ARCHITECTURE, ſ. f. L’Art de bâtir. Cette définition eſt peut-être trop générale. Pour la rapporter à notre objet, qui eſt l’Architecture civile, définiſſons l’Architecture, l’Art de conſtruire les. édifices d’habitation & de magnificence. Les premiers doivent être ſains par leur bonne ſituation & leur belle expoſition ; ſolides, par leur bonne conſtruction ; commodes, par la proportion, l’uſage & le dégagement des piéces qui les compoſent ; & agréables, par la ſymmétrie & le rapport des parties au tout, & du tout aux parties. A l’égard des habitations de magnificence, on doit les décorer conformément à leur uſage. (Voyez Décoration.) Nous traiterons deux de ces parties dans cet article, parce qu’elles lui conviennent particulierement ; ce ſont la ſituation & la beauté d’un édifice. Celles qui ont pour objet la ſolidité & la diſtribution, ou la commodité, font le ſujet de pluſieurs articles relatifs aux différentes parties d’un bâtiment, qui demandent, tant pour la ſolidité que pour la diſtribution, des attentions ſingulieres. (Voyez Fondement, Ais, Charpenterie, Voute, Plancher, &c. & Appartement.)
Le choix du lieu où l’on doit bâtir, lorſqu’on eſt maître de ce choix, doit être ſoumis aux régles ſuivantes. 1°. Quoique la proximité des rivières ſoit quelque choſe de très-agréable, cependant elles ſont ordinairement un mauvais voiſinage, à cauſe des inondations qui cauſent ſouvent de grands dommages, & qui détruiſent les fondemens d’un édifice. Il faut auſſi éviter les vallons où regnent continuellement des vents impétueux, qui ne changent preſque jamais, & qui par là deviennent très-incommodes. Les lieux marécageux, où croupit une eau corrompue, qui infeſte l’air, ſont des endroits encore plus dangereux que les vallons. Quoique charmans par leur beau point de vue, les ſommets des montagnes ne ſont pas des lieux propres à bâtir, parce qu’on n’y trouve ni eau, ni un bon terrein pour y faire des jardins qui réuniſſent l’agérable & l’utile. Mais un lieu où il y a de bonnes eaux, ou des moyens aiſés d’y en amener, où l’air circule continuellement, ſans y former un vent ſenſible dans les temps ordinaires, & où le terrein n’eſt ni pierreux, ni ſabloneux ; ce lieu, dis-je, eſt celui qu’on doit choiſir, & dans lequel on peut avec ſûreté élever un édifice. Les Anciens ne bâtiſſoient jamais dans tout autre endroit. Ils faiſoient plus encore : ils s’informoient ſi les hommes qui habitoient les contrées où ils vouloient bâtir, ſe portoient bien ; s’ils avoient bonne couleur ; s’ils n’étoient point ſujets à la goutte ou à la gravelle ; s’il y avoit beaucoup de vieillards parmi eux. Ils faiſoient même ouvrir des moutons & des bœufs, pour examiner leur foie & leurs entrailles, & juger par là du bon & du mauvais effet des pâturages.
Après le choix du lieu, on diſpoſe le bâtiment, & on en diſtribue les piéces de maniere qu’elles ſoient expoſées au vent qui peut leur convenir principalement. En général telle eſt la qualité des vents. Le vent du ſud eſt chaud & humide, celui du nord eſt ſec & froid, le vent d’eſt eſt chaud & ſec, & celui de l’oueſt eſt froid & humide ; & les vents intermédiaires, tels que le nord-eſt, ſud-eſt, participent des deux vents au milieu deſquels ils ſe trouvent. Ainſi les parties d’un bâtiment ouvert au nord-eſt ſeront toujours fraîches l’été. Celles qui ſeront expoſèes au ſud-eſt, ſeront chaudes l’hiver, & par conſéquent fort propres à faire des chambres à coucher d’hiver, des bains, des cuiſines & des écuries. Les parties d’un bâtiment ouvert au nord, ſe deſtineront à des galeries, des cabinets d’été, ſallons, ſalles à tableaux (parce que le ciel de ce côté eſt plus ſerein que dans aucune autre expoſition) des remiſes, par la même raiſon (à cauſe de la peinture & dorure des carroſſes) gardes-mangers, greniers & celliers, où toutes les choſes néceſſaires à la vie qu’on met dans cet endroit, ſe conſerveront long-temps à cette froide & ſeche expoſition. N’oublions pas d’avertir de placer auſſi au nord la biblioteque, puiſque ce vent froid & ſec détruit les inſectes qui rongent les livres ; & de faire enſorte que les cloaques & chauſſes d’aiſances ſoient encore expoſées à ce vent. Les bleds ſe conſerveront dans les lieux ouverts au nord-eſt. Le ſud-oueſt par ſa température, ni trop froide, ni trop chaude, donnera une chaleur tempérée aux chambres qui y ſeront ſituées. Enfin l’entrée du logis, lorſqu’il n’y aura rien qui la détermine, comme un beau point de vue, la ſituation du jardin, &c. ſera bien expoſée au nord-oueſt. Mais on aura attention ſur tout à n’ouvrir à l’oueſt aucune piéce d’un bâtiment, parce que c’eſt un vent tout à fait mal ſain.
