Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Propagation de l'Evangile

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 187-199).

PROPAGATION DE L'ÉVANGILE.

La façon dont s’est propagée la religion chrétienne intéresse l’apologisteà des titres divers. D’abord cette propagation, au moins dans les premiers siècles, est revendiquée par le Concile du Vatican comme un

« grand et perpétuel motif de crédibilité » (Const.

Dei Filius, ch. 3). Ensuite, Jésus ayant donné l’ordre : Emîtes, docete omnes génies, et ayant par là non seulement imposé un devoir à son Eglise, mais lui ayant du même coup conféré et des droits et des aptitudes, il importe de savoir comment ces aptitudes se sont réalisées, ces droits ont été appliqués, ce devoir exécuté. Et c’est toute l’histoire des missions. Nous ne pouvons en donner qu’une vue d’ensemble très sommaire. Elle serait à compléter par les articles déjà consacrés ici à I’Eglisb (surtout t. I, col. 1280), au Martyre, aux Apôtrbs ; à la traite des Nègres.

§ 1. — Jusqu’aux Invasions

1. — Le point de départ est la Pentecôte, et la première période est celle des Douze. Le mot d’ordre était : Judæo primum et Græco. A mesure que les Juifs se récusaient, on allait aux infidèles. Avec Jérusalem d abord, puis Antioche pour centre, la foi se répand si bien que dès avant 60 saint Paul peut dire qu’elle est connue du monde entier (Rom., 1, 8 ; Col., 1, 6-13). Grossissement oratoire d’un fait réel. Les textes établissent que, à la fin du premier siècle, il y avait des groupements chrétiens dans les pays suivants : Syrie, Phénicie, Arabie, Cilicie, Chypre, Galatie, Cappadoce, Bithynie, Pont, Phrygie, Macédoine, Epire, Attique, Crète, Illyrie, Dalmatie, Italie du Sud, Espagne, Egypte, enfin à Rome.

2. — La liste s’allonge au n* et au 111e siècles. Saint Justin parle des Scythes nomades, saint Irénéb des Germains, des Celtes, des Ibères (Espagne) ; Tbrtullikn des Maures, des Marcomans, des Parthes, des Gétules, des Bretons, des Sarmates, des Daces, des Scythes. Origènb dit que l’Evangile n’a pas encore été prêché à tous les Ethiopiens, à tous les barbares : il a donc été prêché à quelques-uns. Il a déjà franchi les limites de l’Empire.

Et voici les principaux centres de rayonnement. Antioche pour les pays syriens, Chypre, la Cilicie, l’Asie mineure et toutl’Orient. Des centres commer ciaux de l’Asie antérieure, Smyrne, Milet, etc., partentpour l’Occident les missionnaires avec les marchands, et c’est l’origine des Eglises de la Gaule méridionale. Edesse est le point de départ pour la Haute Asie, l’Inde, la Perse ; Alexandrie pour l’Egypte et l’Abyssinie, Rome pour l’Italie, l’Afrique, l’Espagne.

Au total, dans le début du iv" siècle, il pouvait y avoir de 8 à 900 évêchés en Orient, et de 6 à 700 en Occident.

Expansion géographique ; mais aussi pénétration sociale. L’Evangile ne conquiert pas que les pauvres et les déshérités de ce monde. Dès lesdébuts, il a ses recrues parmi les riches et jusque dansla famille impériale (Flavius Clemens). Pline rencontre en Bilhynie des chrétiens de toutes conditions. Sous Dioclétien.le palais en était rempli. « Nous sommes d’hier, disait avant la fin du n* siècle Tbrtullibn, et nous remplissons vos villes, vos municipes, jusqu'à vos armées, le sénat, le forum ; nous ne vous laissons que vos temples » (Apol., xxxvii).

Au début du iv° siècle, les chrétiens sont assez les maîtres de la situation pour que le vainqueur du jour croie sage de se ranger parmi eux. Et c’est la paix de l’Eglise (3 1 4).

3. — En trois siècles, le christianisme a vir'.uelle363

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ment conquis l’Empire romain, et pénétré en Peràe. j Expansion « étonnante », cIUHahnack. « Etonnant » est faible, quand on voit dans quelles conditions tout s’est fait. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a là un eus unique dans l’histoire de l’humanité. On peut faire large la part de certaines facilités matérielles, intellectuelles et même morales : diffusion de l’hellénisme, uniformité relative des langues, idées, mœurs, unité politique, sans parler d’une certaine facilité de communications : toutes choses que ne connaîtront guère les missionnaires du xvie etdu xvii" siècles. Encore pourrait-on dire que ces conditions favorisaient à la fois et l’apostolat et la persécution.

Quoi qu’il en soit, rien de tout cela n’atténuait le gros obstacle, les multiples intransigeances du christianisme : — intransigeance du dogme aux prises avec le paganisme, et aussi le scepticisme, le syncrétisme, le dilettantisme, le Quid est méritas ? de Pilate, qui est au fond de tous les cœurs, sans parler du fanatisme des foules ; — intransigeance de la morale, aux prises avec une dissolution effroyable des mœurs, laquelle s’alimente dans les arts et les lettres d’une perfection sans rivale ; — intransigeance des prédicateurs (Non possumus non loquï), aux prises avec les susceptibilités grandissantes d’un pouvoir qui veut être adoré. Le grand ennemi de Jésus n’est pas Jupiter, c’est César. Et cela est de tous les siècles.

On a pu exagérer la continuité des persécutions et le nombre des martyrs, mais Rbnan avoue :

« Même dégagées des exagérations de la légende, les

persécutions restent une page des plus sombres de l’histoire, et la honte de l’ancienne civilisation » (Eglise chrétienne, c. xvi, p. 316). Opposition populaire, toujours prête aux dénonciations et aux violences ; législation impitoyable, constamment mise à jour, oubliée parfois, jamais abolie ; effort des stoïciens (Marc-Aurèle), des néo-platoniciens, des lettrés, les uns menant la persécution, les autres essayant de sauver le paganisme en l’épurant, les autres encore gardant le monopole de la science et de l’art : c’est au milieu de tous ces obstacles que la foi chrétienne fait son chemin. Cela, sans violence et sans concession aux faiblesses humaines. — Voir article PuRsécimoNs.

On a ditque la persécution est un moyen de propagande. Oui, quelquefois semen est sanguis christianorum (Tertullien, Apolog., t). Cela n’est pas vrai toujours. La violence fait bon nombre de martyrs, quelques convertis et beaucoup d’apostats. J.a persécution musulmane en Afrique, protestante en Angleterre, bouddhiste au Japon n’a fait que des ruines. Pourquoi la persécution des Césars a-t-elle abouti au triomphe ? Les explications humaines se dérobent, et il reste le mot de Jésus : Si c.valtatus fuero a terra, omnia trakam ad meipsum (Joan., xir, 3a).

