Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique/Allée

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ALLÉE, ſ. f. Ce terme comporte deux définitions, parce qu’il appartient & à l’Architecture & au Jardinage. Ce qui nous oblige de le diviſer en deux articles ſéparés, pour ne rien confondre, qui ſeront eux-mêmes ſous-diviſés en d’autres articles, afin de ne point ſurcharger l’attention du lecteur.

Nous diſons donc, en Architecture, Allée eſt un paſſage commun pour aller depuis la porte du logis juſques à la cour ou à la montée. C’eſt auſſi dans les maiſons ordinaires un paſſage qui communique & dégage les chambres, & qu’on nomme auſſi Coridor, Vitruve appelle ces Allées des Allées fauſſes.

Allée biaiſe. Nom qu’on donne à une Allée, qui par ſujétion comme d’un point de vue ou d’un terrein, ou d’un mur de clôture, n’eſt point parallèle à l’Allée de front ou de traverſe.

Allée de front. C’eſt l’Allée qui eſt droite en face d’un Bâtiment. Les proportions de cette Allée ſe règlent ainſi : ſur cent toiſes de longueur, elle doit avoir cinq à ſix toiſes de largeur ; ſur deux cens toiſes, ſept à huit de large ; ſur trois cens, neuf à dix ; & ſur quatre cens, dix à douze.

Allée en perſpective. C’eſt une Allée qui eſt plus large à ſon entrée qu’à ſon iſſue, pour faire paraître les parties fuyantes des côtés, & lui donner une apparence de longueur. Cette ſorte d’Allée eſt en uſage ſur les théâtres. Elle eſt auſſi en uſage dans les décorations des théâtres d’eau. Le théâtre d’eau de Verſailles eſt formé en Allée en perſpective.

Allée rampante. C’eſt une Allée qui a une pente ſenſible, mais qui ne doit pas excéder quatre à cinq pouces par toiſe ; car à ſix ou huit pouces les carroſſes n’y peuvent monter qu’avec peine.

Allée de traverſe. C’eſt une Allée qui coupe d’équerre une Allée de front.

Allée. Terme de Jardinage. C’eſt un chemin droit & parallèle, bordé d’arbres, d’arbriſſeaux ou de buis, & couvert ou découvert. (Voyez Allée de front pour les proportions de cette Allée.) Ce chemin eſt ordinairement accompagné aux deux côtés de deux petites Allées, qu’on nomme Contre-allées, dont la longueur & la largeur ſe règlent ſur l’Allée principale. Par exemple, l’Allée étant de quatre toiſes, on donne deux toiſes à chaque Contre-allée, & celle-ci doit en avoir trois il l’autre en a ſix, &c.

Il y a ſur le paralléliſme des Allées une queſtion aſſez curieuſe, à laquelle nous ne nous arrêterons pas, mais qu’il convient d’expoſer : C’eſt de ſçavoir comment on devrait planter les arbres d’une Allée pour ſauver l’apparence d’une réunion des arbres. Je m’explique. Lorſqu’on eſt à l’extrémité d’une longue Allée d’arbres plantés ſur deux lignes droites & parallèles, les arbres ſemblent s’approcher, & dès lors l’Allée ne paroît plus parallèle. Le même phénomène arrive ſi l’on eſt au bout d’un long coridor, dont les murs de côté, le plafond, ou le pavé ſont paralleles. Or on demande comment il faudroit planter les arbres pour ſauver cette apparence ; il eſt évident d’abord qu’il ne faudroit pas que les arbres fuſſent plantés ſur deux lignes parallèles. En ſecond lieu cela doit dépendre de la grandeur apparente de la diſtance des arbres, ou de l’angle viſuel, ſi la grandeur de l’objet dépend de là. Le P. Fabri, le P. Jaquet, & M. Varignon qui l’ont cru, ont démontré que les deux rangées d’arbres dévoient former deux demi-hyperboles. Ce dernier Mathématicien, examinant la choſe de plus près, a voulu enſuite, avec d’autres Phyſiciens, que la grandeur des objets ne dépendît pas ſeulement de la grandeur de l’angle viſuel, mais qu’il falloit encore y joindre la diſtance apparente des objets qui nous les font voir d’autant plus grands que nous les jugeons plus éloignés. Il a donc cherché à accommoder ſon problême à cette nouvelle hypothèſe ; & cela en a rendu la ſolution impoſſible. (Voyez l’Hiſtoire de l’Académie Royale des Sciences, 1718.) Or là-deſſus quelqu’un a trouvé qu’au lieu de chercher le paralléliſme des arbres, vûs à une certaine diſtance ſur une hypothèſe de la viſion, il falloit au contraire commencer à connoître l’hypothèſe en cherchant le paralléliſme. Cela eſt vrai en général. Il ſe préſente pourtant une grande difficulté : c’eſt que le paralléliſme ne ſera tel que pour des vûes parfaitement égales. Une perſonne qui aura la vûe courte ne découvrira pas le paralléliſme, par la raiſon que les objets lui paroîtront diminués à une certaine diſtance, tandis qu’ils ſeront vûs de la même grandeur à une vûe longue. Ce qui fait voir que la ſolution du problême eſt impoſſible. Ce ſeroit donc inutilement qu’on chercherait à donner aux Allées une autre forme, pour ſauver une apparence qui varie à chaque point de vûe, & qui eſt phyſiquement inévitable. Voici les diviſions de cet article, par ordre alphabétique.

