Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Vulgate latine et S.Jérome

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 978-996).

VULGATE LATINE ET S. JÉRÔME

I. Nom et définition. —

II. Valeur littéraire. —

III. Autorité dogmatique.

I. — Nom et DÉFINITION.

1. On appelle Vulgate la version latine de la Bible, universellement usitée dans l’Eglise catholique de puis plus de mille ans, quia été décrétée authentique par le Concile de Trente (1546).

Pendant les cinq premiers siècles de l'ère chrétienne, le nom de Vulgata editio était donné à une version latine primitive ; ou plutôt au texte grec des Septante, dont cette version n'était qu’une traduction littérale. Tel est le sens de l’appellation sous la plume de S. Augustin, De Civ. Dei, XVI, x, 2 ; P. /.., XLI, 489, et de S. Jérôme lui-même, Comment, in Osée, vii, 13 ; P. L., XXV, 880, qui restreint parfois le terme de Koivr, ïrlonii au texte courant des Septante, pour le distinguer de la recension hexaplaire d’Origène (Epist., cvi, P. L., XXII, 838). Quand S. Jérôme parle de sa propre version, il dit : nos, interprctatio nostra, et se distingue ainsi des traducteurs latins qui l’ont précédé, dont l'œuvre est suffisamment caractérisée par les termes généraux : in latino, inlerpres latinus, latinui, apud Lati/tos.

A mesure que la nouvelle traduction de la Bible, faite par S. Jérôme à la fin du ive siècle, se propageait dans les Eglises d’Occident, elle supplantait les anciens textes latins ; et, avec le temps, le nom même de Vulgate lui était donné. La substitution, commencée du vivant même de l’auteur, ne fut complète que vers la fin du haut moyen âge ; et au xm L ' siècle la dénomination de Vulgate tout court s’enteud décidément de la version hiéronymienne.

Pour bien marquer son ancienneté, par comparaison avec les versions modernes, le Concile de Trente la qualifie de Vêtus vulgata latina : mais, dans l'école, on réserve plutôt cette appellation, beaucoup plus exacte que celle d'/tala, pour désigner la version latine d’avant S. Jérôme.

2. De tout temps on a su que notre Vulgate n’est pas d’un bout à l’autre l'œuvre de S. Jérôme, mais seulement dans sa majeure partie. ^Valafrid Strabon (f 849), l’auteur de la « Glose ordinaire <>, écrivait déjà : « Hac translatione nunc ubique utilurRomana Ecclesia, licet non in omnibus libris. » P. L, CXIII, 26.

a) Ancien Testament. — Le saint Docteur a traduit directement de l’hébreu : les Rois, les Psaumes, les Prophètes (à l’exception de Baruch), Job, Esdras, (mais iv, 8-vi, 18 ; vii, 12-26 de l’araméen), Néhémie, les Paralipomènes, les Proverbes, l’Ecc'.ésiaste, le Cantique des Cantiques, le Pentateuque, Josué, les Juges, Ruth, Esther (moins les additions grecques, x, 4-xvi, 24). Quant à Tobie, Judith et une partie de Daniel (11, 4 b -vn, 28), il les traduisit du chaldéen. C’est ainsi qu’il appelle le dialecte araméen, parlé par les Juifs à partir du v° siècle avant notre ère. Lui-même nous avertit que les chap. xiu et xiv de Daniel ont été traduits en latin sur le grec de Tliéodotion.

Le reste de l’Ancien Testament (la Sagesse, l’Ecclésiastique, Baruch, les Macchabées) figure dans notre Bible latine d’après la version primitive. S. Jérôme a bien traduit les Psaumes sur le texte hébreu (P. L., XXVIII, 11 27 ; une édition à part de P. de La.garde, 1874 ; une autre de l’abbé E. Piiilipim : , Langres, 187a ; et tout récemment celle de J.-M. Hardbn, Londres, 1922) ; mais sa version n’a jamais été admise pour l’usage public que l’Eglise fait du psautier : ni dans la liturgie, ni dans l'édition oïlicielle de la Vulgate.

On a déjà dit ici même (art. Canon, col. 447). pourquoi S. Jérôme a traité différemment les livres qu’il lisait dans la Bible hébraïque, et les autres, dits deutérocanoniques, même l’Ecclésiastique et le premier livre des Macchabées, dont il a connu l’original en hébreu. Prol. gai. et Præf. in libros Salom. ; P. /,., XXVIII, 557, 11', 2.

B) Nouveau Testament. — Il n’a pas été traduit à 1945

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nouveau par S. Jérôme, mais seulement revisé d’après le texle s ; ree. Encore n’est-il pas sûr que sa revision (certaine eu ce qui concerne les Evangiles ) se soit étendue au reste ilu N ; T., notamment aux Epilres de S. Paul. Cf. Recherches de Science religieuse, ocl. - déc. 1916, p. 53 1 ; P. Lagrange, Revue Biblique. 1916, p. aao ; 1917, p. 425.

II. VALl’.rn I-I1TKU.URK.

On entend par - aleur critique d’une version sa conformité avec le texte primitif. De ce point de vue, le mérite de la Vulgate est attesté par la compétence de son auteur, la qualité de ses sources, la légitimité de sa méthode, et le succès qu’elle a obtenu.

I. La compétence de l’auteur. — Une Vie littéraire de S. Jérôme serait ici hors de propos. D’ailleurs l’ouvrage existe, et fait de main do maître. Qu’on lise Ferd. Cavalleua, 5. Jérôme, sa t’/e et son œuvre, 2 vol., 1939 ; et l’on constatera que nous lui devons beaucoup dans cet aperçu, dont tout le but est de préciser comment le saint Docteur s’est préparé pendant quarante ans à doter l’Eglise latine d’une nouvelle traductioa de la Bible, faite sur les textes originaux.

a) Jérôme, lils d’Eusèbe (né à Stridon sur les confins de la Dalmatie, quelques années avant le milieu du iv’siècle, vers 345 ; mort à Bethléem en 4’9 ou 420), fut l’honvue le plus savant de son siècle. Inférieur à S. Augustin comme penseur et théologien, et à S. Chrys ; >stome comme orateur, il avait sur eux l’avantage d’une vaste érudition, qui l’égalait à Origène. Une phrase cicéronienne, de fréquentes citations des poètes et des rhéteurs, témoignent de sa culture classique. Il peut se vanter d’avoir été le disciple du grammairien Donat. Chronic, P. L.. XXVII, 687-688. Pour répondre aux invectives de Rulin, il a écrit de lui-même « qu’il est philosophe, rhéteur, grammairien, dialecticien, hébraïsant, helléniste, homo trilinguis » Apol. adv. Ruf., III, 6 ; P. L., XXIII. 462 ; cf. Præf. in Esdr. ad J)omn. et Rox.-, P. /.., XXVIII, 1405. Il est à noter que S. Augustin lui reconnaît tous ces mérites, et à peu près dans les mêmes termes : « homo doctissimus et omn-um trium linguarum peritust. De Civ. Dei, XVIII, xliii, n. 1 ; cf. Epist. cxlviii.c. 4, n. 131 4 ; clxvii, 6, ai ; P. L., XLI, Go3 ; XXXMI, 628, 741.

De bonne heure, La passion de l’élude conduisit Jérôme dans tout pays où il y avait un maître à entendre, une bibliothèque à consulter ou un monument à voir. Il n’avait guère plus de douze ans quand son père l’envoya à Rome, pour y parcourir en entier le cycle des arts libéraux. Ce qu’il fil pendant huit ans environ. Alors, Jérôme part pour Trêves, devenue comme une seconde capitale sous Valentinien I er. Il ne dit nulle part pourquoi il s’était rapproché de ce foyer de la politique impériale, nous savons seulement qu’il profita de son séjour dans les Gaules pour copier des manuscrits, et notamment deux ouvrages de S. Hilaire. : un commentaire sur les Psaumes et un traité sur les Synodes. Ils étaient destinés à son ami Rulin d’Aquilée ; mais, quelques années plus tard, se trouvant alors en Syrie, Jérôme réclamera cette transcription. Tel fut le commencement d’une bibliothèque, qu’il ne cessera d’enrichir pendant cinquante ans.

b) En revenant dans son pays, le chercheur de livres, et peut-ctreaussid’aventures.s’arrcteà Aquilée. C’est là que. dans la compagnie de quelques jeunes hommes d’élite : Rulin, Bonose, Chromatius, Evagrius. il achève sa formation littéraire, et surtout développe sa piété. Frappé d’admiration pour l’ascétisme chrétien, enthousiasmé par les récits qu’on

fait autour de lui des merveilles de sainteté dont le monachisme oriental embellit les solitudes de Syrie et d’Egypte, Jérôme décide d’aller voir de près « ces hommes qui, sur terre, vivent comme des anges ». Il s’achemine vers la Syrie par la voie la plus longue, parce qu’elle est la plus instructive : Athènes, Constanlinople et les villes de l’Asie Mineure. Il arrive à Antioche pendant l’automne de 37/4. Ses lettres nous apprennent qu’une large hospitalité, trouvée chez Kvagrius (dont il a fait la connaissance à Aquilée), lui fournit le temps et l’occasion de se documenter sur divers sujets qu’il traitera plus tard. D’ailleurs, ce séjour de quelques mois à Antioche avait été rendu nécessaire par la maladie. C’est alors que, dans un accès de fièvre, l’amateur des lettres proCanes eut le songe célèbre qu’il devait raconter par la suite. Epist., xxii, n. 30 ; /’. /.., XXII, 4’6. Le Christ lui aurait reproché « d’êlrepluscicéronicnquechrétien ».

Après avoir balancé quelque temps sur le parti à prendre, Jérôme s’enfonce décidément dans le désert de Chalcis. « Ce paradis printanier du Christ » est à cinquante-trois milles romains (environ 80 kilom.) au sud-est d’Antioche. Il y a là des ermites et des cénobites. Le nouveau venu ne devait rester que deu : c ans dans cette solitude (375-377). Ses lettres datées d’alors (de la 5e à la 17e, mais surtout de la 6e à la 11e) nous font confidence des difficultés qu’il y rencontra, et des tentations dont il fut assailli. Jérôme ajoute qu’au nombre de ses pénitences il avait mis l’étude de l’hébreu. Un moine, converti du judaïsme, devint son maître. On peut croire quele futur traducteur delà Bible hébraïque pensait dès lors à l’œuvre de plus tard. « Dans ma jeunesse (il avait plus de30 ans), écrira-t-il vers 41'> quand le désert delà solitude me servait de rempart, je ne pouvais supporter les excitations des passions et 1 ardeur de la nature. J’avais beau chercher à la briser par la fréquence des jeûnes, mon âme était toute embrasée de mauvaises pensées. Pour la dompter, je me mis sous la conduite d’un moine hébreu converti. Aux pointes de Quintilien, aux fleurs de Cicéron, à la gravité de Fronton, à la placidité de Pline, succédait maintenant l’étude d’un alphabet : des mots sifflants et haletants à ruminer. Oh ! quel labeur dépensé ! quellesdifficullés à vaincre ! combien de fois j’ai désespéré 1 combien de fois j’ai renoncé ! Puis, m’entètant, résolu d’apprendre, je me remettais à l’étude. Ma conscience me rend témoignage des peines endurées, et ceux-là mêmes aussi qui partageaient ma vie. J’en remercie Dieu, l’amère semence de ces lettres me fait goûter de doux fruits. » Epist., cxxv, ad Rust., n. 12 ; P.L., XXII, 1079 ; cf. Præf. in Dan., écrite en 404, et nombre d’autres passages ; P. L.. XXII, 348 ; XXlll, 492 ; XXVI, 3gg ; XX Vil, 774, 1082, 1292. Il va sans dire que dans ces textes, postérieursà l’événement detrenteans, il convient de faire une part assez large à la rhétorique.

Exaspéré par les divisions entre solitaires au sujet du schisme d’Antioche, où trois évoques (Mélèce, Paulin et Vital) se disputaient le siège patriarcal de l’Orient, Jérôme écrivit au pape Damase Ie’, pour s illiciter de lui une décision. Eptst., xv et xvi, P. L., XXII, 355- 35g. Il y disait : « Si quelqu’un est uni à la chaire de Pierre, il est mien. » Telle est sa règle de foi. En attendant la réponse, Jérôme quitte la soli-tu le de Chalcis et rentre à Antioche, où il se laisse ordonner prêtre par Paulin, l’un des trois prétendants, mais à la condition de ne pas être incorporé au clergé de la ville. Pendant le séjour de deux ans qu’il y fit (377-379), le nouveau prêtre suit des leçons d’Ecriture sainte données publiquement en grec par Apollinaire, l’évêque de Laodicée, mais sans se laisser influencer par ses erreurs sur l’âme du Christ. Epist., lxxxiv, n. 3 ; P. L., XXII, 745. Plus tard, il le citera 1947

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volontiers dans ses Commentaires. C’està cette même t époque qu’il convient de placer la double traduction, grecque et latine, de l’Evangile selon les Hébreux, trouvé par lui chez les Ebionites ou Nazaréens de Bérée (Alcp), proche de la solitude de Chalcis. Dix ans plus tard, le traducteur rencontrera un autre exemplaire du même ouvrage dans la bibliothèque de Césarée en Palestine. De vir. inlustr., iii, P. /.., XXI II, 61 3.

Ayant appris que Grégoire de Nazianze venait d’être installé sur le siège de Constanlinople (380), Jérôme, que rien ne retenait plus en Syrie, partit pour la nouvelle Rome. Epris de l’éloquence et du sa voir du grand évêque, il résolut de continuer, sous sa direction, ses études bibliques. Le « théologien » satisfit pleinement son disciple « assidu et curieux ». Grégoire devait rester pour Jérôme le maître par excellence : « Præccplor meus », écrira-t-il. De vir. inl., uxvm, P. I.., XXIII, 707 ; et souvent ailleurs.

A l’occasion du concile tenu à Constanlinople en 081, qui réunit plus de cent cinquante évêques, il eut l’avantage de se rencontrer avec S. Grégoire de "Nysse, dont il garda un souvenir plein d’estime. Dès lors, Jérôme avait à cœur d’enrichir les Latins, ses congénères, des trésors que les écrivains ecclésiastiques de langue grecque avaient accumulés en Orient. Il traduisit la Chronique d’Eusebe, en la complétant par des additions, surtout par le supplément, qui va de 325 à la mort de l’empereur Valons (378). Sa traduction de trente-sept homélies d’Origène sur Jérémie, Ezéchiel et Isaïe, date de cette époque. II y joignit un essai d’exégèse personnelle sur la vision des Séraphins (Isaïe, vi), qu’il lut à Grégoire de Nazianze. (Epist., xviii, n. 17-21, et Comm. in Isaiam, P.L., XXIV, 91-92).

c) L’année suivante, le moine itinérant part pour Home, où doit se tenir un concile, dans lequel on examinera la question du schisme d’Antioche (38a). Peut-être même Util roule avec Epiphane, l’évêque de Salamine, et Paulin, celui des trois prétendants au siège épiscopal quia ses préférences. On peut conjecturer qu’il prit une part active au synode, étant donnée l’estime que le pape Damase conçut aussitôt pour son savoir. Le concile fini, au printemps de 383, le vieux pontife le retint en qualité de secrétaire du Siège Apostolique^/jisf^cxxi 1 1, n. 16 ; P.L., XXII, io52 ; cf. P. G., XVII, 629). Il recourt souvent à sa science des Ecritures (Epist., xix, xx, xxi, xxxv, xxxvi ; P.L., XXII, 376-3(/, , 451-461). La faveur dont Jérôme jouit alors fera plus tard l’objet d’une légende, celle de son cardinalat. L’invention ne saurait être antérieure nu dernier quart du vi c siècle. Cf. Cavallkra, o.l, II, 1 40-i 44 Stimulé par les encouragements et même les aimables reproches de Damase, Jérôme reprend son étude de l’hébreu, et se met en relation avec les Juifs de Home. Il obtient même de l’un d’entre eux communication d’un assez grand nombre de livres, appartenant à la synagogue. L’emprunteur a raconté lui-même au pape l’incident, pour s’excuser de faire attendre la réponse aux questions qui lui avaient été posées. « Voici, me dit le Juif complaisant, ce que tu m’as demandé. J’hésitais et ne savais que faire ; mais par sa hâte (car il avait promis de rapporter au plus tôt les livres empruntés), il m’a tellement terrifié que, laissant là tout le reste, je me suis mis a les transcrire ; et c’est ce que je fuis main tenant encore.)’(Epist., xxxvi, n. 1, ad Damas., PL., XXII, f t ï>2). Quels pouvaient bren être ces livres ? Une autre lettre, écrite vers cette même époque quil. 384), complète assez bien la précédente. Pour explique* à Marcella le laconisme d’une de ses lettres, Jérôme lui confie qu’il est engagé dans

un travail pressant. & II y a déjà assez longtemps, écrit-il, que je compare avec les manuscrits hébreux l’édition (grecque") d’Aquila, pour voir si, par haine du Christ, la Synagogue n’y a point fail de changements. Puisque je parle à une personne amie, j’avouerai que j’ai fait plus d’une trouvaille utile pour la confirmation de notre foi. Déjà les Prophètes, Salomon, le Psautier, les livres des Rois ont été soigneusement passés au crible. Présentement je m’occupe de l’Exode, que les Juifs appellent Elle s mot h. Je vais aborder le Lévitique. » (Epist., xxxi.n.i ; P.L., XXII, 44*3). Ce travail de vérification d’un texte grec d’après la Bible hébraïque ne dépasse pas la compétence de Jérôme à ce moment de sa vie, et répond bien à ses préoccupations.

