Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique/Chemin

CHEMIN, ſ. m. Eſpace en longueur ſur une certaine largeur, qui ſert de paſſage pour aller d’un lieu à un autre. De tous les tems, ce paſſage a attiré l’attention des Etats policés. Les Romains qui ont toujours été grands dans toutes leurs entrepriſes, & qui ont connu l’avantage qu’il y avoit a avoir de beaux Chemins, ont fait des dépenſes incroyables pour les rendre ſpacieux, commodes & agréables. Les grands Chemins de leur Empire s’étendoient depuis les extrémites occidentales de l’Europe & de l’Afrique, juſques dans l’A ſie Mineure, leſquelles étoient de quinze à ſeize cens lieues, & ces grands Chemins parcouroient vingt-cinq fois cette longueur. On comptoit à Rome juſques à trente portes qui communiquoient à autant de grands Chemins pavés, & ou rien n’étoit épargné de ce qui pouvoit contribuer a la commodité des voyageurs. A en juger par la grandeur des pierres, l’égalité des lieux les plus raboteux, les vallons comblés, & les colonnes de marbre, poſés de mille en mille, rien n’égaloit la magnificence de ces Chemins. Ils étoient outre cela d’une ſolidité à toute épreuve. Pour connoitre les matériaux qui formoient cette ſolidité, Nicolas Bergier, après avoir fais pluſieurs recherches ſur ce ſujet dans ſon Traité des grands Chemins de l’Empire Romain, a trouvé qu’en géneral il y avoit 1o. une couche d’un pouce d’épais d’une eſpèce de mortier, ou de ciment, fait de ſable & de chaux : 2o. une couche de dix pouces d’epaiſſeur, de pierres larges & plates, qui formoit une ſorte de maçonnerie faite en bain de ciment très dur, où les pierres étoient poſées les unes ſur les autres : 3o. une autre couche de maçonnerie de huit pouces d’épaiſſeur, faite de pierres à peu près rondes, & mêlées avec des morceaux de brique, le tout lie ſi fortement, que le meilleur ouvrier ne pouvoit en rompre dans une heure que ce qu’il en pouvoit porter : 4o une autre couche d’une eſpèce de ciment blanchâtre, & très-dur, qui reſſembloit à de la craie gluante.

Cette découverte de M. Bergier s’accorde aſſez avec ce que Vitruve rapporte des paves de ſon temps. Il dit qu’on mettoit, 1o. une couche de cailloux poſé en bain de ciment ou de mortier : 2o. une maçonnerie faite avec des moilons caſſés, & la chaux battue avec la demoiſelle, ſur l’épaiſſeur au moins de neuf pouces : 3o. un ciment de ſix pouces d’épaiſſeur, fait avec deux tiers de brique pilée, & mêlée avec un tiers de chaux : 4o. enfin une dernière couche, qui étoit tantôt de pierres plates, à peu près comme nos dales, & tantôt de briques.

Nous n’avons pas aujourd’hui des Chemins ſi grands & ſi longs, & peut-être ſi ſolides que ceux des Romains ; mais il y a tout lieu de penſer que le nombre des nôtres eſt beaucoup plus grand. Et malgré leur quantité, le ſoin qu’on donne à leur entretien répond au moins aux attentions des Romains. Les grands Chemins de France, qui traversent les provinces, & qui font les grandes routes, où les poſtes du Royaume courent tous les jours, ſont, à l’exemple des Romains, tantôt pavés (lorſque le terrein n’eſt point aſſez ſolide) ; tantôt couverts de graviers pour en aſſurer l’aire, & pour la deſſécher ; tantôt ſoutenus & ſoulevés par des murs de ſoutenement, pour éviter les lieux bourbeux ; tantôt garnis de ponts, pour donner paſſage aux eaux qui les percent ; & enfin toujours compoſés ſuivant que la nature du terrein & la dispoſition des lieux le demandent. M. Gautier a fait un Traité de la conſtruction des grands Chemins. M. De la Piſe en traite auſſi dans ſon Hiſtoire d’Orange, pag. 35. Et Iſidore prétend que les Carthaginois ont les premiers pavé les grands Chemins, & qu’ils ont été ſuivis par les Romains. (Iſidor. Origin, liv. XV. ch. dernier.) Voici la diviſion des différentes eſpèces de Chemins, ſuivant l’ordre alphabétique.

Chemin aquatique On appelle ainſi tous les Chemins faits ſur les eaux courantes des fleuves & des torrens, comme les ponts & digues ; & ſur les eaux dormantes, comme les levées & chauſſées, à travers les marais & les étangs. On comprend auſſi ſous le nom de Chemin aquatique, les rivières navigables, & les canaux faits à la main, comme on en voit en Italie, en Flandre, en Hollande, & en France à Briare, dans le Languedoc, & à Orleans.

Chemin artificiel C’eſt un Chemin qu’on fait & force de bras, ſoit de terre rapportée ou de maçonnerie, & dont le travail a ſurmonté les difficultés qui s’oppoſoient & ſon exécution, comme ſont la plûpart des levées le long des rivières, des marais, des étangs, &c.