Voir Harnack, Die Mission und Ausbrcitung des Christentums in den ersten drei Jalirhunderlen, 1906.

— J. Rivière, La Propagation du Christianisme dans les premier » siècles, 1907. — P. Ai. lard, Dix leçons sur le martyre, igo5. — D. H. Leclkrc(. ! , Expansion du Christianisme, dans le Dict. d’Archéologie Chrétienne, 193a.

4. — L’empire romain est conquis, ou du moins occupe. L’Espagne, la Gaule, laGermanie, la Grande-Bretagne ont leurs Eglises. Il reste à exterminer le paganisme qui, chassé des villes, persiste dans les campagnes : les évêques organisent des missions intérieures. Citons ici saint Martin ({- 397). Sur les frontières, la foi continue à s’étendre.

L’Eglise d’Irlande s’ébauche vers 430 avec le diacre

romain Palladius, et est vraiment fondée par saint Patrice, morten 465. L’heure n’est pas encore venue pourl’Eco68e, où les Pietés et lesScots sont toujours en guerre avec les Romains.

De même, au delà du Rhin et du Danube, où la guerre est incessante avec les Francs, les Alamans, les Saxons. On parle beaucoup plus d’Eglises détruites en deçà des frontières que d’Eglises fondées au delà. Mais la Germanie romanisée a son épiscopat, ainsi que le Norique, la Rhétie, le Pannonie, région non germanique encore et de culture romanoceltique. Ici se place, vers 450, l’apostolat de saint Sévbrin, défenseur contre les Germains de ce qui est aujourd’hui la Basse Autriche.

Plus à l’est, et jusqu’au Pont-Euxin, les Goths. Des exilés et des captifs grecs ont porté chez eux l’Evangile. Malheureusement, c’est l’Evangile des Ariens. Leur premier évêque, Ulfila, ne leur a prêché que l’hérésie, et c’est par eux que le christianisme, sous la forme arienne, se répandra chez les Burgondes, lesSuèves, les Vandales, les Lombards.

Sur le littoral nord du Pont-Euxin, en Crimée et aux environs, la religion chrétienne était connue depuis longtemps : mais au Caucase, c’est une captive qui porte la foi chez les Ibères (Tiflis), sous Constantin. Vers le même temps, saint Ghugoiiib l’Iixuminateur (mort en 33 1) conquiert l’Arménie, baptise le roi Tiridate et fonde la première Eglise franchement nationale.

En Perse, l’extension, commencée plus tôt encore, gagne le pays des Parthes et la Bactriane. Eglise terriblement éprouvée depuis que, dans l’Empire romain, le Christianisme est devenu religion d’Etat, donc pour les Perses religion ennemie. La persécution deSapor II (30g-381) dura 37 ans, fit, rien que parmi les clercs, les religieux, les religieuses, 16.000 victimes. Elle reprit au siècle suivant et dura 30 ans encore.

En Arabie, ce sont les solitaires qui introduisent le Christianisme chez les nomades. Le Hedjaz ne fut pas évangélisé ; mais vers le milieu du ive siècle, des Missionnaires entrent dans le Yemen méridional, baptisent une grande partie de la nation Homérite. Jusqu’à la conquête de Chosroès II, le Yemen eut des rois chrétiens.

On signale des chrétientés encore, dans le temps de l’empereur Constance, sur les côtes occidentales de l’Inde, à Ormuz, à Sokotora, Aden, Safar. Les deux côtés du détroit de Bab-el-Mandeb sont couverts d’Eglises. Le Tyrien saint Frumentu s, sacré évêque par saint Athanase, évangélisé le pays d’Axoum en Ethiopie. En Egypte, on trouve des vestiges chrétiens jusqu’aux environs deKhartoum. On ne sait jusqu’où s’étendaient, vers le désert, les Eglises africaines.

Voir : collection Les Saints, vias de S. Patrice pur Riguet, 191 1, de saint Martin par A. Régnier, 1907, de S. Séverin par A. Baurrillart, 1908 ; — D. Gougaud, Les Chrétientés celtiques, 191 1 ; — Labourt, l.e Christianisme dans l’Empire Perse igo4 ; — Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, 1887-191 1 ; — Tournrbize, [list. polit, et religieuse de l’Arménie, s. d. ; — Duciiesnb, Eglises séparées, ch. vii, 1896 ; Hist. de l’Eglise, II, p. 566, 111, 51g. Dict. d’archéologie, articles Arménie, Celtes, Caucase, etc., etc.

§ 2. — La conquête de l’Europe barbare

1. — Jusqu’ici l’Evangile s’est propagé de proche en proche, faisanttached’liuile, les Eglises essaimant d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre. A quoi servaient grandement les relations commerciales et administratives. Et cette foi qui s’étendait était la foi catholique. Avec l’arianisme, lescondilionsclian3(36

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gent. Cest l’hérésie qui se répand cher les barbares ; puis les grandes controverses aboutissent à séparer de l’unité plusieurs nations. Le monophysisine s’empare de l’Arménie et de l’Ethiopie, le nestorianisme do la Perse, de l’Arabie, de l’Inde. Plus tard le schiëine grec achèvera l’éraieltement des Eglises d’Orient. La rupture avec l’unité ne leur enlèvera pas toute force de propagande : on le voit par le succès de l’arianisræ cher les peuples germains. Les Nestoriens auront d*s colonies religieuses en Khorassan, enTransoxiane, en Chine. On connaît la fameuse stèle sino-syriaque de Si-ngan-fou (781) (article Chine dans le Die t. d’archéol. chrét., R. Groussbt, Hist.de l’Asie, II, p. 273278). Surtout, ces Eglises séparées opposeront une première barrière aux missionnaires qui pourraient venir d’Occident. Il y en eut bientôt une autre, l’Islam.

La conquête musulmane, commencée en 622, année de l’hégire, dure cent ans du côté de l’ouest, mais elle est arrêtée en 782 par Charles Martel. A l’est, elle se poursuit tant qu’il y adespeuplesdevant elle, jusqu’en Chine, à Java, auxMoluques. Al’heure qu’il est, elle continue en Afrique. Du coup, c’est l’Arabie, la Syrie, la Palestine, l’Egypte, l’Afrique du Nord, l’Espagne, la Perse, plus ou moins enlevées à l’Eglise. Ce sont les florissantes chrétientés d’autrefois, à tout le moins anémiées, tropoccupéesànepas mourir pour songer à desconquêtes. C’est, à peuprès sur toutes les frontières de l’est et du sud, une muraille infranchissable auxmissionnaires. D’autant plus infranchissableque les musulmans eux-mêmes,

— qu’on explique le fait comme on voudra, — sont plus réfractaires à l’Evangile.