Ce fut pendant son séjour à Rome (383-384) qu’il entreprit, à la demande du pape, de reviser d’après le grec la version latine des Psaumes et des Evangiles. Le Psautier latin, revisé alors sur la version grecque des Scptante(/ ; ce< carsimet ma gha ex parte, écrira-t-il lui-même six ans plus tard, Præf. in tibr. Ps., P. L., XXIX, 117), sera usité en Italie jusqu’à la Qn du xvi 8 siècle. On l’appelle le « Psautier romain », pour le distinguer d’une recension ultérieure. La recension des Evangiles devait avoir une fortune plus durable, puisqu’elle figure aujourd’hui encore dans notre Vulgate. La lettre-préface, A’ovum opus, qui les accompagne, à l’adresse du pape Damase, est un document précieux à bien des égards ; et nous aurons à le citer plus d’une fois au cours de cette étude. CÇ.P./.., XXIX, 5a5-530. L’entreprise de Jérôme n’avait rien d’officiel, et son œuvre s’imposa d’abord d’elle-même : par sa valeur, et aussi par l’autorité croissante que lui conférait l’usage, au fur et à mesure qu’elle se répandait. Les approbations positives de l’Eglise ne devaient venir que beaucoup plus tard.

La revision s’étendit-elle au Nouveau Testament tout entier ? C’est une question controversée. On peut tenir pour l’affirmative, mais en accordant que les retouches ont été, à partir des Actes, peu nombreuses et moins profondes. Cf. Alf. Duhand, Recherches de Science religieuse, oct.-déc, 1916, 1531-54g ; Ferd. Cavalleha, dans Bulletin de littér. ecclés. de Toulouse, 1920, 270-292.

L’activité du nouveau maître es choses bibliques s’étendit encore à l’élite de la société romaine. On vit se réunir sur l’Aventiû, dans la noble maison de Marcella, des patriciennes, matrones et jeunes filles, telles que Paula, Eustochium, Asella, Albina, Blesilla, pour écouter les leçons de Jérôme sur le texte sacré, lu dans sa langue originale, grecque ou hébraïque. Tant de succès ne pouvait manquer d’éveiller la jalousie et même de provoquer la détraction. C’est de ce moment que datent les oppositions que Jérôme rencontrera dans le clergé romain. Mgr Duckbsnb, Hist. anc. de l’Eglise, II, 481, fait observer que « ce n’était pas seulement pour ses qualités qu’on lui en voulait ». Certes, le Dalmate avait des défauts, et il n’a jamais songea les dissimuler. D’humeur batailleuse, il rend avec usure les coups qu’on lui a portés. Mais ici il faut savoir faire aux mœurs littéraires du temps la part qui convient. Le P. Cavallera, o. I., I, 113-120, 193-220, a raison d’y insister. Jérôme est un rhéteur achevé, il connaît tous les topiques de l’amplification oratoire. Son goûl pour les mots heureux et la sonorité de la phrase l’a entraîné plus d’une fois au delà des bornes, mais ses premiers lecteurs savaient faire la part du « style ». A son irascibilité naturelle, le saint joignait un amour de Dieu et du Christ, qui se révèle tout entier dans la finale de la lettre xxu*, à Eustochium, sur la virgini’. é. « Tout ce que j’ai exposé paraîtra dur à celle 1U’*9

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qui n’aime pas le Christ. Mnis qui méprise, avec S. Paul, la poiupe mondaine, répète avec lui : Qui me séparera de la charité de Jésus-Christ ? Lui s’est tant dévoue cl nous a prodigué tant de preuves de son amour par dos sacriliees continus, que la seule réponse digne est de donner sang pour sang ; et, rachetés par le sang du Christ, de mourir volontiers pour lui. » Epist., xiii, n. 3j- 4 1 P.£., XXII, $a3-4a5. Ce qui devait arriver eut lieu. A peine le pape Damase l’util mort (i i déc. 384), que l’orage éclata, formidable ; il emporta le moine censeur des abus, et notamment île L’ignorance des clercs. Abandonné de tous ceux qui auraient pu le défendre efficacement, sentant qu’il n’avait pas à compter sur la faveur du nouveau pape, Sirice (384-389), Jérôme résolut de repartir pour L’Orient, où il aurait plus de loisirs et de ressources pour les travaux sur la Bible qu’il méditait. Il s’embarqua à Ostie, en compagnie de non plus jeune frère, Puulinien, du prêtre Vincent et de quelques autres amis (août 385). Avant de s’embarquer, il écrivit à sa noble bienfaitrice, Asella, une lettre restée célèbre (la xlv c, P. L., XXII, 480), dans laquelle il prenait congé de ses amis, et aussi… de ses adversaires.

Les voyageurs furent rejoints à Chypre, chezl’évêque de Salamine, Epiphane, par Paula et sa ûlle Eustochium, avec quelques moniales romaines, que le dégoût des intrigues et l’amour de la solitude éloignaient pour toujours de « Babylone », pour aller vivre et mourir à « Jérusalem ». Arrivés à Antioche,

« les pèlerins du Christ » furent accueillis cordialement

par l’évêque Paulin, qui présida lui-même à l’organisation de leur caravane. Ils entreprenaient un voyage de six mois à travers les pays où la vie terrestre du Christ s’était développée : de la Syrie à l’Egypte. En passant, ils visiteront les laures de Palestine et les monastères de Nitrie. En de telles pérégrinations, la pitié et l’étude trouvaient pareillement leur compte. Plus lard, dans ses lettres, ses préfaces et ses commentaires, Jérôme reviendra volontiers sur l’utilité des voyages pour l’historien, le littérateur et l’exégèie, désireux de comprendre les Livres saints. Les pèlerins avaient eu soin de se mettre sous la conduite « des plus instruits d’entre les Juifs <. Præf. in Paralip. iuxta lxx, ad Domn. et Rogat., P.l… XXIX, 401 ; cf. Epist., xlvi, ad Marcellain, P. L., XXII, 483. En traversant Alexandrie d’Egypte, Jérôme prend un mois environ pour suivre les leçons publiques de Didyme l’Aveugle, qui restera toujours « son voyant ». Comm. in Gal., Prcl. ; P.l.., XXVl, 30çj.

De retour en Palestine, les pèlerins se font solitaires. Ils se fixent à Bethléem, tout proche de la grotte de la Nativité, dans deux monastères séparés, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes, ayant respectivement à leur lête Jérôme et Paula. C’est là que vont s’écouler les trente-quatre ans qui restent encore à l’auteur de la Vulgate, pour méditer et accomplir son œuvre.

d) L’ouvrier avisé commence par se préparer de bons outils. Dès cette époque, le moine studieux est tel que Postumien, l’ami de Sulpice Sévère (Dial., i, 4), le décrira quinze ans plus tard : « Toujours un livre à la main, il ne se repose ni jour ni nuit ; ou il Lit, ou il écrit ».

Cette période de préparation devait durer cinq ans. Jérôme reprend les travaux d’approche, commencés en Syrie et à Constantinople, mais interrompus par d’autres préoccupations. Pour dérouiller sa plume, il continue la traduction d’Origène, c’est-à-dire les trente-neuf homélies sur S. Luc. (P. L., XXVI, 21930fi). Cédant aux instances, toujours décisives, de Paula et d’Eustochium, il met la dernière main à

son explication de 1 Eeclésiaste, diele un court commentaire de quatre épîtres de S. Paul (Philent., Gui., Ephes., TU.). Une œuvre beaucoup plus importante, vrai prélude de la traduction de la Bible hébraïque, fut la revision de tout l’Ancien Testament latin d’après les Septante, mais en usant du droit de regard sur le texte hébreu. Comm. in epist, ad Til., m, y ; /’. L., XXVI,.">(|5 ; Præf. in. Ubr. Paralip., uxta î.xx ; P. /.., XXIX, 4 « ; Apol. Ile. Ruf. P. L., XXUI, 448 ; cf. Alg., Epist., Lxxi, a ; P. /.., XXXIII,

L’intérêt particulier de cette revision tient à ce qu’elle n’a pas été conduite d’après l’édition commune (/ ; xou » i svô’^i ;) de la version alexandrine, mais d’après la recension d’Origène, celle qui dans les Hexaples occupe la 5e colonne et qu’on appelle pour cette raison l’édition hexaplaire. B. /.., XXIII, 454 ! cf. XXII, 671, 838. Il ne semble pas que ce travail ait jamais circulé en son entier. S. Jérôme se plaint qu’on lui ait dérobé la première partie de son œuvre. Epist., cxxxiv, /’. A.., XXII, 1162. Il est vrai que le post-scriptum de cette lettre, dans lequel se lit le renseignement-, est d’une authenticité douteuse. Quoi qu’il en soit, il ne nous reste de cette revision que le livre de Job et le Psautier. P. t., XXIX, 59-398.

C’est la seconde fois que Jérôme revise les Psaumes d’après le grec. S’il entreprend à nouveau ce travail, c’est qu’il ne se reconnaît plus lui-même dans la revision faite à Rome en 384 (voir plus haut col. 1948), tant lescopisles l’ont altérée, en y réintégrant des leçons qu’il en avait éliminées. Cette nouvelle recension, faite à Bethléem en 38 ; , a reçu le nom de Psautier gallican, à cause de l’usage que l’on en ût, de bonne heure, dans les Gaules. Lors de la réforme liturgique qui eut lieu sous le pontificat de S. Pie V (1 568), le « psautier gallican » fut substitué au a psautier romain » dans le missel et le bréviaire, excepté pourtant le ps. xciv, Venite, exultemus Domino, à l’invitatoire des Matines. On fit encore une exception pour le chapitre de la basilique de S. Pierre de Rome, et pour l’Eglise de Milan, qui furent autorisés à conserver le « psautier romain ». En 15fjo, on introduisit pareillement le « psautier gallican » dans l’édition romaine officielle de la Vulgate latine. Cf. A. Wilmart, Revue Biblique, 1922, p. 350, et P. Capkllb, Hev f Bénédictine, 1925, p. 36

Pendant cette période d’activité silencieuse, l’effort de Jérôme se porta principalement sur l’étude de l’hébreu, qu’il avait conscience de ne savoir encore que très imparfaitement. Il se met à l’école des

« plus habiles d’entre les Juifs  de Palestine. A

Bethléem, il prend pour maître un certain Baranina, c nouveau Nicodème, venant le trouver de nuit, propler metum Iudæorum ; » et ici Jérôme oublie que ce dernier trait convient à Joseph d’Arimathie (Jean, xix, 38). Epist., i.xxxiv, u. li, ad Pammach. et Océan.,. PL., XXII, j45 ; Præf. in lob, P. T.., XXVI, 399 ; RnGn(Àpol., l, 1 3 ; P. I.., XXIII, 407) a eu, le mauvais goût de jouer sur son nom, en l’appelant Barabbas. Il semble que Jérôme a gardé longtemps Baranina comme collaborateur. C’est de lui qu’il écrit : « Hcbræus meus, cuius sæpe facio mentionem. .. » P. /.., XXIII, io38, io48, io. r)3 ; cf. XXII, / ( 5 ; XXVIII, 1293. Il parleencore d’un Juif deTibériade, P.L., XXIX, 4 ( ><, et d’un autre de Lydda, u dont il a payé les leçons de beaux deniers ». Præf. in Job, P. /.., XXV1I1, 1081. Faut-il pensera un quatrième et même à un cinquième personnage, quand, dans les préfaces de Daniel, d’Esdras et de Tobie, il dit « qu’un Hébreu lui appris assez de chaldéen pour traduire intégralement ces textes » ? P. L., XXVIII, 1292 ; XXIX, a6 ; XXIX, 140’,.

S. Jérôme est si sûr de s’être rendu maître de la 1951

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langue hébraïque, qu’il en appelle résolument au contrôle des Juifs, pour réduire à néant les récriminations de ses adversaires. P. L., XXII, 929 ; cf. WY1II, , 102, 544> 558. Un jour viendra (404) où S. Augustin lui mandera que dans la petite ville d’Œa, en Mauritanie, les Juifs lui ont donné tort au sujet de sa traduction de Jouas, iv, G, où il substitue hedera à cucurbita. Le traducteur répondra rondement : on vous aura, sans doute, conté une fable ; sinon, tenez pour certain que vos Juifs sont des ignorants, ou plutôt des malins, qui auront voulu complaira à ceux dont ils attendent quelque avantage. Voir dans S. Augustin, Epist., lxxi, n. 5/ P. L., XXXIII, 7/42 ; et dans S. Jérôme, Epist., cxii, n. 21-22 ; P. /.., XXII, 929-930 ; cf. Comment, in lonam, iv, 6.

En dépit de tant de préparation, Jérôme, qui avait alors 43 ans, hésitait encore à entreprendre une œuvre dont il prévoyait les difficultés. D’ailleurs, comme tous les écrivains délicats, il attendait, pour publier, les encouragements de l’amitié (P. Z,., XXII, 929). Hslui vinrent departoul. D’Italie, et notamment de Home, d’où insistent fréquemment le sénateur Pammachius et les nobles dames Marcella, Læta, Lea, Asella ; de Noie, c’est le saint évoque Paulin ; d’Aquilée, c’est l’ami des premiers jours, Ghromalius, devenu évêque. Des extrémités de l’Europe orientale, du pays des Gètes (les Balkans), deux moines, Sunnia et Frelella, sollicitent une longue explication sur le psautier revisé d’après les Septante. A l’extrémité opposée, dans la Narbonnaise, le prêtre Riparius, et à Marseille le moine Desiderius, en font autant.

Peu d’hommes de ce temps ont eu une correspondance aussi distinguée que celle qui met le solitaire de Bethléem en relation avec l’élite du monde chrétien. Des cent cinquante lettres qui nous restent, adressées à plus de quatre-vingts destinataires différents, le plus grand nombre a trait, tout au moins en passant, à une meilleure traduction de la Bible. Dans l’Afrique proconsuiaire, Jérôme avait en S. Augustin un grand admirateur. Malgré des divergences de vues sur bien des points et précisément à propos de l’opportunité d’une version nouvelle, l’évêque d’IIippone attendait beaucoup de ses travaux pour le service de l’Eglise. Les dix-huit lettres, que ces deux hommes cminents ont échangées, témoignent de la haute estime qu’ils avaient l’un pour l’autre. (Voir dans les œuvres de S. Jérôme les lettres LVI, LXVII, ci-ov, CX-CXH, cxv, cxvi, cxxxi, cxxxii, cxxxiv, cxli-cxiii ; et dans les œuvres de S. Augustin, XXVIII, XL, LXVII, LXVIII, XXXIX, LXXI-LXXV, LXXXI, LXXXII, CLXV1, CLXVII, CLXXII, CXCV, CXXIII, CCIl)

Mais c’est de son entourage immédiat que devait venir à Jérôme l’impulsion décisive. Moines et moniales, fixés avec lui près de la crèche ; pèlerins illustres qui demandent l’hospitalité au monastère de Bethléem (tels Pinien etMélanie la jeune), réclament la « vérité hébraïque ». Par-dessus tous, Paula et Eustochium se font chaque jour plus pressantes, au nom des intérêts de l’Eglise et de leur amitié, /’rue/. in Dantelem : « Unde obsecro vos, Paula et Eustochium, fundatis pro me ad Dominum preces, ut quamdiu in hoc corpusculo sum, scribam aliquid gratum vobis, utile Keclesiae, diguum posteris. »

S. Jérôme se mit à l’œuvre en 390 ou 3gi.ll importe peu de savoir s’il a commencé par les Rois ou par Isaïe. L’œuvre devait durer quinze ans, Jusqu’en 405 ;

890-391, Samuel, les Rois.

392-898, Psaumes, Prophètes, Job.

3g4, Esdras, Néhémie.

396, Paralipomènes.

3g8, Proverbes, Ecclésiaste, Cantique.

401, Pentateuque.

405, Josué, Juges, Rulh, Esther, Tobie, Judith et les fragments deutéro-canoniques de Daniel et d’Esther.

Toute cette « Bibliothèque sainte », comme on disait alors, Divina Bibliotkeca, est contenue dans le XXVIIIe volume de la Patrologie latine de Migne. On remarquera que l’activité du traducteur se ralentit entre 3g8 et 401, puis entre 401 et 4°4- La première coupure s’explique par une longue maladie, et la seconde par la mort de Paula, qui avait brisé le courage du vieux « maître ».

a. Les sources. — S. Jérôme s’est proposé un double but : donner aux tidèles une traduction meilleure de la Bible, et fermer la bouche aux Juifs, qui reprochaient insolemment aux chrétiens de lire les Ecritures dans une version infidèle. Præf.in Isaiam, in Iosue, in Daniel., P. L., XXV1I1, 774, 464. 1294 ; cf. 1 126.

a) Dès le début, il se rend compte des difficultés qui l’attendent. En 384, dans la lettre d’envoi, ou préface, dont il accompagne sa revision des Evangiles, il écrit au pape Damase : 1 Tu m’obliges à tirer une œuvre nouvelle de l’ancienne. Quand les exemplaires de l’Ecriture sont répandus par le inonde entier, voici qu il me faut jouer le rôle d’arbitrejet, comme ils diffèrent entre eux, que je décide quels sont ceux qui s’accordent avec la vérité du texte grec. Pieux travail, mais périlleuse présomption ! Juger autrui, quand on sera soi-même jugé par les autres. Obliger le vieillard à changer sa langue, et ramener le monde blanchi à l’alphabet des enfants ! Quel homme docte ou ignorant, prenant en main ce volume, et voyant que la leçon qu’il a coutume de réciter s’y lit différemment, ne se mettra pas aussitôt à crier, à vociférer que je suis un faussaire et un sacrilège, d’oser ainsi ajouter, changer, corriger dans ces vieux exemplaires ! » Novum opus, P. L., XXIX, 525 ; cf. Epist., xxvii, ad Marcel., P. L., XXII, 431.

