Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ABSYNTHE ou ABSINTE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 46).
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ABSYNTHE, ou ABSINTE. s. m. & f. Selon Malherbe ; & selon Vaugelas, toujours masculin, aujourd’hui toujours féminin. Ménage veut qu’on écrive apsynthe par un p, sans doute à cause de l’étymologie. Absynthium ou Absinthium. Plante médécinale. Les Botanistes anciens ne faisoient mention que de quatre espèces d’absynthe ; savoir, la vulgaire ou romaine, la menue ou pontique, la marine, & la santonique ; mais les Modernes en distinguent plus de trente espèces. Voyez Bauhin, Plukenet & Barrelier. L’absynthe vulgaire, grande absynthe, ou absynthe romaine, a ses racines branchues, chevelues, & éparpillées. De ses racines s’élèvent ordinairement plusieurs tiges, hautes de trois à quatre pieds, blanches & garnies de feuilles semblables à celles de l’armoise, branchues des deux côtés. Ses fleurs naissent à l’extrémité des branches & des tiges, & sont disposées en épi assez long, blanchâtre, & garni de petites feuilles qui soutiennent les fleurs. Chaque fleur est un bouton composé de plusieurs fleurons dorés, & renfermés dans un calice écailleux. Ces fleurons sont portés sur des embryons, qui deviennent des semences menues, oblongues & nues. Cette absynthe vulgaire est la plus en usage dans la Médecine. Plusieurs croient que c’est la barbotine qu’on appelle semen sanctum ; mais Mathiole dit que c’est une plante bien différente. Quelques-uns prétendent que l’absynthe est l’aurone femelle. L’absynthe menue, petite absynthe, ou absynthe pontique, est beaucoup plus basse ; ses tiges sont plus menues ; ses feuilles plus petites, plus finement découpées & moins blanches. Ses fleurs ont la même structure & le même arrangement que celles de la vulgaire ; mais elles sont un peu plus petites. Son amertume & son odeur ne sont pas si insupportables que celles de la vulgaire. La marine se distingue de la pontique par ses feuilles plus épaisses, moins découpées, & par son goût salin. A l’égard de la santonique, on a confondu sous ce nom diverses plantes, Voyez Barbotine.

L’absynthe est stomacale, apéritive, fébrifuge, bonne contre les vers & pour les vapeurs, les coliques, la jaunisse & les pâles couleurs. On la prend en infusion dans du vin ; c’est ce qu’on appelle vinum absynthites, en extrait, extracyum absynthii ; en sirop, syrupus de absynthio. On l’emploie dans les fomentations & dans les cataplasmes, pour arrêter les progrès de la gangrène. On ne se sert que des feuilles & des sommités de cette plante. Et de l’eau d’absynthe, aqua absynthites. On a aussi donné à l’absynthe le nom d’alvine, ou alvyne. Voyez ce mot.

Absynthe, figurément, signifie douleur, amertume, déplaisir. Dolor animi. Mais je ne voudrois pas l’employer au pluriel comme Malherbe, qui a dit, adoucir toutes nos absynthes. Il n’est pas même d’usage au singulier.

Ce mot vient d’α, particule privative en Grec, & πίνθιον ; c’est-à-dire, impotabile, non potable ; & les Comiques Grecs la nomment en effet ᾶπίνθιον, parce que c’est une plante si amère, qu’on a de la peine à boire une liqueur dans laquelle elle aura trempé. Quelques-uns le font venir du Grec ἅπτω, toucher, ἅψισθον, ᾶψεσθαι & veulent que ce nom ait été donné à cette plante par antiphrase, parce que nul animal n’en peut goûter, ni la toucher, à cause de son amertume. Cette étymologie n’est pas vraisemblable, & il est étonnant que d’habiles gens aient pu la hasarder ; ἅπτω est aspiré, & absynthium ne l’est pas : on dit ἀψίνθιον & non ἅψιστον ; l’un a un θ, & l’autre un τ, & le premier n’a pu se former du second, ni de ἅψεσθαι. D’autres le font venir d’ἀψίνθιον, qui veut dire désagréable, indelectabile, & qui s’est formé de l’α privatif, & de ψίνθος, plaisir, delectatio, à cause de l’amertume qui rend cette plante désagréable. Cette étymologie paroît plus juste, & justifie en même temps l’orthographe d’absinthe, sans y.