Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Tradition et Magistère

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 898-903).

TRADITION ET MAGISTÈRE. — D’après le Concile du Vatican (Sess. iii, chap. 2), les sources de la Révélation chrétienne sont l’Ecriture et la Tradition. La Tradition, ainsi que nous le verrons, l’emporte sur l’Ecriture : aussi, avant d’étudier les Livres Saints, il est bon de savoir ce qu’est la Tradition divine.

I. Notion de la Tradition.

II. Différentes sortes de traditions.

III. La Tradition aux points de vue objectif et actif.

IV. Etat de la controverse entre catholiques et protestants.

V. Manière de procéder dans les controverses.

I. Notion de la Tradition. — La tradition, au sens le plus général du terme, signifie toute doctrine, toute institution, toute pratique, venue des anciens jusqu’à nous. A ce point de vue général, la tradition est profane ou sacrée : elle peut appartenir à une religion ou à une autre. Nous nous occupons des traditions qui sont le patrimoine de la religion chrétienne, le bien propre du christianisme.

Or, dans cette acception déjà restreinte, le mot

« tradition » a un sens très large, un sens plus précis, 

et un sens tout à fait rigoureux.

1. Au sens le plus large, la Tradition est tout précepte, toute doctrine, institution ou pratique, transmis des âges précédents de l’Eglise aux temps actuels, quel qu’ait été le mode de transmission. En ce sens, la Tradition, loin de s’opposer à l’Ecriture, est plutôt, par rapport à elle, ce qu’un genre est à l’espèce. Le mot Tradition revêt ce sens très large sous la plume de l’Apôtre saint Paul, dans sa IIe Epître aux Thessaloniciens : « Ainsi donc, frères, demeurez fermes et gardez les enseignements que vous avez reçus, soit de vive voix, soit par notre lettre. » (II Thess., 11, 15.)

2. Dans un sens moins large, la Tradition est tout précepte, toute doctrine, institution, pratique, arrivé jusqu’à nous des âges précédents de l’Eglise, par un autre moyen que l’Ecriture, que cette doctrine se

trouve d’ailleurs ou non dans l’Ecriture elle-même. En ce sens, il y a opposition de la Tradition à l’Ecriture, non point sans doute si l’on considère la chose transmise, mais si l’on envisage le mode de transmission.

3. Enûn, au sens très rigoureux du terme, la Tradition est tout précepte, toute doctrine, institution, pratique, qui n’est point contenu dans l’Ecriture, et qui, en conséquence, nous est parvenu seulement par une voie différente de l’Ecriture elle-même. A ce point de vue, la Tradition se distingue totalement de l’Ecriture, eu égard aussi lien à la chose transmise qu’au moyen de transmission. C’est le sens que l’on retrouve le plus souvent au mot « tradition » sous la plume des premiers Pères de l’Eglise ; c’est aussi dans cette acception que l’on prend ordinairement le mot « Tradition ».

II. Différentes sortes de traditions. — 1. En raison de leur origine, les traditions sont divines ou humaines. — a) Les traditions divines ont pour auteur Dieu se révélant lui-même à l’homme ; elles ont donc pour objet des vérités révélées.

Elles se subdivisent, en raison du mode divin de promulgation, en traditions dominicales et traditions divino-apostoliques. Les premières ont été proposées aux hommes par Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même ; les autres ont eu pour premiers promulgateurs les Apôtres du Christ.

La distinction entre les traditions dominicales et divino-apostoliques est affirmée par le Concile de Trente. Dans sa session iv° il parle des traditions non écrites qui sont parvenues jusqu’à nous, et dont les unes ont été reçues par les Apôtres des lèvres du Christ, les autres dictées aux Apôtres par l’Esprit Saint lui-même ; les unes et les autres sont venues jusqu’à nous, comme de la main à la main, quasi per manus traditae.

b) Les traditions humaines sont celles qui ont été primitivement introduites par l’autorité, ou du moins avec le consentement de ceux qui dirigent l’Eglise au nom du Christ. Elles se subdivisent en traditions simplement apostoliques et traditions ecclésiastiques.

i* La tradition simplement apostolique est celle quia été établie par les Apôtres en vertu de leur pouvoir pastoral, si bien que, relativement à elles, les Apôtres ont été de vrais législateurs, et non pas de simples promulgateurs. On cite comme exemple l’observation du dimanche au lieu du sabbat.

