Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Sapientiaux (Livres)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 597-613).

SAPIENTIAUX (LIVRES). —
I. Les livres  : 1.Noms et nombre. — 2. Job : la sagesse en dehors de la religion juive. — 3. Proverbes : les formes littéraires de la sagesse ; Salomon principal auteur. — l. Ecclésiaste : unité et auteur. — 5. Ecclésiastique : date, auteur et texte. — 6. Sagesse : unité et auteur, — 7. Baruch : auteur et date. — 8. Canonicité des trois derniers.

II. Les Sages. — 1. Dans les livres historiques ; Salomon, et ses 3. 000 sentences. — 2. Dans les livres prophétiques ; faux sages et vrais sages visà-vis des prophètes.

III. La Sagesse. — 1. Subjective ou pratique ; ni utilitaire ifi épicurienne. Sanction et vie future. — 2. Objective ou spéculative ; pas d’agnosticisme ou de scepticisme. La Sagesse et la Loi. — 3. Personnifiée ; préparation du dogme chrétien.

IV. Influences étrangères ? — Prétendus emprunts : A) à l’Egypte, B) à Babylone, C) à la Perse, D) à la Grèce.

V. Bibliographie.

I. Les Livres

1. Noms et nombre. — Dans la liturgie catholique le nom générique de Liber Sapientiæ (Livre de la Sagesse) est donné à chacun des livres saints, qui, dans la Bible, portent leurs noms propres de Proverbes, Ecclésiaste, Sagesse de Salomon, et Ecclésiastique 1. Ce n’est pas à tort. Car tous ces livres appartiennent à cette branche particulière de la littérature hébraïque (Ancien Testament), qu’on est convenu d’appeler sapientiale, d’après le sujet, autour

1. Nous citons les saints livres toujours d’après Crampon. La sainte Bible, 1923, sauf indication contraire. Pour la numérolationdes Psaumes, voir tome III, col’17.">, note 1. 1183

SAPIENTIAUX (LIVRES)

1184

duquel elle tourne presque exclusivement : 1a sagesse (sapientiu), comme nous l’aurons à expliquer plus loin. On ] ourrait de même, pour le sujet aussi bien que pour le style, la rapprocher de la poésie gnomique des littératures classiques. Aussi dans la Bible catholique ces quatre livres font-ils corps. Il s’y insère juste au milieu, entre l’Ecclésiaste et la Sagesse proprement dite, le Cantique des Cantiques, qu’on peut rattacher à ce genre de littérature par les leçons morales qui s’en dégagent. Sauf cela, le Cantique est à ranger proprement dans la littérature ou poésie lyrique.

Le Cantique des Cantiques entrerait de plain pied dans la littérature sapientiale, si l’interprétation était vraie qu’en oui proposée quelques rares savants. Il est certain ( et c’était opinion jadis universellement reconnue), que, sous ce poème à l’apparence erotique, se cache une allégorie, un ^ens d’un ordre plus relevé. Los amours d’un jeune homme (généralement identifié à Saloraon) et d’une jeune fille, symbolisent d’autres amours tout à fait spirituelles. Or un exégète allemand d’il y a un siècle, Erm. Frid. Charles Rosi-nmuellek, dans ses Scholia in Velus Testant. IXe partie, vol. 2 (Leipzig, 1830), gardant pour le jeune homme du Cantique le personnage réel du Salomon historique, a cru reconnaître dans la jeune fille la figure idéale de la Sagesse. En effet il nous est dit dans le livre qui porte le propre nom de la Sagesse, en un beau passage mis sur les lèvres de Salomon lui-même, que ce sage roi fut épris delà Sagesse, qu’il la demanda pour épouse, qu’il l’emmena chez lui [Sag., vii, 2. 9. 18), tout comme le jeune homme du Cantique fait sienne celle qui a ravi son cœur (Cant., Il, 9).

D’une façon semblable, déjà au moyen âge et à la renaissance, des savants juifs avaient vu dans l’épouse du Cantique la philosophie. Ces explications forcées n’eurent guère d’adhérents et ne survécurent pas longtemps à leurs auteurs.

Pourtant elles viennent d’être renouvelées. Un pasteur suis-e, Gottfried Kuhn, en comparant de près le Cantique et YEcclésiaste, dans le nom énigmatique de celui-ci (en hébreu Qohéleth, participe féminin du verbe qahal), trouve personnifiée la Sagesse, qui s’adresse au grand public, tandis que dans la Sulamite, nom de la jeune filh ; du Cantique (vu. 1), il voit la sagesse plus intime, réservée à l’élite (Erklarung des Bûches h’oheleth, Giessen, 1926, p. 4 ; Erklarung des llohtn Licdes, Leipzig, 1926). C’est une hypothèse, qui repose sur des bases bien fragiles. Nous ne pouvons rien en tirer pour notre sujet ; le Cantique reste entièrement en dehors du cadre de notre élude. Il a d’ailleurs été l’objet, dans ce dictionnaire, d’un article distinct.

Par contre, on ne saurait négliger, dans une élude d’ensemble sur la sagesse juive, le livre de Job, quoique assez souvent on le laisse en dehors. Il a tous les droits à être rangé parmi le » livres sapientiaux, moins à cause de l’hymne à la Sagesse, qui en forme le chap. xxvui (authentique sans doute, mais discuté ; voir ci-dessous), que parce que dans tout le livre, surtout dans le poème (chap. iii-xli), on traite à fond une des plus graves questions, qui occupaient les sages : D’où vient le malheur ? — Ainsi, aux cinq livres précédemment nommcs(on les trouve dans les anciens canons latins, groupés sous le titre de « Cinq livres de Salomon »), ajoutant le livre de Job, nous pouvons compter dans notre Bible six livres sapientiaux, nombre que, par exemple.l’Eglise grecque a reconnu et consacré par un terme forgé exprès : |far#’pt « y’, les six (livres) sapientiemx.

Toutefois rémunération n’est pas encore Complète. Il est dans le livre (deutérocanonique) de Baruch un morceau remarquable (ni, q-tv, ’|), celui-là même qui

1. On le lit comme titre dans des manuscrits de la Septante, par exemple Paris Nat. Coislin 4 fol. 4 : 13 : dans des liste-’de livres canoniques (voir Mélanges d’archéologie et d’histoire, xxiii, fi 902], p. 200) ; dans des inventaires de bibliothèque (liyzant. Zeilschrifl, I | 1X92], p. 519, ligne 8). Il a passé même en copte, en abyssin et en

ravissait un jour le brave La Fontaine, d’après l’anecdote bien connue. Ce morceau se détache franchement de tout le reste du livre ; c’est un éloge enthousiaste de cette Sagesse, qui était patrimoine exclusif de la nation juive.

Ce n’est pas tout. Dans le recueil, presque tout lyrique, des Psaumes, ou Psautier, mainte pièce, par son argument et son allure, demanderait à être classée avec les livres que nous "venons d’énumérer. Tels, par exemple, les Psaumes, qui traitent la question, grave entre toutes, du rapport du mal physique au mal moral, autrement dit, du châtiment des méchants et du prix des justes (Ps., xxxvii, xxxix, xlix, lxxiii, xc) ; tels aussi les psaumes à 6ujet moral (i. xviu. c. cxi. cxn. cxxvi) ou la méditation philosophique qui forme le Ps. cxxxvm (comparer Prof., xxx, i-6). Nous en avons dit le suffisant au tome III, col. 483-486 ; /J92 suiv. Ici il nous faut d’abord passer en revue les livres sapientiaux proprement dits, pour en faire ressortir les points qui peuvent nous aider à mieux comprendre la nature ou la portée de leur enseignement.

2. Job. — On a dit suffisamment plus haut (tome II, col. 1541-1544) tout ce qui touche au sujet et au caractère divin du livre de Job. Ici nous n’avons plus à faire qu’une remarque, importante pour préciser la position de la Sagesse vis-à-vis de la religion et de la nationalité juive. Quoique l’auteur soit un Hébreu (tome II, col. 15’( 2), les personnages du petit drame ou dialogue, et son protagoniste lui-même, ne sont pas des Hébreux. Job est vanté comme « le plus grand de tous les 01s de l’Orient », nom que la Bible donne à des tribus arabes ou araméennes, établies à l’Est de la Palestine et souvent ennemies du peuple d’Israël (Juges, vi-vm). Ce sont ces mêmes (ils de l’Orient, dont la Bible elle-même reconnaît la renommée en fait de sagesse (I Rois, v, 10 ; Vulgate, III Rois, iv, 30).

La patrie de Job, quoiqu’elle ne puisse être précisée avec certitude, est sans doute à placer à la lisière du désert syro-arabique, et à mettre en étroite connexion avec l’Idumée (comparer Lam, t iv, 21), pépinière d’hommes sages (Jér., xlix, 7 ; Bar., iii, 22) 1.

Le premier des trois amis de Job (11, 1 1), Elipliaz, était de Théman, ville certainement iduméenne (comp. Gen., xxxvi, 34 ; Es., xxv, 13) ; les deux autres venaient peut-être de pays araméens ; de même Eliu, le jeune homme qui intervient inattendu à la fin de la dispute (xxxh, 2), était araméen. Tous ces hommes sont des monothéistes, mais enfin ils sont étrangers à la race d’Israël, ignorent la loi de Moïse ; et pourtant ils sont mis en scène par l’auteur hébreu comme des sages, auxquels on confie une des plus graves questions que la sagesse ait à se poser. C’est que la sagesse, telle que la concevaient les Hébreux eux-mêmes, quoique connexe avec la religion, peut néanmoins être indépendante de la révélation ; elle s’appuie plutôt sur la raison et sur l’observation, sauf à briller du plus vif éclat si à la raison s’ajoute la révélation, et si à l’observation s’allie une loi divine. Mais de ceci nous aurons à parler plus loin.

S. Proverbes. — Le livre des Proverbes, qui tient une place éminente ou même la première place

arabe ; voir Revue bib liq ue, 1901, p. 165, 167, 169 note 4. Serait-il à reconnaître aussi dans le titre étrange de 5enobia que portent nos livres dans un vieux catalogue de la bibliothèque de Cluny, écrit entre 1158 et 116 ! ? Voir L. Delisi.f, Cabinet des manuscrits II, 459 ss., Inventaire drs manuscrits de la fiibl. Nal., p. 364 fin.

1. Voir P. Diioumi-, Le pays de Job dans Revue biblique, 1911, pp. 102-107. 1185

SAPIENTIAUX (LIVRES)

1186

parmi les livres sapientiaux, se donne lui-même fournie un livre composite, aussi clairement que possible ; il réunit à lui seul presque toutes les formes de ce genre littéraire spécial, qu’est le sapiential ; il en montre presque tonte l’évolution, depuis la forme la plus ancienne et primitive jusqu’à la plus évoluée. Il se divise nettement en neuf parties qui se distinguent tout à la fois par leur auteur, par leur sujet et par la forme poétique. Ce sont : (i) i ix ; (a)x, 1-xxii, 16 ; (3) xxii, 17-xxiv, 22 ; (4) xxiv, 23-3/, ; (5) xxvxxix ; (G) xxx, 1-1 4 ; (7) xxx, 1 5-33 ; (8) xxxi, 1-9 ; (y) xxxi, io-31.

Nous allons les faire passer sous les yeux du lecteur et les caractériser brièvement, groupées d’après leurs auteurs et dans un ordre à la fois logique et chronologique.

Au centre du livre se détachent d’abord deux sections qui, dans des titres spéciaux, portent tout particulièrement le nom de Salomon ; ce sont les parties (2) et (à), soit ch. x, i-xxn, 16 et ch. xxv-xxix. C’est d’après ces deux sections, de beaucoup les plus longues et les plus variées, que tout le livre prend ordinairement, dans les copies manuscrites et imprimées de la Bible, le nom de Proverbes de Salomon. Leur sujet est des plus variés ; ce sont des principes de vie morale, énoncés sous forme d’aphorismes, chacun en un vers de deux stiques parallèles, tels que, par exemple, les trois premiers (x, i-3) :

Le fils sage fait ht joie de son père,

et le fils insensé le chagrin de sa mère.

Les trésors acquis par le crime ne profitent pas, mais la justice délivre de la mort.

Yahweh ne laisse pas le juste souffrir de la faim, mais il repousse la convoitise du méchant.


Le ton en est, comme on le voit par ces exemples, celui de l’observation objective ; parfois c’est de la pure peinture de mœurs, par exemple :

Le travailleur travaille pour lui, car sa bouche l’y excite (xvi, 26).

Mauvais, mauvais, dit l’acheteur,

et en s’en allant, il se félicite (xx, 14).

La porte tourne sur ses gonds ; ainsi le paresseux sur sa couche. Le paresseux met sa main dans le plat, et il a de la peine a la porter à sa bouche (xxvi, 14.

[15). L’exhortation y est rare, comme

Recommande tes œuvres à Yahweh. et tes projets réussiront (xvi, 3).

Ces maximes se suivent sans aucun ordre apparent. Rn y regardant de près, on dirait que, dans la disposition de ces aphorismes indépendants l’un de l’autre, on a eu un certain égard à la forme du parallélisme des stiques ; car il est aisé d’observer que, dans les chap. x-xv, on a presque toujours le parallélisme appelé antithétique, c.-à-d. par opposition, par exemple :

Le sacrifice des méchants est en horreur à Yahweh, mais la prière des hommes droits lui plait (xv, 8).

Dans les chap. suivants (xvi-xxn, 16) au contraire, on ne rencontre que du parallélisme synonyme ou progressif, tel que :

L’01-gueil précède la ruine

et la fierté précède la chute (xvi, 18).

Le cœur du sage donne la sagesse à sa bouche et sur ses lèvres accroît le savoir (xvi, 23).

On équipe le cheval pour le jour du combat, mais de Yahweh dépend la victoire (xxi, M).

Tome IV.

Le deuxième recueil salomonien (chap. xxv-xxix) a ceci de particulier, que les simples comparaisons y abondent :

Comme l’oiseau qui erre loin de son nid,

ainsi l’homme qui erre loin de son lieu (xxvn, 8).

L’huile et le parfum réjouissent le cœur ; telle la douceur d’un ami, dont le conseil vient du

[cœur (xxvll, 9).

Une gouttière continue dans un jour de pluie

et une femme querelleuse se ressemblent (xxvn, 15).

C’est, parait-il, la forme primitive du dicton sentencieux, de la maxime morale (mâchai, proprement comparaison, est devenu le mot technique du proverbe ou sentence morale, d’où le titre même du livre, Michlé en hébreu, Proverbia en latin ; voir Dict. de la Bible, V, 779).

En outre, dans ce même recueil, les maximes sont groupées souvent d’après leurs sujets, comme on peut le voir dans la traduction de Crampon, 2e édition.

Entre ces deux recueils salomoniens, se placent deux autres petites collections, (3) et (4), qui, dans le texte même, sont rapportées à des sages anonymes ; leur sujet est ce qui concerne les rapports avec le prochain, leur ton celui de l’exhortation paternelle, leur forme le quatrain (deux vers ou quatre stiques) en parallélisme synonyme. Exemple ;

Ne déplace pas la borne antique

et n’entre pas dans le champ des orphelins ;

car leur vengeur [Dieu] est puissant,

il défendra leur cause contre toi (xxm, 10. 11).

Mon fils, si ton cœur est sage,

mon cœur, à moi aussi, sera dans la joie ;

mes entrailles tressailleront d’allégresse,

quand tes lèvres diront ce qui est droit (xxm, 15. 16).