2°. Le ſecond examen que nous devons faire, eſt celui de la beauté d’un édifice. Il s’agit maintenant de ſçavoir en quoi conſiſte cette beauté, quelles ſoit les régles & les principes qu’on doit obſerver pour qu’un bâtiment plaiſe, qu’il ſoit agréable à la vûe, en un mot qu’il ſoit beau. Vitruve, qui nous a tranſmis les travaux des premiers qui ſe ſont mêlés d’Architecture, dit que ces gens-là ne connoiſſoient point de regles ; que les proportions du corps d’un homme leur ſervoient pour des bâtimens auſquels ils vouloient donner un air mâle & ſolide, & que les proportions du corps d’une femme étoient le modele qu’ils pronoient pour donner de la délicateſſe à un édifice. Cela réuſſiſſoit tant bien que mal ; & cette idée générale de proportion étoit entièrement ſubordonnée au goût propre de l’Architecte. Auſſi Vitruve avoue que la beauté dont il s’agit ici, dépend de l’induſtrie de l’Architecte (Architecture de Vitruve, page 230.). Pendant long-temps cette maxime a paſſé pour conſtante ; & quoiqu’on eut établi des proportions, on convenoit que rien n’autoriſoit à les ſuivre. Cela étoit humiliant pour les Architectes. Ainſi le penſa M. Blondel, premier Profeſſeur d’Architecture, & bon Mathématicien. Il crut qu’un ſi bel Art étoit ſoumis à des régles, & qu’il ne s’agiſſoit que de les découvrir. Sur cette idée, il chercha dans les différentes proportions connues, telles que l’Arithmétique, la Géométrique, l’Harmonique, ſi aucune ne convenoit à l’Architecture, & il crut trouver que la proportion harmonique obſervée dans un édifice, pourroit ſeule le rendre beau. Ce n’étoit encore là qu’une conjecture, qui fut contredite dans toutes ſes parties.
M. Perrault, qui a traduit & commenté Vitruve, ne fut point du ſentiment de M. Blondel. Il diſtingua d’abord deux ſortes de proportions, les unes conſtantes, les autres de convention. Un édifice dans lequel la première proportion ne ſeroit point obſervée, bleſſeroit tous les yeux. Cette proportion eſt la ſymmétrie qui conſiſte dans le rapport que les parties ont enſemble, à cauſe de la parité & de l’égalité de leur nombre, de leur grandeur, de leur ſituation & de leur ordre. Comme toutes ces choſes ſont très-apparentes, on ne manque jamais d’en appercevoir les défauts, & de ſouhaiter par conſéquent que cette proportion ſoit obſervée.
M. Perrault appelle proportions de convention ou arbitraires, celles qui dépendent de la volonté qu’on a eue de donner une certaine proportion, une eſpece de figure ou de forme, aux choſes qui pourraient en avoir une autre ſans être difformes, & qui ne ſont point rendues agréables par aucune raiſon, mais ſeulement par l’habitude, & par une liaiſon que l’eſprit fait de deux choſes de différente nature. A ceux qui objecteraient que les proportions doivent être quelque choſe de naturel, puiſque tous les Architectes s’y aſſujettiſſent, M. Perrault répond, que les proportions n’ont été établies que par un conſentement des Architectes, qui ont imité les ouvrages des uns & des autres, & qui ont ſuivi les proportions que les premiers avoient choiſies, non-point comme ayant une beauté réelle, convaincante & néceſſaire, qui ſurpaſſe la beauté des autres proportions, mais ſeulement parce que ces proportions ſe trouvent en des ouvrages qui avoient d’ailleurs d’autres beautés réelles & convaincantes, telles que la matiere & la juſteſſe de l’exécution. (Voyez la Préface de l’Ordonnance des cinq eſpeces de colonnes, &c. par M. Perrault.)