Refoulée ainsi sur plusieurs de ses frontières, la force expansive du Christianisme trouve ailleurs ses compensations. Il y a les barbares à convertir.

2. — Les invasions, en même temps qu’elles disloquaient l’Empire, superposaient aux anciennes Eglises latines des groupes païens ou des communautés ariennes. Avant d’aller au delà du Rhin chercher des âmes à conquérir, il fallait d’abord, sur place, convertir les maîtres dnjour. Ce fut l’œuvre du vi* siècle. Il suffit de marquer les étapes.

496.C1.ov1s ouvre la série et mérite à la France le nom de Fille aînée de l’Eglise. 507, la bataille de Vouillé met fin à la domination des Visigoths ariens en Gaule. 517, c’est le tour des Burgondes, convertis avec leur roi Sicismond. En 533, c’est la puissance arienne des Vandales en Afrique, — des persécuteurs odieux, ceux-là, — qui disparait devant les armées de Justinien, et en 568 celle des Ostrogoths en Italie, ariens aussi mais tolérants, malheureusement remplacés par les Lombards ariens et persécuteurs. En 580, les Visigoths d’Espagne suivent l’exemple de leur roi Récarkdb et se font catholiques, bientôt imités par leurs voisins les Suèves. Tous ceux-là, sauf les Francs, sont des hérétiques qui reviennent à l’unité. La série se clôt en 597 par le baptême du premier roi Anglo-Saxon, un païen lui, le roi Ethrlbkrt de Cantorbéry.

L’œuvre se continuera ensuite par la conquête du reste de l’Angleterre, en attendant le dernier coup porté par saint Colomban à l’arianisme germain chez les Lombards, et la conversion du roi Ghimoald (-{-671).

Abstraction faite des agents politiques, dont il faut cependant tenir compte, cette élimination du paganisme et de l’hérésie fut avant tout l’œuvre des anciens clergés formés à la discipline romaine : saint Rbmi qui baptisa Clovis, saint Avrr qui baptisa Sigismond, saint Martin de Brnga qui gagna les Suèves. etc. Il y a aussi les missionnaires au sens modemedu mot, venus de loin parfois. Missionnaires

romains comme Auoubtw db Cantobbry et ses compagnons. Missionnaires irlandais ; à peine convertie, l’Irlande est devenue pépinière d’apôtres. En 563, saint Columba se lançait dans l’évangélisation des Pietés et des Scots inabordablesjusque-là. A leur tour, les Scots et les Irlandais descendirent chez les Anglo-Saxons de Northumb rie, venant en aide aux moines romains. Bientôt, il passeront sur le continent, et les Anglo-Saxons les suivront pour évangéliser la Germanie. Onvoitapparaitre les peuples missionnaires.

GRÛGomKDHTouRS, Il istoriaFrancornm ; — Bkdr lb Vbnbrabi.b, Hist. Ecclesiastica ; — Montalbmbbrt, Moines d’Occident ; — Ozanam, Civilisation au. * s, , Etudes Germaniques ; — G. Konra, Origines de la civilis. moderne, 1886 ; Clovis, 1901 ; sainte Clotilde (les Saints) ; — A. Brou, Saint Aug. de Canterbun (tes Saints), 1896 ; — D.Cabhol, L’Angle t. chrétienne avant les Normands, 1909 ; — D. Gotjoacd, Chrétientés celtiques, 191 1 ; — D. Lkclbrcq, L’Espagne chrétienne, (1906), L’Afrique chrétienne (190/5).

3. — Ce travail fait, il fallait aller chercher les barbares chez eux, au delà des frontièresdece quiavait été l’empire romain, parfois sur les terres conquises par les princes francs.

Un premier groupe à signaler est celuides évêques missionnaires, fixés dans les « marches » de la Chrétienté, et qui évangélisent les vallées de l’Escaut, de la Meuse, du Rhin, de la Moselle. Dès le milieu du ive siècle, on signale saintSERVAis deTongres. Viennent ensuite saint Eloi de Noyon au vu* siècle, et les trois évêques de Mæstricht, saint Armand, saint Lamiîert, saint Hubbrt.

Puis c’est la petite armée des moines cettes venus avec saint Colomban (fondation de Luxeuil en 5go). Leur champ de travail est un peu au sud, Colomban descendra jusqu’en Lombardie.TRUDPERT, Magnoald, Gall prêchent en Alsace, en Souabe, en Suisse, dans la Forêt-noire. Kilian, le martyr de Wurtzbourg, est un cette également. Tous, apôtres ardents mais peu disciplinés, portent dans leurs conquêtes l’esprit individualiste de la race. Il faudra reprendre et corriger leur œuvre, organiser les diocèses. Près d’eux travaillent les missionnaires fræcs, saint Rupbrt à Salzbourg, saint Emmeran à Ratisbonne, saint CoRBiNiENà Freising.PiRMiNUs, quifonda Reichnau, est un bénédictin franc. Au milieu du vni" siècle, toute la région entre les Vosges etleTrentin est conquise, organisée et munie d’évêchés.

Mais voici que d’autres missionnaires arrivent encore, fils de saint Benoit ceux-là, et qu’envoie l’Angleterre. Allant au plus près, ils débarquent en Frise, pays encore païen. Saint Wilfrid, achevêque d’YoRK, ne fit que passer, mais baptisa le roi Aldgid (679). Saint Willibrord, pendant un demi-siècle, évangélisa la basse Allemagne, du Rhin au Danemark, et pénétra dans les îles les plus inaccessibles delà côte. Il fonda le siège d’Utrecht. Enfin paraitsaint Boniface.

E. Martin, Saint Colomban (Les Saints), 1905.

— Montalembrrt, Ozanam, G. Korth, ouvrages cités. — Dirt. d’hist. et de géographie ecclésiastique, art. Allemagne, col. 500. — U. Berlif.rb, L’Ordre monastique, 1922.