Les quatre dernières sections peuvent être considérées comme des appendices aux recueils salomoniens. Ce sont :

(6) xxx, 1-14. « Les paroles d’Agur, fils deJaké », ainsi que porte leur titre ; leur sujet principal est la transcendance de Dieu et Vaurea mediocritas, ou la vie éloignée en même temps de la richesse et de la mendicité.

(7) xxx, 15-33. Peu de critiques considèrent ce petit morceau comme une section distincte de la précédente ; mais la place qu’il a dans la Septante (où nos neuf sections se suivent dans l’ordre 1. a. 3. 6. 4.7. 8. 5. 9.), et ses caractères particuliers nous y obligent. Il groupe des choses remarquables au nombre de quatre et il les dispose en une espèce de climax, sous la forme : Trois choses (ont telle propriété ) et quatre (tout de même). Exemple :

Il y a trois choses qui me dépassent,

et même quatre que je ne comprends pas :

la trace de l’aigle dans les rieux,

la trace du serpent sur le rocher,

la trace du navire au milieiide la mer,

et la trace de l’homme chez la jeune fille (xxx, 18-19).

Un dicton de ce style à sept membres (Six choses… et sept) W trouve dans VI, 16-19.

(8) xxxi, 1-9. « Paroles du roi Lamuel » (titre) : ce sont des avertissements à un jeune prince.

(9) xxxi, io-31. Éloge de la femme forte. Ce dernier morceau est composé en vers acrostiche », alphabétiques, c.-à-d. que le premier verset commence par la première lettre de l’alphabet, le deuxième par la deuxième, et ainsi de suite. C’est un genre très goûté, parait-il, par les anciens Hébreux, nombre de psaumes et presque toutes les Lamenta 38

1187

SAPIENTIAUX (LIVRES)

1188

lions de Jéréuiie sont composés de la sorte. Les trois sections précédentes (6-8) sont en strophes de différentes mesures.

Enfin la première section (i-ix) a été préposée à tout le recueil en guise d’introduction. En effet, elle contient des invitations générales à l’étude et à la pratique de la sagesse, et si elle descend à des points particuliers, c’est surtout pour détourner les jeunes gens de la femme étrangère (de mauvaise vie). La pensée se déroule dans d’amples et majestueuses périodes, on dirait de grandes strophes d’une dizaine de versets environ, et prend le ton paternel de l’éducation au foyer domestique. Ainsi :

Ecoutez, mes fils, l’instruction d’un père,

et Soyez attentifs, pour apprendre 1 intelligence ;

car je vous donne une bonne doctrine ;

n’abandonnez pas mon enseignement.

Moi aussi j’ai été un fils pour mon père,

un fils tendre et unique auprès de ma mère.

Il m’instruisait et il me disait :

« Que ton cœur retienne mes paroles, 

observe mes préceptes, et tu vivras » etc. (iv, 1-4).

D’après l’opinion jadis commune et aujourd’hui encore préférée par les savants catholiques, l’auteur de cette introduction (i-ix) serait encore Salomon. On s’appuie généralement sur la claire affirmation du premier verset, espèce de titre : Proverbes de Salomon, fils de David roi d’Israt ! , etc. Mais, comme le fait bien ressortir la 2e édition de Crampon, tout le prologue I, 1-7 pourrait bien se rapporter à tout le livre dans son ensemble, attribué en bloc à Salomon parce que Salomon en est le principal auteur, tout comme le Psautier est appelé par le Concile de Trente Psalterium davidicum, parce que David est le plus remarquable et le plus fécond des auteurs de psaumes. Cela n’importerait pas que Salomon soit aussi l’auteur de la section immédiatement suivante (1, 8-ix, 18), de même que les sections 3e et fp, enchâssées entre deux recueils salomoniens, ne sont pas de Salomon. D’autre part, le style de cette première partie est tout à fait différent de celui des recueils salomoniens ; sa langue a de frappantesaccointances avec celle du livre de Job, les longs développements r mire la « femme étrangère », dont nous parlions tout à l’heure, au temps de Salomon auraient été une satire contre ce roi voluptueux (I Rois, xi, 1-8), plutôt que la peinture des mœurs de ce temps là.

Il est donc plus prudent d’abandonner l’origine salomonienne de cette première partie du livre. Mais ceci fait, nous sommes d’autant plus en droit de soutenir, que Salomon est vraiment l’auteur des deux recueils x-xxn 16 et xxv-xxix. Aucune raison décisive n’a pu être opposée ; et d’autre part, l’archaïsme de l » IV.rme poétique, et pai lois de la langue elle-même, joint à ce que raconte le livre sacré des Rois du talent de Salomon (I Rois, v, 10-12), nous offre une base très solide pour affirmer que, dans les deux recueils tout à l’heuie mentionnés, il est parvenu jusqu’à nous une partie notable de ces « trois mille maximes » (hébr. maSml) que « prononça » le plus sage des rois d’Israël. Il est probable que ces maximes furent d’abord transmises oralement et plus lard lenlement recueillies par éerit dans des livres, lin effet le texte lui-même nous dit que la deuxième série des maximes salomoniennes (xxv-xxix) a été recueillie > par les gens d’Ezéehias, roi de Juda (xxv, 1). Comparera ce propos II (’/non., xxix, 30, d’où l’on peut conclure qu’Ezécliias déploya pareille activité litt. raire pur rap|K>rt aux psaumes (livres 2 et 3e, ou collection élohistique du Psautier ; voir vol. III, col. 4^5 s.). On ne pourrait soutenir que dans’l façon de transmission nul élément étranger ne se

soit glissé dans l’œuvre de Salomon, nulle retouche n’en ait changé le texte. Les doublets qu’on remarque dans xxv-xnx par rapport à x-xxu (p ; ir exemple xii. 1 i=xxyiii, 19 ; six, i — xxviii, 6 ; xxw, 3 xxvii, 11), avec leurs variantes parfois notables, sont là pour témoigner le contraire. Mais tout ceci ne nous donne aucun droit de nier, que la plus grande partie des deux recueils soit l’œuvre authentique de Salomon, et par conséquent c’est bien avec raison que tout le livre porte le nom illustre du sage (ils de David.

Deux autres auteurs sont nommés dans le texte même des Proverbes : Agur fils de Jaké (xxx, 1) et un roi Lamuel |xxxi, 1). Il est bien vrai que ces deux personnages, inconnus pur ailleurs, sont déguisés dans la version grecque des Septante et dans la Vulgate. La Septante, prenant ces noms comme des mots ordinaires, traduit xxx, 1 : Il Crains mes paroles, mon fils » ; et xxxi, 1 : « Mes paroles ont été prononcées par Dieu ; oracle d’un roi, que sa mère instruisit ». Saint Jérôme à son tour dans xxx, 1, vit des noms allégoriques, faisant allusion à Salomon, et traduisit :

« Paroles de celui qui assemble (comparer ce qui

sera dit tout à l’heure sur le titre de l’Ecclésiaste), fils de relui qui vomit » (comparer Psaume xi.iv, 2 dans la Vultrat-e). Beaucoup de modernes, au contraire, considèrent comme un nom propre le mot massa, traduit par Crampon

« sentence » ; ce serait la patrie de ces deux sages.

En effet Massa est nommée dans la Genèse xxv, 14 parmi les villes habitées par des Ismaélites, descendants d’Abraham, situées au delà du Jourdain. D’après cette opinion, il faudrait traduire xxx, 1 « Paroles d’Azur fils de JaUé, de.Massa t on « le niasséen » ; et XXXI, 1 « Paroles de Lamuel. roi de Mas-a ». Si cela était certain, il faudrait dire, ou que ces deux sages appartenaient à la population juive répandue dans les régions orientales, ou qu’ils étaient convertis au culte du vrai Dieu, du Dieu d’Israël. Agur reconnaît expressément Yaliweh pour son Dieu (xxx, 9). En tout cas, l’inspiration de leurs petits poèmes est sauvegardée, même s’ils n’appartenaient pas par le sang à la descendance de Jacob. On en conclurait que l’action du Saint-Esprit s’étendait plus loin que lu loi mosaïque, comme nous l’avons déjà vu dans Job.

4. L’Ecclésiaste est sans doute le plus extraordinaire des livres de l’Ancien Testament. Sa langue n’est pas l’hébreu classique, l’hébreu des autres livres ; c’est l’hébreu plus récent, l’hébreu presque de la Miehna ou code rabbinique du ir° siècle après J. C. Les idées, les doctrines de l’Ecclésiaste ont souvent l’apparence de celles qu’on s’attendrait le moins à trouver dans un livre inspiré par Dieu. Son nom lui-même reste encore une énigme pour l’exégèse scientifique. Ecclésiaste est la traduction grecque étymologique du nom hébreu Qohéleth, sous lequel se cache l’auteur (i, 2, 12 ; xii, 8-10). Qohéleth, de la racine r/ « /i « / = coiivoquer une assemblée (en grec ccclrsia ) signifierait « orateur dans nue assemblée ». A cause de ee nom d’Ec. !. si as te, on a^ ; ru longtemps que notre petit livre (il ne compte que douze chapitres, en tout 222 versets) n’est qu’un sermon adressé au peuple par Salomon. Mais il n’a rien du ton et du style oratoire, et il suffirait de comparer l’Ecclésiaste avec le Deutéronome (la loi exposée en de vrais sermons), pour comprendre toute la distance qui sépare l’entretien philosophique de la pièce oratoire. Car l’Ecclésinste, en somme, est bel et bien un entretien philosophique, tel que la diatribe (causeï le) de certaines écoles grecques. OU, si l’on a eut, une composition libre, comparable aux Pensées, que connaît aussi la littérature moderne. De l’entretien, il a l’allure abandonnée.’les va-et-vient, les alternances de pour et contre ; des pensées il a souvent le manque de liaison et de suite. C’est ce qui fait, soit la difficulté d’en donner une analyse précise et ordonnée, soit la source de tant d’objections à l’unité et à la doctrine de ce curieux livret. 1189

SAPIliNTlAUX (LIVRES)

1190

En eiret, appliquant à l’Ecclésiaste la méthode critique employée à chercher les sources et à déterminer la composition d’autres livres de la Bible, on a cru pouvoir y distinguer plusieurs couches : d’abord un tond, qui prêche la vanité « le toute chose, l’inutilité de la vie et de l’effort, l’égalité du sort des bons et des méchants : c’est l’œuvre de Qohéleth : puis nombre d’additions introduites postérieurement çà et là, pour corriger ou atténuer ce que les idées de Qohéleth paraissent avoir d’outré on de fautif ; ou bien pour agrémenter par des sentences envers la sombre prose du premier auteur ; enfin l’épilogue (xii, 8-lin) qui parle de l’activité de Qohéleth, serait l’œuvre d’un rédacteur distinct. Ainsi, entre autres, encore récemment, E. Pudkciiahu, L’Ecclrsiaste (Paris 1912), chez qui l’on trouvera ce système exposé et soutenu avec force et talent.

Mais il est une objection futaie à cette dissection : c’est que la langue et le style des prétendues additions (excepté en partie l’épilogue) ont absolument les mêmes caractères, tout à l’ait uniques dans la Bible (nous l’avons dit), que le fond du livre, l’œuvre authentique de Qohéleth. Seules certaines parties poétiques, en sentences ou mavkals semblables aux recueils salomoniens des Proverbes (voir ci-dessus), tranchent, par leur concision et rigueur, sur ta prose terne et prolixe du fond. Mais parmi cps îlots en vers, il y en a plusieurs, que les critiques eux-mêmes ne songent pas à contester à Qohéleth : voir, par ex., 1, 8, 15, 18 ; 1 1, 2 ; iv, 6, etc.

Aussi l’argument philologique est-il nettement favorable à l’unité d’auteur. Pour les idées, les divergences de doctrine, voire les contradictions, qu’on prétend y découvrir et qu’on exagère pour les besoins de la cause, tout peut s’expliquer par les différences de point de vue et de l’impression du moment. Voir A. Co.NDAMiN, Eludes sur V Eidésiaste, dans Revue biblique, 1899, p. 503-&og. Songerait-on à répartir entre deux auteurs différents ces deux versets qui se suivent ? Prov., xxvt, 4-5 :

Ne réponds pas à l’insensé selon su folie, de peur de lui ressembler toi-même. Réponds à l’insensé selon sa folie. de peur qu’il ne se regarde comme sage.

A coup >ùr, les contradictions de l’Ecclésiaste ne sont pas plus crues que cela, ni d’un genre bien différent.

L’Ecclésiaste est donc d’un seul auteur ; c’est la thèse, qui rallie encore aujourd’hui la grande majorité des critiques, même protestants. Mais qui est-il, cet auteur ? Des premiers mois ou titre du livre, Paio’ts de l’Ecclésiaste, ’fils de David, roi dans Jérusalem, on a conclu dans l’antiquité et au moyenàge, que l auteur n’est autre que Salomon. Il y avait dilliculté à trouver place, dans la vie de ce roi, pour un tel livre, et on ne s’entendait plus sur le motif ou l’occasion qu’aurait eu Salomon de l’écrire. Dans les temps modernes, à cause surtout des qualités littéraires, que nous avons esquissées plus haut, l’opinion d’une origine beaucoup plus récente, disons du 111e siècle avant J. C, avancée de par Grolius, a gagné terrain de plus en plus parmi les savants. Aujourd’hui encore des catholiques, même conservateurs, s’y sont ralliés, tels (pour ne nommer que les plus récents) E. Podbchard (L’Ecclésiaste, Paris 1912, p. 119), P. JoiioN (Le Cantique des cantiques, Paris 1909, >), E. Tobac (Les cinq livres de Salomon, Bruxelles 1926, p. 50-54)> Kaulux-IIobkrg (Einleitung in die Heilige Schrift, Fribourg ij13, 2, p. 1-/.1 suiv.), J. Calks (dans Recherches de se. rel., v, 1914, p. 281),

A. IIudal (Kurtgefasste Einleitung in die lied, Burcher des.1. T., Graz igaô, p. 1 55), A. Allgbibr (Das Huch des Predigers, Bonn njiâ, p. 2), II. Hobpfl (/ « troductioiùs in s. utriusque Testant, libros Compendium, a*, éd. 1930, vol. 2, p. 22-.’. suiv.). Ce dernier, Consulteur de la Commission biblique et Qualilicateur du Saint Ollice, après avoir brièvement réfuté les explications données encore récemment par des catholiques en faveur de l’origine salomonienne de l’Ecclésiaste, conclut très justement : « Timeo ne talia argumenta ansam præbeant scientiam eatholicam deridendi » (p. 22$). Le moins qu’on puisse faire, c’est d’admettre, avec le P. Hbtzbnaubr (Theologia liiblien, Friburgi 1908, p. 218) par exemple, que le livre, eomposé par Salomon, a été plus tard complètement refondu, au moins pour la langue et le style ; ce serait, dans la Bible, un cas unique d’une retouche si profonde ; mais en somme cela serait possible, et cette hypothèse (car ce n’est rien de plus) expliquerait en partie les difficultés soulevées par la critique.