Les Architectes auroient peut-être baiſſé la lance à cette déciſion, ſi un des leurs n’eut voulu les aſſervir à une eſpece de routine, en établiſſant les proportions par des raiſons. Cet Architecte eſt M. Briſeux, bien connu par deux ouvrages ſur l’Architecture. L’un de ces ouvrages intitulé, Traité du beau eſſentiel dans les Arts, appliqué particulierement à l’Architecture, eſt deſtiné à combattre M. Perrault, & à preſcrire des régles à la beauté d’un édifice. Ces régles ſont, ſelon M. Briſeux, les proportions harmoniques. Il prouve d’abord cette proportion, en faiſant remarquer que les plus beaux bâtimens ſont ceux où cette proportion eſt plus exactement obſervée. En ſecond lieu, il donne des raiſons phyſiques de l’effet agréable de cette proportion ſur l’organe de la vûe. Ces raiſons ſont, que toutes les ſenſations ſe font de même ſur les organes, & que ce qui plaît à l’oreille doit par conſéquent plaire à l’œil. Voilà une propoſition très-hardie, mais qui a beſoin d’être bien prouvée. C’eſt auſſi ce que fait M. Briſeux par le raiſonnement ſuivant. « Il eſt certain, dit-il, que l’ame étant unie à tous les organes de nos ſens, elle ne peut, ſur-tout quand ils ſont bien diſpoſés, être touchée que d’une façon uniforme par tous les objets commenſurables ; que ce qui lui plaît dans chacun de nos ſens, a toujours le même « principe, & que tout ce qui eſt oppoſé à ce principe lui répugne toujours par une ſeule & même cauſe primitive. » Ainſi quoique l’organe de la vûe ſoit affecté par des moyens différens de ceux qui ſervent à la ſenſation de l’ouie, l’ame, juge né de tous les ſens, étant avertie de l’impreſſion des objets viſibles, & de celle des ſons par les nerfs, elle juge de ces impreſſions par une loi égale & uniforme, qui devient pour elle une néceſſité indiſpenſable, & une eſpece de loi qui lui a été impoſée par la nature, qui ſous différentes formes eſt toujours la même, & ne ſe dément jamais ». (Voyez l’ouvrage ci-deſſus cité, pag. 45 & 46.) Après cela toutes les beautés muſicales doivent être les beautés viſuelles ; ce qui plaît à l’oreille, doit auſſi produire (ſi l’on en croit M. Briſeux) un effet agréable à la vue. Sans entrer dans une diſcuſſion métaphyſique là-deſſus, nous voudrions bien ſçavoir pourquoi cela n’arrive pas. C’eſt, répond M. Briſeux, « que la Muſique entre dans l’éducation, & par conſéquent le ſens de l’ouie prend peu à peu l’uſage de ſentir la douceur & la juſteſſe des harmonies » (page 48.). « L’Architecture, dit-il plus loin (page 49.) n’a pas le même avantage. Peu de perſonnes s’y exercent, & les édifices conſtruits ſuivant les proportions, ſont ſi rares, que l’œil manque preſque toujours des moyens néceſſaires pour ſe former à diſtinguer le beau de ce qui ne l’eſt pas ». Cela veut dire qu’on ne nous forme pas la vûe comme l’oreille, & que malheureuſement nous n’avons point de Maître de vûe, comme nous-avons de Maître de Muſique. C’eſt une choſe qui, quoique tout à fait neuve, n’eſt pas cependant tout à fait dépourvue de fondement. Pourquoi en effet ne pas apprendre à voir comme à entendre ? pourquoi ne pas format la vûe comme l’oreille ? Encore une fois, abandonnons cette diſcuſſion métaphyſique qui nous meneroit bien loin de notre ſujet, & revenons au principe de M. Briſeux, qui eſt, que l’ame étant unie à l’organe de nos ſens, elle ne peut être touchée que d’une façon uniforme : d’où il ſuit, ſelon cet Auteur, que ce qui affecte agréablement l’oreille doit plaire aux yeux. Nous-ne voulons pas diſputer ici avec cet habile Architecte ; mais nous oſons lui demander pourquoi toutes les ſenſations, tous les plaiſirs ne ſont point les mêmes, puiſque l’ame ne peut être touchée que d’une façon uniforme ? En ſecond lieu, nous croyons impoſſible qu’il puiſſe y avoir une analogie entre les impreſſions qui ſe font ſur l’organe de la vue, & celles qui ſe font ſur l’organe de l’ouie ; le premier étant compoſé de fibres flexibles, molles, humides, au lieu que l’organe de l’ouie eſt formé de membranes ſèches, dures, & de parties oſſeuſes. Auſſi M. de Mairan, après avoir examiné ces deux organes avec cette fugacité & cette fineſſe de vûe qui caractériſent ſes belles productions, M. de Mairan, dis-je, n’a pas cru qu’on pût faire aucune comparaiſon entre ces deux ſens. (Voyez les Mem. de l’Académie Royale des Sciences de 1737.) D’ailleurs il eſt démontré que la vûe veut du repos pour jouir d’un plaiſir, au lieu que ce n’eſt que dans le mouvement que l’oreille l’éprouve ; ce qui forme une oppoſition bien marquée entre les différentes manieres dont ces organes ſont affectés.