Tout le monde sentait qu’il y avait quelque chose à faire pour supprimer la diversité des textes, que révélait une simple lecture de la Bible. Tôt exempl /iria pæne quoi codices, disait S. Jérôme. P. L., XXII, 43 1, 834, 920 ; XXVIII, 463. De son côté, S. Augustin, tablant sur les bibles usitées en Afrique, déclarait « la situation intolérable, tellement qu’on ne cite plus un texte d’Ecriture, sans appréhender qu’il n’y ait autre chose dans le texte original ». Epist., lxxi, n. 6 ; P. L., XXXIII, 243 ; De doctr. christ., II, xv, n. 22 ; P. L., XXXI V, 46 (écrit en 397). Il en rend responsable « cette foule de traducteurs latins, qui ont osé se charger d’une œuvre trop au-dessus de leur capacité ». Epist., i.xxxn, n. 35 ; / J. /.., XXXIII, agi.

L’état de l’Ancien Testament n’était pas plus satisfaisant. Entre les Septante, dont relevait la version latine, et le texte hébreu, il y avait de nombreuses interversions, omissions, additions et traductions différentes. « Je vous parle librement, écrivait S. Jérôme, il y a dans les exemplaires grecs et latins nombre de noms tellement altérés qu’on pourrait croire avoir affaire avec des noms barbares et sarmates, plutôt qu’avec des noms hébreux. » Præf in Puralip., ad Domn.et llogat., 1’. /.., XXVIII, 1323.

Que faire ? Jérôme et Augustin ne sont plus d’accord. Celui-ci engage l’hcbraïsant de Bethléem à se contenter de reviser l’Ancien Testament sur les Septante. Sa revision des Evangiles (celle de 384) prouve que c’est chose possible et suffisante ; < clic donne pleine satisfaction dans presque tous les pas1953

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sages, on dirait une version nouvelle. » Epist., Aug. lxxi, c. 4, n. i-6 ; P. /.., XXXlll. : 14a-a43 ; Bpist. xiviii.c. a ; P. /., XXXIII, i la. Au contraire, Jérôme prétend qu’entre les Septante et l’hébreu il y a trop de différences pour tenter de les ramener à l’unité. Il faut retourner aux sources, c’est-à-dire aux textes originaux, à « la vérité hébraïque ». En ce qui concerne le X. T., il s’est contenté d’aller au plus pressé, mais en sauvegardaut le principe du redressement des textes : » Si enim latinis exemplaribus lides est adliilienda, respondeant quibus ; tôt enim sunt exemplaria pæne quoi eodiees. Sin auteiu vcritas est quacreuda de pluribus, eur non ad græcam originem revertentes… corrigiuius. » P. L.. XXIX,

Le principe du « retour aux sources » était admis de S. Augustin, De Civit. Dei, XV, xiv, n. a ; mais en s-i qualité de pasteur d’âme-, il jugeait inopportun et même périlleux de l’appliquer en bloc à toute la Bible. Constamment il a donné de son attitude trois raisons. Epist., Lxxi, n. 5 ; P. L., XXXIII, a4’^ ; Epist., lxxxii, n. 34-35, XXXIII, 390-291.

1’Une traduction nouvelle troublera et même scandalisera les lidèles, habitués à lire et à chanter l’Ecriture d’après une version qui remonte aux origines du christianisme. Elle fera douter du passé, sans donner conliance dans le présent. Une Bible latine, traduite immédiatement de l’hébreu, augmentera la mésintelligence entre les Occidentaux et les Orientaux, qui ne connaissent nos Livres saints que par les Septante.

2° L’aatorité des Septante est grande dans toute l’Eglise chrétienne. Les Apôtres et le Christ lui-même s’en sont servis. Une tradition ancienne et respectable tient leur version pour inspirée, même aux endroits où elle diffère du texte hébreu. « Cette diversité n’est pas incompatible avec l’unité de la foi, puisqu’un traducteur peut donner d’un passage obscur une opinion différente de celle d’un autre interprèle, bien que l’un et l’autre aient Ja même foi. » 3° D’ailleurs, le prêtre Jérôme pense-t-il mieux faire que tant et de si doctes interprèles ? En cas de eonffit, qui jugera entre l’ancienne version et la nouvelle ? Et ici, S. Augustin aime à rappeler l’incident qui s’est produit dans l’église d’Œa, où l’évêque eut bien de la peine à apaiser le tumulte, causé par la lecture publique de la récente version (Voir plus haut, col. 1901).

A cette triple objection S. Jérôme a réponda : i° La vérité doit prévaloir sur la routine. La grammaire elle-même a ses droits, il vaut mieux chanter florebit que floriet (P$., cxxxi, iS).Cf. dans S. Aug., De doctr. christ., II, xiii, n. 20. Cependant, pour ménager l’accoulumance du peuple et ne pas le déconcerter inutilement, le nouveau traducteur s’écarte le moins possible des Septante, c’est-à-dire là seulement où le sens l’exige. D’ailleurs, il ne prétend pas supplanter l’ancienne version ; le lira qui voudra (même ceux qui déchirent son œavre en public, et s’en servent en cachette !). Il écrit pour répondre aux vœux de ses amis, « qui lui envoient argent et copistes à cet effet, parce qu’ils préfèrent des textes corrects aux manuscrits artistement calligraphiés et richement reliés ». Præf. in Pentat.. in losue, in Paralip., in Esdr., in lob, etc., P.L., XXVIII, 150, 463, 13^6, 1081 ; XXIX, 26. Nulle part, que je sache, S. Jérôme ne se préoccupe du danger d’augmenter le dissentiment entre Occidentaux et Orientaux.

2 Mieux que tout antre, il sait le mérite de la version des Septante, mais il ne les lient pas pour inspirés, surtout aux endroits où ils s’écartent du texte original hébreu. Il traite de légende ce qu’on

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raconte de leur accord parfait entre eux, alors qu’ils avaient travaillé séparément, chacun dans sa cellule.

« Xercto quis primas auctor septaaginta cellulas

Alexandriæ mendacio suu exstruxerH. » Præf, M Peut.. /*. /.., XXVIII, 150. Les Apôtres et le Christ lui-même les ont cités, mais pas dans les passages où ils diffèrent foncièrement de l’hébreu. Par contre plusieurs de leurs citations ne se rencontrent que’dans le* textes originaux. Præf. in Punitif,., ad Chrom., P. L., XX VIII, 13a6. Et ici Jérôme renvoie à Matth., ii, 15, a3 ; Jean, xix, 37 ; vii, 38 ; I Cor., ii, 9, etc. On peut trouver que son assertion reste discutable sur tel ou tel point, et qu’en revanche l’auteur de l’Epitre aux Hébreux cite constamment d’après les Septante, même quand il y a un désaccord notable entre la version grecque et l’original hébreu, par exemple 1, 6, 7 ; x, 5.7, 37 ; xii, 5-G, a6. Un jour viendra (vers 408), où S. Jérôme lui-même constatera le fait et s’en étonnera. Cf. Comment, in Isaiam vi, 9 ; P. /,., XXIV, 98.

3° Quant à sa compétence, le traducteur n’a pas à l’établir lui-même ; cependant le succès dont jouit la revision du N. T. (et S. Augustin lui-même en convient, P. L., XXXIII, a43) devait répondre de son exactitude dans la traduction de l’Ancien. On peut bien permettre à une plume chrétienne de tenter dans l’intérêt de l’Eglise ce qu’on ne réprouve pas dans un Juif blasphémateur, Théodotion, dont la traduction de Daniel (P. L., XXVIII, 464) est lue publiquement par tout le monde chrétien (C/. Præf. in lob, P. £., XXVIII, 108a). A l’adresse del’évêque d’Hippone, S. Jérôme *e contente d’uu argument adhominem, qui ne manque pasde sel. « J’entends direque tu viens de publier un commentaire sur les Psaumes (il ne pouvait s’agir en 404 que delà première partie des Enarrationes in Psalmos) ; or, de deux choses l’une : ou bien tes nombreux devanciers sur ce terrain ont réussi, ou ils ont échoué. Dans le premier cas, pourquoi refaire ce qu’ils ont bien fait ; et, dans le second cas, penses-tu mieux faire ? » Epist., exu n. ao ; P. /.., XXII, 928-939.

La pratique de l’Eglise a donné raison aux deux grands docteurs. C’est pour les raisons si bien formulées par S. Augustin, que la substitution de la version nouvelle à l’ancienne s’est faite lentement (plus de six siècles) ; mais c’est pour les raisons dites et redites par S. Jérôme qu’elle a finalement triomphé. Cf. P. LA.GHANQE, L’esprit traditionnel et l’esprit critique, à propos de la Vulgate, dans le «.Bulletin de littér. ecclés. de l’Institut catholique de Toulouse », 1899, p. 37.

La postérité devait être plus juste vis-à-vis de la personne de S. Jérôme et de son œuvre, que ne l’ont été la plupart de ses contemporains. De nos jours les protestants eux-mêmes tiennent à faire oublier le parti pris avec lequel les premiers des Réformateurs ont parlé de l’auteur de la Vulgate latine. Cf. Rea-IcncyUopddie fur protestantische Théologie und Kirche (1900), VIII, 5a-54. Peu d’hommes se sont autant occupés de notre Vulgate que les deux « scholars » d’Oxford, John Wohdswohtu et H. J. Wiiitb. Or.ce dernier estime que « sa mission providentielle fut révélée à S. Jérôme par le pape Damase, quand celui-ci le chargea (en 383) de réviser les Psaumes et les Evangiles. » Puis, le même auteur ajoute : « Les titres de Jérôme pour l’exécution de cette œuvre étaient exceptionnels. Il avait un sentiment précis de l’urgence et de la grandeur de l’œuvre. C’était un bon latiniste, écrivant en un style pur et vigoureux ; arec une connaissance convenable du grec. Dès le début, ilavaitacquis unecertaine connaissance de l’hébreu ; mais plus tard, avant d’entreprendre la traduction de 1’A. T. d’après le texte original, il ût de cette 1955

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langue une élude plus approfondie. Une longue résidence et de nombreux voyages en Orient l’avaient mis en contact avec les pays bibliques et leurs coutumes ; ce qui est une ressource inappréciable pour quiconque entreprend une pareille tâche. Ses qualités de savant et d'écrivain le recommandaient pareillement. Le pape Damase a dû présumer qu’une version faite par un homme d’un si grand mérite, recommandé par l’influence et l’autorité du Siège de Rome, ne pouvait manquer d'être bien accueillie. > Haslings' Dictionary of the Bible, IV, 874 A (1902).

b) Dans la préface de l'édition romaine de la Vulgate, dite Sixto-clémentine (1092), dont la rédaction est attribuée au Bienheureux Robert Bellarmin, on fait observer que « des passages, qui semblaient devoir être corrigés, ont été néanmoins gardés tels quels pour plusieurs motifs, et notamment parce qu’il est permis de supposer que S Jérôme aura eu à sa disposition des manuscrits meilleurs et plus corrects que ceux qui nous ont été transmis. » Quelles sont ces sources et que valent-elles ? Pour faire à la question une réponse adéquate, i 1 convient d’envisager séparément l’Ancien Testament et le Nouveau, puisque dans le premier cas, nous avons affaire à une traduction et dans le second à une revision seulement.

A. Ancien Testament. — Comme nous, mais beaucoup plus près des origines, l’auteur de notre Vulgate avait à sa disposition le texte hébreu et les versions grecques (Septante, Aquila, Symmaque, Théodotion), qui en avaient été faites. A-t-il utilisé la version syriaque ? C’est une question encore insuffisamment étudiée.

1. L’exemplaire de la Bible hébraïque, lu par S. Jérôme, portait un texte qui ne diffère pas d’une façon appréciable de celui que nous possédons encore aujourd’hui sous le nom de.r texte massorétique ». Tel est le sentiment de la plupart des critiques d’aujourd’hui, qui ont fait du sujet une étude spéciale : Eichorn, Wbllhausbn, Kaulen, Westcott, Luc. Gautier, Condamin, etc. L’identité se révèle jusque dans des fautes de copiste manifestes « très particulières au texte hébreu massorétique, et exactement reproduites par la Vulgate ». A. Condamin, Recherches de Science religieuse, 1911, p. 430 ; Driver, Notes on the hebrew text of Books of Samuel, Oxford, 1890, p. lxvi-lxvii. D’autres cependant estimentqn’on a exagéré cet accord. Loin d’atteindre à l’identité, il laisserait place à d’assez nombreuses particularités, dans lesquelles le texte de Jérôme témoigne seul contre l’hébreu et le grec, connus de nous, ou bien s’accorde avec la version syriaque. Nowack, Die Bedeutungdes Hier, fiirdie alttest. ÀWfi'À-.Gottingen, 1875.

Dans cette dernière hypothèse, y aurait-il influence directe et immédiate du syriaque sur la version de S. Jérôme ? Celui-ci n’a pas pu ignorer l’existence d’une version syriaque, faite au second siècle sur le texte hébreu. Lors de son premier séjour en Syrie (375-377), il a vécu avec des solitaires, dont le syriaque était la langue native ; et c'était vraisemblablement le cas du Juif converti, qui devint son premier maître d’hébreu. N’avons-nous pas une allusion à quelque teinture de syriaque, datant de cette époque, dans la lettre xvne n. 2 ? (P.L., XXII, 360). En 387, au moment même qu’il quittait la solitude de Clialcis, Jérôme répond ironiquement à Marc, un prêlredu voisinage : « Tu redoutes donc qu’un homme tel que moi, qui manie en maître les langues syriaque et grecque, s’en aille par le monde pérorer d'église en église, » En tout cas, nous savons que plus tard, vers 4°2, pour traduire Tobie, Judith et certaines portions de Daniel, S. Jérôme apprit le chaldéen,

c’est-à-dire le dialecte syriaque de Palestine, qui ne différait pas beaucoup du dialecte d’Edesse, sinon peut-être par le caractère avec lequel on l'écrivait. Cependant, H. P. Smith (cité ici d’après Ilastings' Diction, of the Bible, IV, 883) fait observer que « dans nombre de cas le texte de S. Jérôme diffère de celui des Massorètes, pour s’accorder le plus souvent avec la version syriaque, sansquenous ayons pour autant le droit de supposer une dérivation immédiate. Le traducteur latin avait trop de conûance dans son texte hébreu pour lui préférer une version quelconque. Il est plus vraisemblable que dans les cas donnés il a eu entre les mains un texte qui différait de celui des Massorètes, mais identique au texte dont s'était servi le traducteur syriaque.

De ce que le texte massorétique n’a pas varié pendant les quinze siècles qui nous séparent de S. Jérôme, et même, pourrait-on dire, depuis le début de l'ère chrétienne (comme en témoignent les versions d' Aquila, de Symmaque, de Théodotion, les travaux d’Origène, sans parler des éléments de targoums remontant à cette époque), il ne faudrait pas conclure à une invariabilité absolue. Les conditions dans lesquelles ce texte s’est transmis n’ont pas toujours été les mêmes. Avec le ve siècle de notre ère, a commencé chez les Juifs de Palestine l’activité des gens de la Massore, ou de la tradition, pour fixer la manière de transcrire et de lire la Bible. Pendant quatre siècles ils ont inventé eteompilétoutun système de points, d’accents, de voyelles et autres signes pour entourer le texte d’une haie protectrice. Ils ont compté les mots (écrits séparément), les lettres, les accents ; divisé le texte en divisions majeures et mineures. Avant que d'être admis officiellement à transcrire le Livre, le scribe (kâteb) doit apprendre tout cet ensemble de signes protecteurs, qui rendent presque impossible une erreur de transcription. Les massorètes ne visaientpas, comme le critique moderne, à retrouver entre plusieurs variantes la leçon originale, mais seulement à constater les divergences. Mis en présence d’une double tradition, ils se contentent de marquer ce qu’il faut écrire (ketib), et ce qu’il faut lire(Âri). Le cas se représente 216 fois ; mais, pour d’autres raisons encore, le nombre total des krl et des ketib est de 1.353. Dans son édition de la Bible hébraïque, S. Bauer consacre un appendice à l'énumération minutieuse des variantes qui caractérisent les deux écoles talmudiques de Babylone et de Tibériade. Il n’en fut pas toujours ainsi. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le texte des Massorètes avec la plus ancienne des versions de la Bible hébraïque, celle d’Alexandrie, dite des Septante.

2. Commencée par le Pentateuque, vers le milieu du 111e siècle avant Jésus-Christ, sous le règne de Ptolémée II Philadelphe, la Version grecque alexandrine n’a été achevée que beaucoup plus tard, à une époque qu’il est impossible de déterminer, mais antérieure à notre ère. Elle représente donc le texte hébraïque à l'étage qui précède immédiatement la littérature chrétienne. Pendant les quatre premiers siècles, le peuple chrétien n’a connu l’Ancien Testament que par cette version, soit immédiatement, comme les Eglises de langue grecque, soit médiatement, comme celles de langue latine, dont la traduction primitive dépendait du grec des Septante. Tout au plus faudrait-il faire une exception pour les Eglises de langue syriaque, s’il est vrai, comme quelques-uns l’ont prétendu, que leur version, d’origine juive, remonte à un époque antérieure à l'ère chrétienne.

