Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ACRIDOPHAGE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 95).
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ACRIDOPHAGE. s. m. & f. Acridophagus. Ce nom vient du Grec ἀϰρὶς Sauterelle, & φάγω, je mange ; & signifie, qui vit de sauterelles. C’est le nom d’un peuple d’Ethiopie, voisin des déserts. Au printemps les Acridophages font provision d’une espèce de grosses sauterelles, qu’ils salent pour toute l’année, n’ayant point d’autre nourriture, parce qu’ils sont éloignés de la mer, & qu’ils ne nourrissent point de bétail. Les Acridophages, dit on, ne passent guère quarante ans, & meurent consumés d’une vermine ailée qui s’engendre de leur corps. Voyez S. Jérôme contre Jovinien, L. 2. & sur S. Jean, C. 4. Diodore de Sicile, L. 3. C. 3 & 29, & Strabon, L. 16. Pline met aussi des Acridophages dans la Parthie, & S. Jérôme dans la Lybie. Quand ce qu’on dit d’ailleurs de ces peuples seroit fabuleux, l’acridophagie pourroit être vraie ; & encore aujourd’hui on mange des sauterelles en bien des endroits de l’Orient.

Tout cela rend plus probable, & presque certain, le sentiment de ceux qui croient que ce sont des sauterelles dont S. Jean vivoit dans le désert, & que c’est-là ce qu’il faut entendre par ἀϰρίδες, en S. Matth. C. 3, v. 4. Au Levit. C. xi. v. 22, un des animaux qu’il est permis de manger aux Israélites, est appelé par les Septante ἀϰρίδα, & par S. Jérôme locusta. Il s’agit là d’animaux, & les Septante n’ont assurément pû entendre par ἀϰρίδα une espèce de légume, ou la pointe des branches des arbres. Et c’étoit sans doute une pénitence bien austère, que de ne manger, comme le S. Précurseur, que des sauterelles & du miel sauvage. Licophron, ancien Poëte, & Aristophane, parlent des sauterelles comme de la nourriture la plus vile, & Théophilacte en parle comme de celle des paysans. Enfin, Ælien, de Hist. Animal. dit que l’on mangeoit des cigales, qui sont une espèce de Sauterelles. On ajoute encore, que ἀϰρίδες ne sont pas les pointes des branches tendres des arbres, c’est ἀϰρόδρυα. C’est ainsi que S. Epiphane les appelle. Il faut cependant convenir qu’Isidore de Péluse, qui écrivoit proche de la Palestine, parlant dans sa 132e Lettre de cette nourriture de S. Jean, dit que ce ne sont point des animaux ; & qu’il taxe même d’ignorance ceux qui le disent, ὀυ ζῶὰ ἐστιν, ὥς τινες ὄιονται ἀμαθῶς ; mais que ce sont les pointes des herbes & des plantes. Mais il s’est trompé ; ce que nous avons dit ne laisse aucun lieu d’en douter, & S. Augustin, Béde, & beaucoup d’autres, sont du sentiment contraire. Ainsi c’est avec raison que les Jésuites d’Anvers rejettent avec mépris le sentiment des Ebionites, qui, au lieu d’ἀϰαρίδες, mettoient ἐγχρίδες, qui signifie une espèce de mets délicat fait avec de l’huile & du miel ; celui de quelques Novateurs qui veulent qu’on lise ἀϰραδες, ou χαριδες, des cancres marins ; & celui de Béze, qui lit ἄϰρος, des poires sauvages. Ludolf croit aussi que ce sont des sauterelles que mangeoit S. Jean, Hist. d’Ethiop. T. II. p. 24.