Nous pouvons donc conclure qu’il n’y a aucune raiſon pour que la proportion harmonique ſoit celle qu’on doive ſuivre dans l’Architecture. Il ſemble que les régles, s’il y en a de fixes, dépendent abſolument de l’Optique, c’eſt-à-dire de la maniere dont ſe fait la viſion. Un bâtiment ſera bien proportionné lorſque la vûe en ſaiſira ſans peine toutes les parties, & que les impreſſions ſur cet organe ne ſeront point diffuſes, & formeront, pour ainſi dire, un accord d’impreſſion. Si, par exemple, un édifice eſt trop large relativement à ſa hauteur, il eſt certain que la largeur fera une impreſſion ſur la vue, plus grande que celle qui proviendra de la hauteur. Dès lors on ne fera occupé que de cette largeur, & on ne ſaiſira point du même coup d’œil l’enſemble de l’édifice. Cet organe étant affecté différemment, éprouvera un certain embarras, une certaine diſſonance d’impreſſion, effet d’un objet deſagréable. M. Briſeux paroît entrer dans cette vûe lorſqu’il dit, « qu’il eſt certain que la proportion qu’on remarque entre deux objets étant le réſultat de la comparaiſon que l’on en fait, plus elle eſt aidée à faire, plus l’eſprit s’y délecte ; & par une oppoſition toute naturelle, tous nombres dont les rapports ſont difficiles à découvrir, jettent dans quelqu’embarras, & par conſéquent ne doivent pas être admis dans l’Architecture » (Traité du Beau eſſentiel, p. 39.). Mais quels ſont-ils, ces nombres ? Nous croyons que c’eſt encore une découverte à faire, & nous ne voyons pas que les recherches qu’on a faites ſur la beauté de l’Architecture dans un ouvrage moderne, ayent rien fixé à cet égard. Ce ſont toujours des idées vagues, générales & tout-à-fait arbitraires. (Voyez l’Architecture Françoiſe, tom. I. pag. 60.)
3. La néceſſité, mère de tous les arts, a donné naiſſance à l’Architecture. Vitruve nous a tranſmis la figure des premières habitations, & nous les avons décrites nous-mêmes dans un ouvrage trop analogue à celui-ci, & par la forme & par le fond, pour ne pas y renvoyer le lecteur. (Voyez le Dictionnaire univerſel de Mathématique & de Phyſique, article Architect. Civile.)
Nous laiſſerons là les premiers progrès de cet Art, & nous nous arrêterons à ſon renouvellement, à la naiſſance de l’Architecture proprement dite.