Chemin comblé Ceci a deux ſignifications. Ou c’eſt un Chemin qui eſt fait dans une vallée ou fondriere, pour regagner deux côtes de montagne ; ou un Chemin antique, que les décombres de quelque ville voisine ont couvert de certaine hauteur de matériaux, enſorte qu’en fouillant, on découvre l’aire de l’ancien pavé.

Chemin de carriere. C’eſt, ou le puits par où l’on deſcend dans une carriere pour la fouiller, ou l’ouverture qu’on fait à la côte d’une montagne, pour en tirer de la pierre ou du marbre.

Chemin de traverſe. Chemin qui communique à un grand Chemin. On appelle auſſi Chemin de traverſe, tout ſentier de détour plus court qu’une route ordinaire. Chemin double On appelloit ainſi chez les Romains un Chemin pour les charrois, à deux chauſſées, l’une pour aller, l’autre pour revenir, afin d’éviter la confuſion, leſquelles étoient ſéparées par une levée en maniere de banquette, de certaine largeur, pavée de briques de champ pour les gens à pied, avec bordures & tablettes de pierre dure, des montoirs à cheval d’eſpace en eſpace, & des colonnes milliaires pour marquer les diſtances. Le Cheminde Rome à Oſtie, appelle le Portuenſe, étoit de cette maniere.

Chemin droit C’eſt le Chemin le plus court, le plus à la ligne & de niveau qu’il eſt poſſible.

Chemin escarpé C’eſt un Chemin qui eſt fait ſur la côte d’une montagne, qui ne peut pas être droit, mais tortu avec des ſinuoſités, & qui eſt ſoutenu du côté du précipice par des levées de pierre ſèche, & quelquefois de maçonnerie en certains endroits ; comme ceux des Alpes, pour paſſer de France en Italie, & ceux des Pyrénées pour alter en Eſpagne.

Chemin fendu. C’eſt un Chemin qui eſt fait dans quelque bute ou montagne, dont on a ôté la ctère, comblé par le bas, & relevé les berges, pour le rendre plus doux. On entend encore par Chemin fendu un Chemin qui eſt taillé dans un rocher, dont on s’eſt ſervi du débris pour paver, comme il y en a en Provence & en Languedoc, que les Romains y ont fait en minant la roche par le moyen du fer & du vinaigre ; & comme on en voit dans les Alpes, que Charles Emmanuel II. Due de Savoye, a fait couper en 1670, entre Chambery & Turin, où la poudre à canon a été d’un grand ſecours pour parvenir à une entrepriſe ſi difficile.

Chemin ferme. Chemin dont le ſol eſt affermi par la terre battue, ou formé de cailloux, de roche ou de ſable, ou d’une aire de maçonnerie ; compoſée de chaux, de gravois, de briques & de teſſons de pots ; ou enfin qui eſt pavé de quartiers à roche, équarris ou à joints incertains, comme ſont la plûpart des Chemins antiques, & particulièrement ceux d’Appius & de Flaminus. (V. Pavé de pierre.)

Chemin ferré. Les Romains appelloient ainſi tout Chemin pavé de pierres extrêmement dures, ou parce que ces pierres reſſembloient au fer, ou plûtôt parce qu’elles réſiſtoient aux fers des chevaux & des charrois. On nomme encore aujourd’hui Chemin ferré celui dont le ſol eſt de roche vive, ou formé d’une aire de cailloux.

Chemin militaire. Les Romains donnoient ce nom aux grands Chemins par où paſſoient les armées.

Chemin naturel. C’eſt un Chemin qui eſt fréquenté par une longue ſucceſſion de tems, à cauſe de ſa diſpoſition, & qui ſubſiſte avec peu d’entretien.

Chemin particulier. Chemin fait pour la communication du château d’un Seigneur, à quelqu’autre maiſon, ou à un grand Chemin, toujours ſur ſes terres, comme la grande avenue de Meudon, près Paris.

Chemin public ou Grand Chemin. C’eſt tout Chemin droit ou traverſant, militaire ou royal.

Chemin rampant. Chemin qui a une pente ſenſible. Quand elle eſt de plus de ſept pouces par toiſe, les charrois ne le peuvent monter qu’avec beaucoup de peine.

Chemin retiré. Petit Chemin qui eſt à côté de celui des charrois, & qui ſert pour les gens de pied, comme les banquettes des quais & des ponts de pierre, & les bermes des foſſés & canaux faits par artifice.

Chemin royal. C’eſt le plus grand de tous les Chemins, ou la dépenſe & le travail ne doivent point être épargnés, nonobſtant les montagnes, vallées, fondrières, fleuves & autres difficultés, à cauſe de ſa ſituation, pour le rendre le plus court, le plus commode & le plus ſûr qu’il eſt poſſible.

Chemin terrestre. C’eſt un Chemin formé naturellement par la terre qui ſe trouve ſur le lieu, ou par des terres rapportées en maniere de levées, ſoutenues de berges en glacis, avec aire de gravois ou de pavés, comme une partie du Chemin de Paris à Sêve, près Paris.