire qu’on n’a rien à négliger, & que l’on sera bien heureux si l’on se tire d’embarras. On dit, que ceux qui n’ont point d’affaires s’en font ; pour dire, que les hommes sont inquiets, & se lassent d’être oisifs & sans agir. On dit, à demain les affaires ; pour dire qu’il ne faut plus penser qu’à se divertir. On dit ironiquement, qu’un homme a fait une belle affaire ; pour dire, qu’il s’est trompé, qu’elle est ruineuse. C’est une autre affaire, c’est une affaire à part ; pour dire, qu’il ne faut pas confondre les choses. Les poëtes ont feint que les Fées avoient cent yeux hors de leur maison, & que dedans, elles étoient aveugles. Nous ne voyons rien dans nos affaires, & cependant nous voulons voir clair dans celles des autres. De Roch.