Quoiqu’on attribue aux Egyptiens l’invention des premiers bâtimens ſymmétriques & proportionnés, nous regardons les Grecs comme les premiers Architectes, eux à qui l’on doit les premières proportions de l’Architecture. C’eſt du moins ce qu’on peut inférer des Ordres Dorique, Ionique, & Corinthien, que nous tenons d’eux. Les Romains ajoutèrent à ces Ordres le Toſcan & le compoſite, & cultivèrent l’Architecture avec tant d’ardeur, qu’elle parvint, ſous le règne d’Auguſte, à un aſſez haut degré de perfection. Elle fut négligée ſous Tibere, ſucceſſeur d’Auguſte, languit ſous Néron, & reprit vigueur ſous Trajan. Ce fut ſous ſon regne qu’Apollodore éleva cette fameuſe colonne, qui porte encore aujourd’hui dans Rome le nom de cet Empereur. L’Architecture fut encore protégée par Alexandre Severe. Mais la chûte de l’Empire d’Orient la plongea dans l’oubli dont elle ne put ſe relever qu’au bout de pluſieurs ſiécles. Pendant ces tems barbares, les Viſigots détruiſirent les plus beaux monumens de l’antiquité, & pour comble de calamité, le petit nombre de ceux qui la profeſſoient, négligerent abſolument toutes les régles dans la conſtruction des édifices. Cette nouvelle maniere de bâtir fut appelée Architecture Gothique. Elle ſubſiſta juſques à Charlemagne, qui entreprit de rétablir l’ancienne. Une ſi belle entrepriſe réveilla tous les amateurs des beaux Arts. Encouragés par Hugues Capet, qui avoit beaucoup de goût pour l’Architecture, les François s’y appliquerent, & y firent quelques progrès. Ces progrès acquirent de nouveaux accroiſſemens ſous le Roi Robert, fils & ſucceſſeur de Hugues Capet, digne héritier des inclinations heureuſes de ſon père. Ainſi l’Architecture changea de face, ſans acquérir néanmoins un degré aſſez marqué de perfection. Comme l’Architecture Gothique étoit peſante & groſſiere (voyez ci-après Architecture Gothique), par un excès contraire, l’Architecture Françoiſe devint trop légère, trop délicate & trop chargée d’ornemens, qui bien loin de décorer un édifice ne ſervoient qu’à y apporter de la confuſion. Enfin ce n’eſt gueres qu’aux deux derniers ſiécles, que les Architectes François & Italiens ont ouvert les yeux ſur ces défauts, & qu’ils ont reconnu que la ſimplicité & les ſages proportions de l’Architecture Antique conſtituoient la beauté d’un bâtiment.
Telle eſt l’hiſtoire abrégée de l’Architecture. Nous allons en donner encore quelques détails dans les articles compris ſous les dénominations particulières qu’on donne aux branches de l’Architecture générale. Avertirons auparavant qu’on trouve chez le Libraire qui vend cet ouvrage, les meilleurs Livres d’Architecture, pour nous diſpenſer de les faire connoître.
Architecture ancienne. C’eſt la Grecque moderne, qui diffère de l’Antique par les proportions peſantes de ſa conſtruction, & par le mauvais goût de ſes ornemens & profils. Outre ces défauts, les bâtimens conſtruits ſelon cette Architecture ſont mal éclairés, comme on peut le remarquer à l’Egliſe de Saint-Marc de Veniſe, & à Sainte-Sophie de Conſtantinople, bâtie par des Grecs & des Arméniens. Auſſi tire-t-elle ſon origine de l’Empire d’Orient, où l’on bâtit aujourd’hui de cette maniere, à en juger par la Solimanie, la Validée, & autres Moſquées conſtruites à Conſtantinople (On trouve la repréſentation de ces Bâtimens dans l’Architecture hiſtorique de Fiſcher.)
Architecture antique. C’eſt ici la plus belle Architecture, parce que dans aucune on ne trouve une ſi juſte harmonie de proportions, un ſi bon goût dans les profils, tant de richeſſe dans les ornemens, & une application ſi convenable, enfin cette grande maniere qui s’étend ſur le tout comme ſur les parties. Cette Architecture a été inventée par les Grecs, & elle a été perfectionnée par les Romains. Elle a ſubſiſté chez les Romains juſques à la décadence de leur Empire, & elle a ſuccédé chez nous à la Gothique depuis deux ſiécles.
Architecture de treillage. C’eſt une Architecture qu’on pratique dans les jardins, aux berceaux, portiques, cabinets de treillage, revêtemens de mur, &c. (Voyez ces mots.) Les ouvriers l’appellent Architecture de Saint Fiacre. Elle eſt établie ſur un bâtis de Serrurerie, qu’on nomme Carcaſſe. Cette carcaſſe eſt compoſée de barreaux montans, ou piliers de fer, qui portent de fond ſur des dés de pierre où ils ſont ſcellés & entretenus par des traverſes attachées avec des clavettes, & par-deſſus avec des barres & bandes de fer droites ou courbes, pour former des arcs ; le tout eſt recouvert par-devant de pilaſtres montans, panneaux, corniches, importes & autres ornemens d’Architecture à jour, faits d’échalats & bois de boiſſeau contourné. On met deſſus ces treillages des amortiſſemens, comme vaſes, corbeilles de fleurs, faits de ces mêmes bois avec ſculpture, & l’on en couvre les dômes de pluſieurs manieres, au milieu deſquels on met une lanterne. Enfin on peint le tout en verd à l’huile à trois couches.