a" La tradition ecclésiastique est celle qui a été introduite, dans la suite des temps apostoliques, soit par l’autorité ecclésiastique elle-même, soit par une pieuse coutume des fidèles, ratifiée par l’autorité de l’Eglise. Exemple : l’obligation du jeûne à certains jours de l’année.

c) Distinction entre les traditions divines et les traditions humaines. — 1) Pour se rendre compte de la division des traditions en divino-apostoliques et simplement apostoliques, il fautse rappeler que les Apôtres étaient investis d’une double charge. Ils ont été, en même temps, promulgateurs de la révélation divine et pasteurs, ou chefs des Eglises. Comme pasteurs, ils jouissaient d’un pouvoir vraiment législatif ; ils pouvaient faire des lois et établir des institutions dans leurs Eglises.

2) Voici à quels signes on peut discerner les traditions divines de celles qui sont simplement apostoliques ou ecclésiastiques.

a) Une tradition est certainement divine, si elle a pour objet une doctrine révélée, par exemple, l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge, ou bien si son objet est une institution de telle nature que 1785

TRADITION KT MAGISTERE

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Dieu seul puisse en être l’auteur, par exemple l’institution des sacrements de la nouvelle Loi : Dieu seul peut donner à des signes la puissance de produire la grâce surnaturelle.

b) Si l’objet de la tradition est un précepte, une institution quelconque dont la nature n’exige pas essentiellement une origine divine, on ne pourra plus dire, à coup sûr, si la tradition est divine ou humaine. Cependant, on pourra dire encore si la tradition est apostolique ou purement ecclésiastique, et cela en appliquant la règle formulée par saint Augustin : « Ce que lient de tout temps l’Eglise universelle et qui ne doit point son origine aux conciles, est d’origine apostolique. » (De Hupt., IV, xxiv, 31, P. /,., XLlll, 194.)

c) Pour distinguer la tradition divino-apostolique de la tradition simplement apostolique, la seule règle <tssurée, c’est le sens, le jugement, la pratique de l’Eglise.

a. En raison de leur matière, ou de leur objet, les traditions sont dogmatiques, morales ou purement disciplinaires.

3. En raison de leur extension locale, elles sont universelles ou particulières.

4. En raison de leur durée, elles sont temporaires ou perpétuelles. Si une tradition disparaît, c’est un signe qu’elle n’était pas une tradition dogmatique.

5. En raison de leur relation avec la Sainte Ecriture, les traditions sont inhérentes, déclaratoires ou purement orales.

Les traditions inhérentes rapportent ce qui est clairement contenu dans l’Ecriture. Les traditions déclaratoires manifestent plus clairement ce qui dans l’Ecriture est exprimé d’une manière obscure. Enfin, les traditions purement orales nous proposent ce qui n’est nullement renfermé dans l’Ecriture. Rien ne s’oppose à ce que oes traditions purement orales, si on les compare à l’Ecriture Sainte, aient été, plus lard, consignées par écrit dans les ouvrages des Pères de l’Eglise.

III. La tradition au point da vue objectif et au point de vue actif. — Dans les controverses entre catholiques et protestants, il est uniquement question des traditions divines. Or, ces traditions, comme du reste toutes les autres, peuvent être considérées à un double point de vue : à un point de vue objectif, à un point de vue actif.

1. Au point de vue objectif, les traditions ne sont autre chose que les objets transmis, c’est-à-dire les

doctrines, institutions, préceptes qui nous sont venus de nos devanciers.

2. Au point de vue actif, les traditions sont les divers moyens organes ou actes par lesquels la transmission s’est faite. Du nombre de ces moyens, sont : le magistère vivant et infaillible de l’Eglise, les décrets et les définitions dogmatiques des papes, des conciles et surtout des conciles œcuméniques, les actes des martyrs, les liturgies, les écrits des saints Pères, les ouvrages des docteurs du moyen âge, l’histoire ecclésiastique, les peintures, sculptures, inscriptions, etc. L’organe primaire et fondamental de la tradition est le magistère infaillible institué par Jésus-Christ dans son Eglise : tous les autres moyens de transmission sont subordonnés à cet organe principal.

Quand on parle de la Tradition, on unit souvent les deux points de vue objectif et actif, à cause des rapports étroits qui existent entre les moyens de transmission et les vérités transmises.