Une comparaison, même superficielle, entre le texte massorétique etla version grecque alexandrine, 1957

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permet de relever des différences nombreuses, atteignant la teneur du texte ou son sens. On ramène ces divergences à six chefs principaux : omissions, additions, abréviations, développements, interversions, lecture différente d’un seul et même mot hébreu et conséquemment diversité de traduction. Les quatre premiers chefs tiennent vraisemblablement au dessein des traducteur », d’accommoder le texte original au génie du lecteur grec. (Cf. Præf. in Pentat., ad Desider) ; les interversions doivent être le fait des copistes ou de » scoliastes ; quand aux leçons diverses, elles ont été engendrées par l’imperfection de l’écriture hébraïque, surtout à 1 époque des caractères primitifs.

S. Jérôme a été mieux placé que personne pour mesurer toute l’étendue de ces divergences, et en diminuer le nombre parl’élimination de celles qui tenaient aune erreur de copiste. Ilavait à sa disposition les Hexaplet d’Origène, une œuvre de la première moitié du m" siècle. Cet ouvrage, le plus gigantesque de toute l’antiquité, devaitcompter environ io.ooo pages. Nous ne le connaissons aujourd’hui que par les citations des anciens (relativement peu nombreuses, cf. Fibld, Origenis Hexaplorum qnæ supersunt, Oxonii, 18671 8t5) et par deux fragments du texte, récemment découverts à Milan et au Caire. S. Jérôme est allé plus d’une fois à Césaréede Palestine pour consulter l’exemplaire original des Hexaples, qui était dans la bibliothèque decette ville. Apol. c. Itufin, 111, 12 ; f ».£., XXM, 465 ; DeViris ill., liv ; P. L., XXIII1, 665 ; Comment, in Psalm., édit. de D. MoaiN.dans Anecdota Maredsol., III, i, p. 5 (an. 18g5). Il pouvait lire sur six colonnes parallèles, et comme dans un tableau synoptique, le texte hébreu, sa transcription en c iractères grecs, la version grecque d’Aquila, celle de Symmaque, la recension faite par Origène(au moyen de l’édition courante des lxx, de l’hébreu et des autres versions grecques), enfin la version de Tbéodotion. Les livres poétiques, notamment Job et les Psaumes, étaient écrits sur huit colonnes et même davantage, selon qu’on ajoutait une cinquième, une sixième, ou une septième version grecque.

Dans les Hexaples, la colonne la plus importante était la cinquième, qui contenait les éléments de ce que nous appellerions de nos jours « une édition critique ». En réalité, on lui donne le nom d’édition hexaplaire, parce que le but d’Origène n’avait pas été d’établir un texte, mais de mettre sous les yeux du lecteur les nombreuses variantes présentées par les différents témoins de ce même texte. Tout ce que les Septante ont en plus du texte hébreu était marqué d’un obèle ou broche, tout ce que le texte hébreu a en plus des Septante était signalé par un astérisque. Le tout était encore surchargé de leçons prises des autres versions grecques, et notamment de Théodotion. Malheureusement, dans les nombreuses copies qu’on (il de l’édition hexaplaire, les signes diacritiques, portés par l’original, furent brouillés ou même complètement omis. Dans ces conditions, l’œuvre d’Origène devenait la pire corruption du texte des Septante. Or, ces transcriptions fautives s’étaient, avec le temps, tellement multipliées, qu’il y en avait dans toutes les Eglises. Même correctement reproduite, la recension hexaplaire pouvait facilement induire en erreur, et donner à croire qu’elle représentait le texte traditionnel des Septante (xoarh é/50t< ;). S. Jérôme en avertit ses amis d’Occident, y compris S. Augustin. Epist., cxii, n. 19 ; P.L, XXII, 938 ; cf. Auo., De Civit., XVIII, c. xlih PL, XLI, 1604. A ce propos, il leur apprend, s’ils l’ignorent, qu’il y a par le monde chrétien trois familles de manuscrits, ayant la prétention de porter le texte authentique des Septante ; elles se réclament

respectivement d’Hésyhius d’Alexandrie, de Pamphile de Césarée en Palestine, de Lucien d’Antioche, celle qu’on appelle ordinairement l’édition commune (xoivj] « as »  » ;). Ces recensions datent toutes de la lin du 1 1 ie siècle et du début du 1 v. La première fait autorité en Egypte, la seconde en Palestine et la troisième en Syrie, d’Antioche à Constantinople. Jérôme met ses lecteurs en garde contre lapremière et la troisième il garde son estime pour la seconde, parce qu’elle dérive d’Origène et que les copies qu’on en a prises ont été exécutées sous les yeux de Pamphile et d’Eusèbe, notamment les 50 exemplaires que lit faire l’empereur Constantin, pour être distribués aux églises de Constantinople. Sur toute cette question de la recension hexaplaire, il faut lire les récents travaux du P. Vaccari, S. I. Notamment Biblica, ’9 2 7 » P- 463-468, échange de vues avec le Docteur A. AUgeier. — De vir. ill., lxxxii ; P. L., XXIII, 690 ; Præf. in Paralip., P.L., XXVIII, 13a4 ; Epist., evi ad Sunniam et Fretel. ; P. L., XXII, 33^ ; Epist. Novum opus ad Damas., P.L., XXIX, 527 cf. ; Auo., De Civ. Dei, XVIII, xliii ; P. L., XLl, 603.

Les Septante jouissent aujourd’hui d’un regain de faveur. Témoin ce professeur allemand, qui disait naguère dans sa harangue inaugurale : « Messieurs les étudiants, vendez tout ce que vous possédez pour acheter une bonne édition des Septante. »

3. A plusieurs reprises, S. Jérôme cite, dans son Liber hebraicarum quæstionum, le Pentateuque samaritain. P. L., XXIII, 945, 947 Le P. Cornely, Introd. gêner, in. U. T. libros sacros, edit. ait. 1894, p. 266, 268, estimait que S. Jérôme, tout comme Origène, entendait parler du texte hébreu écrit en caractères samaritains et conservé à Sichem (JProl, galeat., P. L., XXVIII, 549). De son côté, Field, {Origenis Hexaplorum quæ supersunt, Proleg., p. lxxxiii), avait conjecturé que Jérôme citait d’après les Hexaples, où quarante six fois™ "Lxpy.pcnv.dv désigne une version araméenne du Pentateuque samaritain. Le récent éditeur de l’Introduction abrégée du P. Cornely (1927), le P. Aug. Merk, est d’avis que c d’après les fragments des Hexaples découverts récemment en Egypte, il est manifeste qu’il s’agit d’une version grecque du Pentateuque samaritain » (p. 147)- Qu’il s’agisse d’un usage médiat ou immédiat, il reste que S. Jérôme a utilisé le document samaritain.

Une appréciation plus exacte des sources auxquelles S. Jérôme a puisé, pour conduire à bien sa version de 1’A. T., se pourra faire à mesure que la critique textuelle nous donnera des éditions plus sûres. On ne doit pas oublier que le plus ancien témoignage direct du texte hébreu ne remonte pas au delà du ix* siècle de notre ère. C’est un manuscrit copié en 895 par Moïse ben Asher, et qui se voit aujourd’hui dans la synagogue karaïte du Caire. Encore ne contient-il que les Prophètes. Les autres manuscrits, plus jeunes, sont peu nombreux et insuffisamment étudiés. Pour toute la période antérieure, des origines à notre haut moyen âge, le texte hébreu n’a d’autre témoin que les traductions qu’on en a faites : la version de S. Jérôme (notre Vulgate) à la lin du iv’siècle, la version syriaque (celle qu’on appelle dès le ixe ou xe siècle Pesiltâ, simple, commune ) au n’siècle, les Septante aux temps qui ont précédé immédiatement l’ère chrétienne.

Il n’existe pas, pour le texte hébreu de l’A. T., d’édition critique proprement dite, à moins qu’on ne donne ce nom à celle qui a été publiée par David Ginsburo, en deux volumes, Londres, 1894 ; Vienne, 1906. — Ln version grecque des Septante a eu de nombreuses éditions, dont les meilleures sont : l’édition 1959

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1960

romaine, fuite par l’ordre du pape SrxTR V, et établie surtout d’après le codex Vaticanus.Rome, 1586-1587 ; l’édition de Cambridge par H. B. Swbtb, en 4 vol., dont uue impression nouvelle, plus complète, ooj enlin, et toujours à Cambridge, Alla.n EnglandBkooue et Nohma.n Me Lban ont commencé, en 1906, une nouvelle édition, The Old Testament in Greek according lo the Text of codex Vaticanus. — On prépare les matériaux d’une édition critique de la Pesitta syriaque ; et, en attendant, qu’il sullise Je signaler la plus récente édition usuelle en 3 vol., publiée par les Pères Dominicains de Mossoul (1887-1893) — On sait que le pape Pib X a, en 1009, contié aux Bénédictins la mission de restituer le plus tldèlemenl possible la version de S Jérôme. Le premier volume, contenant la Genèse, vient de paraître : Biblia sacra iuxta Lalinam Vulgatam Versionem, ad codicum lidem… édita. Librum Genesis ex interpretatione S. Hieronvmi recensait D. Henr. Qubntin, Romae, 1926. Le texte latin y est divisé par cola et commala. La prétention des éditeurs n’est pas de restaurer l’original, maisl’archétype des mss. conservés, qui sont, pour la Genèse, l’Amiatinus, le Turonensis et YOttobonianus.

L’histoire de la transmission du texte de S. Jérôme jusqu’à nos jours déborderait les limites de cet article. D’ailleurs, cette histoire existe, Kmjlen, Geschichte der Vulgata, Mayence, 1868. On la trouvera exactement résumée, siècle par siècle, dans uneétude consciencieuse de M. l’abbé E. Mangenot, Dictionnaire de. la Bible (Vigouroux), t. V, col. a465-2500.

Ceux qui s’intéressent à l’histoire des manuscrits de la Vulgate liront avec intérêt : S. Berger, Histoire de la Vulgate pendant les premiers siècles du Moyen âge, Paris, 1 898.

B. Nouveau Testament. — 1. S. Jérôme et S. Augustin s’accordent pour déplorer le désordre des textes latins du N. T. vers la (in du ive siècle (Voir plus haut, c. n152). Même en admettant que la formule de S. Jérôme, toi exemplaria quot codices, soit paradoxale, elle signifie tout au moins qu’ici la diversité était bien plus sensible que dans les textes grecs. Le saint Docteur assigne à cet état des textes latins trois causes : erreurs des traducteurs malhabiles, altérations pires encore des corructeurs présomptueux, additions ou changements introduits par des copistes négligents. CA.Præf.Novumopus, ad pap. Damasum ; P. !.., XXIX, 5a5. C’est ce que répéteras. Augustin dans son traité De doclrina Christian », II, xi, 16 ; P. L., XXXIV, 42-43. « Latinorum interpretum iniinita varielas… Ut enim cuique, primisfidei temporibus, in manus venit codex græcus, et aliquantulnm facuitalis sibi utriusque linguæ habere videbatur, ansus est interpretari. »

De ces témoignages concordants nous pouvons tirer une triple conclusion : 1° A l’origine, il y a eu plusieurs traducteurs latins, peut-être autant que de livres, ou peu s’en faut. Ils ont agi sans mission et indépendamment les uns des autres ; 2° Avant S. J. ; rùme, il y a eu des essais de recension (officiellement ou non) dans le but d’améliorer et d’unifier les versions latines ;.’5° Des copistes (librarii, ceux dont le métier est de reproduire les textes pour les vendre) ont fait des additions ou des remaniements auxcxemplaires latins. Dans quel but ? Pour la commodité des lecteurs, et conséquemment dans l’intérêt de la vente. Ils ont complété le texte d’un évangile, saint.Marc par exemple, par les textes parallèles deaaatiei, Matthieu et Luc (Cf. Præf. Novum obus, ad Dam., 1. c.) ; bref, quelque chose d’analogue nu Diatessaron deTalicn. Ce n’est pas là une pure conjecture. Le codex Fuldensis (F), écritauvi s. pour

Victor de Capoue, mais portant un texte plus ancien, a été conçu d’après l’harmonie de Tatien ; seulement on y a substitué la Vulgate à la place d’une version latine préhiéronymienne, qui figurait dans le manuscrit reproduit par le copiste. S. Jérôme conjecture que certaines déviations du texte original remontent aux premiers copistes. Comment, in Matth., 11, "> : m 3, P. L., XXVI, aO, 29.

La perturbation survenue dans les textes a bien pu avoir encore d’autres causes ignorées de S. Jérôme lui-même, si près qu’il fût des sources. C’est ainsi, par exemple, qu’après avoir constaté que l’usage ecclésiastique a substitué, pour le livre de Daniel, la version du juif Théodotion à celle des Septante, il ajoute : « Et hoc cur acciderit nescio. » Præf. in Daniel. , P. L., XXVIII, 1291.

2. Comment s’y prendre pour débrouiller ce chaos ? En principe, par « le retour aux sources grecques », dit S. Jérôme. Pratiquement, pour se conformer aux vœux du pape Damase, il s’est contenté d’amender un texte latin, en le comparant avec les autres, et surtout en le collationnant sur le texte grec. Mais quel texte latin a-t-il choisi comme point de comparaison ? D’avance, on pouvait conjecturer que ce texte avait été celui dont on se servait alors dans la liturgie romaine ; elles études des spécialistes, faites à ce sujet, sont venues confirmer l’hypothèse. Les critiques s’accordent aujourd’hui pour diviser les vieux textes latins du Nouveau Testament en trois familles : africaine, italienne et européenne. Laissons de côté les textes africains, plus altérés que tous les autres, et, à cause de cela, moins estimés, peut-être même assez peu connus de S. Jérôme.

Oa tient généralement que les textes italiens, ceux dont on se servait à Rome pendant la seconde moitié du ive siècle, représentaient une revision des textes dits européens (Gaules et Espagne), faite au cours du siècle précédent. C’est de l’un de ces textes italiens quj saint Augustin aurait écrit : « In ipsis autem interpretationibus itala cæteris præferatnr, nam est veiborum tenacior cum perspicuitate sententiae. » (De doctr. christ., II, xv, n. 22 ; P. L., XXXIV, 4") Que le mot itala soit ici authentique et ne provienne pas d’une faute de copiste, on peut croire que le saint Docteur a entendu caractériser la revision hiéronymienne des Evangiles. Sur ce point du moins, F. C. Buriutt, Old Latin and Itala, 1896, p. 56-65, semble avoir raison. Il n’est guère vraisemblable que dans un ouvrage commencé en 397, et donc quatorze ans après la correction de S. Jérôme, l’auteur du De docirina cltristiana donne encore ses préférences (et en quels termes !) à un de ces textes dont il a écrit lui-même qu’on ne les cite qu’en tremblant (voir plus haut col. 1952) ; alors surtout qu’il a félicité le reviseur romain d’avoir fait œuvre parfaite, équivalant à une traduction nouvelle. Mais le texte d’Augustin demeure suspect. Voir A. d’Alès, Vêtus Romana, dans Riblica, 1923, p. 56 sqq. ; et Xovatien, p. 3a sqq. ; Paris, iga5.

Pour amender ou perfectionner le texte italien, Jérôme, fidèle à son principe du « retour aux sources », le compare d’abord avec l’archétype grec dont ce texte lui-même dépendait par l’intermédiaire du type européen, usité depuis le second siècle dans les Gaules, où ses missionnaires venus d’Asie mineure, Pothin et Irénée, l’avaient apporté. De là les affinités de notre Vulgate avec le texte dit

« occidental » (représenté par D), et par lui avec

la version syriaque primitive. Cependant, Jérôme exerce sur ces vieux textes une critique judicieuse. Si, en dépit du témoignage de B^, il maintient dans la version latine le récit de la femme adultère 1961

VULGATE LATINE ET S. JEROME

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lu., vii, 53- viii, 11), et la linale de S. Marc (xvi, 9-30), qui mail jiuiient textes africains et

dans quelques- uns île ceux qu’on lisait en Europe et même en Italie, il s’est gardé d accepter certaines is suspectes, qui trouvaient cependant en leur faveur des attestations fort anciennes en Afrique et dans les Gaules, par exemple natus est, au lieu de nal : su’it (/ a-i, 1, 13).

Eu somme, les critiques modernes, sont unanimes à convenir que la révision ltiéron ymienne du N. T., tout au moins en ce qui concerne les Evangiles, a ramené la version latine tout proche du type des textes grecs estimés les meilleurs : I>ftL et incidemment D. Il faut aussi tenir compte de l’apport subsidiaire d’un autre type de texte.-, qui n’a pas encore été retrouve ; mais dans cette direction les découvertes reculent tous les jours davantage les limites de l’inconnu. Dans son Dialogue contre les Pélagiens, II, xv ; P. L., XXIII, 550-55, S. Jéiùme citait une addition à Marc, xvi, 1 4, qu’il lisait « in quibussjotmplaribus, et maxime in grateis codîeibua ». Or, il y a une vingtaine d’années nous ne connaissions encore aucun manuscrit, ni grec, ni latin, portant cette addition. Mais m Américain, M. I’"hker, a découvert et acquis, en 1906, un manusorit (dans von Soden, oi$) où se lit littéralement la citation de S. Jérôme.