4. — Saint Bonifacb, de son nom anglais Winfrid, est un des très grands noms de l’apostolat. Tout comme un autre il défriche, mais il cultive surtout et il organise. Cet Anglo-Saxon est à l’antipode’les Celtes : il a l’instinct de la hiérarchie, et son premier soin, après avoir pris contact en 716 et 718 avec les infidèles delà Frise, est de s’en aller à Rome se mettre au service du pape (Grégoire II). Il revient en Frise, mais tout à côté il y avait la Germanie trnns367

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rhénane, alors aux mains des Francs et encore païenne, et, au delà, la terre des aïeux, la Saxe farouchement idolâtre. Le Saxe surtout l’attire, mais avant de l’aborder, il commence par établir en Germanie une ligne solide de centres religieux, qui sera comme le rempart de l’apostolat. D’abord il étudie son terrain, trouve des vestiges de missions celtiques, des restes de catholicisme mal dégagés des superstitions païennes. Son inspection faite, il retourne à Rome et en revient évêque. Il organise son église amorphe de Germanie. Son programme est net : apostolat monastique pour commencer, union étroite avec Ro ne, appui du prince franc, et relations suivies avec l’Angleterre d’où lui viennent assez de recrues pour fonder des monastères d’hommes et de femmes. Sa méthode est impeccable. Il s’adresse d’abord à des populations bien disposées, chez qui un retour violent vers le passé n’est pas à craindre. Il établit parmi elles des écoles claustrales de formation et de recrutement. Un réseau de monastères fut l'ébauche de l’organisation hiérarchique. Il reprenait ainsi pour la rendre viable l'œuvre des Celtes. Ainsi se créa toute une province dont la métropole fut Mayence et qui s'étendait sur la Bavière, l’Alamanie, la Hesse et la Thuringe.

Il n’eut pas le temps d’achever son œuvre et d’attaquer directement la Saxe. Du reste, devenu vieux, il fut pris par la nostalgie de la vie de missionnaire. Résignant sa charge, il retourna en Frise, et y trouva le martyre. Le 5 juin 754, à Dokkum, il fut massacré par les inûdèles avec 5a compagnons. — Voir G. Kukth, Saint Boniface (Les Saints), 19, 02. — Bbr LIÈRB, Op. Cit., p. 62-69.

5. — Il fallait maintenant faire un pas de plus et aborder les Saxons. Tâche difficile. Le Christianisme leur venait des Francs, et les Francs étaient l’ennemi héréditaire, avec le Christ pour protecteur.Toutpays converti était par eux condamné, envahi, ravagé. Les missionnaires étaient massacrés ou devaient reculer. Impossible pour les Francs de subir pareil voisinage ; la conquête s’imposait : elle dura de 772 à 804, mêlée de missions, de créations monastiques et épiscopales, et aussi de révoltes, de représailles quelque fois excessives (massacre de Werden, 783). Ces Germains étaient de ceux qui ne se rendent qu'à l’argument de la force. Vaincus, ils se laissaient évangéliser. Leurs principaux apôtres furent l’abbé de Fulda, saint Sturm, les évêques de Brème et de Munster, saint Willbhad et saint Ludgbr. C’est toujours l’apostolat monastique, appuyé sur de fortes abbayes, surtout Werden et la Nouvelle Corbie.

KURTH, OzANAM, BuRLIERB, op. cit. — J. DB LA SliR vièrb, Charlemagne et l’Eglise (Science et Religion), 1304.

6. — La Nouvelle Corbie fut ce qu’avait été Fulda au tempsde 6aintBoniface, un séminairede missions, un point d’appui pour les entreprises à pousser vers le Nord. Il fallait, au delà de l’Elbe, aborder lesScandinaves.en ces régions d’où partaient vers toutesles mers d’Occident les redoutables Northmen (Normands). Eux et les Danois sont, en barbarie et en paganisme obstiné, les dignes frères des Saxons. Le meilleur moyen pour défendre contre eux les jeunes Eglises de Frise et de Saxe était encore de les convertir. Saint Wilfrid, saint WiLLiBRORD, et plus tard Ehhon, archevêque de Reims, n’aboutirent à rien de sérieux. Louis le Pieux recourut à un moine de Corbie en Picardie, saint Anschairb. Zélé, endurant, patient, il arrivait trop tard, et les résultats furent maigres : deux Eglises en SIeswig et un poste en Suède. Il mourut en 865, laissant tout à refaire.

On ne reprit le travail que 80 ans plus tard, sous l’impulsion du roi de Germanie Henri l". L’an io13

marqua la victoire du Christianisme en Danemark, suivie du règne de saint Canut leGrand (io14-io36). En même temps la Norvège cédait, avec ses deux Olaf, Olaf Trygwesen (995-1000) et Olaf Haraldson (io14-io30). Le premierporta la foi en Islande où, dès l’an 1 000, il y avait deux évêchés.et dans les Hébrides, lesOrcades, l’Ecosse du Nord, les Feroé. D’Islande, la foi passa jusqu’au Groenland, qui eut un cvêché au xi* siècle. — De son côté, la Suède entrait dans l’Eglise, avec un autre Olaf (f 1024), et les rois Ingb et saint Eric (-j- 1160). Au mitieu duxn* siècle Eric Jedvardsson envoyait saint Hbnri d’Upsal porter la foi en Finlande : ce missionnaire y trouva le martyre.

Bbrlibrb, op. cit., p.85 ; Maurbr, Die Bekehrung des norwegischen Stammes, Munich, 1856 ; Dahlmann, Gesch. Dænm., I, Hambourg 1840 ; Gbubr, Gesch. Schwedens, I, Hambourg, 1832 ; Rbutbrdahl, Ges. der schwed. Kirche, I, Berlin, 183^ ; L. Bril, Les premiers temps du Christianisme en Suède, R.Hist. Eccl., t. XII.

7. — Parallèlement se développait la conquête des Slaves. Ils occupaient, en arrière du monde germanique, un vaste territoire, s'étendant de la Baltique à l’Adriatique, mais coupé en deux (900) par l’enclave hongroise Celait les marches de l’Elbe la Poméranie, la Prusse propre, la Lithuanie, presque tout le grand-duché de Russie, la Pologne, la Moravie, la Bohême ; au sud, la Styrie, la Carinthie, la Carniole, la Croatie, la Serbie. Les Slaves étaient encore en Bulgarie, soumis aux Bulgares et se les assimilant. Trois catégories de missionnaires s’attaquèrent au paganisme slave : Allemands, Romains, Byzantins.

D’abord les Slaves du sud-ouest, Carinthie, Carniole, Styrie, furent entrepris par lesévêquesdes diocèses allemands voisins, et les abbayes. Innichen et Schledorf furent fondées dans ce but : missions allemandes. Mais c’est de Rome que, sous Nicolas I", vinrent les apôtres des Slaves établis dans l’ancienne Pannonie méridionale.

La Bulgarie avec son roi Boris, ou Bogoris, fut convertie par les Byzantins. Pour des motifs mêlés, cependant, c’està Rome qu’il voulut se rattacher. Il faut le reconnaître, tout n’estpas toujours purement religieux danscescbangementsde religion, et la politique y a parfois sa part, les favorisant, mais les contrecarrant aussi à l’occasion. Ce fut le cas pour la Moravie.

