AUBE, ſ. f. Terme d’Architecture hydraulique. C’eſt une petite planche attachée aux coyaux ſur la jante de la roue d’une machine hydraulique, qui étant expoſée au courant de l’eau, par le choc qu’elle en reçoit, fait tourner la roue à laquelle elle eſt attachée. On juge bien que l’eau ne peut donner un mouvement de rotation que ſon impulſion ne ſoit répétée ſur un aſſez grand nombre d’Aubes. Il eſt donc néceſſaire que les Aubes ſoient en quantité à une roue : mais cette quantité n’eſt point arbitraire ; & pour s’en aſſurer, il ſuffit de conſidérer l’uſage ou l’effet des Aubes.
Quand une Aube eſt entièrement plongée dans un courant, & qu’elle eſt perpendiculaire au fil de l’eau, (ſituation la plus avantageuſe pour qu’elle reçoive de la part de l’eau la plus grande impulſion poſſible) il faut que l’Aube qui doit ſuivre ſoit alors à la ſurface de l’eau, & prête à la toucher ſeulement ; car ſi elle y plongeoit, elle déroberoit à l’Aube précédente une partie du courant dont elle reçoit l’impulſion. Paſſé ce point perpendiculaire, la première Aube ſe dérobe au choc de l’eau, lequel choc diminue toujours plus à meſure que l’Aube devient plus oblique au fil du courant. Alors il eſt néceſſaire qu’une nouvelle force vienne ſe joindre à la plus grande que la première Aube a reçue, & qui décroît, afin que la perte de cette plus grande force ſoit réparée, & que le mouvement de la roue ne ſe ralentiſſe pas.
De là il ſuit que la ſeconde Aube doit être entièrement ſur la ſurface de l’eau, quand la première y eſt perpendiculaire ; enſorte que les deux Aubes faſſent un angle droit : ce qui détermine la ſituation reſpective des Aubes, & par conſéquent leur nombre, qui dépend des dimenſions du rayon de la roue & de celles qu’on donne aux Aubes.
Pour rendre la choſe ſenſible, ſuppoſons que la hauteur des Aubes ſoit égale au rayon de la roue. Lorſque la première ſera verticale au courant de l’eau, le centre de la roue ou de l’arbre qui la porte, ſera donc alors à la ſurface de cette même eau. Ainſi l’Aube qui doit la ſuivre devant faire un angle droit avec la première, en fera donc éloignée de 90 degrés. D’où il ſuit que des Aubes auſſi larges que le rayon de la roue à laquelle elles ſont attachées, ne peuvent être qu’au nombre de quatre.
Ce nombre ſera plus grand ſi cette largeur diminue, parce que la première Aube ſera dans ce cas entièrement plongée dans l’eau avant que le centre de la roue qui la porte ſoit à la ſurface du courant. Ce ſera un autre point qui ſe trouvera alors à la ſurface, & c’eſt a ce point qu’il faudra placer la ſeconde Aube.
On doit conclure de là, que les Aubes ſe multiplient d’autant plus ſur une roue, qu’elles ſont moins larges. C’eſt ſur ce principe que M. Picot a calculé la Table ſuivante, où l’on voit le nombre des Aubes, relativement à leur largeur, exprimé par les parties du rayon de la roue où elles doivent être attachées.
TABLE du nombre des Aubes qu’on doit attacher à une roue, leur largeur étant donnée & exprimée en parties du rayon de la roue, qu’on ſuppoſe de 1000 parties.