La tradition patristique suivie par S. Jérôme est excellente ; celle-là même qui a aujourd’hui la confiance des maîtres de la critique textuelle du N. T. : Wescott-Hort, Yordsworth-Yhite, vonSoden, Nestlé, etc. Les textes de provenance alexandrine ont eu ses préférences, non pas eeux qui ont été contaminés par Hésychius, mais les textes portant les leçons suivies par Origène et Piérius. Cf. Comment, in Matth., xxiv, 36 ; in Epist. ad Galat., ii, 1 1 ; P. L., XXVI, 181-35ç). On assure que dans sa recension du N. T. « il ne se trouve aucune des leçons propres aux textes corrigés ou plutôt falsifiés par Lucien d’Antioche ».

Tout ce que nous venons de dire ne doit pas s’entendre uniformément de chacun des livres du X. T. S. Jérôme nous a avertis lui-même que sa revision des Psaumes, faite à Rome en 882, fut hâtive et incomplète (cursimel magna ex parte). Pour Matthieu, Marc et la première moitié de Lue, le travail a été soigné ; on dirait que, pour le reste, le reviseur s’est borné à polir le style. Dès lors, on s’explique que dans Matth., vi, 11, il corrige colidianum en supersubstantialem, et laisse telle quelle l’ancienne traduction dans Lac, xi, 3. La revision des Actes a été conduite d’après les témoins de la tradition orientale XBC, comme on peut s’en convaincre en suivant le texte dans YAmiatinus et le Fuldensis. Les Epitres ont été encore moins retouchées. Quant à l’Apocalypse, elle figure dans notre Vulgate telle qu’elle était dans l’ancienne version latine.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue l’observation générale faite par H. J. AVhitb dans le Diclionarj of the Bible d’IIastings, IV, 883, B : « Etant donné que tous les mss. de la Vulgate sont tellement contaminés par la mixture d’éléments étrangers (anciens textes ou corrections postérieures), il est impossible de faire choix d’un ms., ou même d’un groupe de mss., et do le suivre jusqu’au bout. Il y a des cas, aussi bien pour les Evangiles que pour les Actes, où un groupe est clairement suivi dans un verset, et clairement délaissé dans le suivant ; il y a des cas où une erreur évidente de copiste, et même une leçon confluente, s’est perpétuée dans tous les manuscrits connus de la Vulgate. Il n’existe pas un seul manuscrit qui conserve d’un bout à l’autre un type consistant de texte. »

C’est une difficulté que la critique textuelle diminuera tous les jours, comme l’a remarqué le P. Laghamc.k à propos de la version du quatrième évangile.

« La Vulgate, telle qu’elle est sortie des mains de

S, Jérôme, contenait assurément une tradition excel-Telle qu’elle a été éditée par WordswoTth < t YVhile, elle se rapproche, plus que laVulgate clémentine, des éditions grecques critiques. C’est déjà un excellent nettoyage ; quoique, dans certains cas, il n’y ail pas à regarder le texte des savants anglais comme plus conforme au grec original. » £’selon S. Jean, i(ja5, p. clxxxvi.

Au XVIIIe siècle, le bénédictin D. Sabatier avait essayé de reconst : tuer la version latine primitive avec les manuscrits qu’on connaissait alors, et surtout par les citations des auteurs ecclésiastiques des cinq ou six premiers siècles. BibHorum sacrortun lutinae versionis anliquae, seu Vêtus Itala, Remis, 1 73q17^9. Dans la Patrologie latine de Migne, t. XII, ont été reproduits les manuscrits que l’on croit porter le texte de cette ancienne version. Ce’.te publication a été reprise, plus complète et d’après les principes d’une meilleure critique, dans la collection Old latin Texl.-i, Oxford, commencée en 1883, sous la direction de W.Sanday, J.Wordsw >rtij, H. J.Whitr et E. S. BucnANAN. Cf. larevue.E<Krfes, 18< ;)/|, t. LX1I1, p. 53g.

— Quant au texte de la version hiéronymienne du N. T., deux doctes anglicans d’Oxford, J. Wordsv rlh et II. J.White ont passé leur vie à en donner une édition critique : Novum Teslamentum D. N. lesu Christi latine secundum editioncm sancti Ilierunvmi, Oxonii, 1889. Les résultats de ce grand ouvrage ont été condensés dans une édition manuelle par l’un des éditeurs, IL J. White, en 1911. Le toutaété utilisé par E. Nkstle, Novum Testamentum, græce et latine, Stuttgart, edit. 4 a > 1912.

3. La méthode. — Traduire, c’est interpréter un texte, non par des développements, mais par le choix heureux d’un mot de langue différente, dans lequel on transvase le sens de l’original. Une version est de tous les commentaires le plus difficile. Or, un commentaire se fait en deux moments. Le premier, qui est comme une étape préliminaire, consiste à s’assurer qu’on a bien dans les mains le texte inaltéré. C’est la critique textuelle. Le second moment est de celui de l’exégèse, ou expression du sens.

« Post expensam, ubi opus est, omni industria lec—

tionem, tune locus eril scrutandue et proponendae sententiæ. » (Encycl. Leonis XIII, Prooidentisnim.ua Deus). S. Augustin (De doclr. christ., II, xiv, n. 21 ; P. L., XXXIV, 46) avait déjà formulé cette loi élémentaire : a Codicibus emendandis primitus débet invigilare solertia eorum qui Scripturas divinas nosse desiderant, ut emendalis non emendati cédant. »

a) La critique textuelle a beaucoup progressé au cours des quatre derniers siècles. Elle s’est surtout exercée sur la Bible. On aurait tort cependant de la présenter comme une invention moderne. Certes, grâce à l’imprimerie, à la photographie, à la création de vastes bibliothèques, la critique trouve à sa portée plus de textes que n’en avait S. Jérôme. En comparaison des bibliothèques de nos capitales (Londres, Paris, Berlin, Home, etc., comptant chacune plusieurs millions de volumes), la bibliothèque d’Alexandrie, une des merveilles du monde antique, peut paraître peu de chose ; et beaucoup moins encore celle de Césarée en Palestine, avec ses 50.ooo volumes. Cependant, c’est ici surtout qu’il faut se souvenir de l’adage : non numerantur, sed ponderantur, La qualité des témoins importe plus que le nombre. Nous l’avons déjà dit, S. Jérôme a entendu plus de témoins indépendants que nous. Mais pmit1963

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I961t

être n’a-t il pas su les interroger aussi bien qu’on fait de nos jours ? Voyons-le à l'œuvre.

L’auteur de notre Vulgate n’a jamais cessé de réclamer contre la t simplicité des Latins », qui font confiance à la version des Septante contre le témoignage du texte hébreu. Cependant, la diversité même des textes latins qu’ils lisent devrait les mettre en garde. Ce n’est pas qu’il se fle, sans réflexion, à ce qu’il lit dans le texte hébreu qu’il a sous les yeux ; un regard jeté sur Aquila, Symmaque, Théodotion lui permet de se rendre compte si ces traducteurs du h 8 siècle ont lu de même.

Tout comme un Tischendorf, S. Jérôme sait quelle œuvre de patience et de jugement est la vérification d’un texte. Epist., xxxi, n. i ; /'. Z..XXII, l ! fi ; cf., in lob, Prae/., in Paralip. Dans ce dernier passage, il nous apprend qu’avec la collaboration d’un Juif de Tibériade, très estimé des siens, il a collalionné les Paralipomènes « a vertice usque ad extremum unguem ». Qu’on dise ce qu’on voudra, en matière de généalogies bibliques, j’ai plus de confiance dans ce Juif deTibériade que dans les hébraïsants de Paris et de Berlin. Mais c’est surtout dans la préface du Commentaire de V Ecclésiaste, P. L., XXIII, 1009101a, qu’il se laisse voir au travail. Il a le texte hébreu sous les yeux, et il le traduit directement, h sans suivre les travaux de personne ». Ce n’est pas qu’il fasse G du sentiment des interprètes juifs, au coutraire il interroge les rabbis qui l’entourent sur les traditions de leurs écoles. Comme le traducteur ne se propose pas tant sa propre utilité que celle du peuple chrétien, il veille à ne pas heurter inutilement ses habitudes. Dans ce but, S. Jérôme ne s'écarte des Septante que lorsque le sens du texte original l’exige (de hebræo transférais, magis me l.XX interpretum consuetudini coaptavi, in Itis dumtaxat quæ non multum ab hebraicis discrepabant). Le voici aux prises avec le v. 8 du ps. iv. En jetant les yeux sur l’original même des Hexaples d’Origène, il constate : d’une part, que dans plusieurs psautiers, grecs et latins, on lit : et olei eorum (ou ski) ; et d’autre part, que ce membre de phrase ne répond à rien dans l’hébreu, et qu’il manque même dans l'édition authentique des Septante (née in hebræo, nec in cæteris editionibus (Aq., Sym., 'Jheod.), nec apud ipsos quoque Septuaginta interprètes repperi). Cf. Comment, in Psalm. (édit. D. Morin), dans Anecd. Maredsolana, III, i, p. 12.

b) Les principes qui l’ont guidé dans la traduction elle-même, S. Jérôme les a exposés à maintes reprises, mais notamment : Prolog, galeat., P. /,., XXVIII, 557, où il donne la traduction des Livres des Rois comme le meilleur exemple de sa manière ; Epist., cvi, ad Sunn. et Fretel. ; P. L., XXII, 83^807 ; Epist., lvii ou Libellas de optimo génère interpretandi, P. L., XXII, 568-679 ; mais il ne faut pas perdre de vue que dans ce traité S. Jérôme est conduit par des préoccupations apologétiques : il écrit pour justifier sa traduction latine de la lettre de Jean, évêque de Jérusalem, qui avait soulevé contre lui une véritable tempêle. Voir encore Epist., xxxn ad Marcel., P. L., XXII, /, 46. — Sur S. Jérôme traducteur, les modernes ont publié plusieurs monographies. Qu’il suffise de renvoyer à Hobbro, De S. llieronymi ratione interpretandi, Bonn, 1886 ; A. Conjjamin, Recherches de Science religieuse, 191 1, n" 5 ; 1912, n. 2.

On peut ramener l’essentiel à deux chefs : sa traduction est fidèle et littérale, mais sans servilité.

Aux attaques de ses adversaires, incompétents, il est vrai, puisqu’ils ne savaient pas l’hébreu, mais qui le traitaient néanmoins de « faussaire » (P.L., XXV, 4a4> 44 »), S. Jérôme répond qu’il a entendu

traduire fidèlement les textes, et qu’il pense y avoir réussi. « Mihi omnino conscins summe non mutasse quidquam de hebraica veritate. ri Prol. galeat., XXVIII,.JÔ7-5J8 ; Prolog, du Comment.de l’Ecclés.', XXIII, ion. Avant tout, il s’attache au sens, car tel est le devoir rigoureux de tout traducteur. Cependant, il se garde de ce qu’il appelle la xetxeÇiJJtfoy ; il ne poussera pas la liltéralité au delà de ce qu’ont fait les auteurs inspirés du N. T., quand ils citent l’Ancien. C’est là une considération qu’il développe avec complaisance dans son Libellus de optimo génère interpretandi. Une littéralité servile écarte du but de toute version, qui est de rendre un lexte compréhensible à des lecteurs ignorants de la langue dans laquelle il a été composé. A cet effet, il faut, tout en gardant le sens, substituer le style, familier au lecteur, à celui de l’original. « Non debemus sic verbum de verbo exprimere ut, dtim syllabas sequimur, perdamus intelligentiam. » P. L., XXII, 847 D’autant plus, que tout lecteur, voulant être respecté, entend qu’on lui présente une version écrite dans le génie même de sa langue. Ibid., 856.

Est-ce à dire que S. Jérôme efface de sa traduction les hébraïsmes, locutions ou tours de phrase qui sont propres à l’hébreu ? Non, il faut lui être reconnaissant d’avoir maintenu ces idiotismes, à travers lesquels nous entrevoyons la force et la beauté de l’original. Cependant, même ici, il ne s’est pas astreint à un procédé uniforme et absolu ; dans quelques passages, il a eu la hardiesse de traduire un hébraïsme par une locution mythologique, intelligible seulement aux Grecs et aux Romains. C’est ainsi qu’il écrit « Acervus Mercurii », Prov., xxvi, 8 ; Fauni, 1er., l, 3g ; Lamia, onocentauri, Isaïe, xxxiv, 14 ; Aruspices, lV Rois, xxi, 6. Pas n’est besoin de faire observer que ces allusions à la mythologie sontpurementde style, comme les dénominations que nous donnons encore aux jours de la semaine : jour de la Lune, jour de Mars, jour de Mercure, etc.

Le style de notre Vulgate est plus relevé que celui de la version latine primitive, elle se rapproche de la langue qu’on parlait dans les milieux cultivés. Cependant, à l’occasion, quand une nuance de sens le comporte, le traducteur ne craint pas d’employer certaines formes grammaticalement incorrectes, mais autorisées par l’usage qu’on en faisait dans la langue familière ; grossitudo, III Pois, vu, 26 ; sinceriter, Tohie, iii, 5 ; odientes, II Rois, xxii, 41 ; ' cubitos au lieu de cubita, Exod., xxv, 17. Il sait qu’on lui en fera une querelle, mais d’avance il répond : « Non curæ nobis est vitare sermonis vitia, sed Scripturæ sanctæ obscuritatem quibuscumque verbis disserere. » Comment, in Ezech., xi., 5 ; P. L., XXV, 378. Avouons que cubita eût été aussi clair que cubitos.

On n’a pas manqué de relever dans la version hiéronymienne une sorte d’inconséquence : pourquoi un même mot hébreu n’y est-il pas uniformément rendu par un même mot latin ? Le nom hébreu de l’arche d’alliance, ohél mo’ed, qui revient 13u fois dans le Pentatcuque est traduit de sept manières différentes : tabernaculum, tubernaculum foedetis, labevnaculum testimonii, etc. Cf. Cornki.y, Introd. generalis, I, n. 165 ; A. Condamin, Misctllanea Geronimiana, p. 91.

On a reproché à S. Jérôme d’avoir mis une confiance excessive dans le texte hébreu, de s'être laissé influencer indûment par les traditions talmudiques, d’avoir donné un caractère messianique à des textes d’un sens incertain, ou même nettement étranger à cet ordre d’idées ; enfin d’avoir travaillé trop vite. Reprenoni. 1965

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1966

i° On peut convenir que S. Jérôme a excédé dans la préférence systématique qu’il donne au texte massorétique, quand il ne s’accorde pas avec la version grecque des Septante ; mais il est en cela excusable. Toute réaction devient vite, et comme fatalement, excessive. Le nouveau traducteur avait affaire à des adversaires dont l’incompétence et la routine l’irritaient. Il a surtout protesté contre le sentiment, alors assez commun, de l’inspiration des Septante ; car ce préjugé rendait impossible toute tentative de « retour aux sources ». Nous savons aujourd’hui que l’avenir devait lui donner raison. D’ailleurs, nous avons dit plus haut (col. ig53-4)iCTa’il tient compte des Septante, et qu’il reconnaît aux autres le droit de s’en servir. Lui-même suit le texte des Septante quand il commente l’Ecriture, ses commentaires et ses homélies en font foi. Pouvait-il procéder autrement ? Il savait bien que sa propre traduction n'était pas encore un texte public, ni encore moins officiel.

D’ailleurs, son attitude vis-à-vis des Septante a manqué de consistance, faute de conviction ou de courage. Tantôt il dit ou semble dire que les auteurs inspirés du N. T., qui connaissaient les lxx, citent néanmoins l’Ancien Testament d’après le texte hébreu ; ce qui est de nature à jeter du discrédit sur la version grecque. Tantôt, au contraire, il met les défectuosités de cette même version au compte des copistes ou correcteurs, qui en ont altéré le texte primitif, a Si LXX interprétant, pura et ut ab ois in græcum versa est, editio permaneret, superflue nie, Chromati…, impelleres ut hebræu tibi volumina latino sermone transferrem. » Præf. in Paralip., P. L., XXVIII, 13a3.

Ou doit se garder d’entendre de la version des Septante les critiques que fait S. Jérôme des versions d’Aquila, de Symmaque et de Théodotion. Œuvre du n c siècle de notre ère, ces nouvelles traductions avaient eu précisément pour but de réparer le mal fait au judaïsme par les « traducteurs alexandrins », le jour qu’ils avaient livré aux Grecs les mystères de l’Ecriture.' Ce jour, commémoré tout d’abord par un festival, fut par la suite consacré à un jeûne d’expiation.

Les apologistes chrétiens du n' siècle, notamment Justin, Irénée, Tertullien, ont accusé les trois traducteurs judaïsants d’avoir, à dessein, atténué ou même altéré les prophéties messianiques ; et S. Jérôme lui même est de leur avis. Ce n’est pas que les textes (une demi-douzaine), apportés par les apologistes en preuve de leur assertion, soient tous probants. On peut, par exemple, contester que le mot hébreu almah (/saie, vii, 14), ne comporte pas la traduction » sôa>ti, puella, (au lieu de r.a.pBivoi, lxx.), et qu’avec elle soit exclu le sens messianique donné à cet oracle par l Evangile (Mutth., i, a3) ; mais, en revanche, il faut convenir que dans le ps. xxi, i- la leçon authentique est bien Kâaru, et que les lxx l’ont traduite exactement par tipuÇav, foderunt. S. Jérôme semble faire exception pour Aquila, dont il a écrit : t interpretatus est ut christianus », mais ailleurs il dit le contraire (P. /.., XXII, 4^6-457).