Des missionnaires y étaient venus d’Allemagne : ils n'étaient pas seuls, par malheur. Avec eux se présentaient des soldats et des colons, pillards et durs. On christianisait, mais on germanisait aussi. Le duc Ratislav ne voulut pas des prêtres germains ; il se refusait à l’incorporation dans l’Empire, et ce fut à Byzance qu’il demanda des catéchistes. On lui envoya deux frères, Cvrillb et Mkthodb, moines instruits et zélés, qui déjà s'étaient fait la main chez les Khazars de Crimée.

La Moravie, chrétienne, reçut de ses apôtres la liturgie grecque, mais traduite en Slavon. Accusés de ce chef en cour de Rome par les Allemands, les deux missionnaires se justiûèrent. Cyrille étant mort, Méthode fut nommé par Rome archevêque de Pannonie et de Moravie. Il disparut en 885. Lui et son frère sont considérés comme les grands apôtres de l’Eglise slave. Cependant les résultats immédiats de leur mission furent médiocres. Il leur manquait, ce qu’avait eu saint Boniface, des réserves et des points d’appui. Byzance, qui les avait envoyés, ne les soutint pas (on était au temps de Photius). La papauté traversait des jours sombres. L’Allemagne voyait d’un mauvais œil cet apostolat, où elle n'était pas ouvrière. Les missionnaires n’avaient point à 369

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portée d’abbayes leur servant de soutien. Ils étaient Isolés. Enfin l’empire morave ne dura pas ; en 80, 4> il succombait.

Néanmoins, c’est bien là le point de départ de la conquête religieuse de l’Europe orientale. La Moravie avait entraîné la Bohême, dont le duc Borziwoi fut baptisé par saint Méthode. Des réfugiés moraves portèrent l’Evangile en Pologne, qui fut définitivement gagnée sous Bolrslas lb Foht (g.j3-ina5). La Hongrie suivit sous saint Etibnne (979-1038).

Le grand missionnaire à la fin du x° siècle est saint Adalbbrt, moine romain, évêque de Prague, qui prêcha en Pologne, en Bohême, en Hongrie, en Prusse : âme ardente, tiraillée entre l’amour de la solitude et le désir du martyre. Il fut martyr en effet chez les Prussiens idolâtres, a3 avril 997. Malheureusement, il travaillait sans plan d’ensemble ; aussi fallut-il reprendre son œuvre au xu* et au xni’siècles.

La germanisation, qui avait failli tout compromettre en Moravie, semble au contraire chez les Slaves du nord avoir favorisé l’apostolat. Mais il s’agissait de peuples restés beaucoup plus barbares. La I’oméranie, la Prusse, la Livonie, la Courlande, l’Esthonie finirent par entrer dans l’Eglise. Les missionnaires ne leur manquèrent pas, car le martyre de saint Adalbert suscita bien des vocations, mè. ne chez les ermites d’Italie. Le Camaldules se précipitèrent vers les Slaves et les Magyars encore payens. Saint Romcald lui-même partit pour la Hongrie avec vingt-quatre compagnons. Plus tard, saint Norhebt de Magdebourg enverra ses Prémontrés chez les Wendes.

Ces peuples, convertis par des Occidentaux, ou sous le contrôle de Rome, restèrent fidèles au catholicisme romain. La Russie fut moins heureuse. La foi lui était venue de Byzance. C’est à Constantinople même que furent baptisés la duchesse Olga en g55, et le roi Vladimir en 998. Les Russes échappaient ainsi à l’action de Rome, et, à l’heure du schisme, suivirent Byzance dans sa rupture. — Voir J. Pargoirb, L’Eglise byzantine, 1905 ; — A. Lapôtrb, L’Europe et le Saint Siège à l’époque carolingienne, 189.Ï ; — E. Horn, Saint Etienne de Hongrie, 1898 ; — U. Berlirhb, op. cit., p. 70-75 ; — Rambaud, Histoire de la Russie, 1893. — Gubrin Songbon, Hist. de Bu Igarie, ig13. — E. Mairb, Saint Norbert, 192a.

8. — Au xne siècle l’Europe chrétienne était constituée. Il n’avait pas fallu moins de six siècles pour gagner à la foi le quadrilatère formé par les Osera du Nord, le Rhin, le Danube et la Vistule.Mais aussi le travail avait été dur, et le succès plus d’une fois acheté du sang des missionnaires. Si quelques peuples se laissèrent assez facilement gagner, d’autres opposèrent une longue résistance. Plus d’une conversion fut suivie d’apostasies en bloc.

Par contre il faut noter ce fait : ces peuples si rudes ne sontpas plutôt chrétiens qu’ils sont pris de l’esprit d’apostolat. Celtes, Francs, Anglo-Saxons, Germains, Danois, Suédois, Slaves, tour à tour fournissent les bandes de travailleurs qui vont se joindre aux Latins et aux Grecs. A quoi servent grandement les monastères. A mesure qu’on avance, l’armée conquérante se recrute sur place ; des moines d’abord, le clergé ensuite. Cinquante ans après l’arrivée de saint Augustin à Cantorbéry, l’Angleterre commence à avoir des évêques anglais, et à envoyer des escouades de missionnaires en Germanie.

De leur côté, les princes comprennent que leur devoir est de soutenir l’Eglise dans son expansion. Psi’iN, Charlbmagnb, Louis lb Dkbonnairb, saint Hb.vri, d’autres encore, Francs, Scandinaves, Slaves,

ont compris leur rôle, fondant des évôchés et des abbayes à portée des peuples à gagner, imposant aux rois infidèles, leurs alliés ou leurs vaincus, au moins un peu de tolérance religieuse, parfois aussi dépassant les limites permises. Ce fut le tort des princes allemands de trop lier la conquête des âmes à la conquête du sol. Il y eut des conversions forcées et qui ne durèrent pas. Barbares hier, les convertisseurs d’aujourd’hui gardaient leurs façons brutales. Bien des diflicultés vinrent de là.

Avouons que la situation était difficile. D’une part, il est évident que l’Evangile ne peut être imposé par la violence. Il y faut douceur et discrétion, même dans la controverse. Le vieil évêque de "Winchester, Daniel, avait prévenu saint Boniface qu’il nedevait point attaquer violemment les erreurs païennes, mais laisser lesinfidèlesexposer librement leurs croyances etleurmontrer tranquillement qu’ils se trompent. Opposer à ces dogmes une exposition simple de la vérité, pour « qu’ils demeurent confus plutôt qu’exaspérés ». Surtout, jamais d’insulte ni de provocation (P. L., LXXX1X, col. 707-709).