Dans la thèse contraire (que Salomon ne soit pas auteur de l’Ecclésiaste) on se heurte au témoignage de l’auteur lui-même : t Moi l’Ecclésiaste, j’ai été roi d’Israël à Jérusalem… j’ai accumulé et amassé de la sagesse plus que tous ceux qui ont été avant moi à Jérusalem… j’exécutai de grands ouvrages, je me bâtis des maisons… je m’amassai aussi de l’argent et de l’or et les richesses des rois et des provinces… je devins grand et je l’emportai sur tous ceux qui étaient avant moi dans Jérusalem » (Ecclé., 1, 12. 16 ; ir, 4-8. 9.). A qui pourrait-on rapporter ces traits, si ce n’est à Salomon, dont le règne et les travaux sont décrits dans le i’r livre des Bois, presque dans les mêmes termes ? A cette difficulté, on répond assez ordinairement, qu’ici l’auteur, par une fiction littéraire qui n’est nullement un faux, revêt la personne de Salomon et parle, pour ainsi dire, en son nom. C est une réponse probable, qui ferait de l’Ecclésiaste le pendant exact de la Sagesse ; car il est bien certain, que dans ce dernier livre, au moins aux chapitres vi-ix, l’auteur (du iK-i Cr siècle av. J.-C) fait parler Salomon en personne par un pur artifice littéraire. Pour l’Ecclésiaste, cependant, on n’a pas la même évidence que l’auteur ail eu cette intention, et on peut dire que le passage tantôt rapporté ne fait que dramatiser ce qui se passe ou peut se passeï, en le rapportant comme expérience propre à l’écrivain. En effet, dans tout ce qu’on y lit, aucun trait n’est individuel et propre à Salomon exclusivement. Sans prétendre aucunement parler au nom de Salomon, Qohéleth a pu dire : « J’ai été roi », etc., comme saint Paul, « Hébreu, fils d’Hébreux » (Pltil., iii, 5), a écrit : « Pour moi, je vivais autrefois sans la Loi » (Rom., vii, 9). A tout le moins, comme l’a bien dit récemment le P. J. Calés, se ralliant à un autre exégète catholique : « Si Salomon est mis en scène, ce n’est pas à titre d’auteur, mais comme « type littéraire », comme le roi sage par excellence. » (Recherches de Se. rel., XVI, 1926, p. 54g). Par là, toute ombre de dilliculté disparaît.

5. Ecclésiastique. — L’usage de l’Eglise latine à rapproché, par leurs noms, le livre de Qohéleth, dont nous venons de parler, et celui de Jésus fils de Sirach. En effet il y a avantage à rapprocher, dans une étude littéraire, l’Ecclésiastique et l’Ecclésiaste, qui dans nos Bibles sont sépares par la Sagesse dite de Salomon (et aussi par le Cantique des Cantiques, ordinairement) Tous deux écrits en hébreu, à Jérusalem, par des auteurs qui sont nés et ont vécu dans la ville sainte, probablement écrits presque à la même époque, d’après ce que nous avons dit, Ec1191

SAPIENTIAUX (LIVRES)

1192

clésiaste el Ecclésiastique ont des points de contact, qui ont fait penser à la dépendance de l’un par rapport à l’autre ; et généralement on croit que le (ils de Sirach est l’emprunteur.

Hors de là, les deux livres sont bien différents. L’Ecclésiastique est écrit dans le style classique des Proverbes en mâchais rythmiques, et dans une langue assez pure ; mais de nombreux indices trahissent l'époque de décadence ; le lils de Sirach est un archaïsant. Son sujet est aussi varié, ou, pour mieux dire, beaucoup plus varié, que les deux recueils salomoniens des Proverbes, avec lesquels il a la plus grande ressemblance littéraire. Au point de vue de l’auteur, le livre lui même nous place dans une heureuse condition, qu’on peut dire unique dans l’Ancien Testament. Non seulement l’auteur, dans une espèce de signature, avant de clore son ouvrage, nous révèle son nom, ses aïeux, sa patrie (l, 27), mais nous connaissons le traducteur grec da livre ; c’est le petit-fils de l’auteur même, et il a eu soin, dans un prologue mis en tête de sa traduction, de nous renseigner sur l'époque de son travail : il s’y appliquait peu après l’an 132 a. C. Par là et par d’autres indices secondait es, nous pouvons établir avec cerlitude, que son aïeul, Jésus fils de Sirach, écrivait son livre, l’Ecclésiastique, aux environs de l’an 180 av. J.-C.

On était alors en pleine floraison d’hellénisme, à la veille de l’héroïque réaction des Macchabées. Le lils de Sirach (il nous le dit lui-même, xxxiv, 1 1 ; li, 13 ; comparer xxxix, 4) a beaucoup voyagé à l'étranger, et a dû bien connaître la civilisation et la philosophie grecque, répandue alors dans tout l’Orient. Qu’en a-t-il tiré? Nous le verrons plus loin. Ici il nous suffît d’ajouter, que quant à l’auteur, à l’unité, à la composition de l’Ecclésiastique, aucune question ne se pose. D’autant plus grave et compliquée est la question du texte On savait par Saint Jérôme (préface aux livres de Salomon traduits par lui) et par des citations nombreuses chez les auteurs juifs du moyen-àge, que l’Ecclésiaslique avait été écrit en hébreu ; mais de ce texte original on avait depuis des siècles perdu toute trace, lorsque, voici trente ans, environ les deux tiers se retrouvèrent enfouis dans les recoins des synagogues du Vieux Caire ; on peut voir le dénombrement des fragments ainsi recouvrés clans la Bible Polyglotte de Vigouroux, tome V, pp. 4-6 el 886, où l’on trouvera de même (pp. 889-970) une traduction française de ce texte hébreu, par M. Touzard. Mais on voit par la comparaison des diflérents manuscrits entre eux (il nous est parvenu des lambeaux de quatre) et avec les anciennes versions, syriaque et grecque, que le texte original de l’Ecclésiastique a soufTert dans la transmission beaucoup plus que le reste de la Bible hébraïque, révérée par les Juifs comme canonique. C’est pourquoi des savants catholiques, dans leurs traductions et commentaires, préfèrent encore aujourd’hui la version grecque, faite par le petit-fils de l’auteur. Ainsi Crampon dans la Sainte Ilible, et au delà du Rhin, le dernier traducteur de l’Ancien Testament (Rikssler, Mayence, 1924), et le dernier commentateur de l’Ecclésiastique (Eiikrhartkr, Bonn, 192.5). Nous citerons, comme de coutume, d’après Crampon, sauf à recourir, en cas de besoin, au texte hébreu.

6. Sagesse. — Avec le livre, qui porte le titre de la Sagesse 1 par excellence (en grec et chez les Orientaux, Sagesse de Salomon). nous entrons dans un monde nouveau. Quoique la structure de la

1. Les Protestants ('e langue française l’npi e’ient : La Sapience, d’après son no’n latin dans la Vulgale.

période, dans la première partie du livre, imite encore le parallélisme de la poésie hébraïque, la phrase néanmoins est bien grecque, et grecque est la couleur générale du style. Saint Jérôme l’avait déjà remarqué (préface citée tout à l’heure) : « L’autre (la Sagesse, après l’Ecclésiastique), on ne l’a pas en hébreu, et son style même se ressent de l'éloquence grecque ». Les conditions historiques, que suppose ou auxquelles fait allusion le livre, nous reportent en Egypte, surtout à cette métropole cosmopolite de l’hellénisme qu'était Alexandrie, où, vers le temps de Jésus-Christ, florissait la plus grande colonie juive du monde entier.

On distingue assez facilement, dans ce livre charmant, cinq parties à peu près égales. Dans la première (i-v) on est invité à pratiquer la sagesse, qui consiste dans la religion et dans la justice ; et comme motif pour cela, est décrit le bonheur de l’homme juste dans la vie future, dans l'éternité auprès de Dieu. La deuxième (vi-ix) fait un magnifique élogede la sagesse, par son origine, son essence, ses qualités intrinsèques ; l'éloge est mis dans la bouche de Salomon. La troisième (x-xn) exalte le rôle de la sagesse dans l’histoire sainte, depuis Adam jusqu'à Moïse. La quatrième (xm-xv) y oppose les vilaines origines, la fausseté, les coutumes barbares, la dépravation de l’idolâtrie. Enfin la dernière (xvixix)s'étend dans un long parallèle entre les Hébreux et les Egyptiens, à l'époque à jamais mémorable de l’Exode. Ces trois dernières parties (x-xix), par leur style diffus et par 1 interprétation de l’histoire qui leur est propre, se détachent assez nettement des deux premières ; c’est pourquoi beaucoup d’auteurs, comme Crampon, les groupent en une seule, quitte à la subdiviser comme nous venons de le proposer. Et c’est ce même tout (x-xix), qui fut souvent objet de contestation de la part des critiques.

L’oratorien français François Holbigant a élé le premier à prétendre, que le livre de la Sagesse n’est pas d’un seul auteur. Il le divisait en deux parties, dont la première aurait été composée par Salomon en hébreu, la deuxième par un autre écrivain, probablement par celui qui avait traduit la première partie d’hébreu en grec (Houbigant, Prolegomena in Scripturam sacrant, Paris, 1746, II, p. 159-177) 'Après lui, d’autres se sont livrés à ce jeu de dissection. Mais après le commentaire de Grimm (1837), et l’introduction de Welte (1844). qui réfutaient tous ces systèmes, pour tout le XIXe siècle l’unité du livre ne rencontra plus d’opposition. Au siècle présent, depuis K. Lincke en u)o3 et W. Weber en 1904, plusieurs ont repris, en la modifiant, la thèse de la pluralité d’auteurs. Mais ils sont bien loin de convaincre ; que leurs objections sont faibles, en regard des arguments favorables à l’unité 1 Les différentes parties du livre, quoique nettement distinctes les unes des autres, sontreliées entre elles par des liens trop nombreux et trop intimes, pour qu’on puisse les séparer et les dire conçues par des esprits différents. Mais qui pourrait bien être cet unique auteur ? C’est ici qu’il faut d’abord vider la question de Salomon. Quelques auteurs anciens, et même des modernes, n’ont pas manqué d’attribuer au fils de David ce livre à la couleur si franchement grecque. La principale, presque la seule raison, c’est que dans le morceau (vi-ix), où 1 auteur s’adresse au lecteur à la première personne (par ex. « C’est donc à vous, ô rois, que s’adressent mes discours… Mettez donc vos complaisances dans mes paroles… Mais ce qu’est la

1. On peut lire cette dissertation dans Mio.ne, Scriplurae sacræ cursus compléta*, XVI f, 971-980, avec sa réfutation tirée de la Bible de Vence, ib., 351-370. 1193

SAPIENTIAUX (LIVRES)

llv)4

sagesse et son origine, je vais l’exposer » vi, y. i i. 12), il prend la place de Sulonion et s’attribue des faits exclusivement propres à ce roi, tels que, « vous m’avez choisi [il parle directement à Dieu | pour régner sur votre peuple… vous m avez dit de bâtir un temple sur votre montagne sainte » (ix, 7. 8 ; comparer I Roisv, 1 7-1 9 ; vi-vm ; II Sam. vii, 12. 1 3). Mais ce n’est là qu’une mise en scène, très usitée dans les anciennes littératures, pour donner plus d’ellicacité à la leçon ; l’expérience du plus sage des hommes est la plus éclatante conlîrmation de la théorie, et rien ne frappe autant, que de l’entendre lui-même nous contier ce qu’il a éprouvé, ce qu’il a fait. Aussi les Pères de l’Eglise, tels que Saint Jérôme et Saint Augustin, nous ont-ils avertis de ne pas prendre à la lettre cette présentation de Salomon, et que l’auteur de la Sagesse doit être cherché ailleurs.

De fait, on a mis en avant d’autres noms illustres, sous lesquels placer ce noble produit du génie d’Israël. Nous ne ferons que mentionner Aristobule, juif alexandrin du 111* siècle av. J.-C., proposé par quelques-uns, et le chrétien Apollo (Actes, XVIII, 2’, ) avancé par d’autres. Ce sont là assertions trop isolées et trop dénuées de preuves, pour que nous nous y arrêtions. Il est plus étrange que des savants, même catholiques, aient pensé à Philon. Ils ont été sans doute inlluencés par ce que rapporte Saint Jérôme : D’anciens écrivains (dit-il, sans nommer personne), affirment que ce livre est de Philon le Juif ». Il est vrai que les catholiques ont imaginé un Philon juif durèrent du célèbre philosophe platonicien, et vivant aux environs de l’an 160 av. J.-C. (voirie commentaire du P.Jean Lorin, Lyon 1607, p. 3). Pure supposition bien inutile ! Ce n’est pas par là qu’on pourrait sauver le nom de Philon Plus de faveur a possédé, et garde encore de rares adeptes, l’attribution au philosophe contemporain de Jésus. Mais la substantielle réfutation qu’en a faite Grimm, l’excellent connaisseur de la Sagesse et de Philon à la fois, montre eu même temps combien cette attribution est mal étayée, et que ce ne sont pas seulement des raisons d’ordre dogmatique, comme on l’a prétendu, qui s’y opposent. Voir à présent les récents commentaires catholiques de Cobnely (Paris 1910), Heinisch (Munster, 1912) et I’eld.mann (Bonn, 1926).

7. Baruch- — Sous le nom de Baruch, flls de Nérie, secrétaire du prophète Jérémie, se trouvent réunies dans nos Bibles plusieurs pièces assez disparates. Il faut d’abord en séparer la dernière partie qui forme, dans les éditions de la Vulgate, le chapitre vi ; car, dans la Bible grecque, elle constitue un petit livre à part avec son titre : Lettre de Jérémie. Les cinq chapitres précédents se divisent en trois parties : la première (1, i-iii, 8) est une sorte de confession publique, à réciter dans le temple de Jérusalem pour les Juifs exilés à Babylone. La deuxième (m, g-iv, 4) est un reproche à la nation d’Israël pour avoir méprisé la Loi, que Dieu lui avait donnée, trésor inestimable et source de bonheur. La dernière (iv, 5-v, 9) dans le style prophétique, surtout d’Isaïe xl-lxvi, s’adresse aux Juifs exilés, pour les consoler en leur promettant un heureux retour dans la patrie. La pensée de l’exil, en châtiment des péchés d’Israël, est le lit qui relie entre elles les trois pièces. Pour notre sujet, c’est seulement la seconde, la pièce centrale, qui nous intéresse. Car l’auteur nous présente la Sagesse, dont il nous fait un splendide éloge digne d’être mis à côté de ceux qu’on lit dans les Proverbes et dans Job, et nous la présente sous un aspect particulier et particulièrement intéressant, c’est-à-dire comme idenliliée à la Loi de Moïse, ou mieux dit, à la révélation mosaïque dans son ensemble. Nous étudierons ce point plus tard.

Pour ce qui est de l’auteur et de la date, qu’il nous sullise de remarquer que l’arrière-plan historique des trois pièces apporte une excellente continuation de la donnée du titre. Les Juifs sont dans un exil forcé et eux-mêmes reconnaissent que c’est en punition de leurs péchés (11, 13 ; 111, 10 ; iv, 6-10), ce qui ne pourrait pas se dire de la diaspora de l’époque grécoromaine. Quoique la ville sainte et le temple aient été détruits, brûlés (11, 20-26 ; iv, 3 1 -33), néanmoins on continue à offrir des sacrilices à Dieu sur l’autel légitime (1, io), comme au temps de Jérémie (xi.i, r >). Les Juifs ont envers les rois dominateurs des sentiments de soumission et de bienveillance ; ils prient même pour la prospérité de leur état (1, Il suiv.), comme leur avait conseillé Jérémie (xxix, 7). Ce n’est que par une espèce d’aveuglement, que beaucoup d’auteurs protestants prennent ici Nabuchodonosor, Baltassar et Babylone comme des pseudonjmes pour Vespasien, Titus et Rome, et reportent la composition du livre après la chute de Jérusalem en 70 après J.-C. Ils écartent a priori l’année 586 avant J.-C, qu’ils avouent être la seule circonstance historique à laquelle on pourrait penser avant Vespasien. Mais il est impossible de reconnaître les sentiments des Juifs envers les Romains après 70 de J.-C, dans l’attitude du livre de Baruch envers les suzerains étrangers, que nous venons de décrire. L’historien Josèphe, considéré par les siens comme un déserteur, est une exception qui confirme la règle. On ne peut, sans préjugé, reporter le livre de Baruch qu’au temf s de l’exil de Babylone, entre 586 et 5£o avant J.-C.