IV. Etat de la controverse qui sépare catholiques et protestants au sujet des traditions divines. — Cette controverse se résume dans la

question suivante : L’Ecriture sainte est-elle la seule source de la révélation chrétienne, la seule règle de foi, ou bien t’aut-il admettre, en dehors de l’Ecriture, des traditions qui, prises objectivement, constituent avec l’Ecriture la règle éloignée de notre foi, et, prises activement, c’est-à-dire, en tant qu’organe primaire de conservation et de transmission, formeut la règle prochaine de cette môme foi ?

La doctrine des protestants à ce sujet tient en deux points :

1. L’Ecriture sainte est pleinement suffisante comme source de révélation et règle éloignée de notre foi.

a. L’Ecriture sainte est d’une clarté parfaite ; l’Ecriture est donc elle-même juge de toutes les controverses qui peuvent surgir à son sujet ; elle est la règle prochaine de notre foi.

La doctrine catholique oppose à ces deux principes fondamentaux des protestants les deux affirmations suivantes :

1. Ce sont les paroles du Concile de Trente : « La vérité révélée est contenue dans les Livres Saints et les traditions non écrites ; ces traditions nous sont venues, comme de la main à la main, des Apôtres qui les ont reçues soit de Jésus-Christ, soit de l’inspiration immédiate de l’Esprit Saint. » (Sess. iv, D. B., ^83 [666]). Telle est la règle éloignée de notre foi.

2. Quanta la règle prochaine de la foi chrétienne, elle est constituée par le magistère infaillible et vivant de l’Eglise elle-même.

V. Manière de procéder dans les controverses. — Une double méthode se présente quand on va traiter de la Tradition. On peut se demander si, outre les vérités contenues dans l’Ecriture, il y a d’autres vérités révélées, et ultérieurement, de quelle manière ces vérités se sont conservées et transmises jusqu’à nous. Une seconde méthode consisterait à chercher si Notre-Seigneur n’a pas institué un organe de transmission différent de l’Ecriture. La réponse supposée affirmative, une autre question se poserait immédiatement : cet organe nous a-t-il fait parvenir certaines vérités qui ne se trouvent point dans l’Ecriture ? — Au sentiment du cardinal Franzblin (De divina Traditione et Scriptura 3, p. 21 sqq.), la seconde méthode est la meilleure. Nous allons la suivre.

Remarques. — i. Nous ne supposons pas encore démontrée l’inspiration des Ecritures ; voilà pourquoi, en faisant appel au témoignage de ces Ecritures, nous ne considérerons ce témoignage que comme un document historique, digne en tant que tel de notre foi.

2. D’une manière générale, l’Ecriture sainte est obscure et a besoin d’interprétation ; il est, pourtant, certains passages très clairs en eux-mêmes, et dont le sens saute immédiatement aux yeux de quiconque est quelque peu versé dans l’étude des Livres Saints.

I. — Existknce du Magistère infaillible

ET VIVANT DE l’ÉgLISK

Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour conserver et transmettre toujours intacte la doctrine révélée, a établi, comme organe fondamental dans son Eglise, un magistère vivant, authentique, infaillible et perpétuel. — Ce magistère appartenait primitivement aux Apôtres ; dans la suite, il a passé aux successeurs des Apôtres, considérés en communion entre eux et avec la chaire de Pierre.

Nous disons : i° Un magistère vivant, c’est dire qu’il s’exerce continuellement dans l’Eglise par la 1787

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communication delà doctrine révélée. Ce magistère est vivant, en tant’qu’il s’oppose au magistère encore exercé actuellement dans l’Eglise par des hommes qui ont disparu, mais auxquels leurs ouvrages ont survécu. Les protestants admettent bien que le magistère des Apôtres s’exerce encore actuellement dans l’Eglise, mais seulement par l’influence de leurs écrits ; ils n’admettent donc qu’un magistère pour ainsi dire posthume.

2° Il s’agit d’un magistère authentique, jouissant d’une réelle autorité. Ce magistère a le droit d’exiger que tous reçoivent sincèrement et docilement la révélation qu’il propose.

3" Un magistère infaillible, c’est-à-dire, qu’en raison de l’assistance de l’Esprit Saint, il ne peut enseigner l’erreur lorsqu’il propose une doctrine comme divinement révélée, ou comme intimement liée à la Révélation.