Largeur des Aubes. |
Nombre des Aubes. | |
1000 | 4 | |
691 | 5 | |
500 | 6 | |
377 | 7 | |
293 | 8 | |
234 | 9 | |
191 | 10 | |
159 | 11 | |
134 | 12 | |
114 | 13 | |
99 | 14 | |
86 | 15 | |
76 | 16 | |
67 | 17 | |
61 | 18 | |
54 | 19 | |
49 | 20 |
Après une pareille diſpoſition, on penſeroit volontiers qu’une roue doit être mûe avec la plus grande vîteſſe poſſible, & ſur-tout qu’elle doit l’être uniformément. La première queſtion, qui paroît réſolue par les ſituations reſpectives bien déterminées des Aubes, ne l’eſt cependant point du tout. A l’égard de la vîteſſe uniforme, il ſemble qu’elle doit avoir lieu, dès que la roue a acquis tout le mouvement d’accélération qu’elle peut recevoir. En effet, dès que la première Aube eſt plongée entierement dans l’eau, elle reçoit le plus grand choc qu’elle peut recevoir de la part du courant. Elle quitte alors cette ſituation avantageuſe ; & comme elle ſe dérobe à l’impulſion, cette impulſion devient toujours moindre, & cela en raiſon des ſinus des angles d’incidence. Mais ſi la première Aube n’a plus la même force pour faire tourner la roue, cette diminution eſt juſtement compenſée par la ſeconde Aube qui ſe plonge dans l’eau, & dont la force s’accélère juſques à ſa ſituation verticale, en même proportion que la force de la première Aube diminue. Cela eſt bien évident. L’angle d’incidence de l’eau ſur celle-là augmente, comme il diminue ſur celle-ci, & tout ſe trouve compenſé. Il y a plus : N’eſt-il pas démontré qu’une machine mûe par le choc d’un fluide, accélère ſa vîteſſe juſques a un certain point, paſſé lequel l’impulſion n’agit plus que pour conſerver cette même vîteſſe, qui devient alors uniforme ?
Nous pourrions entrer dans un examen plus rigoureux. Mais ce raiſonnement doit ſuffire pour perſuader les perſonnes qui ſont peu verſées dans les Mathématiques, & ſervir de guide à celles qui peuvent y appliquer des démonſtrations. Reprenons donc la première queſtion, c’eſt-à-dire celle qui regarde la ſituation la plus avantageuſe des Aubes pour que la vîteſſe de leur roue ſoit la plus grande qu’il ſoit poſſible.
On a déjà remarque que l’Aube ne reçoit la plus grande impulſion que quand elle eſt perpendiculaire au fil de l’eau. Ce point paſſé, l’effort qu’elle reçoit diminue, & l’Aube n’eſt plus ſituée avantageuſement. Or on a dit : N’y auroit-il point une ſituation telle que l’impulſion de l’eau ſur l’Aube fût toujours conſtante ? En négligeant l’avantage de la ſituation verticale, ne gagneroit-on pas en faiſant faire à l’Aube un angle moins grand que 90 degrés avec le courant, mais qui étant toujours le même produisît un effort conſtant ; enſorte que la ſomme des chocs ſur l’Aube, pendant ſon enfoncement dans l’eau, ſurpaſſât alors la ſomme des efforts dans cette autre ſituation de l’Aube, qui produiroit une impulſion perpendiculaire ? Ces queſtions ont fourni une obſervation utile : C’eſt que les aîles d’un moulin à vent ne ſont point ſituées perpendiculairement à la direction du courant de l’air, & qu’il eſt démontré que l’angle le plus avantageux qu’elles puiſſent faire avec cette direction, eſt de 54 degrés 44 minutes. Voici le même cas : Les Aubes ſont expoſées au choc de l’eau, comme les ailes d’un moulin le ſont à celui du vent. Elles doivent donc avoir la même ſituation que les aîles d’un moulin. Il y a plus : l’expérience a fait voir, indépendamment des démonſtrations, que le gouvernail d’un vaiſſeau produiſoit la plus grande force, lorſqu’il faiſoit avec la quille un angle de 54 degrés 44 minutes. Or rien ne peut mieux repréſenter une Aube que la partie du gouvernail qui eſt plongée dans l’eau. Donc les Aubes doivent faire avec le rayon de la roue le même angle que font les ailes du moulin avec le rayon de l’arbre auquel elles ſont attachées.
Avertiſſons, avant que de finir, que ces régles peuvent ſouffrir des exceptions, & que la théorie des Aubes n’eſt pas rigoureuſement démontrée ; & aſſurons que, comme dans la pratique on ne doit point aſpirer à ce haut degré de juſteſſe, on peut en faire uſage avec confiance.
Les perſonnes qui ſe piquent d’exactitude, pourront examiner la choſe dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, années 1715 & 1729. On trouvera encore des vues nouvelles ſur ce ſujet de M. l’Abbé de Valernod, de la Société Royale de Lyon, dans les Mémoires pour l’Hiſtoire des Sciences & des Beaux-Arts, années 1749, 1750, &c. articles de l’Aſſemblée publique de la Société Royale de Lyon.