8. Canonicité — Ici serait le lieu de défendre, contre les Protestants, la canonicité des trois derniers livres, dont nous venons de parler : Ecclésiastique, Sagesse, baruch ; car ils appartiennent tous les trois à cette catégorie des saints livres, que les catholiques appellent deutérocanoiiiaues, parce qu’ils ne furent pas toujours reconnus par tout le monde comme inspirés par Dieu et faisant partie du canon des saintes Ecritures (voir tome I, col. 440 ss.). Mais inutile de s’y attarder. A ce qui en a été dit plus haut en général (1. c), ici nous ajouterons en particulier pour nos trois livres, que les Protestants eux-mêmes nous ont actuellement beaucoup facilité la lâche. Cr si la vieille doctrine « lu Protestantisme ne reconnaît d’autre critère de canonicité que la qualité de la doctrine enseignée dans chaque livre, la critique moderne en faveur chez les Protestants reconnaît que la doctrine de la Sagesse et de lEcclésiasiique est de beaucoup supérieure à celle de maint livre rangé parmi les canoniques reconnus par tous, par exemple de PEcclésiaste.

D’un autre côté, en niant toute inspiration surnaturelle, lesprit rationaliste du Protestantisme moderne supprime toute différence essentielle entre les livres canoniques et les autre ». A l’heure qu’il est, on a beaucoup plus de peine à défendre contre les attaques des Protestants la véracité des livres canoniques, qu’à prouver les droits de nos livres deutérocanoniqnes à la même autorité que les autres. Qu’il nous suffise de citer un auteur protes tant moderne des plus estimés : Lucien Gautieh (-j-1925) dans son Introduction à l’Ancien Testament (2e éd., Lausanne, 1914) écrit ainsi de l’Ecclésiastique : « De tous les écrits issus du judaïsme et non admis dans le recueil officiel de la synagogue, c’est le plus remarquable, celui qu’on s’étonne le plus de ne pas voir rangé parmi les livres canoniques. Il méritait d’y figurer, au jugement de Luther et d’autres chrétiens éniinents [ ! _], autant et mieux que tels ouvrages qui s’y trouvent classés. Vainement quelques zélateurs ont-ils cherché à discerner dans les paroles du Si 1 acide cei tains traits qui, selon eux, disqualifieraient cet ouvrage et le rendraient indigne d’être compté au nombre des livres saints ; il est facile de montrer quels résultats on obtiendrait en faisant passer au même crible tel ou tel des livres canoniques » (tome II, p. 375). Et plus bas il dit de la Sagesse : « Pour nous, renouvelant ici une remarque faite à propos du Siracide, nous devons reconnaître ouvertement l’incontestable valeur de la Sapience, et regretter qu’elle soit si peu connue dans les milieux protestants » (p. 480). iif5

SAPIENTIAUX (LIVRES)

nr6

II. — Les ?ages

Un court aperçu sur les sages, lois qu’ils nous sont présentés dans les livres historiques et prophétiques, nous aidera à mieux comprendre ce que c’est que la sagesse juive, et nous donnera occasion de corriger telle fausse exégèse de la critique moderne.

I. Dans les livres historiques, nous rencontrons des individus auxquels on décerne le nom de sages, pour quelque excellente qualité. Le patriarche Joseph donnait ce titre à celui qui, par une habile administration, aurait sauvé l’Egypte de la terrible crise qui l’attendait (Gen., xli, 33), et Pharaon ne trouvait pour ce faire personne plus sage que Joseph lui-même, à cause de sa prévoyance (ib., 3g). Moïse, de même, recherchait des hommes sages pour se décharger sur eux de la lourde tâche du gouvernement (l)eiil., i, 9- 1 1) ; et Josué, désigné comme son successeur, dut être « rempli de sagesse » pour être à la hauteur de sa tâche (Deut., xxxiv, 9). On voit : ce sont des aptitudes à bien gouverner, qui constituent la sagesse ; et c’est en vue de celles-là, surtout pour bien administrer la justice, que Salomon demanda à Dieu la sagesse, qui lui devait donner tant de renom (I /{ois, ni. 6-s8).

Mais ailleurs, ce sont de plus humbles habilités, qui méritent aux gens du peuple le beau titre de sages. Ainsi on nous vante comme « remplis d’esprit de sagesse » soit Beséléel et Ooliab pour avoir su « travailler l’or et l’argent et l’airain, graver les pierres à encliàsser, tailler le bois et exécuter toutes sortes d’ouvrages d’art » (Ex., xxxv, 30-35) ; soit les artisans qui devaient confectionner les vêtements sacrés pour Aaron, le grand prêtre (Ex., ixviii, 3). Non moins que ces pieux Israélites, le Tyrien Hiram, qui fut mandé par Salomon pour construire son fameux temple, « était rempli de sagesse. .., pour faire toutes sortes d’ouvrages d’airain » (I Rois, vii, i^). Même les bonnes femmes

« qui avaient de l’habileté (hébr., sages de cœur) » 

à filer la pourpre, à ûler le poil de chèvre (Ex., xxxv, 25 suiv.), n’étaient pas pour cela même peu douées de sagesse.

D’un genre plus relevé, était la sagesse de cette femme de Thécoa, dont se servit Joab pour pousser le roi David à rappeler de l’exil son fils Absalom(II. Sam., xiv, 2-2^), et decetteautre femme d’Abel Beth-Maacha. qui sut persuader à ses concitoyens de sacrifier le rebelle Siba pour sauver la ville de la fureur de Joab (II Sam., xx, 16-22). Mais c’est toujours une vertu plutôt intellectuelle que morale, c’est du savoir-faire, c’est le plus bas degré de la sagesse.

Une place à part est à faire, parmi les récits historiques, à ce passage, où l’on parle, dans un sens pour ainsi dire technique, <le la sagesse de Salomon (contexte différent de celui qu’on vient de citer) :

« Dieu donna à Salomon de la s gesse une très

grande intelligence et un esprit étendu comme le sable qui est au bord de la mer. La sagesse de Salomon surpassait la sagesse de tous les fils de l’Orient, et toute la sagesse de l’Egypte. Il était plus sage qu’aucun homme ; plus qu’Ethan l’Ezrahite, plus qu’Héman, Chalcol et Dorda, les fils de Mahol, et sa renommée était répandue parmi toutes les nations d’alentour. Il prononça trois mille maximes. .. » (I Rois, v, 912). D’après le contexte, surtout d’après ces derniers mots, on voit qu’il s’agit ici de l’art de savoir composer des mâchais rythmés, des proverbes ou sentences morales en vers (voir plus haut, 1, 3). Dans cet art, qui n’a rien de spécifiquement israélite ou même religieux, excellaient des nations étrangères, Arabes, Egyptiens, peut-être Édomites ; car il est possible que clans Elhan l’Ez rahite il faille voir le descendant de ce Zara, petit-fils (ou arrière petit-lils) d’Esaù, qui donna son nom à une principauté iduméenne (Gen., xxxvi, 13, 17, 33 ; voir ce qui est dit plus haut I, 1 de la sagesse proverbiale des Iduméens). Dans ces trois mille maximes (hébr., mâchai), il faut sans doute reconnaître le stock primitif, dont il ne nous reste qu’une petite partie (environ 500) dans les deux recueils salomoniens des Proverbes. Faut-il reporter à cette faculté poétique de composer des mâchais, ce qui suit presque immédiatement au même endroit :

« Il disserta (hebr., parla, même verbe traduit uiv

peu avant prononça) sur les arbres, depuis le cèdre qui est au Liban jusqu’à l’iiyssope qui sort de. la muraille ; il disserta (même remarque pour l’hébreu) aussi sur les quadrupèdes et sur les oiseaux et sur les poissons (I Hois, v, 13) ? Josèphe le Juif, échu probablement de l’exégèse courante de son temps, le pensa ; car il paraphrase ainsi le verset biblique que nous venons de traduire : « pour chaque genre de plante il dit une parabole (proverbe, mâchai), depuis ï’hyssope jusqu’au cèdre, etc. » Les plus récents exégètes penchent également vers la même interprétation. Elle n’est d’ailleuis pas nécessaire pour établir qu’ici on nous présente la sagesse dans un sens qui tout spécialement se rapporte au genre littéraire propre au Livres sapientiaux.

II. Chez les prcpbètes, on trouve d’abord, honorée du nom de sagesse, l’habileté arlisane, comme dans les livres historiques (ainsi /s, xi-, 20 ; Jér., ix, 16 ; x, 9), ou simplement le savoir-faire (/s., x, 13 ; Jér., iv, 22). Mais plus souvent elle est une qualité morale, une vertu peu banale, puisqu’elle est un don spécial du Très Haut (ls., xi, 2 ; xxxiii, 6 ; Jér., ix, 22 suiv. ; O.s-.. xiii, 12), ou s’identifie à lintelligence d s choses divines (Jér., ix, 11 ; Os., xiv, 10). Par là on comprend qne, tout en reconnaissant aux nations idolâtres, Egyptiens (fs., xix, Il suiv.), Chaldéens (/s., XLvn, io ; /ér., L, 35 ; li, 5,), Iduméens (Jér., xnx, 7 ; Abd., 8), Phéniciens (A ;., xxvii, 8 suiv. ; XX.VIH, 4 = 17 ; Z" « cA, r ix, a), une certaine sagesse, les prophètes, ces envoyés du vrai Dieu condamnent constamment la sagesse des peuples païens.

Mais ne condamneraient ils pas toute sagesse en bloc, même et surtout chez le peuple de Dieu ? On l’a prétendu. A la belle époque des grands prophètes, dit-on, les sages formaient une classe sociale à part, ayant des fonctions et des tendances opposées à celles des prophètes : à ceux ci, la parole de Dieu, c’esi-à-dire la communication direcledes ordres du Très Haut ; aux sages, le conseil, le plus souvent des vues toutes humaines, contraires aux desseins de Dieu (Jrr., xviii, 18, nz., vii, 26). Rien d’étonnant (on conclut), que les prophètes portent leur sévère condamnation sur tous les sages et leur sagesse (ls., v, 21 ; xxix, i£ ; xliv, -2b ; Jér., viii, 9 ; ix, 22). Le jugement des prophètes sonnerait donc bien dil : Jremment de celui des Livres sapientiaux.

En y regardant de près, on peut vile se convaincre, que c’est là une conclusion superficielle, injustifiée. Remarquons d’abord que, dans certains des textes cités, le mot « sage » est limite par un déterminatif, qui en précisela valeur dans un cas spécial. Tel lsaie, v, 21 : « Malheur à ceux qui sont sajjes à leurs propres yeux et intelligents à leur propre sens ». Évidemment ici ce ne sont pas les sages tout court, qu’on blâme, mais les soi-disant sages, ceux qui, se croyant assez sages, ne veulent pas croire à Dieu ni à ses prophètes. Personne ne dirait que le prophète déconsidère t.nite bravoure, parce qu’il continue : « Malheur à ceux qui sont des héros pour boire le viii, et des vaillants pour mêler les li119 :

SAPIENTIAUX (LIVRES)

1108

queurs fortes » (v, aa). D’ailleurs l’auteur de Prov., i-ix, l’enthousiaste prédicateur de la sagesse (voir ci-dessus i, 3), nous avertit presque dans les mêmes tenues que le prophète :. Ne sois pas sa^e à tes propres yeux » (Prov., iii, ;).

Or cette restriction, si explicite aux endroits cités tout à l’heure, doit être sous-entendue, là où elle n’est pas exprimée. Le contexte l’exige. Ainsi lors(pi’lsaïe menace : « La sagesse des sages périra » ixxix, î’, ), il s’emporte contre ceux qui forment des desseins sans Dieu et contre Dieu ; car il continue :

« Malheur à ceux qui cachent profondément à Yahweh

le secret de leurs desseins » (v. 15) ; et un peu plus bas : « Malheur aux enfants rebelles — oracle de Yahweh. — qui font des projets, niais sans moi ; uni contractant « les alliances, mais sans mon esprit » (xxx. i). Voir toute la section la., xi.iv, a4 — xlv, g, où le prophète exalte le conseil de Dieu en ce qu’il se sert du païen Cyrus pour donner la liberté à son peuple, contre les courtes vues des « prophètes de mensonge » et des sages de même caractère. Pareillement, pour une raison analogue, Jé.r, viii, 7-9 :

« Mon peuple ne connaît pas la loi (hébr. m-chpat : 
« mieux, avec Condamin, « la règle »)de Yahweh.

Comment p<>uvez-vous dire : Nous sommes sages et la loi (hébr. thorali) de Yahweh est avec nous ? Voici que le style mensonger des scribes en a fait un mensonge. Les sages sont confondus, consternés et pris ; voici qu’ils ont rejeté la parole de Yahweh ; et quelle sagesse ont-ils ? » Les sages « confondus » sont ici ces formalistes qui s’en tiennent à une loi écrite sur le papier, s’en contentent, et ne se soucient pas de la religion intérieure de l’âme, ni de la foi à ajouter à la parole de Dieu, annoncée par les prophètes. Ce n’est pas la sagesse, c’est l’abus de la sagesse, si l’on peut dire, qui est ici condamné.

Un peu plus bas, le même prophète écrit : « Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas de sa force… Mais que celui qui se glorilie, se glorifie de ceci : d’avoir de l’intelligence et de me connaître » (ix, Il suiv.). Ici. c’est bien de la sagesse dans toute son ampleur, qu’il est défendu de se vanter. Mais c’est là une défense tout à fait relative. D’après le style hébraïque, cette phrase devrait plutôt se traduire : « Qu’il ne se glorifie pas de la sagesse autant que de connaître (= reconnaître) Dieu ». C’est au fond la même pensée, que d’autres sages ont plus simplement exprimée de la sorte : « La crainte de Yahweh (— la religion) est le point capital de la sagesse. » (Prov i t 7 ; tx, 10 ; Psaume exi, 10 : lire les notes de Crampon).

Au demeurant, les prophètes sont si loin de blâmer toute sagesse, que, non seulement ils tiennent la vraie sagesse comme don de Dieu, ainsi que nous l’avons remarqué plus haut, non seulement, d’après eux, le Messie ne répondrait pas à sa mission, à son idéal, s’il n’était pas rempli de l’esprit de sagesse (h., xi, 2) ; mai » chez les prophètes on trouve pour la première fois formulée cette profonde idée, que Dieu lui-m’me est sage (/s., xxi, 2 ; comparer xxviii. 23 — 29) et dans son éminente sagesse créa l’univers (/é>., x, 12 ; 1.1, 15 ; comparer Psaume, civ, ik ; Prov., iii, 19 suiv.). C’est une idée que les écrivains des Livres sapientiaux développeront avec complaisance, et d’où ils tireront les spéculations les plus sublimes qu’ait atteintes la théologie de l’Ancien Testament. Nous le verrons plus tard.

Concluons. Dans les livres historiques et prophétiques, la sagesse nous apparaît toujours comme une vertu intellectuelle, mais pratique, c’est-à dire ordonnée à l’action. Les livres historiques ne nous parlent que de la sagesse humaine ; les prophètes au contraire nous introduisent à la sagesse divine

c’est le double aspect de la sagesse, que nous allons retrouver dans les Livres sapientiaux.