4° Le magistère dont nous parlons est perpétuel. Il appartient à l’économie essentielle de la religion chrétienne ; il est donc aussi indéfectible que l’Eglise elle-même.

1. Le magistère apostolique, de par l’institution même du Christ, est un magistère vivant. — Les Apôtres reçurent de leur Maître l’ordre d’enseigner toutes les nations (Matth., xxviii, 19), de prêcher l’Evangile à toute créature (Marc, xvi, 1 5), de prêcher, en son nom, à toutes les nations la pénitence et la rémission des péchés (Luc, xxiv, t t j), d’être ses témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités delà terre (Act., 1, 8 : Luc, xxiv, 48), de porter son nom aux nations, aux rois, aux iils d’Israël (Act., ix, 15).

a) Les verbes « prêcher, enseigner, témoigner », signiûentdansleur généralité toute manière de communiquer la doctrine. Il serait arbitraire d’en restreindre lesenspour l’appliquer à la seule Ecriture.

b) Il faut entendre les paroles de Jésus surtout du mode spécial de communication qui se fait de vive voix par la prédication : tel est le sens du mot grec

c) Le témoignage des Apôtres doit s’adresser à toutes les nations, à toute créature ; mais la prédication est la seule manière qui convienne à l’enseignement de tous et de chacun. De tout temps, il y a eu des gens complètement ignorants dans l’art de la lecture.

d) Tous les Apôtres n’ont pas écrit /d’autre part, tous ont obéi au Sauveur. C’est donc qu’il ne s’agit pas dans les paroles de Jésus du seul mode de communication de la doctrine par l’Ecriture.

2. Le magistère apostolique est rraiment authentique. — « Tout pouvoir, dit Jésus, m’a été donné dans le ciel et sur la terre : allez donc, enseignez toutes les nations » (Matt., xxviii, 18, 19). C’est donc en vertu du pouvoir, de l’autorité même du Christ, dont ils ont reçu une participation, que les Apôtres doivent enseigner : c’est donc aussi que les croyants doivent recevoir l’enseignement des Apôtres comme ils recevraient celui de Jésus-Christ lui-même.

3. Le magistère apostolique est infaillible. — t Voici, dit Jésus à ses Apôtres, que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles » (Matt., xxviii, 18-20). Notre-Seigueur est donc avec les Apôtres, précisément en tant qu’ils enseignent. Toutes les fois que, d’après l’Ecriture, Dieu est avec quelqu’un, cet homme n’a rien à craindre, tout lui réussira à souhait (Gen., xxvi, 3, "it ; Ex. iii, 11, 12 ; Jer. 1, 8, etc.). Le Sauveur promet donc aux Apôtres une assistance toute particulière dans leur enseignement. Cette assistance a pour effet de les rendre infaillibles dans la communica tion de la doctrine révélée ; elle a pour objet la vérité elle-même ; si elle ne garantissait pas l’infaillihililé, il y aurait disproportion entre la lin et les moyens, entre la vérité elle-même et les moyens dont Dieu aurait investîtes Apôtres pour enseigner cette vérité : ce qui est impossible. Saint Paul appelle l’Eglise : « la colonne et la base de la vérité ». Or, si l’Eglise n’était pas infaillible, elle ne serait pour la vérité qu’un soutien ruineux.

4. Le magistère confié aux Apôtres est perpétuel ; c’est-à-dire qu’il a passé aux successeurs des Apôtres. — Il s’agissait d’enseigner toutes les nations, de prêcher l’Evangile jusqu’aux extrémités du monde. Mais les Apôtres, personnellement, étaient incapables de remplir cette mission. C’est donc que les paroles du Christ s’adressent aux Apôtres considérés comme représentant juridiquement toute la série de leurs successeurs jusqu’à la fin des temps. La propagation de l’Evangile durera jusqu’à la /in du monde (Matt., xxiv, 14) ; c’est donc que le magistère institué par Jésus-Christ doit être perpétuel.

IL — Existence dk Traditions divines

OBJECTIVIiMUNT DISTINCTES DES ECRITURES.

La Révélation Chrétienne n’est pas seulement contenue dans les Livres Saints. On la trouve aussi dans les traditions non écrites. La Tradition chrétienne a une telle amplitude que non seulement elle renferme les dogmes contenus dans les Ecritures, mais qu’elle est encore la source d’un certain nombre d’autres.