Encore que S. Jérôme n’ait pas estimé les Septante à toute leur valeur, et que son œuvre s’en ressente, il serait injuste de voir en lui un adversaire aveugle de leur traduction.

2° Par traditions « talmudiques », on entend ici celles que les encyclopédistes juifs commençaient, précisément vers la fin du ive siècle, à consigner dans la collection qui devait porter le nom de Talmud. Ces traditions accompagnaient depuis longtemps l’exégèse rabbinique delà Bible. S. Jérôme les tenait des savants juifs, qu’il avait choisis pour maîtres. Elles ont influencé sa version, mais si

rarement qu’elle n’en reste pas déparée. Le cas le plus saillant est la double traduction de Gen., xi, 2& et de II Esdraa, ix, 7. L’hébreu de II Esdras, L r Kusdini, est traduit d’abord par Ur Ghaldæorum (c’est la traduction correcte du nom de la ville où était Abraham) ; et ensuite par igné Chaldavoi um, d’après la tradition juive, qui veut qu’Abraham ait été jeté dans le feu par ses concitoyens, parce qu’il avait refusé d’adorer les idoles. Dans ses Quæst. hebr. in Gen., P. I.., XXIII, g56, S. Jérôme traite de « fable » cette tradition, mais ailleurs il écrit :

« Vera igitur Hebræorum traditio ». Ce qui nous

donne le droit de conclure qu’il n’avait pas de sentiment ferme à ce sujet, et qu’il n’y attachait < ; ue peu d’importance.

3° Il est exact que, pour des préoccupations de polémique, et peut-être aussi pour rendre sa version plus appréciable aux catholiques, S. Jérôme a précisé plus que de juste certains textes messianiques, notamment dans Isaïe, xi, 10 : Et erit sepulcrum rjus « loriosum ; xvi, i : Emitte agnum dominatorem terræ ; xlv, 8 ; Nubes pluant iustum ; li, 5 : Pi ope est iustus, egressus est salvator. Et ailleurs : Jérémie, xxxi, 2a : Et femina circumdabit virum, etc. En lisant ses commentaires, on s’aperçoit que dans les textes cités il suit une opinion ou même substitue son sentiment personnel à l’opinion commune, si toutefois il existait déjà une opinion commune. Il a, comme tout le monde, payé tribut à l’infirmité humaine. Quandoqtte bonus dormitat Homerus.

4° Que S. Jérôme ait travaillé trop vite, c’est lui-même qui nous en avertit ; mais le cas n’est pas fréquent, et encore se présente-t-il dans des conditions qui le rendent excusable. Il a traduit en trois jours les livres de Salomon (Prov., Eccl., Cantique), le livre de Tobie ne lui a demandé qu’un jour, et Judith une nuit. D’abord, faisons la part de l’exagération oratoire qui lui est assez familière ; et, ensuite, prenons la peine de peser les mots dont il se sert. Dans la Préface de Tobie, il écrit : « Utriusque linguæ (hébreu et chaldéen) peritissimum loquacem (un des Juifs, ses maîtres), reperiens, unius diei laborem arripui, et quidquid ilte mihi kebraicis verbit expressit, hoc ego, accito notario, sermonibus latinis expressi. » Mais il ne nous dit pas ce que lui a coûté de temps l'étude qui a précédé cette dictée. Le livre de Tobie compte 275 versets, et chacun de nos versets représente trois ou quatre lignes des manuscrits d’alors. Ce qui répond assez bien au renseignement que S. Jérôme nous donne ailleurs (P. L., XXVI, 477), où il se flatte d’avoir diolé parfois mille lignes en un jour. Son traité Contra Vigilantium a été pareillement dicté en une nuit (P. L., XXIII, 352), mais il n’est pas dit qu’il ait été composé en si peu de temps. On peut croire que S. Jérôme a préparé lentement et à bàtonsrompusla traduction des « livres de Salomon » pendant la longue maladie qui précéda l’année (3g8) où il les dicta. Præf. in libr. Salom., P. L., XXVIII, ia41 ; Epist., lxxi, n. 5 ; et lxxiii, n. 10 ; P. /.., XXII, 671, 681. Ce n’est pas de sa traduction, mais de certains de ses commentaires ; que S. Jérôme a écrit « qu’il avait dicté tout ce qui lui venait sur le bout de langue », tant pour satisfaire le lecteur, curieux de connaître les opinions des divers commentateurs, (c. Ru fui., I, 22, II, n ; lu lerem. Prol. ; P. !.., XXIII, 415, 465 ; XXIV, 681), que pour calmer l’impatience du tachygraphe, qui supporte mal qu’on le fasse attendre. Ah ! les tachygraphes, de combien de faute* ils sont responsables ! Epist., xxi, n. 42 ; P. /-., XXII, 3 9 4.

En défendant S. Jérôme des reproches qui lui ont 1967

VULGATE LATINE ET S. JEROME

1968

été faits, loin de nous la prétention de déclarer sa version irréprochable. iViJ ab omni parte bealum. Ses plus décidés admirateurs en conviennent. On peut souscrire sans réserve au jugement du P. Cornely : Nævis suis S. lliaonymi versionem non careve fateamur oportet, nec eam omnibus numeris esse absolutam et perfectam ». Introd. gêner, in U. T. libros, n. 1 05.

4- Comment la version hiéronymienne est devenue notre Vulgate. — Malgré les quelques défauts qui la déparent, la nouvelle version fut favorablement accueillie dans tout le monde latin. Certes, comme Jérôme lui-même l’avait prévu, elle se heurta d’abord à l’opposition d’un grand nombre. Laissons de côté les adversaires qui en veulent à l’œuvre par antipathie contre l’auteur. C’est le cas de Ruûn et de toute la bande des incompétents, que Jérôme lui-même avait irrités par ses traits sarcastiques. Les seuls qui comptent ici sont ceux dont S. Augustin était le type honorable. L’évêque d’Hippone proclame la version du « prêtre Jérôme » docte, louable, utile même ; il s’en sert parfois dans ses écrits ; mais jamais il ne l’emploie pour la lecture publique. Episl., cuvm, ad Fortun., n. 13-i 4 > Epist., clxvii, n. 21 ; P. L., XXXIII, 628, 741. Son jugement délinitif se lit dans la Cité de Dieu, XVIII, xliii, n. 1 ; P. L., XLI, 603. Le passage a été écrit en 4aG, six ans après la mort de S. Jérôme et quatre avant celle de S. Augustin. « Les Eglises latines ont adopté la version des lxx, traduite en latin. Toutefois, de notre temps, il s’est trouvé un prêtre, le savant Jérôme, qui, très versé dans les trois langues, a traduit les Ecritures non du grec, mais de l’hébreu en latin. C’est là un docte travail. Mais, bien que les Juifs le reconnaissent fidèle (veracem), et qu’ils prétendent que les lxx se sont trompés en beaucoup d’endroits, néanmoins les Eglises du Christ accordent la préférence à l’œuvre de tant d’hommes choisis exprès par le grand prêtre Eléazar… » Suit l’éloge des Septante.

En dépit de l’opposition de S. Augustin, peut-être môme en partie à cause d’elle, la version nouvelle fut reçue avec faveur en Occident. C’est un fait remarquable que, dans les Gaules, tous ceux qui ne se mouvaient pas dans l’orbite augustinienne : Vincent de Lérins, Césaire d’Arles, Cassien, Sulpice Sévère, Eucher de Lyon, Grégoire de Tours, furent les premiers et les plus actifs propagateurs de la version hiéronymienne. Il est vrai qu’il faut en dire autant du grand auguslinien, Prosper d’Aquitaine. Nous avons déjà constaté (p. 11) que la seconde version du Psautier eut un tel succès dans notre pays qu’on l’appela le « psautier gallican ». A Rome, où Jérôme comptait tant d’amis, les choses n’allèrent pas si vile. La lenteur fait partie intégrante de la sagesse romaine. Un siècle et demi après la mort de l’auteur, l’unique version latine, faite immédiatement de l’hébreu, s’est encore si peu imposée à l’attention de ^ r ens d’Eglise, que le pape S. Léon le Grand(44<> 461) la cite plutôt comme un complément explicatif de l’ancienne traduction latine. Un siècle plus tard, S. Grégoire lb Grand (590-604) atteste que « le Siège apostolique se sert pareillement des deux versions ». Moral, in Job., epist. miss., 5 ; /’. L., LXXV, 516, A partir de ce moment, la substitution s’accélère. En 649, le concile de Latran cite d’après la version nouvelle. C’est l’époque où Isidorb de Sévillh (5^0-630) écrit : llieronymi edilione generaliter omnes ecclesiæ Uiquequaque utuntur, nro eo quod veracior ait in etntentiis el clarior in verbis ». De Officiis Ecclesiae, I, 1a ; /’. L., LXXXI1I, 7^8. Il parle surtout de ce qu’il a vu en Espagne. D’autre part, la

conquête en Angleterre est un fait accompli au vme siècle. Le Vénérable Bède (~ y’So) ne recourt que rarement à la version primitive (qu’il appelle VBterem t frisca.nC). C’està partir de cetteépoque qu’on commence à donner le nom de Vulgate à la version hiéronymienne, mais la dénomination ne lui sera exclusivement acquise qu’au xme siècle.

Hugues db S. Victor au XIIe s. (P. L., CLXXV, 17), et Rogrr Bacon au xin* (Opus Maius, p. 4<)), s’exprimèrent en de tels termes qu’avec leur seul témoignage on croirait qu’un acte décisif de l’autorité ecclésiastique est déjà intervenu en faveur de la nouvelle Vulgate ; mais il ne reste pas trace d’une pareille décision. Ils auront sans doute entendu parler de l’autorilé doctrinale conférée à cette version par le fait même de l’usage universel qu’on en faisait dans’les Eglises.

Quand la version de S. Jérôme devenait souveraine, elle avait déjà six siècles. Ce temps s’était passé en pérégrinations sur toutes les routes de l’Italie, de l’Afrique, de l’Espagne, des Gaules, de la Bretagne et de l’Irlande. En vieillissant, elle avait pris des rides ; en voyageant, elle s’était fait des blessures. Si déjà de son vivant l’auteur s’était plaint de ne plus s’y reconnaître lui-même, tant on avait altéré son texte, on peut croire que par la suite le mal était allé s’aggravant. La cause principale de ces altérations avait été la liberté que copistes et correcteurs avaient prise d’y introduire des fragments de l’ancienne version. Un curieux exemple se lit encore (même avec l’édition sixto-clémentine) dans II Rois, i, 18-19, 2U :

18 [Considéra, Israël, pro his qui morlui sunt super excelsa tua vulnerati].

19 Inclyti Israël super montes tuos vulnerati sunt. Quomodo ceciderunt fortes ?

a6 Doleo super te, [rater mi Jonatha, décore nimis et amabilis super amorem mulierum. [ Sicut mater uniciim amat filiumsuum, ita ego te diligebam. | Ce que nous avons enfermé entre crochets provient de l’ancienne version et fait double emploi avec celle de S. Jérôme. Hugubs de S. Victor, dit le « nouvel Augustin », avait raison d’écrire que tout est brouillé : aila tandem omnia confusa sunt, ut pæne nunc quid cuique tribuendum s’il ignoretur. » (P. A., CLXXV, 7). La confusion était arrivée au xnie siècle à un tel point que Roger Bacon s’en plaint en des ternies qui rappellent la formule de S. Jérôme lui-même au pape Damase : Tôt cremphiria quot codices ! De son côté, le docte franciscain écrit au pape Clément IV : « Clamo ad Deum et ad vos de ista corruptions Litterae. »

Cependant, la médication pour guérir la Vulgate n’a jamais cessé dans l’Eglise latine, du vie au xvie siècle. Elle commence par les tentatives de correction se rattachant aux grands noms de Cassiodore (-j-562) ; d’ALCuiN, qui aboutit à la Bible dite de Charlemagne, ou encore de Tours (73. r >-804) ; de Théodulpiik, évoque d’Orléans (f 821) de Lanfranc de Cantorbery (-j- 1089) ; d Etienne Harding, abbé de Citeaux (f 1 134). — A l’époque des Scolastiques, on lit des « Correctoiies ». Tous les grands corps enseignants (l’Université de Paris, les Dominicains, les Franciscains) eurent chacun le sien. Ils se valaient, étant aussi défectueux les uns (pue les autres. Plus satisfaisant était le correctoire dit Sorbonnien, parce qu’il appartient à la bibliothèque de la Sorbonne. Un peu plus lard, on en lit un à Rome (correct-n-ium Vaticanum), meilleur que tous les autres. Ce fut peut-être l’œuvre de celui que Roger Bacon, l. c, appelle « sopientissimus homo », en le désignant au pape comme l’homme I le plus capable de restaurer le texte latin de S. Je106U

VULGATE LATINE ET S. JÉRÔME

1970

rônie, qu’il étudie depuis plus de quarante ans. On croit qu’il s’agit de Guillaume de Mara. Cf. E. Mani-.ENOT, Vulgate, dans le IHct. de la Bible (Vigouroux), t. V, p. a)65-a50*.

L’invention de l’imprimerie multiplia les exemplaires Je la Vulgate, mais n’améliora pas le texte, tant s’en faut. Le premier livre imprimé fut la DU lia l.atina, à 4? lignes, sans indication de date ni de lieu, mais que l’on croit avoir été exécutée à Mayence par Gutenberg, Just et SchôlTer, vers 1 45a. C’est la Vidante dite Mazarine, du nom de la Bibliothèque dont elle fait partie. Depuis, on ne compte plus les éditions imprimées de la Bible latine. Parmi celles qui, contenant la Bible entière, ont paru avan la fin du xvi f siècle, les plus remarquables sont : la polyglotte d’Alcala (ou du card. Xiinénès), éditée en 1 5 1 4 ? niais mise en vente en 15aa seulement : Robert Estienne, Paris, 1540 ; la ./ ord inaria, Lyon, 1 545 ; Biblia Lovaniensia, éditée par Jean Henten, O. P., imprimée par Plantin, Anvers, 1 547, et rééditée par les soins de Luc de Bruges, en i">83.

Cependant, on préparait à Rome une édition correcte de la Vulgate, conformément au décret Insuper du concile de Trente, Sess. iv (8 avril 1546). Diverses commissions, nommées à cet efTet, travaillèrent, avec plus ou moins d’activité, sous le règne de douze papes (de Paul III à Clément VIII), au triage et à la mise en œuvre des matériaux. Grâce à l’impulsion énergique et à la collaboration personnelle de Sixte V, l'édition fut publiée en iôcjo. Mais à peine le pontife était-il mort (39 août 15qo), qu’on décida de faire rentrer, le plus possible, les exemplaires déjà en circulation ; et le tout fut mis au pilon. Le cardinal Caraffa, président de la commission pour la correction de la Vulgate, venait de jeter l’alarme : on avait été trop vite, et la préférence donnée personnellement par Sixte V à un grand nombre de variantes n'était pas heureuse. C’est ce dont le pontife lui-même avait convenu, quand, dans les derniers jours de sa vie, il parlait

« de faire imprimer une sorte de correctoire, qui

contiendrait toutes les modifications, les omissions et les additions de sa Bible ; et à l’aide duquel chacun pourrait corriger son propre exemplaire de la Vulgate ». E. Mangenot, Vulgate, Dict. de la Bible (Vigouroux), t. V, p. 2492-9, 3 ; Baumgarten, Die Vulgata Sixtina von 1590, p, 20-36. Les dispositions de la Bulle Aeternus ille, concernant l’impression de la nouvelleVulgate, autorisent à supposer que, dans la pensée de Sixte V, ce correctoire devait contenir des rectifications à faire au texte même de 1 590, pour le purger des fautes d’impression et autres. Pour toutes ces raisons, Grégoire XIV et Clément VIII décidèrent de reprendre le travail : correction et impression. Les deux jésuites Tolet et Bellarmin, qui devaient devenir cardinaux, s’employèrent tout particulièrement à cette réédition.

Le sort fait à la Bible sixtine de 15r>o a soulevé des controverses passionnées. Après bien des discussions pour et contre, on semble convenir aujourd’hui que, de bonne foi, le cardinal Caraffa et ses partisans s'étaient exagéré le nombre et l’importance des changements qu’il fallait apporter à la revision sixtine. C’est ce qui explique que les nouveaux correcteurs aient pu aboutir en moins de trois semaines. Cf. Baumgarten, /. c, p. 98, qui est à contrôler et même, sur plus d’un point, à rectifier par I. Uoi’iL, Beitrage zur Gesckichte der SixtoKlement’uiisclien Vulgata, Freib. in Br., 1 9 1 3 ; Fr. Amann, Die Vulgata Sixtina von 1590, Freib. in Br., 191 3. L'œuvre définitive parut vers la On de 15' ( '. sous le pontificat de Clément VIII, avec le titre

de Biblia sacra Vulgata » editiums Sixti V l’ont. Max. jussu rtCOgaita ate/ue édita. Ce n est qu'à partir de 1604 qu’on ajoute le nom de Clément VIII et démentis VIII auctoritate édita), qui figurera désormais dans le titre. C’est ce qu’on appelle de nos jours l'édition romaine, ou sixto-clénientine, de la Vulgate ; et même << clémentine » tout court.