III. — La Saoessb.

La sagesse (liokmah) qui forme, comme nous l’avons dit, le sujet propre aux Livres sapientiaux, esl une conception assez complexe ; 1 ne même idée fondamentale y prend, par analogie, des nuances bien différentes’. Nous ne prétendons pas poursuivre toutes ces nuances et épuiser la matière. Les points de vue intéressant l’apologétique catholique peuvent se ramener à cette triple division : sagesse subjective ou pratique, sagesse objective ou spéculative’, et Sagesse personnifiée. Les deux premières ont trait plutôt à la sagesse humaine, la dernière appartient à la Sagesse divine Pour chaque membre de cette division, nous allons placer dans son vrai jour la doctrine des Livres sapientiaux, alin de la défendre des objections qu’on soulève contre elle, ou d’en faire ressortir la portéepour la révélation chrétienne.

L La sagesse subjective. — La sagesse humaine, en tant que pratique, dans son acception la plus générale pourrait se définir : l’art de bien diriger sa conduite. Son plus humble degré, nous l’avons dit, est le savoir- faire, l’art de se tirer d’affaire en toute occasion pour le mieux. Ce degré infime n’est pas dédaigné par les sages auteurs des Livres sapientiaux ; ils lui donnent même son nom particulier, ’ormali (Crampon : discernement, prudence), et le prologue des Proverbes (1, /|) en place l’enseignement parmi les objets du livre (comparer viii, 5. ia). Son contraire est péli (Crampon : simplicité, ignorance), qui signifie aussi, au concret, l’homme simple (inexpérimenté, mal avisé). De ce genre sont, par exemple, ces couplets :

L’homme prudent voit le mal et se cache ; mais les simples passent.outre et en portent la

| peine

(Prov., xxil, 3 ; xxvii, 12) ;

L’homme simple croit à toute parole, mais l’homme prudent veille sur ses pas

(Prov., XIV, 15) ;

ou encore, avecle titre plus honorifique de sagesse :

La sagesse des femmes bâtit leur maison, mais leur sottise (fait qu’elles) la détruisent de [leurs propres mans.

(Prov., xiv, 1, trad. Ledrain ; comp. xxiv, V h

A un degré plus haut, la sagesse pratique est proprement morale, s’identifie à la « justice, l’équité et la droiture » (Prov., 1, 3), peut s’appeler tout court la vertu. Elle a pour base la crainte de Dieu (Prov.,

I, 7) ; pour instruments la correction (v, ia-a3) ou discipline (vm, 33 ; hebr. musar), et l’instruction (1, 8 ; ni, 1, etc.) ; pour auxiliaires, la réflexion (11,

II, iii, 21), la prudence (11, 3 ; vii, 4) et le conseil (ni, ai ; viii, i/j).

Mais ne serait-elle pas aussi une vertu tout intéressée, n’ayant pour but et pour récompense, que l’assurance d’une longue vie paisible et heureuse dans ce monde ? — On l’a dit ; on a reproché à la morale de nos livres, des Proverbes surtout, d’être utilitaire, emiémonistique. En effet, voilà les motifs, que, par la plume de l’auteur de Piov., i-ix, elle propose pour attirer à la pratique de ses enseignements.

1. Le§ termes de subjective et pratique ne coïncident pas exactement, ni, de même, obfectiveel spéculative ; mois dans notre étude on peut, pour plus de clarté, négliger sans aucun inconvénient les distinctions subtiles. 1199

SAPIENTIAUX (LIVRES)

1200

.Mon (ils, n oublie pas mes enseignements

et que ton cœur garde mes préceptes.

Ils te procureront de longs jours,

des années de vie et la paix…

Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse…

Dans sa droite [de la sagesse] est une longue vie,

dans sa gauche, la richesse et la gloire.

Ses voies sont des voies agréables,

tous ses sentiers sont des sentiers de paix.

Elle est un arbre de vie pour ceux qui la saisissent

et celui qui s’y attache est heureux.

[Prov., iii, 1 suiv. 13-18).

Les maximes de Salomon n’ont pas d’autre langage :

La crainte de Y ah web. augmente les jours,

mais les années des méchants seront abrégées.

L’attente des justes aboutit à la joie,

mais l’espérance des méchants périrai

La voie de Yahweh est un rempart pour le juste,

mais elle est une ruine pour ceux qui font le mal.

Le juste ne chancellera jamais,

mais les méchants n’habiteront pas la terre.

(Proc x, 27-30).

Ce sont là des traits pris au hasard, au commencement des deux premières et plus importantes sections du livre des Proverbes ; inutile d’allonger les citations qu’on pourrait aisément multiplier. Bref, on ne nous parle que du bonheur d’ici-bas, on ne songe pas à une autre vie au delà du tombeau. L’Ecclésiastique, sous ce rapport, ne s'élève pas au dessus des plus anciennes parties des Proverbes. L’Ecclésiaste a même été accusé d’hédonisme, d'épienrisme.

Mais remarquons d’abord, que la morale de nos livres est toute pénétrée du noble motif de la religion. Nous les avons déjà entendus pose r en axiome, que la crainte de Dieu est le principal de la sagesse.

Il n’y a ni sagesse, ni prudence,

ni conseil, en fac*e de Yahweh (Prot : , xxi, 30),

c’est à-dire à Lui tenir tête, comme traduit Ledrain. Est-ce par crainte de ses châtiments, qu’on doit craindre Dieu ? Est-ce pour se le rendre favorable et jouir de ses dons, richesse, longue vie etc., qu’on nous invite à l’honorer ? Pas toujours. Pour tout motif de fuir telle action, tel vice, on apporte souvent, que « Yahweh l’a en horreur « ; et par contre, on pousse à la vertu pour la raison qu’elle

« est agréable à Dieu » Prov, , iii, 32 ; xi, i ; xii, 

22 ; xv, 9. 26, etc.) ; par exemple :

Le sacrifice des méchants est en horreur à Yahweh, mais la prière des hommes droits lui plaît. La voie du mécliant est en abomination à Yahweh ; mais il aime celui qui poursuit la justice.

{Prov., xv, 8 suiv.)

Ce grand principe de vie morale, quetoutse passe sous les yeux de Dieu, est fréquemment inculqué ;

Las yeux de Yahweh sonten tout lieu,

observant les méchants et les bon-' (/Voi'., xv, 31) :

et avec plus de développement dans l’Ecclésiastique ;

Il leur a dit [Dieu aux hommes] ; Gardez-vous de

« [toute iniquité, 

et il leur a donné à chacun des prescriptions à IV [gard du prochain. Leurs voies sont constamment devant lui rien ne peut te dérobera son regard… L'œuvre charitable d’un homme est pour lui comme

[un sceau et il conserve le bienfait de l’homme comme la

[prunelle de l'œil. (Eccli., xvii, 12 suiv., 1").

L’Ecclésiaste lui-même, lorsqu’il invite à jouir honnêtement des biens de la vie, rappelle, que c’est un don de Dieu (m, 13 ; v, 17 suiv. ; 11, 2/1-26 ; vin, 15), que tout dépend de Dieu et que « Dieu agit ainsi alin qu’on le craigne » (m, 1 4). Sa doctrine sur l’usage du plaisir, par cela même que Qohéleth veut qu’il soit modéré, jamais séparé de la crainte de Dieu (vu, 16-18) et accepté avec reconnaissance de la main de Dieu comme remède aux douleurs de la vie (v, 17-10, ; viii, 15), est bien éloignée de l'épicurisme, est bien loin de faire du plaisir le but de l’existence. Au contraire, Qohéleth s'étend longuement à montrer la A-anité du plaisir cherché pour lui-même (11, 1-11). Sa morale n’est pas achevée, comme d’ailleurs tout l’Ancien Testamentn’a rien produit d’achevé (Ilébr., vii, 19) ; mais, si on ne la faussepoint, elle est saine ; elle enseigne la vertu, quoique pas toute la vertu. Voir E. Podech.ird, L’Ecclésiaste, p. 189-196.

Tout cela n’est pas de l'égoïsme, ce n’t st pas de la morale utilitaire. Remarquons ensuite, que les Livres sapientiaux ne sont pas, ni ne veulent être, des traités de morale complets et ordonnés, d’allure scientifique. Ils sont des recueils de conseils pratiques, et ils veulent aider par là à la formation du peuple, surtout de la jeunesse. Dans ce but pédagogique, ils choisissent de préférence les motifs qui ont plus de prise sur l'âme du peuple, surtout des jeunes gens.

Sans doute, les Livres sapientiaux proclament hautement, que Dieu rendra à chacun selon ses œuvres (Prov., xii, l ; xxiv, 12 ; Eccli., xvi, 1114 ; Eccle., xii, l ; etc.) ; c’est la loi de justice qui régit le monde. Sans doute aussi, pour le mode et le temps de la rétribution, nos. livres en sont restés généralement aux lueurs imparfaites de l’Ancienne Loi, dont la perspective ne dépassait guère la vie présente. Toutefois l’existence d’une autre vie, ou l’immortalité de l'âme, est toujours supposée. Nos livres mentionnent maintes fois le scliéol et les rephaïm (voir tome III, col. 484). La vie qu’on mène dans ce « séjour des morts » nous est bien peinte comme une vie floue, pâle, silencieuse et inactive ( « Il n’y a plus ni œuvre ni intelligence, ni science, ni sagesse, dans le schéol ou tu vas » nous dit Qohéleth, ix, 10) ; ce n’est pas la vie tourmentée, agitée, changeante de ce monde ; mais en somme, c’est une vie. Pour ce qui touche à l’Ecclésiaste en particulier sur ce point, voir A. Cundamin, Etudes sur l’Ecclésiaste, dans liev. bibl., 1899, p. 493-502 ; 1900 p. 3^1 ss. ; E. Podbchard, l’Ecclésiaste, p. 186-189 ; E- Tobac, Les cinq livres de Salomon, p. 68-75.

De plus, les endroits ne manquent pas dans lelivre des Proverbes, où on laisse entrevoir une différence de traitement entre justes et méchants, même après la mort : quelque chose comme une existence pire que la mort pour les méchants, une vie heureuse pour les justes. Ainsi ix, 18, il est dit, que les convives de « daine folie » (le conlrepied de la sagesse) gisent au fin fond du schéol, là où d’autres livres de l’Ancien Testament placent lesplusgramls coupables pour y être punis (fs., xiv, 9-20 ; /.' :., xxiii, 1 8-32). Même idée et expression peu différente, Prov., vii, 27. Ailleurs, nous lisons de la mauvaise femme, que « sa maison penche vers la mort et sa route conduit aux enfers ; de tous ceux qui vont à elle, nul ne revient, aucun n’arrive aux sentiers de la vie » (11, 18 suiv.). Ne dirait-on pas d’une vie qui devrait se retrouver après la mort du corps ? Ainsi, lorsque la vie sans restriction est promise à l’homme vertueux(iu, 1 8 ; viii, 35 ; x, lôsuiv. ; xi, 30 ;xii, 28), rien n’empêche de l'étendre à cette existence <ie 1201

SAP1ENTIAUX (LIVRES)

1202 l’au-delà, qui, comme nous l’avons dit, est toujours supposée certaine. Dans le dernier endroit cité xn, : >S), d’après une traduction probable (mais probable seulement), on parlerait même en toutes lettres d’immortalité, prix delà justice. En tout cas, il est signilicatif, que dans les Proverbes jamais le schéoi n’est présenté que comme le séjour des méchants. Au contraire,

Le sage suit un sentier de vie qui mène en haut, pour se détourner du schéoi qui est en bas (xv, 24),

formule qui ne demanderait qu’à être précisée, pour rendre un son tout à fait chrétien. Au moins, ce serait écourter les textes que nous venons de citer, et en restreindre arbitrairement la portée, que d’y voir seulement la menace d’une mort prématurée pour les impies.

Dans le livre de Job, l’héroïque protagoniste, qui d’abord nous peint le schéoi, comme lieu où toute distinction entre les hommes est nivelée (in, 13-ii|), plus tard s’élève au désir et même à l’espérance d’avoir à jouir d’une vie de paix auprès de Dieu, après un court délai dans le schéoi (xiv, 1 3- 1 7 ; voir la note de Crampon et suivre la deuxième interprétation). Qui plus est, il espère voir Dieu et se voir par lui dédommagé de ses souffrances (xix, 23-27).

Mais c’est dans le livrede la Sagesse, quenous trouvons cette doctrine de la rétribution dans l’autre vie, affirmée avec toute la clarté et toute la force désirable. Dans des pages pleines de couleur et de poésie, l’auteur sacré se complaît à décrire le bonheur des justes auprès de Dieu et les châtiments de> méchants :

Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et le tourment ne les atteindra pas. Aux yeux des insensés, ils paraissent être morts… mais ils sont dans la paix…

Après une légère peine, ils recevront une grande

[récompense, car Die : i les a éprouvés et les a trouvés dignes de

[lui (in, 1-5) Mais les impies auront le châtiment mérité palpeurs pensées perverses… Car qui rejette la sagesse et la correction, est

[voué au malheur : ils seront dans la douleur et leur mémoire périra

[III, 11 ; iv, 19).

Ce sort éternel sera précédé par une espèce de jugement, où les méchants seront confondus et terrorisés, à la présence des justes exaltés et rendus maîtres avec Dieu, qui régnera sur eux à jamais (iv, 20v, 22 ; ni, 7 suiv). On voit combien cette eschatologie se rapproche de l’enseignement chrétien. A ce point de vue, le livre de la Sagesse occupe dans l’Ancien Testament une place à part, la place qui convient à son époque, à la fin de l’Ancien Testament et presque au seuil du Nouveau. On saisit là l’évolution des idées, ou, pour mieux dire, le progrès de la révélation.

2. Sagesse objective. — Par là nous entendons l’ensemble des connaissances qui forment la base rationnelle de la vie pratique. A ce propos, on a rondement qualifié de sceptiques trois des auteurs des Livres sapientiaux : Agur, Job et Qohéleth ; Agur, auteur de la petite collection Prov., xxx, l-14, commence ainsi ses sentences :

Je me mus fatigué pour connaître Dieu, pour connaître Dieu et suis à bout de forces.. Je n’wi pas appris la sagesse, et je ne connais pas la science du Saint… Quel est son nom et quel est le nom de son fils ? Le sais-tu ? (1-4).

Voilà, dit-on, de l’agnosticisme. En réalité, Agur ne nie pas qu’on puisse acquérir quelque connaissance de Dieu, suffisante pour l’accomplissement de nos devoirs envers notre Créateur. Un peu plus bas, dans cette prière pour l’aitrea mediocritas (xxx, 9-9), qui est si bien en harmonie avec la protestation qu’on vient de lire, Agur demande à Dieu :

Ne me donne ni pauvreté ni richesse : accorde-moi le pain qui m’est nécessaire, de peur que, rassasié, je ne te renie, et ne dise ; « Qui est Yuhweh ? » et que, devenu pauvre, je ne dérobe et n’outrage le nom de mon Dieu.

Ce, qui lui a coûté tant d’efforts, sans pouvoir l’atteindre, c’est la pleine connaissance de Dieu, une connaissance au moins pas trop imparfaite. C’est le même sentiment qu’exprimait l’auteur du psaume cxxxix :

Science trop merveilleuse pour moi ;

elle est trop élevée pour que j’y puisse atteindre (6)

Et pourtant, que de choses sublimes nous sait dire de Dieu ce même auteur ! On a pu écrire, que « ce poème… est un des plus riches en enseignements théologiques sur la nature de Dieu » (Fillion, La Sainte Bible commentée).