Une simple conséquence de la thèse établie sousl, est que tous les dogmes renfermés dans les Ecritures sont transmis non seulement par l’Ecriture elle-même, mais encore par une autre voie bien distincte, qui est le magistère vivant de l’Eglise. La question qui se pose ici est de savoir si, en dehors de ces vérités, transmises à la fois par l’Ecriture et la Tradition qui a la garde des Ecritures, il y en a d’autres également divines, objectivement distinctes des vérités contenues dans les Ecritures, et, en conséquence, transmises par la seule Tradition. Nous répondons ailirmativement dans la thèse. Voici les preuves de notre assertion.

1. Argument de Franzblin (De Traditione, p. 252 sqq.) — Une fois démontrée l’existence du magistère ecclésiastique, on en déduit l’existence de traditions divines objectivement distinctes de l’Ecriture. Puisque Notre-Seigneur a institué dans son Eglise un magistère infaillibleet perpéluel, ce magistère doit nous offrir un témoignage, une attestation authentique des dogmes révélés. Or, à l’époque où les protestants se sont séparés de l’Eglise, on s’accordait unanimement dans cette Eglise, et depuis plusieurs siècles, à admettre comme vérités révélées, plusieurs dogmes qui ne sont pas contenus dans l’Ecriture ou du moins qu’on ne peut établir d’après les seules Ecritures ; les protestants le reconnaissent. Citons, par exemple, lé dogme du Canon des Ecritures, la validité du baptême accordé aux enfants, la validité du baptême conféré par les hérétiques, la supériorité du sacrement de l’Eucharistie sur les autres sacrements.

On ne pourrait nier que ces dogmes fussent divinement révélés qu’à la condition de rejeter le témoignage unanime qui les donnait pour tels, c’est-à-dire en rejetant le magistère ecclésiastique.

L’existence du magistère une fois admise, on doit nécessairement reconnaître que les dogmes en question font partie du dépôt de la foi conservé et transmis par les successeurs des Apôtres ; il faut donc admettre que la parole de Dieu s’étend plus loin que la parole de Dieu écrite. La controverse avec les protestants, au lieu de porter sur tel ou tel point de 1789

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doctrine, pour savoir s’il a été révélé et transmis, doit donc porter principalement sur l’existence du magistère de l’Eglise ; l’affirmation de cette existence est L’affirmation de toutes les traditions chrétiennes ; la négation du magistère ecclésiastique est la source de toutes les autres négations protestantes.

>. Saint l’uni demande aux Thessaloniciens de garder les traditions qu’ils ont reçues de vive voix ou par lettre (II Thess., il, 15). — Dans ce texte de l’Apôtre, il s’agit non seulement de traditions disciplinaires, mais même de traditions dogmatiques ; les termes de saint Paul sont très généraux. Le contexte, d’ailleurs, nous fait voir que l’Apôtre parle de choses intéressant la foi et les mœurs ; il se propose, en ell’et, dans ce chapitre ii, de rectifier l’idée erronée de plusieurs chrétiens sur la proximité de la On du monde.

III. — Rapports bntrb la Tradition divine kt l’Kcriturb

i. La Tradition divine précède les Saintes Ecritures dans l’ordre chronologique. — a) Il ne faudrait pas entendre cette proposition en ce sens que tout d’abord la Révélation divine ait été achevée et transmise par la tradition orale, puis, qu’à une époque postérieure, les vérités traditionnelles aient été consignées dans les Ecritures. Il existait, en effet, déjà des Ecritures avant que la Révélation fût close : Notre-Seigneur et les Apôtres en appellent fréquemment à leur témoignage. Voyez, par exemple, Joan., v, 36-3ç..

b) Nous ne voulons pas dire davantage que chaque point de doctrine, avant d’être confié à l’Ecriture, fut d’abord transmis de vive voix. On a des exemples du contraire. Dans l’Apocalypse (i, n), le Seigneur ordonne à saint Jean de mettre par écrit l’objet de ses visions pour en faire part aux sept Eglises d’Asie.

c) Le sens de notre assertion est que, dans l’ancienne économie religieuse, la seule Tradition a conservé la Révélation divine jusqu’à Moïse. C’est à partir de cette époque qne les écrivains sacrés ont reçu l’inspiration de l’Esprit-Saint pour composer des livres. De même, dans la nouvelle Loi, l’Eglise de Jésus-Christ a été constituée et s’est conservée par la prédication, avant qu’aucun Livre du Nouveau Testament ne vit le jour ; peu à peu une partie delà doctrine révélée fut mise par écrit, et les Ecritures du Nouveau Testament, comme celles de l’Ancien, furent confiées à l’Eglise.