Grâce aux précautions disciplinaires prises dans le bref de Clément VIII, Cum Sacrorum Bibliorum Vulgat.ie eddionis textus (g nov. 15(j2), pour prévenir toute réimpression infidèle, l'édition romaine de la Vulgate n’a subi qu’un petit nombre d’altérations (je ne dis pas « fautes d’impression »), et encore sont-elles de peu de conséquence ; cependant le P. Michel Hbtzknaubr, O. C, en a publié un texte critique : Biblia sacra Vulgatæ editionis ex ipsis Vaticanis excmpluribus inler se atque cum indice errorum eorrigendorum collatis. Œniponte, MC.MVI. L’histoire ds la correction romaine, qui devait aboutir à la Bible deSixte Quint, aélé raconiée dans une monographie, aussi intéressante qu’instructive, par le P. Fkrd. Prat, S. I., dans la revue Etudes religieuses, 1890, t. L, 565 ; t. LI, p 35, ao5. Cette étude est à compléter par P. M. Baumjarten, Die Vulgata Sixtina von 1590.., , Munster, 191 1 ; Fr. Xav. Lb Bacbblet, Ce que Bellarmin dit de la Bible de Sixte V en 1591, dans les « Recherches de Science religieuse », Paris, 1910, t. I, p. 7a ; et Bellarmin et la Bible Sixto-Clémentine, Paris, 1911.

Certes, l’Eglise catholique garde le droit de reviser encore la version à laquelle elle a fait une situation privilégiée. Après plusieurs siècles d'études méthodiques sur les textes bibliques, une amélioration de la Vulgate est possible, et c’est vraisemblablement pour en venir là que Pie X a chargé une Commission de reconstituer la traduction de S. Jérôme (ci-dessus, col. 19^9). Mais, en attendant, on convient que la Vulgate latine, telle qu’elle est aujourd’hui, est la meilleure des versions anciennes de la Bible, et qu’elle a été, aux temps modernes, le fil conducteur des études bibliques. Tel est le sentiment de tous ceux qui ont fait du sujet une étude spéciale, qu’ils soient catholiques ou protestants. Qu’il suffise de nommer ici quelques-uns de ces derniers. Dans la préface de son Novum Testamentum, græce et latine, edit. 4, 1912, Eh. Nestlé commence par citer le mot de Bengel : Vulgata… eximium ob singularem anliquitatem pondus habet », et il ajoute aussitôt pour son propre compte : « Quantum auctoritatis insit latinæ versioni ad textum N. T. probe instiluendum recteque intellegendum, non est cur hicamplius exponam. « Quant à H. J. White (ci-dessus, col. 1954), il résume sa propre appréciation, en faisant sien ce que Westcott a écrit dans la préface de la « Revised Version » anglicane (1885) :

« En remplissant sa tâche, S. Jérôme a fait preuve de

savoir, de jugement, de compétence et de fidélité ; tellement qu’il a lié pour toujours l’Eglise d’une dette de reconnaissance toute particulière. » Et tout récemment : « Au total, la Vulgate de l’Ancien Testament est une meilleure traduction que notre « Version autorisée » elle-même ; quand les deux s’accordent, celle-ci dépend directement ou indirectement de celle-là ; quand elles diffèrent, la Vulgate se trouve d’ordinaire du côté des résultats obtenus par la science moderne des choses bibliques. » W. E. Platbr and H. J. White, A grammar of the Vulgate, Oxford, 1926, p. 7.

III. — Autorité dogmatique

En tant que parole de Dieu, l’Ecriture est pour le croyant règle de foi. Cette autorité dogmatique ne convient immédiatement qu’au texte original. Cepen1971

VULGATE LATINE ET S. JÉRÔME

1972

dant toute version Adèle y participe, précisément parce qu’elle est conforme à l’original. On dit d’une version qu’elle est authentique, non pas pour la rattacher par ce terme à un auteur déterminé, par exemple à S. Jérôme ; mais pour attester sa conformité avec le texte dont elle est la traduction. Son authenticité peut être interne ou externe. L’authencité interne n’est rien d’autre que la fidélité même de la version, qui se révèle scientiliquement par l'étude. Cette connaissance reste d’ordre privé et n’est susceptible que d’une certitude purement humaine. Quand l’authenticité d’une version est déclarée par l’autorité compétente, elle devient externe, publique et d’ordre juridique, autant vaut dire « oflicielle ». Le législateur ou le magistrat suprême peuvent conférera une copie notariée l’autorité même qui convient à l’original même d’un texte, d’un testament par exemple ; et dès lors la copie fait foi. Telle est la prérogative conférée à la Vulgate latine par l’Eglise. Par voie d’autorité, elle a décrété qu’on la tiendra pour « authentique » et en prescrit l’usage dans tous les actes publics du magistère ecclésiastique, ordinaire et extraordinaire. L’Eglise avait le droit de recourir à pareille décision. Gardienne et maîtresse des Ecritures divines, elle se trouverait dans l’impossibilité de remplir son mandat, s’il n'était pas en son pouvoir de discerner avec certitude les textes(originaux ou versions) qui contiennent réellement la parole de Dieu. Certes, la conservation inaltérée d’un texte, fût-il sacré, et, pareillement, la conformité d’une version avec le texte original, ne sont pas l’objet d’une révélation divine ; mais elles peuvent devenir un fait dogmatique, sur lequel, en certains cas, l’Eglise a le droit ou même le devoir de se prononcer.

C’est là un point de départ sur lequel tous les catholiques sont d’accord ; s’ils se sont divisés au sujet du sens et de la portée du décret du Concile de Trente sur l’authenticité de la Vulgate, c’est surtout parce que, jusqu'à ces derniers temps, le texte de ce décret restait déraciné de son contexte. La publication qu’on vient de faire des Actes du Concile a jeté sur toute la question tant de lumière que la controverse reste bien réduite, sinon complètement abolie. Ce n’est pas que ces documents historiques fassent partie de la définition conciliaire, mais ils aident à la comprendre. Si l’exégèse de l’Ecriture elle-même relève del’herméneutiquerationnelle, il en va de même, et à plus forte raison, des définitions et des lois de l’Eglise.

Jusqu’au temps du cardinal Franzelin inclusivement (f 1 886), on ne lisait l’histoire du Concile de Trente que dans fra Paolo Sarpi (1619), ou dans Pallavicini (1656). Le premier, théologien de la République de Venise, était luthérien d*esprit et adversaire déclaré de la souveraineté pontificale. Le second a écrit lui-même de son ouvrage, au lendemain de la publication : « Mon histoire est mêlée d’apologie, ou, pour dire vrai, c’est plutôt une apologie mêlée d’histoire. » (Lettre au marquis de Durrazo, 1657). Au siècle suivant (1787), Jossb Le Plat publie ses Monumenla ad kistoriam Concilii Tridentini, ouvrage utile, mais insuffisant. Aujourd’hui, nous avons les Actes authentiques du Concile de fiente, édités, pour la première fois, en 1874 par l’oratorien Thbinkii ; mais pour des raisons qui tiennent aux circonstances dans lesquelles se fit cette publication, le texte original, gardé aux archives du Vatican, n’avait pas été transcrit intégralement, ni même avec assez de soin. La lacune vient d être comblée par la publication du Conciliant JridentiRtun, entreprise par la « Goerresgesellschaft. « Dans cette collection, Mbrklb (vol. I paru en 1901) et

Ehsbs (vol. V paru en 191 1) ont publié les documents qui concernent la sess. iv du concile : diaires, projets, amendements, discussions, votes motivés, décrets. A ces sources il faut ajouter la correspondance échangée entre' les Légats pontificaux présidant le Concile à Trente, et les cardinaux faisant partie de la Commission romaine, nommée par Paul III, pour préparer les décrets à soumettre aux délibérations du Concile, et les revoir ensuite avant la promulgation pontificale. Ces lettres ont été publiées en 1 864 par le barnabite Vbrcellonb dans les Dissertazioni accademiche (Dissert., IV), et la même année traduites en français dans les Anale c ta jurispontificii, sept.-oct., p. loao. Plus tard (1897), ces lettres ont été publiées plus complètement par DnuFFEL-BnANDi, Monumenta Tridentina, fasc. 4 » Munich ; et plus récemment encore par la Goerresgesellschaft, Concilium Tridentinum, t. X. M. Didiot en avait reproduit de larges extraits dans la Revue des Sciences ecclésiastiques, t. LIX, p. 48 1 ; cf., du même auteur, Logique surnaturelle et subjective, thèse xxxi 1 1.

L’histoire des controverses au sujet de la Vulgate, même entre catholiques, se lit dans toutes les Introductions générales à l’Ecriture sainte, ou encore dans la plupart des traités de Théologie fondamentale. Pour éviter des redites inutiles, nous nous bornons ici à préciser l'état actuel de la question, en distinguant les points acquis d’avec les opinions encore en présence.

i° a) Le décret publié le 8 avril 1546 par le Concile de Trente, Sess. iv, D. B., 787(669), et commençant par le mot Sacrosancta, est certainement dogmatique.il a pour objet le Canon des Saintes Ecritures (voir ce mot). Après l'énumération des livres dont se composent l’Ancien et le Nouveau Testament, vient un canon : « Si quelqu’un ne reçoit pas pour sacrés et canoniques ces mêmes livres en entier, avec toutes leursparties (cum omnibus suis partibus), tels qu’on a coutume de les lire dans l’Eglise catholique, et qu’ils sont dans l’ancienne édition latine de la Vulgate…, qu’il soit anathème. »

Que veulent dire les mots cum omnibus suis partibus ?Dans son traité De divina Tradilione et Scriplura, dont la première édition est antérieure à la publication des Actes du Concile par Theiner, le futur cardinal Franzelin entend par partes (qu’il distingue des particulae) les passages directement dogmatiques (o. c., 3 c édit. Rome, 1882, p. 527-540). Le P. Vbrcellonb, Sulla authenticità délie singole parti délia Bibbia, Rome 1866 (traduit en français dans la Revue cath. de Louvain, 1866 et 1867), l’avait entendu des portions dites deutérocanoniques de l’A. T. L’incise en question ne figurait pas dans la première rédaction du décret, elle y fut introduite pour donner quelque apaisement à des membres du Concile, qui eussent voulu qu’on mentionnât expressément dans le décret trois passages des Evangiles (Me, xvi, 9-20 ; Lc, xxii, 43, 44>'o., vii, 53-vm, 13), dont l’authenticité était contestée non seulement par Erasme, mais aussi par divers catholiques. Comme le card. Pacheco, évêque de Jæn, insistait dans ce sens, on vota ; et par 35 voix contre 17, il fut décidé négativement ;

« parce que, disent les Actes, on ne veut rien faire

de plus que le concile de Florence ». Tubiner, I, 71-77 ; Mbrklb, I, 38. D’où il suit que l’incise cum omnibus suis partibus insiste seulement sur l’intégrité plénière du Canon, sans rien ajouter aux mots qui précèdent : libros ipsos integros. Tel est le sentiment, à quelques nuances près, de Vacant, Bainvbl, Didiot, van Noort, PnAT, Huby, Mangbnot, Diction, de Théologie catholique, t. ii, col. lûyg-iGoi.

« La conséquence est que dans le décret linal (le

texte voté) ces trois fragments (que nous venons d’énumérer) ne sont pas plus vises que les autres. Après le Concile de Trente, leur condition n’est ni meilleure ni pire. Si les Pères refusèrent de se prononcer, cette réserve n’implique de leur part ni approbation ni improbation. Les trois fragments restent canoniques et doivent être tenus pour tels, en vertu même du décret, s’il est constant qu’ils sont une partie véritable — et non comme une parcelle insignifiante — d’un Livre sacré, et qu’ils ont toujours été lus comme canoniques dans l’Eglise universelle. Ces conditions se vérifiant, la canonicité ne fait pas de doute pour les catholiques. » P. Prat, Etudes,.". déc, 191a ; t. CXXXIII, p. 5cjG. Et le P. Huby, Evang. selon S. Marc’, p. 444. d’ajouter : « Aux théologiens de voir si ces conditions se vérifient. De fait, il en est ainsi ; et la canonicité de la finale de S. Marc ne fait pas de doute pour les catholiques. »

l>) Pour qu’un passage soit tenu comme certainement canonique, il ne suffit pas qu’il ait toujours figuré dans la Vulgate latine, il faut encore qu’on ait coutume de le lire dans l’Eglise catholique (prout in Ecclesia cathulica legi consueverunt). Tout le monde convient aujourd’hui qu’il ne s’agit pas seulement de la lecture liturgique, mais encore, et même surtout, de l’usage dogmatique fait de ce texte par l’Eglise universelle enseignante, soit dans son magistère ordinaire ou extraordinaire, soit, toute proportion gardée, dans l’enseignement théologique donné par les écoles qui sont sous sa surveillance. Pourdevenir un critère certain de canonicité, l’usage de l’école doit être universel, durable, d’un caractère nettement dogmatique et scripturaire.

Il est vrai que le card. Pranzrlip », /. c, p. 533, a suggéré que la particule et, reliant l’attestation de la Vulgate avec l’usage de l’Église, a le sens disjonctif de ou, tellement qu’un texte ayant toujours fait partie de la Vulgate devrait, par le seul fait, être regardé comme canonique. C’est même la raison capitale pour laquelle le même auteur (De Deo, th. iv) regarde comme authentique et canonique le verset dit des « trois témoins célestes » (I Jean, v, 7). Mais l’opinion du distingué théologien, contre laquelle réagissait déjà son contemporain, le P.Cornely, Introduclio generalis in U. T. libros sacros,

« 885, t. I, p. 4-Ja ; cf. III, G ; 8-G80, a perdu, avec le

temps, beaucoup de terrain. Il ne semble pas admissible qu’en matière de canonicité, dont le critère est uniquement le témoignage dogmatique de l’Eglise universelle, le Concile de Trente n’en ait appelé qu’à l’usage de la Vulgate dans l’Eglise latine, alors surtout que, de leur propre aveu, les Pères ont fait le décret Sacrosancta, afin que « tous sachent dans quel ordre et par quelle voie le conoile lui-même, après avoir établi le fondement de la confession de la foi, doit procéder ; et de quels témoignages et ressources il doit particulièrement se servir pour confirmer les dogmes et restaurer les mœurs dans l’Eglise ». C’est pourquoi, la plupart des auteurs catholiques, théologiens et exégètes, entendent aujourd’hui la particule et en un sens conjonctif. Pour être sur de la canonicité d’un texte, il faut qu’au témoignage de la Vulgate s’ajoute l’usage dogmatique que l’Eglise universelle en a fait.

Le 13 janvier 1897, le Saint-Oilice, répondant à un doute qui lui avait été proposé, déclarait « qu’on ne pouvait pas tuto nier ou mettre en doute » l’authenticité del Jean, v, 7 (ic verset dit des trois témoins célestes). Directement, il s’agissait de l’état de la question. Quand des écrivains compétents eurent fait la

preuve que ce verset ne se lisait pas dans la Vulgate primitive, et d’ailleurs que les témoignages patristiques en sa faveur ne sont pas, en réalité, tels que le card. Franzelin les présente, l’autorité ecclésiastique laissa paraître des études dans lesquelles on soutient l’inauthenticité du dit verset. Cf. Leiirrton, /.es Origines du dogme de la Trinité, note K, 526-531, 6e éd., 1927, p. 655-65a. Toutrécemment, un décret du S. Ollice (2 juin 1927)8 reconnu positivement les droits de la critique catholique sur ce point, et fourni une explication authentique du décret de 1897. Ci. Revue Apologétique, mars 1928.

c) La canonicité d’un texte n’est pas nécessairement liée à son authenticité littéraire. Absolument parlant, un autre que S. Jean l’Evangéliste aurait pu être inspiré de Dieu d’ajouter au quatrième évangile le chap. xxi. Grâce à l’autorité dogmatique de l’Kglise, nous savons que ce chapitre est canonique, faisant partie intégrante du texte inspiré. Quanta son authenticité, c’est par des arguments d’ordre historique et critique qu’on l’établit. Il est vrai que le décret conciliaire nomme les auteurs de la plupart des livres canoniques (Moïse, David, Salomon, Isaïe, Paul, Pierre, Jean, etc.). Les membres du Concile étaient sans doute bien persuadés que ces textes avaient été réellement écrits par les auteurs auxquels on les attribue ; on peut même penser que beaucoup entendaient affirmer expressément cette origine humaine, tout en nuançant de réserve leur sentiment à ce sujet, par exemple : Psalterium davidicum au lieu de Psalmi David is ; ou encore l’épltre aux Hébreux énumérée parmi les quatorze lettres de 9. Paul, mais extra ordinem. Il reste cependant que le concile n’a pas défini l’authenticité des livres canoniques comme une vérité de foi catholique.

2 a) Le décret de la même Session IV, commençant par le mot Insuper, a pour objet l’édition et l’usage de la Vulgate. Cf. Merkle, I, 500 ; Ehsbs, V, 22, 27 ; Thbinbr, I, 60.