Il est un chapitre dans le poème de Job (nous l’avons dit), qui, plus que" tout autre, se place dans le courant littéraire des Livres sapientiaux : c’est le ch. xxviii. Il est vrai que ce chapitre, par nombre de critiques, est retranché comme non authentique, comme étranger à la pensée du premier auteur du poème. La question importe peu ici, où il s’agit de tous les écrits sapientiaux dans leur ensemble. Pourtant, pendant que nous en montrerons la vraie portée, nous en dévoilerons en même temps la connexion avec les parties essentielles du poème, et par là-même, son authenticité sera affermie.

L’homme trouve tant de choses en fouillant la nature, nous dit l’auteur ; mais, demande-t-il,

mais la Sagesse, où la trouver : où est. le lieu de l’Intelligence ? (12)

et après en avoir fait un splendide éloge (à comparer Prov., iii, 1 4-i 8 ; Sap., vii, 8-12), il répète la demande :

D’où vient donc la Sagesse ? où est le lieu de l’Intelligence ?

et répond tristement :

Elle est cachée aux yeux de tous les vivants… C’est Dieu qui confiait son chemin, c’est lui qui sait où elle réside (20-22),

et personne hors de Dieu. N’est-ce pas là du scepticisme, à tout le moins de l’agnosticisme bel et bien ? Nullement, si on comprend bien la pensée de l’auteur. Sans doute, il dénie ici à l’homme un certain savoir. Mais lequel ? La connaissance de toute vérité supérieure aux données de l’expérience ? Pas du tout, mais seulement quelque vérité, qui nous échappe. Quelle est elle ? Cela est déjà suffisamment indiqué dans ce qui suit immédiatement :

quand il (Dieu) donnait des lois à la pluie,

qu’il traçait la route aux éclairs delà foudre,

alors il l’a vue, il l’a décrite,

il l’a établie et en a sondé les secrets.

Puis il a dit à l’homme :

La crainte du Seigneur, voilà la sagesse ;

fuir le mal. voilà l’intelligence (26-28).

Dieu, lorsqu’il créait l’univers sensible et donnait 1203

SAPIKNTIAUX (LIVRES)

1204

des lois à la nature, qui régissent le monde dans l’ordre physique, posait en même temps les lois de l’ordre moral, par lesquelles il régit l’homme et la société humaine. Ces lois sont de deux sortes ; les unes sont imposées à l’homme lihre : ce sont ses devoirs qu’il doit accomplir ; les autres sont des normes de gouvernement, que Dieu, dans sa sagesse, s’est fixées à lui-même, par lesquelles il conduit l’homme à sa fin, à ses destinées. Ce sont ces lois touchant l’action de Dieu, qui sont réservées à Dieu lui-même et restent souvent inconnues à l’homme. A celui-ci il suffit, pour atteindre sa fin, de connaître ses devoirs, qui sont tous compris dans ces deux mots : craindre Dieu (c.-à -d. honorer Dieu par la pratique de la religion), et fuir toute sorte de mal, tout péché. En d’autres termes : la sagesse pratique est pour tout homme ; la sagesse spéculative, la connaissance de toutes les causes de ce qui se passe au monde, n’est pas fai’e pour l’homme.

On peut encore préciser davantage cette explication, et en donner en même temps la raison, en regardant au but et à l’enchaînement du poème. Dans celui-ci, il ne s’agit que d’une chose ".quelle réponse donner à la poignante question posée par les maux, dont Job était accablé : Pourquoi tant de fois le malheur fond sur les justes, tandis que les méchants passent tranquillement leurs jours dans le bonheur ? Les trois amis de Job nient simplement la question : personne n’a jamais à souffrir, si eè n’est en punition de ses péchés ; le bonheur des méchants n’est qu’apparent et éphémère. Ils se placent donc au même point de vue que l’auteur du Psaume xxxvir. comme on l’a déjà remarqué (tome III, col. 48 ri). Job proteste hautement contre cette réponse commode et simpliste. Par le témoignage de sa conscience et par d’autres faits de l’expérience, il est bien sûr que les peines des justes maintes fois dépassent démesurément tout ce qu’auraient pu mériter leurs peccadilles, et que les scélérats jouis sent du bonheur toute leur ie (ix, xvi, xxi, xxiv). Pourquoi donc Dieu permet- il tout cela ? — Nous ne le savons pas, et nous ne pouvons pas prétendre le savoir. Voilà, au fond, la grande réponse de Job. Et voilà aussi bien cette sagesse, qui, dans le chap. xxviii, est refusée à l’homme et réservée à Dieu : c’est la connaissance des causes dans la question spéciale qu’on agitait alors. Il y a loin de là à l’agnosticisme ou au scepticisme.

Cette explication donne la clef de mainte page du poème. Et d’abord, < n comprend la conclusion : pour l’homme, « la crainte du Seigneur, voilà la sagesse ». C’est-à-dire : nous ne pouvons pas pénétrer les desseins de Dieu, mais nous devons les adorer ; même s’il nous frappait de coups sans pitié et sans proportion à nos fautes, nous devons l’honorer, nous acquitter envers lui de nos devoirs (voir vi, 10 ; xiii, 15 suiv. ; xxm ; xxvii, a-5). C’est la mâle résolution que nous avons remarquée aussi dans le Psaume xxxix (tome III, col. If85). On comprend pourquoi tout le monde dans le poème, Job aussi bien que ses amis, et Dieu lui-même dans la grandiose apparition xxxvm suiv., décrit à l’envie et exalte la puissance de Dieu. Comme Dieu est si puissant, que personne ne peut s’opposer à lui, ni prétendre faire la millième partie de ce qu’il opère si puissamment dans la nature, de même nous ne pouvons pas connaître les raisons qu’il a d’agir comme il fait. Sans doute, le prologue historique (i.n), le quatrième discours d’Eliu (xxxvi suiv.), et même Job en passant (vu, 18), remarquent que Dieu laisse les justes souffrir pour les éprouver. Mais cela n’explique pas tout ; le mystère

cependant reste. Voilà à quoi se réduit l’agnosticisme de Job C’est aussi en grande partie l’agnosticisme, si on peut ainsi l’appeler, de la doctrine chrétienne, agnosticisme qui s’impose à tout être créé. On peut conclure enfin, que ce fameux chapitre xxvin n’est pas une interpolation étrangère au poème primitif ; mais il est un de ses maîtres piliers.

Pour VEcclésiaste, on n’a pas à raisonner différemment Il traite la même question que Job, niais sous une forme bien différente. Pour Qohéleth, les maux de la vie, les malheurs des justes, ne sont plus objet de discussion ; c’est un fait, qu’on ne peut nier ni écarter ; il l’accepte, et il s’en émeut profondément. Mais encore, pourquoi ce bouleversement de ce qui devrait être, semble t-il, le bon ordre de l’univers ? Nous ne savons pas, et nous n’avons pas à le chercher.

Jouir des biens que Dieu nous donne, supporter les maux inévitables ; voilà la philosophie pratique de Qohéleth, et voilà aussi la racine de son prétendu agnosticisme, ou scepticisme. Il ne nie pas qu’on puisse acquérir des connaissances certaines ; il apprécie même la science ; mais il la déclare insuffisante à satisfaire le cœur avide de joie, incapable à elle seule de donner le vrai bonheur (n, 12-26 ; vii, 1 >-"))

A rencontre de Job et de l’Ecclésiaste, où la s » gesse humaine, considérée dans sa nécessaire limitation, évoque de sombres accents de tristesse, dans l’Ecclésiastique et dans Rarueh elle est regardée à un point de’vue spécial, qui excite les doux sentiments de l’admiration et de la reconnaissance : elle est identifiée à la Loi de Moïse, ou pour mieux dire, à la révélation mosaïque, octroyée par un privilège particulier au peuple d’Israël, à la tkorah, dont ce peuple était si (1er. Déjà, dans le Deutéronome, l’ensemble des instructions (c’est le sens primitif du vocable thorah) et des lois, dont se compose la partie centraleduPentateuque.estpréscnté comme la source de toute sagesse, est appelé tout court la sagesse.l’Israël

« Je vous ai enseigné (c’est Moïse qui parle au

peuple) des lois et des ordonnances comme Yahweh, mon Dieu, me l’a commandé../ Vous les observerez et les mettrez en pratique ; car c’est là votre sagesse et votre intelligence, aux yeux des peuples qui entendront parler de toutes ces lois et diront : Certes, cette grande nation est un peuple sage et intelligent. .. Et quelle est la grande nation qui ait des lois et des ordonnances justes, comme toute cette loi que je mets aujourd’hui devant vous ? » (Dent., iv, 5-8).

son peuple exilé en Babylone, reconnaît dans le mépris de la loi la cause de tant de maux qui ont fondu sur lui.

D’.-ù vient Israël, d’où vient que tu es dan » le pa.vs

[de tes ennemi*,

que tu languis sur une terre étrangère^… Tu as abandonné la source de la sagesse… Apprends où est la prudence, où e-t la force, où est [l’intelligence (m, 10, suiv.}.

Ensuite, dans un développement comparable à celui que nous avons vu daus Job, xxvni.il soutient que nul homme n’a pu trouver la sagesse, que Dieu seul la connaît, et seulement de Dieu la peuvent tenir les humains :

C’est lui qui est notre Dieu,

et nul iiulre ne lui est comparable.

Il a trouvé toutes les voies de la sagesse

et il l’a donnée a Jacob son serviteur

et à Israël son bien aimé. (111, 36 suiv.)

On se demande ce que c’est précisément que cette sagesse, que Dieu donnée au peuple d’Israël. Barucli répond :

C’est le livre des commandements de Dieu

et In loi qui subsiste à jamais…

Heureux sommes-nous. A Isr

parce que ce qui plaît à Dieu nous a été révélé

L(w. i- 4) Rien de plus formel : la sagesse d’Israël, la seule sagesse digne de ce nom, a sa formule, son code, dans la thorah, pratiquement dans le Pentaleuque.

L’Ecclésiastique n’est pas moins explicite, ni moins poétique. Dans un chapitre célèbre et d’un usage fréquent dans la liturgie catholique, il introduit la Sagesse à parler d’elle-même, comme une personne :

Je suis sortie de la bouche du Très-Haut,

et comme une nuée je couvris la terre (xxiv, 3).

Après avoir parcouru tout l’univers comme une princesse souveraine, elle cherche un lieu de repos, une habitation, qui lui convienne :

Alors le Créateur de toutes choses me donna ses

[ordres… et me dit : « Habite en Jacob, aie ton héritage en lsrnël » Ainsi j’.'i une demeure fixe en Sion et dans Jérusalem est le sièpe de mon empire. J’ai poussé mes racines dans le peuple glorifié, dans la portion du Seigneur dans son héritage

(10-12).

Klle y exerce les fonctions de l’enseignement et du sacerdoce. Le discours de la Sagesse fini, le (ils de Sirach conclut :

Tout cela, c’est le livre de l’alliance du Dieu Trèsc est la loi que Moïse a donnée, [Haut,

pour être l’héritage des assemblées de Jacob. Cette loi (ait déborder la Sagesse, comme le

[Phison, et comme le Tigris au temps des fruits nouveaux

(22 suiv.)

Il peut y avoir dans tout cela une pointe du particularisme national, propre à l’Ancien Testament ; mais il n’y a pas d’exagération. I.e peuple d’Israël, par son monothéisme et par son décalogue (pour ne toucher que les points les plus saillants de sa thorah ) s’élevait très au-dessus de touie nation, même des plus civilisées, de l’antiquité ; il pouvait se vanter d’une sagesse bien supérieure même à celle de la Grèce savante ; c’était une sagesse, il est vrai, qu’Israël ne tirait pas de ses ressources naturelles, mais qui lui venait d’en haut par une révélation surnaturelle.

3. Sagesse personnifiée. — La sagesse objective, dont nous venons de parler et qui serait en elle-même une abstraction, a été concrétisée et personnifiée par les écrivains des Livres sapientiaux ; concrétisée, comme dans sa plus haute expression, dans la thorah de Moïse ; personnifiée, comme nous l’avons vu tout à l’heure, dans V Ecclésiastique, ch.xxiv. En effet, ce n’est pas là une simple prosopopée de rhétorique. La Sagesse, en ce passage, non seulement parle dans une assemblée céleste (comparer V-z avec Psaume lxxxix, 8), mais elle parcourt tout l’univers, elle se remue, elle agit comme une personne parfaitement individualisée. Ce n’est pas la seule ni la première fois que la Sagesse, considérée comme principe de l’ordre moral, nous est ainsi présentée. Déjà précédemment, dans le même livre, on lit pareille personnification, quoique avec moins de relief. D’après le texte hébreu, la Sagesse est mile

en scène et parle encore d’elle-même à la première personne :

La sagesse enseigne ses enfants

ot rend témoignage à tous ceux qui s’y appliquent…

« Qui m’écoute, jugera avec vérité

et qui me prête l’oreille, habitera dons l’intime de

[ma demeure. Car je marche avec lui avec artifice et d’abord je l’essaie par des épreuves. Au temps où son cœur est rempli de moi… je lui révèle mes secrets. S’il se détourne d’après moi, je le Miette, et je le livre aux spoliateurs (iv, 11-19) *.

Ici, par l’empire qu’elle s’attribue non seulement sur l’esprit, mais aussi sur la destinée des hommes, la Sagesse nous apparaît plus qu’une personne quelconque ; elle est revêtue d’une autorité divine, elle est identifiée en quelque sorte à Dieu lui-même.

Cette personnification de la Sagesse, qui instruit et réprimande les hommes, puis, si on ne l’écoute pas, porte la sentence de condamnation contre les rebelles, est plus amplement développée dans les Proverbes :

La sagesse crie dans les rues, elle élève sa voix sur les places. Elle prêche dans des carrefours bruyants à l’entrée des portes, dans la ville, elle a dit ses

[paroles : Jusqu’à quand, simples, aimerez-vous la simpliet les insensés haïront-ils la science ? [cité…

Retournez-vous pour entendre ma réprimande : voici que je répandrai sur vous mon esprit, je vous ferai connaître mes paroles Puisque j’appelle et que vous résistez, [garde,

que j’étends ma main et que personne n’y prend puisque vous négligez tons mes conseils et que vous ne voulez pas ma réprimande, moi aussi je rirai de votre malheur, je me moquerai quand viendra sur vous l’épou [vante… que viendront sur vous la détresse et l’angoisse… Mais celui qui m’écoute reposera avec sécurité, il vivra tranquille, sans craindre malheur (l, 20-33.

C’est la voix de la nature qui parle à la raison, la voix de la conscience qui parle à tout homme. Emanée de Dieu et faite pour promulguer ses lois divines, elle en est aussi le représentant ; elle en prend, pour ainsi dire, la place auprès des hommes. Elle se présente donc à eux comme une personne vivante.

Dans cet ordre d’idées, la personnalité de la Sagesse est encore plus saillante dans la scène du eh. ix :

La sagesse a bâti sa maison,

elle a taillé ses sept colonnes.

Elle a immolé ses victimes, mêlé son viii,

et dressé sa table.

Elle a envoyé ses servantes ; elle appelle,

aux sommets des hauteurs de la ville :

« Que celui qui est simple entre ici…

Venez, mangez de mon pain,

et buvez du vin que j’ai mêlé ;

quittez l’ignorance et vous vivrez » (ix. 1-C).

Allégorie bien transparente ; la solide doctrine des porte-voix de Dieu est la nourriture des âmes, qui leur donne la vie.