2. La Tradition divine, eu égard à l’économie instituée par le Christ, précède encore les Saintes Ecritures dans l’ordre logique, c’esl-à-dtre au point de vue de la connaissance que nous en avons. — On peut considérer la Tradition sous un double aspect : a) En tant qu’elle est purement historique, et sert de base à une démonstration critique ou philosophique ;

b) Au sens théologique du terme, c’est-à-dire en tant qu’elle est précisément religieuse et divine. Nous parlons de la Tradition divine.

Pour ce qui est de l’Ecriture, on distingue ; i° la connaissance de l’Ecriture, monument qui nous a été conservé ; — i° la connaissance de la doctrine contenue dans les Ecritures.

i° Quand il s’agit de la connaissance de l’Ecriture, cognitio de Scriptura, on peut envisager, tour à tour, l’authenticité, l’intégrité, la vérité des Livres saints, la divinité de leur doctrine et leur inspiration.

a) L’authenticité appartient à un livre quand il provient réellement de celui auquel on l’attribue.

b) L’intégrité exclut tout changement essentiel dans les livres auxquels elle s’applique.

c) La vérité d’un livre, c’est la vérité de toutes les propositions qui le constituent.

d) La divinité des livres de l’Ecriture consiste en ce que la doctrine qu’ils contiennent est révélée de Dieu.

e) Enfin, l’inspiration de ces livres vient de qu’ils ont Dieu pour auteur principal.

L’authenticité, l’intégrité, la vérité des Livres Saints, la divinité de la doctrine qui y est renfermée, peuvent être établies d’une manière historique et critique. Mais cette démonstration n’est pas à la portée de toutes les intelligences ; elle n’est pas, au surplus, de nature à terminer, par elle-même, la controverse, à trancher tous les doutes.

Quant à l’inspiration des Livres Saints, on peut la démontrer en s’appuyant sur l’autorité des Saintes Ecritures ; mais il faut remarquer que les témoignages écrits des Apôtres et des évangélistes ne prouvent l’inspiration quede quelques livres. Déplus, cette preuve n’est pas à la portée de tous : on pourra donc la récuser.

Une démonstration scientifique, critique, ou purement historique peut servir évidemment à la défense de la foi. Mais ce n’est point là l’économie que Jésus-Christ a directement instituée pour conserver toujours intacte la foi chrétienne et spécialement la doctrine qui concerne les instruments de transmission de cette même foi. Jésus et plus tard le Saint-Esprit lui-même, par l’entremise des Apôtres, ont confié à l’Eglise les documents écrits de la foi chrétienne, en même temps que la révélation de leur caractère inspiré. C’est donc que, selon les principes de l’économie instituée par le Sauveur, on doit recourir au magistère infaillible et vivant de l’Eglise, pour avoir la connaissance parfaite de toutes les questions qui concernent l’Ecriture. Mais, le magistère infaillible, c’est précisément la Tradition divine, au sens actif du terme ; c’est donc par la Tradition que doit régulièrement venir aux fidèles la connaissance de ce qui a trait à l’Ecriture. Eu égard à l’institution du Christ, la Tradition précède donc l’Ecriture dans l’ordre logique, c’est-à-dire au point de vue de la connaissance que nous en avons.

20 S’il s’agit maintenant de la connaissance de la doctrine contenue dans les Ecritures, cognitio doctrinae quæ est in Scripturis, nous affirmons encore la priorité logique de la Tradition.