D’un autre côté, certains de ces peuples étaient de ceux à qui tout d’abord il fallait imposer le respect du droit d’autrui. Et c’était bien la pensée de tout le siècle que traduisait le Poeta Saxo anonyme, quand il disait : » L’Eternel, qui, dans sa miséricorde, veut le salut du genre humain, avait connu que rien ne pouvait adoucir la dureté de ces peuples ; et, afin de les forcer à subir le joug doux et léger du Christ, il leur donna pour maître et docteur de la foi le glorieux Charles, qui, les domptant par la guerre, sinon par la raison, devait les sauver malgré eux. » Sans doute, et l’on comprend que ce

« malgré eux » porte, non sur la conversion elle-même, 

mais sur certains préliminaires. Reste que Charlemagne, par ses sévérités excessives, s’attira les remontrances d’Alcuin et d’Adrien I".

La politique ne fut pas toujours étrangère aux conversions de rois, et ces conversions elles-mêmes furent d’un grand poids souvent dans la conversion des sujets. Ce n’est pas une raison pour en suspecter la bonne foi. Des intentions mêlées ne sont pas nécessairement des intentions mauvaises, et peuvent avec le temps se purifier.

Notons encore que, dans la conversion des barbares, peuples rudes et sans culture, il dut entrer une part d’instinct « grégaire », phénomène qu’on ne remarque point dans la conquête de l’empire romain : conversions par familles, par tribus, par nations, la masse entraînant les individus. Aussi, l’année qu’on assigne à la conquête d’un peuple souvent n’indique qu’un point de départ. C’est le moment où commence le travail en profondeur, celui qui arrive avec le temps à changer les âmes, et ce travail a pu durer des siècles. Ici, il n’y a guère d’histoire possible. Comment raconter l’influence d’un monastère sur les populations groupées à son ombre ?

§ 3. — Missions du bas Moyen Age

1. — Au xme siècle, on peut considérer la tâche comme à peu près finie en Occident. Elle recommence ailleurs, et en des conditions nouvelles. L’ère de l’apostolat monastique est terminée. Ceux qui entrent en ligne sont les religieux mendiants, fils de saint Dominique et de saint François. Milice plus mobile, plus souple, plus apte aux grands déplacements. Aussitôt fondés, les deux ordres se mettent au travail. Les uns s’en vont vers le nord-est en Prusse, en Courlande, en Livonie, jusqu’en Finlande. Le grand missionnaire en ces quartiers est le dominicain saint Hyacintiir (-j- 1257).

Les Franciscains, aussi avides du martyre, 371

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dirait-on, que de conversions, vont droit aux musulmans les plus voisins. François en personne prêche devant le sultan d’Egypte. En 1220, l’ordre nouveau ouvre au Maroc la longue liste de ses martyrs par la mort de cinq frères Mineurs. Il fonde une mission en Palestine, où les Frères Prêcheurs ne tardent pas à arriver. Missions encore chez les musulmans d’Espagne, et c’est en vue de controverses avec les docteurs de l’Islam que saint Thomas écrit la Siimma contra Gentes. Car les missions en ce pays ne vont pas sans polémique. Aussi, saint Raymond dr Phnnafoht O. P. et Raymond Lull, tertiaire franciscain, projettent de fonder dans les universités quelque chose comme des « instituts orientaux » en vue de l’apostolat chez les sectateurs du Coran. Lull sera de plus un grand missionnaire itinérant chez les Tartares, en Arménie, en Egypte, en Ethiopie. Il mourra martyr à Bougie en 1315.

Franciscains et Dominicains, au xin’siècle, vont partout où il y a des infidèles à convertir, enCilicie, en Arménie, sur tout le littoral de la mer Noire, à Tauris, en Serbie. Il y avait longtemps qu’une telle activité apostolique n’avait remué les âmes en Occident. Mais cela n’était rien au prix du champ d’apostolat qui s’ouvrit tout à coup. — Voir J. Thaddée Fbrrb, Hist. de l’ordre de S. François, 1920 ; — M. André, Le B. H. Lulle{Les Saints), 1900 ; — Flavigny, Saint Hyacinthe et ses compagnons, 1899 ; — Mortier, Hist. des maîtres généraux de l’ordre de S. Dominique.

2. — Au delà des Slaves désormais chrétiens, au delà même des Turcs, il y avait, débordant à l’est, à l’ouest et au sud de la mystérieuse Asie, les Tarlares ou Mongols, ceux-là qui déjà s’étaient montrés à l’Europe sous le nom de Huns, d’Avares, de Hongrois. Les Huns avaientdisparu, les Avares s’étaient fondus dans les peuples voisins, les Hongrois, devenus Européens, étaient chrétiens. Mais, au début du xm « siècle, les Tartares fondaient, entre la mer Noire et les mers de Chine, un formidable empire. Ils conquéraient la Russie, envahissaient la Pologne et la Hongrie, paraissaient devant Vienne, poussaient leurs raids jusqu’à l’Adriatique. Puis la menace s’évanouit comme par enchantement. Les généraux envahisseurs avaient été ramenés en arrière par la mort du grand Khan. Il importait de prévenir leur retour. Ne pourrait-on même les utiliser contre l’ennemi commun, les Turcs, et les forcer pour ainsi dire à collaborer à la croisade ? Ils n’étaient pas musulmans : assez peu religieux, leurs princes favorisaient également les musulmans, les bouddhistes et les nestoriens. Pourquoi ne pas essayer de les convertir ? L’idée était d’autant plus naturelle qu’on avait, de l’Asie centrale, des notions fantastiques. On savait qu’il y avait là d’importantes chrétientés nestoriennes, mais on les imaginait groupées autour d’un roi mystérieux, sorte de Melchisédec, le Prêtre Jean.

C’est donc vers les héritiers du terrible Gengis-Khan et d’Ogodaï que les papes et Louis IX dépêchaient en ambassadeurs des Franciscains et des Frères Prêcheurs : Jban db Plan-Carpin, O. S. F. (iq/|5-47), Nicolas Ascbmn, O. P. (1247). André db

LoNOJUMEAU, O. P. (l248), GciLLAUMB ^>E RUBIIUQUIS,

O. S. F. (1253). Les résultats politiques furent assez décevants. Mais, pendant un bon demi siècle, on put espérer quelque chose pour les progrès de la foi.