Pourtant, si la personnalité de la Sagesse est ici marquée, et ses rapports avec les hommes clairement indiqués, par ailleurs ses rapports avec Dieu sont laisses dans l’ombre. On trouve plus de Jour sur

1. Traduction de M. Touzard dans la Bible Polyglotte de Vigoiiroux, v. 891. Crampon, encore dans sa dernière édition, suit le grec, qui traduit librement à la troisième personne. 1207

SAPIENTIAUX (LIVRES)

1208

ceux-là dans le cliap. viii, où la théologie et la poésie des Proverbes atteignent leurs plus sublimes hauteurs.

Le début n’est pas bien (’.ifférenl de celui que nous avons lu tout à l’heure au chap. i. La Sagesse se place aux endroits les plus fréquentés pour appeler tout le mor.de à l’entendre :

Ecoulez, car j’ai à dire des choses magnifiques (vm, 6).

En effet la pensée et le style s’élèvent peu à peu. En faisant son propre éloge, après avoir décrit ses avantages pour le bien de la société et des individus, la sagesse remonte aux origines, touche à la divinité :

Yahweh m’a possédée au commencement de ses avant ses « euvres les plus anciennes. [voies].

J’ai été fondée dès l’éternité… Avant que les montagnes fussent affermies, avant les collines j’éiais enfantée… Lorsqu’il (Yahweh) disposa les cieuz, j’éiais là, lorsqu’il posa les fondements de la terre. J’étais à l’œuvre auprès de lui, me réjouissant chaque jour,

et jouant sans cesse en sa présence, jouant sur le globe de sa terre,

et trouvant mes délices parmi les enfants des [hommes (vm, 22-31).

Arrêtons nous un instant sur cemorceau sublime, si plein de sens ; car pour en faire comprendre toute la portée, il faut quelques remarques.

D’abord on ne saurait douter, qu’ici la Sagesse se montre comme une personne vivante et agissante. Elle n’est pas une créature, puisqu’elle précède toute œuvre de Dieu. Elle était « auprès de Dieu » de tout temps, elle l’assistait, l’aidait, pour ainsi dire, dans la création du monde et lui causait cette jouissance, par laquelle « Dieu se complaît dans toutes ses œuvres », toutes très bonnes et très belles (Gen., i, 3 1 ; Psaume, civ, 24. 31). On le voit ; c’est l’intelligence essentielle de Dieu, où le Créateur puisa les idées des êtres et le plan de ce merveilleux univers. Elle est intrinsèque à Dieu ; mais en même temps elle est représentée ici comme détachée en quelque manière du Créateur, comme sortie de lui. On comprend comment cette façon de concevoir se prête à préparer le dogme chrétien de la distinction des personnes en Dieu.

Oripeut faire un pas plus avant. Cette intelligence, qui constitue le premier acte immanent de Dieu, cette Sagesse par laquelle il crée l’univers, émane de Dieu par voie de génération. « J’ai étéenfantée », dit et répète la Sagesse(2.’|.25). Quoi de plus propre à exprimer cette personne divine, que la théologie chrétienne appelle le Fils de Dieu ? Aussi, dès l’antiquité chrétienne, catholiques et hérétiques s’accordaient-ils à voir dans celle qui parle ici, ladeuxième personne de la sainte Trinité. Les Ariens, on le sait, se prévalaient du verset sa tel qu’il était traduit en grec dans la Septante (Kupto ; "txrtai / ;) pour soutenir, que le Fils de Dieu était une créature (xri’r/ta). Les catholiques, tout en gardant la versiondes Septante, n’eurent pas beaucoup de peine à montrer, que de cette locution ne s’ensuivait nullement ce que les Ariens prétendaient en tirer. Mais combien plus ellicace eût été leur réponse, s’ils avaient regardé au texte original ! Eusèbe de Césarée l’avait d’ailleurs remarqué, mais sans en tirer tout le prollt possible’. En hébreu, le verbe répondant à « me créa », 1

1. Eusf.bii Caksah. De Ecelesiaslica theologia, V, 2 : Mignt /’. G., 24, 973 suiv. Voir notre article La S. Scriltura al Concilio di iXicea dans Analecta tacra Tarræonensia, vol. Il (1926), pag. 353 suiv.

est qanani, exactement le même verbe qui sortit de la bouche de la première femme, émue à la naissance de son premier- né (Crampon « J’ai acquis un homme avec le secours de Yahweh », Gen., iv, 1). Par ce verbe, le mode d’avoir l’être par génération, non par création, aflirmé dans les vv. 24-20, n’est pas invalidé, mais confirmé.

Dans le livre de la Sagesse, la même provenance nous est présentée dans un langage plus abstrait, plus philosophique, plus convenable à ces sujets sublimes, qui touchent à la divinité. Ce n’est pas sans raison que l’auteur sacré, avant d’entrer dans une matière si profonde et si vénérable, demande à Dieu « d’en parler comme il voudrait, », c.-à-d. d’après la haute idée qu’il s’en est faite, et « de concevoir des pensées dgnes des dons qu’il a reçus (vu, 15), » c.-à-.d. de cette même Sagesse qui lui a été communiquée. Aussi pour l’auteur de la Sagesse, comice pour l’auteur des Proverbes, la Sagesse est « l’ouvrière de toutes choses » (vu, 22) ; mais plutôt que de nous la peindie assistant à la créalion, il aime à la présenter comme pénétrant tout l’univers pour le soutenir, l’animer, y agir comme une force intime.

En elle, en effet, il y a un esprit intelligent, saint, unique, multiple, immatériel, actif, pénétrant… tout-puissant, surveillant tout, pénétrant tous les

[esprits]

les intelligences les plus pures et les plus subtiles. Car la sagesse est plus i*gile que tout mouvement ; elle pénètre et s’introduit partout, à cause de sa

[l.ureté (vu, 22-24).

Et pourtant, bien qu’elle soit répandue dans tout l’univers, présente à toutes les créatures, elle n’en est pas moins unie à Dieu : « Elle est le souille de la puissance de Dieu, une pure émanation de la gloire du Tout-Puissant… Elle est !e resplendissement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu et l’image de sa bonté » (vu, 25 suiv.). Paroles si belles, si propres à dénoter une personnalitédivine, que l’Apôtre les lit siennes pour exprimer dans un langage humain l’ineffable génération du Fils de Dieu (/lebr., 1, 3).

En effet, rien de plus apte à nous donner une idée de l’identité de substance et de la distinction en même temps, propre au Fils par rapport au Père, que ces comparaisons, ou métaphores, de souffle, ou, pour mieux dire.de vapeur (grec àr/M’s), d’émanation, de resplendissement, de miroir, d image, que l’auteur sacré paraît accumuler à dessein pour suppléer par la quantité des lumières, qui en jaillissent, aux imperfections inévitables du langage humain La théologie chrétienne n’a pas hésité à adopter toutes ces images pour préciser la relation de la deuxième personne de la Sainte Trinité à la pieinière, à la source de la divinité, comme on peut le voir dans l’immortel ouvrage du P. Petau, Dogmata Theologica de Deo, 11b. VI, cap. v. vi. Encore une fois, on saisit par là le caractère propre à l’Ancien Testament, de préparer la pleine révélation du Nouveau ; et aussi, pour qui considère l’âge respectif des différents livres, le progrès successif de la révélation.

IV. Influences ivtrangùhes ?

Deux articles étant déjà consacrés, dans ce Dictionnaire, aux rapports de la Bible en général avec Babylone et avec I’Egyptk (tome I, col. 32<).1301), nous serons ici très brefs.

Nous ne dirons qu’un mot de la forme, notamment du parallélisme, qu’on a justement appelé la loi fondamentale (ou, pour mieux dire, principale) de la poésie hébraïque. Nous en avons donné plusieurs spécimens plus liant (surtout I, 3), Il est bien cer120n

SAPIENTIAUX (LIVRES)

1210

tain, que la même forme poétique se rencontre dans la poésie lyrique et gnomique des Egyptiens et des Babyloniens ; et que ces deux peuples possédaient déjà une riche littérature, avant qu’Israël se fût constitué en nation et eût tixé sa pensée dans un monument littéraire quelconque. Auraii-il donc emprunté cette forme poétique à ces anciennes civilisations, qui l’entouraient ? En soi, rien ne s’y opposerait. La l’orme poétique appartient à l’art, et dans les arts les Israélites ont été bien souvent tributaires de leurs voisins païens : la Bible elle-même ne fait aucune dilliculté de nous le dire (1 Rois, vii, 1 3-45 ; Il Hais, xvi, io suiv.). Mais les atlinités de race et le génie de langues apparentées expliquent très bien les faits, sans recourir ici à un emprunt direct. D’ailleurs il faut remarquer aussi, que la loi du parallélisme poétique est de beaucoup plus constante et plus développée dans la Bible, que dans tout ce qui nous est parvenu des anciennes littératures égyptienne et babylonienne. C’est dire, combien elle était congénitale à l’esprit juif.

Pour le fond même de la pensée,

A) du côté de l’Egypte, on a pu rapprocher de nos Livres sapientiaux : i) les maximes de Ptahholep (environ a.Gooavunt J.C. ?) ; voir E. Rbvillout, Le premier et le dernier des moralistes de l’ancienne Egypte, dans Bessarione, IIe série, vol. IV, p. a3-47, et comparer l’introduction (p. 27) avec la conclusion de VEcclésiaste (xn, 1-7 ; description de la vieillesse) et ch. xvin (p. 30) avec Prov., v. vil (fuite de la mauvaise femme). — 2) Les instructions de Douaouf à son tils Pépi (environ 2.000 av. J.-C.) ; voir G. Maspbro, Du genre épistolaire chez les anciens Egyptiens (p. 48-73), et comparer Ecclésiastique, xxxviii, 24 — xxxix, 1 1 (la profession de scribe est la meilleure de toutes). — 3) Les maximes d’.4ni à son fils Khonshotpou ; voir E. Amblineau, La morale égyptienne, quinze siècles avant notre ère (Paris, 1892), à comparer aux recueils salomoniens, Prov., x-xxn ; xxvxxix. — 4) Le dialogue d’un homme dégoûté de la vie avec son âme (xv° siècle av. J.C. ?), dont le litre déjà fait penser à Job et à VEcclésiaste. — 5) La doctrine d’Amen-em-Opé (xe ou ixe siècle av. J. C.) qui fait pendant à la première collection des sages dans les Proverbes (xxil, 17, xxiv, 22).

Le parallèle entre ces deux dernières pièces, auquel le P. Alkxis Mallon S. J. vient de consacrer un remarquable article dans Biblica VIII, 1 9^7, p. 3-30), etet le plus frappant de tous. Non seulement il y a, de pari et d’autre, des conseils semblables, en des termes très voisins (dans un ordre bien différent, il est vrai), mais aussi chacun des deux auteurs préseule au lecteur son livre comme un recueil de trente morceaux ; ce sont trente chapitres chez Amen-em-Opé, et trente conseils (ou quatrains ; voir plus haut) chez les sages hébreux. La coïncidence ne peut èlre fortuite. Qui est ici l’emprunteur ?

Le livre du sage Amen-em-Opé pourrait bien être nn peu postérieur à Salomon. Mais la partie des Proverbes qui lui ressemble, étant placée en appendice à une collection salomonienne, doit être notablement plus tardive ; et de ce seul fait, la priorité appartiendrait au sage égyptien. Aussi le P. Mallon, avec la presque unanimité des critiques, soutient-il résolument, que les Proverbes dépendent de la s. 1-esse d’Arnen-em-Opé. En principe, rien ne s’y oppose ; et l’on pourrait ici appliquer ce que M.Lefebvre a écrit à propos des inscriptions du tombeau de Petosiris (environ 300 av. J. C.), publiées par lui ( Annales du Service des Antiquités, xxi et xxii, 192122), et qui, d’après lui, dans des formules rajeunies, contiennent des idées très anciennes : « Les Juifs, dit-il, en contact avec les Egyptiens, ont connu leurs

théories philosophiques… aux traités didactiques qui s’y élaboraient, ils ont pu emprunter des formules et l’expression de quelques idées : mais ils ne l’ont fait que dans la mesure où ces idées s’accordaient déjà à leurs propres conceptions morales et métaphysiques » (Lefebvre, Egyptiens et Hébreux, dans la Revue Biblique, 1922, p. 488). Pourtant, dans notre cas, il vaudrait mieux parler d’imitation que d’emprunt, l’ordre des matières étant si différent dans les deux livrets, et la connaissance que l’écrivain hébreu a eue des maximes du sage égyptien ayant pu n’être qu’indirecte ou puisée à une source commune. Cette hypothèse d’une source commune est d’autant plus probable, que le nombre de trente est beaucoup plus naturel et exact dans les Proverbes, dont les maximes en effet ne défiassent pas trente, que chez Amen-em-Opé, dont les chapitres, bien inégaux entre eux, contiennent chacun plusieurs conseils.

Les autres parallèles cités ci-dessus ne sont que des lieux communs, où la dépendance ne s’impose pas. Les mêmes pensées ont pu venir à l’esprit à divers auteurs indépendamment ; et ce que nous lisons dans les Livres sapientiaux n’a rien que de cohérent avec la mentalité des anciens Hébreux. Dans l’Ecclésiastique, par exemple, l’éloge de la profession de scribe (c.-à-d. étudiant delà Loi) est parfaitement dans le courant des idées juives au temps de l’auteur.

B) Babylone ne nous a transmis, de comparable en quelque sorte à nos Livres sapientiaux, que :

1) quelque mince recueil de proverbes, ou maximes, dans des tablettes à l’usage des classes : on a pu en lire un spécimen dans ce Dictionnaire, tome I, col. 380 ;

2) le poème dit du Juste souffrant (texte et traduction complète par F. Martin, dans Journal asiatique, Xe série, tome XVI, 1910, 2, p. 75-1 43), qu’on a rapproché du livre de Job ; — 3) la plainte acrostiche, à laquelle son éditeur, E. Ebbling, a donné le titre : Un Qohéleth babylonien (Berlin, 1924) ; mais le P. Dhorme y a reconnu un dialogue entre deux amis, et donc à comparer plutôt avec Job encore une fois (voir Dhorme, Ecclésiaste ou Job ?, dans la Revue biblique, 1923, p. 0-27). — Mais les ressemblances de tous ces ouvrages avec nos Livres sacrés, sont par trop vagues pour qu’on puisse établir une relation quelconque de dépendance ; et la supériorité de la Bible est ici éclatante. C’est ce qui a obligé H. Zimmbrn (pouriantsi porté à exagérer l’influence de la littérature babylonienne sur la biblique) à ne consacrer qu’une maigre page à la « Morale », dans l’ouvrage bien connu : Les cunéiformes et l’Ancien Testament (3e édition, Berlin, 1902), et à conclure ;

« Malgré tout ce que la Morale des Babyloniens

exige ici [dans les tablettes d’incantations, dont on a donné un spécimen ici même, tome I, col. 380], on ne saurait afïirmer, par exemple, qu’elle se rapproche des exigences morales, que l’Ancien Testament, surtout à l’époque des prophètes, impose à l’homme » (p. 61 3).