Allée couverte. C’eſt une allée bordée de grands arbres, comme tilleuls, charmes, ormes, &c. qui par l’entrelacement de leurs branches donnent du couvert, & par conſéquent de la fraîcheur. Les allées couvertes doivent avoir moins de largeur que les autres, afin que les branches d’arbres ſe joignent plus aiſément & plus vite, & donnent ainſi plutôt de l’ombre. On appelle auſſi allée couverte celle qui eſt faite d’un berceau de treillage.

Allée de compartiment. Large ſentier, qui ſépare les carreaux d’un partere.

Allée découverte. Allée qui ſépare les quarrés des parterres par des bordures de buis & d’arbres verds, ou les boſquets d’un jardin par des paliſſades de haute futaye, & qui eſt le plus ſouvent accompagnée de contre-allées fort étroites, pour y avoir plus d’ombre.

Allée de gazon. Voyez Boulingrin.

Allée labourée et herſée. Allée qui eſt repaſſée par la herſe, & où les carroſſes peuvent paſſer.

Allée ſablée. Allée où il y a du ſable ſur la terre battue ou ſur une aire de recoupes, ordinairement de huit à neuf pouces d’épaiſſeur. Vitruve veut qu’avant de ſabler les allées, on vuide la terre bien profondément ; qu’on bâtiſſe des égoûts à droite & à gauche des deux côtés de l’allée ; qu’on y faſſe deſcendre des canaux remplis de charbon, & qu’on mette enſuite le ſable par deſſus (Vitr. liv. V. ch. X.). Cette maniere de ſabler les allées eſt aſſurément très-bonne, mais elle eſt auſſi très-diſpendieuſe. Voilà pourquoi dans les maiſons particulières on ſe contente de bien battre la terre, & de répandre du fable par deſſus. Les pluyes achèvent d’affermir ces allées, que l’on ne doit pas charger en hauteur de trop de ſable, pour qu’elles ne ſoient pas ſi long-tems à ſe battre ; ce qui les rendroit juſques alors laſſantes. Deux pouces de fable en hauteur ſont ſuffiſans. On tire le ſable de la terre ou des rivières ; celui-ci eſt le plus beau & le meilleur. Pour qu’il ſoit bon, il faut qu’il ſoit un peu graveleux, ſans être trop fin ni trop pierreux, mais ſur tout un peu peſant, afin que le vent ne l’enleve pas avec tant de facilité. On paſſe le ſable à la claye ou au gros ſas, pour en ôter tous les cailloux & le rendre plus beau.

Allée bien tirée. C’eſt celle que le Jardinier a nettoyée des méchantes herbes avec la charrue, & qu’il a enſuite repaſſée avec le râteau.

Allée en zigzag. Allée qui étant trop rampante & ſujette aux ravines, eſt traverſée d’eſpace en eſpace, ou de douze en douze pieds de plate-bandes de gazon, en maniere de chevrons briſés ou de zigzags de point de hongrie, & cela pour retenir le fable. Telle eſt l’allée qui eſt devant l’Orangerie de Meudon.

On appelle auſſi Allée en zigzag, celle qui dans un boſquet ou labyrinthe, eſt fermée par divers retours d’angle, pour la rendre plus ſolitaire & en cacher l’iſſue.

Allée d’eau. Chemin bordé de pluſieurs jets ou bouillons d’eau, ſur deux lignes parallèles, comme l’allée d’eau qui eſt dans le jardin de Verſailles, depuis la fontaine de la pyramide juſqu’à celle du dragon.