3. — Ces apôtres allèrent jusqu’en Chine. Les Tartares, qui régnaient à Pékin, officiellement bouddhistes, toléraient, protégeaientmême les Nestoriens du pnys. Ils protégèrent de même les catholiques, quand ils se présentèrent. En I2g3, le Franciscain Jban db Montf.corvino était à Pékin et Timour Khan lui accordait pleine liberté. Si des obstacles surgirent, ils venaientdes Nestoriens. En 130^, Clément V le nomma archevêque de tout l’Extrême-Orient, avec pouvoir d’organiser sa province au mieux des intérêts de la foi. Pour le consacrer, il lui envoyait sept Frères mineurs, tous évoques. En 13 1 a, l’Eglise de Chine avait ses cadres prêts : onze évêques et d’assez nombreuses chrétientés, groupées autour des couvents de Franciscains. Jean XXII fit tout ce qu’il put pour organiser solidement l’Eglise nouvelle. On lui assurait une base d’opérations à moitié chemin, en Per6e et en Arménie. Si les Franciscains avaient la Chine, les frères Prêcheurs gouvernaient les Eglises de Perse et de l’Inde. L’Inde chrétienne était fort peu de chose. Mais en Perse, la métropole de Sultanyeh groupait six diocèses. De là, les missionnaires se répandaient jusqu’en Dzoungarie, en Géorgie et dans le Dekkan.

Malheureusement cette prospérité ne dura pas. En 1368, la dynastie mongole fut renversée par la dynastie purement chinoise des Ming, et, avec ses protecteurs, l’Eglise franciscaine disparut. Puis les Tartares de Perse et pays voisins passaient à l’Islam. C’est l’Islam qui triomphait avec Tamerlan. (1365-1404). La guerre sainte menée par lui causa la ruine à peu près complète des missions d’Asie centrale.

Ici se place une assez longue interruption dans l’histoire de l’apostolat. Plus que jamais, les mu< nlmans barrent la route du côté de l’est. L’Extrême Orient est inabordable par terre. Le nord-est.le l’Europe est aux Moscovites schismatiques, et Von ne voit pas trop ce qu’ils ont pu faire pour g.i à la foi les tribus tartares, ordinairement musulmanes, de Saraï, de Kazan, de Crimée. — Voir Marcellino de Ctvezza, Storià universale délie missione Franciscane, 1857-1895. — L.Brbhibr, T.’Eilise et l’Orient au M. A., 1907 ; — R. Grodsset, Histoire de l’Asie, t. II, 1922 ; — H. Cordier, Histoire de la Chine, 1922 ; — A. Bnon, Evangélisation de l’Inde au M. A. Études, 1901.

§ 4. — L’ère des découvertes

1. — Avec l’ère des découvertes, s’ouvrit une période nouvelle. Les gouvernements pour lesquels travaillaient les navigateurs entendaient bien ne pas séparer leur gloire de la gloire de Dieu. Conquérir pour les rois chrétiens les terres des infidèles, c’était les conquérir pour le Christ. Une idée île croisade n’était pas étrangère à ces expéditions, surtout du côté de l’Inde, où partout l’on rencontrait l’Islam. La pensée d’un devoir apostolique incombant aux princes était présente aux esprits. En « 492, Ferdinand et Isabelle, authentiquant la mission de Colomb, disaient : « (Il se rend) en certaines parties de la merocéane pour des affaires très utiles au service de Dieu et au nôtre. » Partout où les Portugais fondaient une forteresse, ils plantaient la croix.

Ce devoir, les papes savaient le rappeler. En 14g3, quand, pour prévenir des conflits possibles, Alrxandrr VI traça la fameuse ligne de marcat’on, assignant, à partir d’un certain méridien, l’est aux Portugais, l’ouest aux Espagnols, il leur disait :

« Nous vous ordonnons, au nom de l’obéissance, 

d’envoyer dans les terres fermes et les îles mentionnées, des hommes probes, craignant Dieu, habiles, capables d’instruire les habitants des dits lieux dans la foi catholique et tes bonnes mœurs. » Et, pour encourager les bonnes volontés, Rome octroyait aux souverains le droit de patronage.

2. — Tout de suite, les missionnaires affluèrent. Franciscains et Dominicains sont auxcôtésde Vasco 3TS

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3’. 4

de Garaa, d’Albuquerque. Il y a bientôt des Eglises au Congo, à Mozambique, à Goa, Cocliin, Malacn, et jusque dans les lointaines Moluques. On baptise souvent à la bâte ; tout le inonde s’y met, y compris les marchands. Il ne manque pas de semeurs ; ce sunt les bras pour cultiver qui font défaut.

De même en Amérique, et sur une bien plus vaste échelle. La première Eglise a été inaugurée, on ne peut plus modeste, à Hispaniola, le jour de l’Epiphanie 1 4 Q4 - Or en 15n on pouvait déjà créer trois évêrhés, Saint-Domingue, Porto Rico, Hispaniola. L’évêché de Goa ne sera créé qu’en 1 534 - Lima et Mexico étaient métropoles. En 1555 et 1667, se tenaient les premiers conciles américains. En 1600, les colonies espagnoles d’Amérique comptaient 5 archevêchés, 37 évêchés, 400 monastères et couvents et autant de paroisses. Puis ces Eglises essaimaient. Dès 15ai, les Castillans avaient touché aux Philippines ; Manille, en 15q, 5, était archevêché avec deux sufTragants.

Sans doute, les pages sombres ne manquent pas dans cette histoire. Beaucoup d’injustices se mêlèrent à l’héroïsme des conquérants. L’humanité n’a pas toujours présidé à la colonisation, ni la pureté du zèle à l’utilisation du patronat. Sur les guerres, le douloureux traité De Jure Lelli et Jadis du Dominicain Fh. dr Vittoria (1585) en dit aussi long que bien des chroniques. L’esprit de lucre, dans les deux Indes, entrava les missionnaires, qui, plus d’une fois, payèrent de leur vie les fautes de leurs compatriotes. On connaît la campagne de Las Casas eu faveur des Américains. Ce qu’il fit pour les sauvages, d’autres durent le faire pour les noirs importés ù’Afrique. — Article Esclavaqk, par P. Allard.

3. — Cependant, d’autres missionnaires entraient en ligne. La Compagnie de Jésus avait été approuvée en 10 : 40. Un des points essentiels de sa règle était que ses profès se tenaient à la disposition du pape pour toute « mission » qu’il leur confierait. En conséquence, le 7 avril 1541, François Xavibr partait pour les Indes ; en 154 ; , des Jésuites sont envoyés au Congo, d’autres au Brésil en 1549.En1555, une tentative est faite sur l’Ethiopie.