Architecture en perſpective. Architecture dont les membres ſont de différens modules & de diverſes meſures, & qui diminuent à proportion de l’éloignement, pour faire paraître un lieu plus grand. Telle eſt en général l’Architecture qu’on pratique aux théâtres. Tel eſt encore l’eſcalier Pontifical du Vatican, bâti ſous le Pape Alexandre VII par le Cavalier Bernin.
On appelle auſſi Architecture en perſpective ; celle qui eſt un peu de bas-relief, & qui ſe pratique ou pour quelque raccordement, comme les deux petites arcades des aîles du veſtibule du Palais Farnèſe, raccordées avec celles de l’Ordre Dorique du portique de la cour, ou pour en faire un fond de quelque ſujet de Sculpture, comme les deux tribunes feintes de la Chapelle de Cornaro à l’Egliſe de Sainte-Marie de la Victoire à Rome.
Architecture feinte. C’eſt une Architecture, en peinture, qui fait paroître les ſaillies, mit en griſaille ou colorée de divers marbres & métaux, comme on le pratique en Italie aux façades des Palais, & particulièrement ſur la côte de Gênes. Telle eſt auſſi l’Architecture des Pavillons de Marli. On fait cette peinture à freſque ſur les murs enduits, & à l’huile ſur ceux de pierre.
On comprend auſſi ſous le nom d’Architecture feinte, les perſpectives peintes. contre les pignons des murs mitoyens, comme celle des Hôtels de Fieubet, de S. Pouanges, &c. peintes par M. Rouſſeau.
On appelle encore Architecture feinte, celle qui eſt établie ſur un bâti de charpente légère, & faite de toiles peintes ſur des chaſſis formés de tringles ; en-ſorte que les corps, colonnes, pilaſtres & autres ſaillies paroiſſent de relief. Les corniches ſont quelquefois même réelles, & on fait ordinairement les baſes, chapiteaux, maques, trophées, &c. de carton moulé. On conſtruit ſur un manequin d’oſier les figures qui accompagnent cette ſorte d’Architecture. On moule enſuite de plâtre les parties de ces figures, & on trempe leurs draperies de toile dans du plâtre clair. Enfin on peint le tout en couleur de divers marbres & métaux.
L’Architecture feinte ſert aux décorations des Théâtres, Arcs de triomphe, Entrées publiques, Feux d’artifice, Fêtes, Pompes funèbres, Catafalques, &c.
Architecture gothique. C’eſt une Architecture qui, quoiqu’éloignée des proportions antiques, & ſans correction de profils, ni bon goût dans ſes ornemens chimériques, a toutefois beaucoup de ſolidité & de merveilleux, à cauſe de l’artifice de ſon travail, comme on le peut aux Egliſes Métropolitaines & Cathédrales de Paris, de Reims, de Chartres, de Straſbourg, &c. Cette Architecture eſt originaire du Nord, d’où les Goths l’ont introduite premièrement en Allemagne, & enſuite dans les autres parties de l’Europe. Les ouvriers l’appellent Architecture moderne.
Architecture moreſque. Maniere de bâtir avec auſſi peu de deſſein que dans l’Architecture Gothique, à laquelle elle a quelque rapport par la délicateſſe de ſes portiques & galeries, mais dont les dehors ſont percés de petits jours, autant pour la fraîcheur que pour la ſûreté ; & les dedans au contraire fort ouverts & décorés de compartimens de carreaux de diverſes couleurs, avec des Moreſques & Arabeſques, C’eſt de cette Architecture qu’on a tiré les loges, balcons, perrons & autres parties ſaillantes au-delà des murs de face. Les plus beaux édifices de cette eſpece ſont les palais des Cherifs à Maroc en Afrique, & quelques-uns de Grenade en Eſpagne, que les Mores y ont bâti lorſqu’ils en étoient les maîtres.