Et pourtant le même auteur voudrait soutenir que le prototype de la Sagesse personnifiée dans nos Livres sapientiaux (voir plus haut, III, 3) n’est autre, au fond, qu’une déesse babylonienne, notamment Istar-Siduri, la déesse de la science ! (p. 3^9 ; sur cette divinité, voir Drimkl, Panthéon babylonuiim, Home, 1914, nn. 2890. 2781 ; P. Dhohmb, Choix de ti’.ites religieux assyro-babyloniens, p. ^78 suiv.). Mais s’il y a une figure dans les Proverbes, à laquelle conviennent les traits d’Islar-Siduri, comme l’a très bien remarqué un autre critique protestant, G. Dikttricii (dans 1 heologische Studien u. Kritiken, LXXXI, 1908, p. 000 suiv.), ce serait plutôt « la femme étran1211

SAPIENTIAUX (L1VKKS ;

1212

gère » (n, ît » ; v, 3) ou « darue folie » (ix, 13), c.-à-d. précisément le contrepied de la Sagesse, comme nous l’avons vu (111, i). Diettrich, lui, vomirait plutôt voir dan-, cette femme étrangère, non une divinité, mais une doctrine babylonienne. A une certaine époque après l’exil (pense-t-il), une doctrine religieuse-morale à base de spiritisme se serait répan-, due par tout l’Orient sémitique ; elle était issue de Babylone et précisément du culte d’Istar. L’auteur des Proverbes, i-is, nous a présenté cette doctrine spirile, pour la combattre, sous l’allégorie de la femme « étrangère », le revers de la vraie sagesse juive. — Si cela était vrai, l’indépendance de la pensée juive n’en ressortirait qu’avec plus d'éclat. Mais la peinture de la femme étrangère, dan » Prov., ii, v, vu, est par trop réaliste, et répond trop bien à la psychologie humaine dans son sens littéral, pour qu’elle puisse se plier à une allégorie quelconque. De plus, le fait même de la doctrine spirite, d’où part Diettrich, n’est pas bien assuré. Donc, aucune trace certaine de Babylonc dans les Proverbes, ni, peut-on ajouter, dans les autres Livres sapientiaux. G) Serait-ce la Perse, succédant à liabylone dans l’Empire de l’Orient, qui aurait versé quelqu une de ses conceptions dans la doctrine de la Sagesse juive ? On l’a prétendu. Cette Sagesse personnifiée, esprit divin, intermédiaire entre Dieu et le monde créé, sérail une spéculation étrangère à la pensée positive et concrète des Juifs ; elle s’accommoderait au contraire très bien des idées avestiques, étant 1res semblable aux Amesha Spenta, ces attributs divins, qui font le cortège d’Atruramazda. — Une certaine analogie entre ces deux conceptions, de la Sagesse juive et des Amesha persans, nous n’avons aucune raison de la nier. Mais suffit-elle à démontrer que la doctrine juive dépend du parsisme. ou même à établir entre les deux une relation génétique ? Passe pour l’antiquité de l’Avcsta. qui pourtant n’est pas hors de contestation ; mais remarquons que les Amesha forment entre eux et avec Ahuramazda un tout inséparable, un système compact, sans fissure. Us sont plutôt des abstractions : dans les parties les plus anciennes do l’Avesta, « ils désignent des concepts et non des entités, et la personnification y est toujours très superficielle » (A. Caunoy, dans Muséon, tQia, p. 137). Ni, d’ailleurs, le rôle d’aucun d’entre eux ne coïncide exactement avec le rôle de la Sagesse dans nos Livres sapientiaux.

Par contre, nous trouvons dans l’Ancien Testament d’antres personnifications, quoique moins marquées et moins constantes que celle de la Sagesse. Telles, la bonté et la vérité, ou fidélité, de Dieu (Psaume, r.xi, 8 ; l.xxxv, i i suiv. ; i.xxxix, 15, etc.), la justice (Psaume, lxxxv, r>. i ', ; xcvii, a), la parole de Dieu (Psaume, cvii, 20? /s., lv, ii) ; souvent l’Ange de Yahweh n’est que la manifestation extérieure de la puissance divine (Psaume, xxxiv, 7 ; Il Rois, xix, 35 ; Eccli., xi.viii, 21 ; / »., i.xiii, 9). Dans la littérature juive postérieure à la Bible, rien n’est plus ordinaire que de voir personnifier la Thorah (loi), le Memra (logos ou parole), la Schekhinah (présence de Dieu), la fiath t/ôl (voix). Tous ces êtres divinisés (qui, notons-le, ne sont nullement coordonnés entre eux, comme les Amesha des Perses) nous apprennent, que la personnification des attributs ou des effets divins est un procédé spontané de l’esprit juif ; pour se lancer dans cette voie, les fils d’Israël n’avaient nul besoin d’une impulsion venue du dehors.

D) Les dernières fleurs de l’Ancien Testament, notamment plus d’un produit de la sagesse juive (nous l’avons vu), se sont épanouies en pleine époque hellénistique. Auraient-elles pu se soustraire à

l’action pénétrante de cette magnifique civilisation, qui, partant de la Grèce, s'était répandue jusqu’aux extrémités de l’Orient ? Pas tout à fait, certainement. L’auteur de la Sagesse a tiré, sans doute, de la philosophie grecque plusieurs termes et conceptions. Telle, par exemple, la division des vertus en quatre vertus cardinales : prudence, justice, force, temperance (Sag., ym, 7), division qui est passée eonuue un thème ordinaire dans l’ascétique catholique. EU* remonte à Platon et était en faveur auprès des Stoïciens. De même, lorsque l’auteur nous présente l’Esprit de Dieu « qui contient tout (1, 7), ou la Sagesse, qui « pénètre et s’introduit partout a (vu, a4), il se sert du langage par lequel les stoïciens exprimaient leurs idées cosmologiques. On a même prétendu qu’il a emprunté à ces sources impures des erreurs. Ainsi il enseignerait la préexistence de l'àine (vin, ao), il supposerait que la matière n’e.st pas créée, mais éternelle (xi, 17). C’est là de l’exégèse superficielle. Un peu d’attention suffit à montrer que l’auteur exprime dans des formules grecques des idées bien juives, des idées émises déjà par d’autres écrivains dans l’Ancien Testament. Sa

« matière informe » (xi, 17), par exemple, n’est autre

que la « terre informe et vide » de Gen., 1, 2, et, donc, matière créée par Dieu le premier jour (^. 1). Dans vin, 20 il veut marquer, que le premier rang revient à l'âme dans la composition de la nature humaine et dans l’heureuse harmonie des facultés d’un homme bien doué. Ayant suivi l’ordre corps-âme ai. verset précédent, l’auteur se reprend dans ^ 20, et. par crainte d'être mal compris, donne l’ordre âmecorps. Sa psychologie n’est pas différente de Gen, , ii, 7 ; comparer Sa g., xv, 8-11. Pour plus de détails, voir les commentateurs catholiques, et. parmi les protestants modernes, W. 11. Churton (1880), W. J. Dbank (1881), A. T. S Goodrick (1913).

Récemment deux études contemporaines et indépendantes par deux critiques protestants ont examiné à fond ce point spécial : F. Ch. Portrr, The préexistence of tl/e Soûl in tke Bookof ir/'.viVi<m(dans American Journal of Tlieolo£v, XII, kjoS, p. 53- il 5), et W. WbbBU, Die Seelenlehre cer Weisiicit Salomo.s(danS Zei ; schr ; ft fur it isseiisclui ftlclie Théologie, Ll, 1908/9, p, 3 1 4- 33a). Tous les deux arrivent à la même conclusion, admise par d’autres prolestants comme convaincante, que sur ee point la doctrine de notre auteur ne vient pas des écoles grecques. mais des idées propres aux Hébreux. Au demeurant, l’orientation générale de la Sagesse est plutôt vers le particularisme spécifiquement juif, que vers l’universalisme hellénistique.

L’Ecclésiasle, par sa date probable(voir 1, '1) pourrait avoir subi l’influence de l’hellénisme. L’a-t-il subie en effet, et dans quelle mesure ? On a cru remarquer des gréeismes dans la langue de Oohéleth, et des idées dérivées de la philosophie grecque dans ses pensées. Nous avons déjà relevé, dans sa façon de proposer et de développer son thème, une certaine analogie avec celle des philosophes ou sophistes grecs. Mais c’est plutôt l’influence générale de la culture, ce sont tout au plus de rares éléments pénétrant avec l’atmosphère environnante. « L’Kcelésiaste (conclut M. Podechard, après un examen détaillé) n’est pas entré en contact direct et immédiat avec les œuvres des philosophes grecs ; mais il n’a pas du échapper complètement à ls diffusion de leurs méthodes et de leurs idées » (f.'iïcclèsiaste, p. 100). Même sur les prétendus gréeismes de Qohéleth, on peut, avec le même exégète, rester sceptique. L’araînéen, langue usuelle des Juifs après la captivité, explique beaucoup des particularités de la langue et du style de notre livre. Si quelque grécisnie il y a, 1213

SAVONAROLE

1214

il a du pénétrer dans 1 usage commun de la langue, non { » as être propre à Qohéleth.

Le fils de Sirach, auteur de l' Ecclésiastique, a dû certainement se trouver en contact avec la pensée grecque, au moins dans se- à l'étranger (voir haut I, 5). Pourtant, il est resté tout entier pur ment juif : an pourrait même dire qu il s’est reIran ehé (probablement par réaction, comme l’auteur de la Sagesse) dans son particularisme national quelque peu farouclie (voir surtout xxxvi, 1-19 ; l, 25 dir.). Vainement chercherait on chez lui une tournure d’esprit certainement irrecque. Pour la langue style, c’est un classiciste ; il s en tient à l’hébreu rands modèles de l’antiquité, qu’il imite de son nieui. Par là encore, il se montre hostile aux nouveautés, qui menaçaient alors la pureté de l’esprit j ui f.

.V plu- forte raison n’avons-nous à chercher aucuneinlluence grecque dans les Proverbes. Beaucoup de critiques voient, dans la femme étrangère » (Prov. ii, i(>2> ; v. vu), l’allégorie de la science ou de la culture grecque en général. Nous n’avons qu'à répéter ici ce que nous avons dit plus haut îles doctrin, s babyloniennes : cela admis, l’indépendance de la pensée juive n’en serait que plus évidente ; mais l’allégorie elle-même, et avec elle l’allusion à la pensée grecque, est tout à fait improbable. De même on ne pourrait soutenir, comme d’aucuns prétendent, que la mise en scène de la Sagesse (Prov., i-ix) soit grecque plutôt que juive. Non-, avons fait ressortir tout à l’heure, à propos de la Perse, combien la persomiilicution est conforme à 1 esprit juif. D’ailleurs il y a, en général, des différences profondes, essentielles, entre la philosophie grecque et la sagesse

! , telle surtout qu’elle nous est présentée dans

les Proverbes. Celle-ci est presque exclusivement pratique, religieuse, morale, et s’adresse à tout le monde. La philosophie grecque e.^t éminemment spétive, laïque, plutôt psychologique, et réservée à 1 élite.

Somme toute, les traces certaines d’influence étrangère sur nos livres sapientiaux, se réduisent à quelques emprunts, plutôt de forme que de fond, Pruv., xxH, io xxiv à l'égard d’une source égypiienne et dans la Sagesse à l'égard de la philosophie aie. Il va sans dire, que l’inspiration et l’autorité de ces livres n’est pas en jeu ; voir tome II, col.

V. BIBLIOGRAPHIE

Sur les Livres sapieuliaux en général :

i) les articles afférents dans les Dictionnaires de la Bible, de F. Vigouroux, et de Théologie catholique de Vacant ; 2) les Introductions à l’Ecriture Sainte citées plus haut, i, 4 ; 3) les Commentaires d’auteurs catholiques, notamment : Lesétre, Granvaux et Motais (dans La Suinte Bible de Lethielleux) ; Knabenbauer, Gietmann, Cornely (dans le tui sus S, Scriptura* chez le même éditeur) ; 4) J.Pineda, Sut miun prævius, Lyon, iGoij ; Gard. Meignan, Salomon son règne, ses écrits, Paris o : F. Vigouroux, les Livres Saints et la criti' : ". éd., tome V ; A. Motais, Salomon et l’Ecclésiaste, Parts 1876 ; J. M. Laj ; range, Le /.ivre de lu Sagesse, dans Rev, biblique, 1907, p. 85-io4 ; E. Tobac, Les cinq livres de Salomon, Bruxelles, 1926 ; A. Condamin Etudes sur l’Ecclésiaste (dans Revue biblique, 1889, p. 403 ; 1900, p. 30-35/|) ; J. Calés. Bulletin d’exégèse de l’Ancien Testament (dans Recherches de se. rel., V, 271 ; XII, 110 ; XVI. 548).

Sur III : J. Corluy, La Sagesse dans l’Ancien

Testament (Congrès scient, des catholiques, Paris 1888, p. 61-91) ; L. llackspill, Etudes sur le milieu religieux et intellectuel du N. T. (Revue biblique, 1 900, p. 56 j ; 1901, p. 200, 377 ; 190?, p. 18) ; J. Gôttsberger, Die gôttliche Weisheit als Pereénlichkeit im A. T. (Rtbl. Zeit/foEpen, IX a série, 1-2) Munster ujkj ; P. Ileinisch, Die persanliche Weisheit des A. /'. (fitbl. Zeitfr. El, 12) Miinster, 1920 ; A. Iludal, Die reiijiiiseu und sittlielien Ideen des Spruchbuchs, Rome, 1914 ; P. Ivlasen, Die alltestamentliche Weisheit und der Logos der iùdisch-alexandrinischen Philosophie, Prib. en Br. 1878 ; J. Lebreton, Les Origines du Dogme de la Trinité (5>= éd., Paris 1919), livre II, La Préparation Juive ; Les théories du Logos au début délira chrétienne, dans « Etades » tome CVI, (1906, p. 54, 310, 764 ; A. Vaccari, Il conceito délia Sapienza nelï Anlico TrsLnnento (dans >< Gregorïauum », 1920, p. 219-251) ; H. Zschokke, Der dogmatische-ethische l.ehrgehalt der alttestamentlichen Weisheitbïicher. Vienne 1889.

Sur IV, outre les auteurs cités dans le corps de larticle : J. Baili.kt, Introduction à l Élu te des idées morales dans l’Egypte antique, Paris, 1912 ; E. Revillout, Le mouvement sapieniial chez les Egyptiens et chez les Hébreux (dans /.'ancienne Egypte d’après les papyrus et les monuments, tome I, Paris 1908). Sur la « Sagesse d’Amen-tmopé », on trouvera une bonne bibliographie dans l’articleduP. Mallon, p. 4. Fr. Martin. Textes religieux assyriens et bab) Ioniens, Paris 1900 ; S. Landrrsdorfer, Eiue ba byloiiische Quelle fardas Buch Job ? Fribourg en Brisg, i<ju ; P. Hëinisch, Die griei hische Philosophie im Ruche der Weisheit, Munster, 1908 ; Griechische Philosophie, u. Altes Testament (Biblsché Zeit r.it, en, VI, 6, 7 ; VII, 3). Munster. 1 91 3, 14 ; l’ersmijicationen und Hypostasen im Alten Testament u. im allen Orient (/libl. Zeit/ragen, IX, 10-12), Miinster 1921 ; Ch.-F. Jean, La littérature des Babyloniens et dis Assyriens, Paris, 1924 ; A. Condamin, Bulletin des Religions Babylonienne et Assyrienne (dans Recherches de se. rel, 11. 415 ; XIV, 7 3 ; XI, 133) ; J.-M. Lagrange. La religion des Perses, La réforme de Zoroastre et le Judaïsme (dans Revue biblique, 1904, 27. 188) ; A. Carnoy, Le Zoroastrisme (dans Huby, Christus, Paris, 1916, p. 315-331) ; Arumali-Armatay (dans Muséwi, 1912, p. 127-146).

Dans ces auteurs, tous catholiques, on trouvera cités, classés et souvent jugés, d’autres ouvrages, protestants ou rationalistes.

Albert Vaccari, s. i.