Jésus a confié le dapôt entier de la Révélation au magistère infaillible de son Eglise ; c’est donc à la Tradition catholique qu’il revient de déterminer le vrai sens des Ecritures, à elle qu’est dévolu le rôle d’interpréter infailliblement les Saintes Lettres. Il y a pourtant dans l’Ecriture, nous l’avons dit, un certain nombre de passages qui sont très clairs par eux-mêmes, indépendamment de la Tradition catholique. C’est sur l’autorité historique de ces passages que nous nous sommes précisément appuyés I pour démontrer l’existence de la Tradition elle-même. j A ce point de vue, on peut considérer l’Ecriture comme logiquement antérieure à la Tradition. Cette sorte de priorité logique de l’Ecriture ne peut cependant fournir la connaissance de l’inspiration de tous les Livres Saints, ni, par suite, de toute la doctrine consignée dans les Ecritures. Voilà pourquoi, à bien prendre et en définitive, c’est la Tradition qui prime l’Ecriture dans l’ordre logique.

3. Si on compare la Tradition et l’Ecriture au point de vite de leur amplitude objective, il faut dire que leur objet coïncide en certains points et diffère totalement sous d’autres rapports.

i) L’objet de la Tradition et de l’Ecriture est partiellement le même. — La Tradition divine contient, en effet, les principaux points de doctrine renfermés dans les Ecritures, par exemple, ce qii( a trait aux articles du Symbole des Apôtres, aux préceptes du Décalogue, à l’autorité de l’Eglise, à la 1791

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nature des sacrements. Les Apôtres avaient reçu de Jésus l’ordre de prêcher la doctrine révélée : ils obéirent à leur Maître, et c’est de vive voix qu’ils communiquèrent le dogme révélé aux Eglises qu’ils fondèrent. Après eux, leurs successeurs firent de même, en sorte que la doctrine contenue dans les Ecritures nous est parvenue par un moyen indépendant des Ecritures elles-mêmes. C’est donc que l’objet de l’Ecriture et de la Tradition coïncide en certains points.

a) Cet objet diffère totalement sous d’autres rapports. — Nous avons démontré l’existence de traditions divines objectivement distinctes des Ecritures. Il y a donc des vérités révélées qui sont exclusivement l’objet de la Tradition, c’est-à-dire, ne se trouvent nullement dans les Ecritures. D’autre part, l’Ecriture transmet des vérités qui ne sont pas l’objet de traditions objectives.

L’Ecriture contient une double catégorie de vérités inspirées : les unes ont trait directement au dogme ou à la morale ; d’autres sont par elles-mêmes indifférentes au point de vue dogmatique ou moral, mais ont été inspirées par l’Esprit-Saint, pour que les livres de l’Ecriture eussent, avec leur autorité divine, une autorité historique et humaine. Les vérités de la première classe sont appelées par saint Thomas rêvelata propter se, les autres revelata per accidens. Les revelata per accidens, ce sont les détails chronologiques ou historiques qui encadrent dans nos saints Livres les vérités proprement dogmatiques. L’Ecriture seule, à l’exclusion de toute tradition divine objective, nous transmet ces détails.

Si l’on considère la Tradition au point de vue actif, on peut dire avec vérité que même les vérités révélées per accidens ou par concomitance nous sont transmises par la Tradition, mais seulement d’une façon médiate.

IV.

Magistère ordinaire et extraordinaire db l Eglise

L’Eglise enseigne de deux façons : par son magistère ordinaire et par son magistère extraordinaire.

I. — Le magistère extraordinaire de l’Eglise s’exercepar les déûnitions solennelles soit desPapes, parlant ex cathedra, comme chefs suprêmes de l’Eglise, soit des conciles oecuméniques. Les déûnitions du Pontife Romain et des Conciles généraux sont infaillibles en matière de foi et de mœurs.

Certains actes de l’Eglise se réfèrent, dans une certaine mesure, au magistère extraordinaire, par la précision de leur teneur et la solennité relative de leur exercice. Ce sont les enseignements des Papes et des Conciles qui ne revêtent pas un caractère définitif, puis encore les décisions doctrinales des Congrégations Romaines. On peut les considérer comme des formes secondaires du magistère ecclésiastique ordinaire. (MangenoI, Dict. de Théol. cathol. Art. Interprétation de l’Ecriture.")

II. — Le magistùre ordinairr de l’Eglise est un mode d’enseignementqui est exercé quotidiennement dans le monde par le Pape et par le corps de l’épiscopat. Le Pape et les Evêques légitimes, dispersés dans l’univers, constituent l’Eglise enseignante ; les théologiens et les prêtres qui enseignent au nom des évêques et sous leur dépendance, sont comme des échos et des instruments du Pape et des Evêques.

a) Le magistère ordinaire de l’Eglise jouit de l’infaillibilité quand les organes en sont universellement unanimes et enseignent une doctrine, une pratique du domaine de la foi ou des mœurs.