Le caractère du décret est nettement disciplinaire, quoi qu’on ait dit. Il s’agit d’abus à corriger et de l’utilité de l’Eglise à procurer. C’est ce que la teneur même du texte sullit à faire voir, a En outre, considérant qu’il pourrait résulter pour l’Eglise de Dieu une assez grande utilité de connaître l’édition qu’il faut tenir pour authentique parmi toutes les éditions latines des Livres Saints qui ont cours, le même saint concile statue et déclare que c’est l’édition ancienne et vulgate, approuvée par un long usage de l’Eglise elle-même pendant tant de siècles, qui doit être tenue pour autîientiquedansles leçons, discussions, prédications et expositions publiques, et que personne n’ait l’audace ou la présomption de la rejeter sous aucun prétexte. » Suit, non pas un anathème, comme dans le précédent canon, niais une promulgation de peines contre les délinquants, et une exhortation instante « à veiller qu’à l’avenir la sainte Ecriture, et surtout cette édition ancienne et vulgate, soit imprimée le plus correctement possible. »

Directement, il s’agit d’authenticité externe, conférant à la Vulgate, et à elle seule, un carac.ère juridique ; dans l’Eglise latine, on doit la tenir pour le texte « officiel » de la Bible. Indirectement, on suppose que la Vulgate jouit d’une certaine authenticité interne. Jusqu’où s’étend cette conformité avec les textes originaux, c’est ce que nous dirons plus bas (col. 1977). Le décret Insuper pre crivant une mesure disciplinaire, il va sans dire que l’Eglise garde le droit de l’abroger pour substituer une autre version à la Vulgate, quand elle le jugera à propos.

Par édition, le Concile entend la version vulgate elle-même, avec ses variantes et même ses défectuo1975

VULGATË LATINE ET S. JEROME

1976

sites ; parce que telle quelle elle suflirait à son but. En partant de ce terme, le P. Patrizi a cru pouvoir établir une distinction entre la version, l'édition approuvée par le Concile, parce qu’elle est autorisée par l’emploi de l’Eglise, et l’exemplaire Vatican de cette édition. Si recevable que cette distinction soit en elle-même, il ne semble pas qu’on puisse lui trouver un fondement dansletexteduprésentdécret.oùle mot editio figure avec le sens classique de version ou même de texte en général, qu’il a sous la plume de S. Jérôme. Cf. Præf. in libros Paralip. prior, et souvent ailleurs. Le Concile oppose l'édition Vulgate à nombre d'éditions latines récentes, « qui ont cours » (quæ circumfii unliir) parmi les catholiques. Dues à l’initiative privée, ces tentatives pour amender la Vulgate étaient plutôt des versions nouvelles, fondées sur les textes originaux, que des éditions au sens moderne du mot. En tout cas, on les avait multipliées pendant la première moitié du xvie siècle. Enuniérons les principales :

a) Versions nouvelles faites sur le texte hébreu (Sanctes Pagnini, O. P, 1528 ; Card. Cajetan, O.P., 1530) ; jî) éditions de la Vulgate revues sur l’hébreu, et de ce chef s'écarlant plus ou moins du texte latin couramment reçu (J. Rudel, 1627 ; Clarius, O. S. B., 15^2 ; Junta, 153'i) ; /) simples éditions de la Vulgate, plus ou moins heureuses (Hittorpiana editio, 1530 ; cf. Quentin, Mémoire sur l'établissement dit texte, etc. p. 121 ; Robert Estienne, 15a8-1540). L'édition de Joannes Beuedictus, 1 5 4, tient le milieu entre la seconde et la troisième catégorie. Il va sans dire que le décret du Concile de Trente ne vise, du moins directement, que les versions latines nouvelles de la première catégorie.

h) Pourquoi et dans quel sens le Concile de Trente a décrété que la Vulgate serait la Bible « officielle » de l’Eglise latine ? Il était pratiquement nécessaire que dans l’Eglise catholique il y eût un livre, reconnu de tous comme contenant l’Ecriture dans son intégrité. Une preuve, et pas la moindre, c’est que toutes les sectes prolestantes ont fait de même ; il y a une version luthérienne pour les Allemands de la confession d’Augsbourg, une version zwinglienne pour la confession helvétique, une version anglicane pour l’Eglise établie d’Angleterre.

C’est de la Vulgate que dans les actes publics on partira, c’est à elle qu’on rapportera le reste : textes originaux, et les autres versions ; non pas pour condamner d’avance tout ce qui diffère de la Bible

« officielle », mais pour comparer et contrôler, afin

d'établir, si possible, la leçon primitive et en dégager le sens. Telle est la marche à suivre, tracée par l’encyclique Provideniissimus Pats. « Ce n’est pas qu’il ne faille tenir compte des autres versions, dont l’antiquité chrétienne fait l'éloge et s’est servie, et surtout des textes primitifs. » D.B., kj4' Et encore, quelques lignes plus bas : « Après avoir recherché, avec toute la diligence possible, quelle est la vraie leçon, on pourra se servir de la Sainte Ecriture en matière théologique. » On ne pouvait pas dire plus clairement que la Vulgate ne suffit pas.

Au cours des discussions préparatoires de la Session iv, et même dans les congrégations générales, notamment celle du I er avril, les théologiens, les présidents de commission, et les Légats pontificaux déclarèrent que l’abus n'était pas d’avoir à son service plusieurs versions, mais qu’il n’y en eût pas une, et rien qu’une, ayant un caractère officiel ; qu’en faisant cette situation privilégiée à la Vulgate {quia perior et potior), on ne prétendait pas supplanter, encore moins condamner les textes originaux, les autres versions, notamment celle des Septante ; pas même les versions modernes des hérétiques. En

effet, la condamnation qui pèse sur ces dernières ne dérive pas du décret Insuper. Le cardinal Poli : eût même voulu qu’on approuvât, au même titre que la Vulgate, le texte hébreu de l’A. T., la version des Septante, et le texte grec du N. T. ; auvo'.cil fut seul de son avis. Thbinbr, I, 6063, 70 ; MiiRKLi : , I, 500 et suiv., 42 ; Ekses, V, 20-00.

c) Approbation du décret par Paul 111. — Sur ce point, nous sommes exactement renseignés par les leitres échangées entre Trente et Rome. Vercelloms, Dissertazioni accademiche, 79 et suiv.

Huit jours après la promulgation du décret, faite à Trente (s5 avril 1546), le cardinal Farnksk écrivait de Rome aux Légats pontilicaux, présidents du Concile : « Sa Sainteté fait examiner les décrets (ceux de la Sess. îv) par tous les cardinaux. Je vous manderai plus tard ce qu’ils en pensent, mais, dès maintenant, je puis vous prévenir qu’au jugement de plusieurs, recevoir la Vulgate comme authentique, sans parler delarevoir et de la corriger, pourra prêter flanc au blâme et à la critique. Il est elair qu’il s’y trouve des fautes, qu’on peut malaisément attribuer aux imprimeurs. Cette remarque n’a sans doutepas échappé à vos Seigneuries Révérendissimes et à tant de savants prélats. Sa Sainteté recevra volontiers quelques éclaircissements à ce sujet. » Voir aussi une lettre du card. Siulf.to au légat Marcel Cer » 'ini(le futurVIarcel II), expédiée de Rome le même jour (Vatic. lat., 6177, fol. 33 ; cf. Abbé Thomas, Mélanges, 18yi, p. 315).

Les Légats à Trente n’avaient que trop compris. Ils répondent que le Concile a voulu commencer ses travaux par ces deux décrets, sans attendre la correction de la Vulgate, qui prendra du temps. Ils ajoutent qu’il n'était pas possible de déclarer dans un même décret que la Vulgate est défectueuse, mais que néanmoins on la rend obligatoire i ! et 26 avril). L’explication ne parut pas satisfaisante, et le cardinal Farnèc-e écrit encore le 29 mai : « En ce qui concerne le décret sur la Vulgate, les cardinaux députés (ceux de la Commission romaine) ne voient point de biais qui évite tous les inconvénients, et ils seraient bien aises qu’il n’eut pas été fait. Qænd on aura fait disparaître les fautes dues au temps, aux imprimeurs et aux copistes (quant emendatissime imprimatur, portait le décret), le remède ne sera que partiel ; que si l’on veut aller plus au fond et corriger celles du traducteur lui-même, on se jette dans une entreprise longue et mal définie, qui entraîne après elle mille difficultés. »

Peu de temps après, 8 juin 15/|6, une dernière réponse des Légats de Trente vint mettre fin au malentendu.

« On ne pouvait laisser d’approuver la Vulgate, 

sans aller contre le désir de tous les évêques et de nombreux théologiens présents au Concile. En peu de temps, les catholiques ne sauraient plus où cbercher la vraie Bible, tant chaque jour on en voit surgir de nouvelles, différentes les unes des autres en des points importants, et propres non seulement à fomenter les erreurs actuelles, mais encore à fournir un aliment à des hérésies futures. Notre vieille Vulgate, au contraire, ne /ut jamais suspecte d’hérésie, ce qui est l’essentiel dans les Livres saints (la qunle non fu mai so.^petta d’eresia ; la quale parte è la potissima nei llbri sucri) ». C’est sur cette dernière déclaration que Paul III approuva le décret Insuper.

Conclusion. i° Le décret ne porte pas directement sur l'édition romaine, dite sixto-clémentine, qui ne devait paraître que quarante-six ans plus lard ( ibç) : >.). Cette édition a été rendue officielle par le bref 1977

VULGATE LATINE ET S. JEROME

11)78

de dénient VIII, Vain sacrorum Bibliarum Vulgutae, qu’on imprime immédiatement après la préface de cette même édition, a II ne porte sur aucune édition de la Vulgate en particulier, mais sur la Version Vulgate, dans la ue&are où elle est garantie par L’usage que 1 Eglise universelle a fait de l’Ecriture. 3° Cette version se recommande par sa valeur dogmatique, elle n'énonce pas d’hérésie ; et donc on peut la lire impunément. De là la distinction du card. Fua.nzklin, entre « textes qui par eux-mêmes ont Irait à la foi ou à la morale », et les autres

« qui perse non pertinent ad aedilicutionem doctrinae

christianæ » (lliesis six). 4° En ce qui concerne les textes dogmatiques, la conformité substantielle de la Vulgate avec les textes originaux est supposée (ad summum rei quod attinet), dit l’encyclique Providentissimus ûeus. On a le droit de faire cette supposition, pour une raison tliéologique, qui est L’usage dix fois séculaire de l’Eglise latine, contrôlé par le témoignage conforme des autres versions catholiques anciennes, notamment celle des Septante.

d) Identité substantielle. — Qu’il s’agisse de la conformité d’une version avec son texte original. ou de sjii unité interne, malgré les différences présentées par ses diverses recensions, il est bien difficile de marquer avec certitude où finit l’identité substantielle. Parbonheur, dans le casde la Vulgate, nous avons un certain nombre de faits indubitables, qui permettent de se faire une idée graphique des diitérences compatibles avec cette identité.

a) C’est un fait constant que, pendant les cinq premiers siècles, l’Eglise entière (à l’exception des Syriens et des Coptes) a lu la Bible dans la version des Septante ou dins sa translitération latine ; et que les quatre premiers conciles oecuméniques ont cité l’Ecriture d’après le même document. A moins d’admettre que pendant tout ce temps L’Eglise a été dépossédée de la parole de Dieu écrite, il faut bien convenir qu’elle lisait alors une Bible substantiellement identique à l’original hébreu, dont S. Jérôme nous a donné la version latine. Or, il est facile d’apprécier le nombre et l'étendue des différences entre les Septante et la Vulgate. Si criliquement on peut penser que celle-ci est plus conforme à l’original hébreu, ce n’est pas là une assertion à établir par argumentation théologique, en partant du décret Insuper, étant donné surtout que Sixte V a solennellement déclaré que la version des Septante est authentique. Une comparaison des Septante avec la Vulgate a été entreprise, ence qui concerne les livres de Jérémie et de Job par le P. Ferd. Prat, Etude », ia13, t. CXXXLV, p. 341 ; et en ce qui concerne le livre de Tobie, par l’auteur du présentarticle, Revue Apologétique, iq23, t. XVII, p. 700.

, 3) Lescatholiques qui admettent que la buUeveternus ille de Sixte V a été publiée dans les formes juridiques (Baumgarte.v, Die Vulgata Si.rtina von 1590, dans li. Z., t. V, p. 28-39 ; E. Mangbnot, Dict. Biblique de Vigouroux, col. 2/193), doivent conclure que la Vulgate de 15 y o et la Vulgate de 15g2 ont été respectivement déclarées authentiques, en dépit des différences qui les séparent. [Il n’est que juste d’ajouter ici que la plupart des auteurs catholiques, et tout récemment encore Louis Pastor, tiennent que la bulle en question n’a jamais eu force juridique, par défaut de publication ]. Mais, même dans l’hypothèse de la publication, il sullit de ne pas perdre de vue que le décret Insuper, la bulle Aeterints ille, etle bref de Clk.mknt VIII Cuin Sacrorum (qui du reste abroge l’acte de Sixte V), envisagent dans la Vulgate une source d’enseignement dogmatique (ad aedi/i catiouem doctrinæ christianae), plutôt qu’une version iidcle ; puisque sa conformité avec les textes originuix n’est que supposée, et à un degré comportant des défectuosités, mais sans hérésie, »

On comprend dès lors la prescription du décret Insuper : «  « t ut nemo illam( Vulgalam) re/.iære qnovis prætextu aujrut vel præsumut », et les déclarations de Sixte V, en apparence plus décisives : « dtclaramus eamVulgatam… quæ pro authentica a Concilio Tridentino recopia est, sine ulla dubitatione util controversia censendam esse hune ipsam quant nunc, prout optime fieri potuit, entendatam…, nunc demum eliam Aposlolica nobis a Domino tradita auctoritate comprobulam, pro vent, légitima, authenticu… » La part faite du style dans ces formules protocolaires, il reste encore que celui-là enfreindrait la loi de l’Eglise, qui, dans un esprit d’indépendance et surtout de mépris, refuserait d’employer la Vulgate dans les « leçons publiques, dispûtes, prédications et expositions de l’Ecriture ». Mais le respect de la discipline ecclésiastique est compatible avec les droits de la critique. Et qu’on ne nous oppose pas un décret rendu le 17 janvier 1 5^6, défendant « de rien avancer qui lût contraire à l'édition latine de la Vulgate, quand ce ne serait qu’une période, une assertion, un membre de phrase, ma mot ou un iota ». On a longtemps douté de l’authenticité du décret, mais en admettant qu’il soit authentique (Cf. P. Batu’fol, Le Vatican, de Paul III à Paul V, d’après des documents nouveaux, Paris 1890^.72-76) il a été interprété par l’autorité compétente, comme une défense de rien avancer, en matière de foi et de mœurs, qui soit contraire à la Lettre de La Vulgate. Fra.w.blijj, 0. I., thés, xix, 3e éd., p. 563. Ce qui n’abolit pas le droit de s’en écarter, quand elle n’est pas conforme au texte original certain. Certes, même alors, le théologien garde le droit d’argumenter du text’e de la Vulgate, qui, jusque dans ses insullisances comme version de l’Ecriture, reste un témoignage de la foi traditionnelle.

y) La conformité de la Vulgate avec le texte original est à des degrés divers. Tout le monde admet qu’en bien des passages la version dit la même chose que le texte, mais autrement. C’est la différence dite « modale » par le cardinal Franzelin. L’exemple classique est ici Ipsa coitleret capitt taum (Gen., m, 15), que D. Qubntin maintient comme remontant à S. Jérôme. Avec ipsa, on a l’expresssion directe du triomphe de Marie sur le serpent ; avec ipse, le texte n'énonce qu’indirectement celle même vérité. En d’autres cas, l’identité de sens est moins claire encore et demande à être étudiée de près. Signalons seulement Isaïe, ix, 2 ; xvi, 1 ; Jérénie, xxxii, 22 ; Psaumes, cix, 3 ; cxxxviii, 17 ; Proverbes, viii, 35 ; Ecclésiastc, vii, l] Cantique, iv, 1 ; Luc, xxii, 19, 20, Jean, 1, 9, 13 ; v, 14 ; viii, 20 ; Rom., v, 12 ; Apoc, v, 12.

Le P. Cornbly, Introd. gêner., édit. 2 a, I, p. 457, fait observer que le décret Insuper n’a pas tranché les cas qui étaient discutés entre théologiens catholiques avant le Concile. La Vulgate traduit, I Cor., xv, ôl : oinnes quidem resurgemus, sed non omîtes immutabimur, tandis que le texte grec porte le contraire : Jtaévtsf w HaiwqhpôfuSst, juâmiSi id)jxy »)ot>/j16tt (nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous transformés). S. Jérôme a connu le texte grec et même la version latine : omîtes quidem non dormiemus (cf. Epist., exix, n. 7) ; néanmoins la version : omîtes quidem resurgemus a prévalu de bonne heure. Melchior Cano (Loc. theol., II, i/|.) sait que des théologiens ont cru avoir raison de la dilliculté par des subtilités peu dignes de la théologie ; pour lui, qui a été théologien au Concile de Trente, et précisé1979

YOGA, YOGH18ME

1980

ment alors qu’on préparait la sess. iv, ils’en tient au texte grec, parce que la traduction latine de ce passage dans la Vulgate n’a jamais et é recommandée par l’usage constant et dogmatique de l’Eglise.

Encore une fois, la Vulgate n’est pas parfaite ; et l’Eglise elle-même nous a avertis de ses imperfections. En définitive, c’est peu de chose dans un gros

livre comme la Bible. Les inoertitudes qui en peuvent résulter n’ont rien de déconcertant pour un catholique. Plus haut que textes et versions, il y a pour lui la tradition vivante, qui parle distinctement par le magistère ecclésiastique.

Alfred Durand, S. I.