6) Le magistère’ordinaire s’étend à toute la doctrine

chrétienne. Il l’exprime par des enseignements explicites, parmi lesquels les écrits des Pères ont un rôle très considérable, avec les symboles, les professions de foi, les catéchismes. Il la manifeste également par des enseignements implicites qui résultent principalement de la discipline et delà liturgie. Il l’affirme enfin par une proposition tacite de tout ce qui a été cru depuis le temps des Apôtres et det out ce qui est renfermé dans l’Ecriture Sainte et les monuments de la Tradition.

V. — De l’autorité des Pehes de l’Eglise

L’un des principaux moyens qui nous servent à reconnaître la Tradition divine est le témoignage des Pères de l’Eglise.

I. Pères de l’Eglise. — A l’origine, ce mot * Père », oui saint Père » était réservé aux évêques. On l’appliqua plus tard aux écrivains ecclésiastiques de l’antiquité. Saint Vincent de Lérins, dès 434, ne reconnaît pour Pères véritables que ceux qui, dans leur doctrine, sont restés inviolablement fidèles à la fui de l’Eglise, et qui dans leur vie ont été, jusqu’à leur dernier soupir, des modèles de vertu chrétienne. Et l’Eglise elle-même dans sa pratique n’a honoré du nom de Pères que les écrivains dont la rigoureuse orthodoxie, comme la sainteté, répondaient pleine* ment au portrait tracé par saint Vincent de Lérins dans son Commonitoire.

Depuis qu’il est passé en usage de réserver ce titre aux écrivains des premiers âges, on ne le donne d’ordinaire qu’à ceux qui réunissent quatre conditions : l’orthodoxie de la doctrine, la sainteté de la vie, l’antiquité, l’approbation de l’Eglise ; et l’idée d’un Père ne s’ofïre à nous qu’avec ce quadruple caractère.

Les autres auteurs de l’antiquité qui professentet défendent dans leurs livres la foi de l’Eglise, n’ont droit qu’au titre d’écrivains ecclésiastiques, Tertullien et Origène, par exemple.

IL Autorité des Pères. — Quand on se demande quelle est l’autorité des Pères de l’Eglise, et, si véritablement ils ont été les interprètes de la Tradition catholique dans l’exposition de la doctrine révélée, on peut considérer trois hypothèses :

i. Dans la première hypothèse, nous nous trouvons en présence de l’opinion de tel ou tel Père pris isolément. Nous devons alors respecter ce sentiment dans une mesure proportionnée à l’antiquité, à la science, à la sainteté du Père qui est en cause. Cependant, si de sérieux motifs le réclament, nous pouvons n’être pas de son avis.

L’infaillibilité, en effet, n’a été nullement promise à chacun des Pères pris isolément : voilà pourquoi tel d’entre eux a pu se tromper : saint Cyprien, par exemple, lorsqu’il prétendait que le baptême conféré par les hérétiques n’était pas valide.

2. Nous pouvons considérer l’hypothèse d’un désaccord entre les Pères, sur un point de doctrine ; nous n’aurons alors à considérer leurs témoignages que comme de simples probabilités.

3. Dans l’hy pothèseoù les Pères s’accordent moralement à témoigner de tel point de la doctrine révélée, leur autorité est absolument irréfragable : ils sont, dans ce cas, les témoins authentiques de la Tradition divine.

On peut suivre une double méthode pour établir l’existence du consentement unanime des Pères :

a) La méthode directe consiste à passer en revue les témoignages qu’il donnent ;

b) Une autre méthode, indirecte il est vrai, mais plus pratique, consiste à procéder par induction, en s’appuyant sur quelques témoignages.

L’accord des Pères est démontré : — i) Si les plus illustres parmi eux s’accordent, et qu’aucun des autres ne réclame. Ceci est vrai surtout quand les Pères, dont on cite les témoignages, ont écrit à des époques diverses et dans des pays différents ;

a)Le témoignage de quelques Pères ou même d’un seul peut suffire, quand, d’après les circonstances il se présente comme le délégué, le champion de l’Eglise elle-même. Tel saint Augustin défendant le dogme de la grâce divine, au nom de l’Eglise, contre les erreurs pélagiennes.

H. Pérennès.