Le nom de Xavier domine tout l’apostolat moderne. Chargé par le roi Jean III d’inspecter les Eglises de son empire colonial, on le voit passer par Goa, Cochin, Malaca, les Moluques, réformant de son mieux les mœurs fort relâchées des colons. Puis il reprend l’évangélisation de peuplades baptisées à la hàle et restées sans pasteurs : ainsi à la Pêcherie, aux Moluques. Il conquiert ou essaie de conquérir des terres nouvelles, le Travancore, le Japon. Cela remplit dix années, pas davantage, 154ai 55a ; et il meurt en face de la Chine, montrant la terre qu’il importe d’attaquer. On lui reproche d’avoir été trop vite, de ne s’être fixé nulle part, de n’avoir pas organisé la mission, etc. Autant lui reprocher d’avoir exécuté les programmes qu’il avait teçus, d’avoir exploré avant de fonder, et fondé avant d’organiser, et aussi de n’avoir eu que dix années devant soi. Par ailleurs, on a exagéré le nombre de ses convertis, lui attribuant le résultat de travaux exécutés par ses successeurs. Son rôle providentiel fut, avant tout, d’ouvrir des voies et de donner l’exemple. Il est le vrai fondateur des missions de l’Inde méridionale et du Japon, le précurseur de celles de Chine. Par son zèle incomparable, par ses vertus héroïques, par le don des miracles qui lui fut largement accordé, par les conseils pratiques laisses à ses disciples, et aussi par l’ampleur des résultats, il est le grand missionnaire moderne, père et modèle des autres qui marcheront A sa suite. — A. Bnou, Saint François Xavier, 191a.

3. — Durant le siècle qui suivit la mort de Xavier, l’Eglise de l’Inde se développa lentement. Sur les territoires souniiseflfectivementauPortugal, s’organisa l’Eglise goanaise, dont les prélats étaient portugais, mais dont le clergé séculier, nombreux, strictement indien, se recrutait surtout chez les brahmes du Konkan. De fortes chrétientés indigènes, au sud, finissaient par se constituer en castes à part (Pêcherie et Travancore). Dans la même région, la vieille Eglise Syro-nialabare, rattachée au centre hétérodoxe de Babylone, revenait par lambeaux à l’unité. Des essais, ordinairement peu h< ureux, étaient faits dans la région de Bombay et jusqu’à Ormuz, au Bengale, au Pégu. En 1580, le futur martyr Rodolphe dk Aquaviva, fondait la mission du Mogol, attiré, protégé par le célèbre Akbar le Grand. Il y eut là, jusqu’à la suppression de la Compagnie de Jésus, une chrétienté modeste, dont le centre était Agra, et qui servait de point de départ pour les tentatives sur le Tibet.

Au sud, à peu près dans le même temps, Robert db Nobili faisait une expérience mémorable. Il constatait qu’en ce pays de castes, avec les méthodes suivies jusque-là, on aboutissait à un double résultat : d’abord le christianisme restait la religion des castes méprisées, ne parvenait pas à se faire accepter des castes supérieures, par où il se discréditait jusque dans les castes intermédiaires ; — puis, il était une importation étrangère : pouvait-on être à la fois chrétien et indien, passer au christianisme sans devenir pran gui, c’est-à-dire portugais ? Pour venir à bout de ces préjugés, Nobili se fit aussi indien qu’il le put, vécut à la facondes pénitentsbrahmes, tandis que d’autres de ses confrères vivaieiil en parias. Des usages indiens, il conservait tout ee qui ne lui semblaitpas superstitieux. Il eut d’ardents contradicteurs, même parmi ses confrères, effrayés de son audace. Mais en 16a3, Grégoire XV décida provisoirement en faveur du missionnaire. A partir de ce moment, le christianisme se recruta dans toutes les castes sans exception. — Voir Jos. Bertrand, La mission du Maduré, 4 vol. 1847- 1 R- r >/j.

— Jos. Brucker, Rites malabars. Catholic Encrclop., t. IX, p. 558-6a. — L. Bbssb, La mission du Maduré, Trichinopoly, 191 4 4. — D’autres missions créées par Xavier furent moins heuseuses. Celle des Moluques, Eglise de sauvages et de demi-civilisés, après de rudes persécutions musulmanes, disparut devant les calvinistes dans la conquête hollandaise.

Le Japonavait donné d’immenses espérances. Pas une terre de mission ne lui était comparable. Tons les ans, le nombre des néophytes s’augmentait de plusieurs milliers, et des néophytes fervents, intelligents.

« Deliciæ mené Japones », disait Xavier. Le

progrès était favorisé par l’émiettement féodal qui empêchait toute réaction d’ensemble. Mais l’unité nationale finit par se constituer. Alors les persécutions générales devinrent possibles. La première fut courte, causée par les paroles imprudentes d’un capitaine espagnol naufragé, lequel présentait les missionnaires comme précurseurs des armées castillanes. L’accès de xénophobie qui en résulta aboutit au grand martyre du 5 février 1597. La paix revint, mais la défiance resta. Le bouddhisme, exaspéré par les succès de l’Evangile, suscita une persécution nouvelle qui fit des martyrs par milliers, desapostats aussi, amena la ruine de l’Eglise japonaise et constitua autour de l’empire l’isolement le plus systématique. Cependant, chez plusieurs milliers de chrétiens, la foi subsista en dépit de tout et malgré l’absence complète de clergé.

Chassés du Japon, les missionnaires jésirites se 375

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rabattirent sur l’Indo Chine. Le pays avait déjà été touché par d’autres apôtres. Maison peut marquer à l’an 16 1 5 le commencement de l’Eglise de Cochinchine, et à 16a4 celui de l’Eglise duTonkin. Le plus célèbre des ouvriers fut le P. Albxandiib de Ruodbs. En 1663, le Tonkin à lui seul comptait déjà 350.ooo fidèles, et d’ores et déjà ces missions étaient terres de persécution et de martyre. — Voir Du Jarric, Histoire des choses plus mémorables advenues… es Indes Orientales, Bordeaux, 1610 ; — Charlbvoix, Histoire du Japon, i ?36 ; — L. Pages, Hist. de la Religion chrétienne au Japon depuis 1598 jusqu’à 1651 ; 1869 ; — L. Dklplacb, Le Catholicisme au Japon, Bruxelles, 1902 ; — Alhx. db Ruodbs, Voyages ; — de Montbzon, Mission de la Cochinchine et du Tonkin, 1858.

5. — En Chine, la grande difficulté fut d’abord d’entrer. Impossible de dépasser le rocher de Macao. Eu 1579 seulement, le jésuite Ruggibri, bientôt suivi de Mathieu Ricci, parvint à prendre pied à l’intérieur. En 1601, Ricci se ûxait à Pékin.

On l’accueillait, lui et ses confrères, comme savants. Désormais, grâce à leur situation privilégiée et aux services rendus, corrigeant le calendrier, dressant les cartes, fondant des canons, etc., etc., ils parvenaient à maintenir entr’ouverts les ports de l’empire. Alors purent entrer Franciscains, Dominicains et autres. On saitles dissentiments qui s’élevèrent, là comme au Maduréet pour les mêmes causes. Les Jésuites tenaient pour purement civils des rites que d’autres jugeaient suspects. Explications données, Rome jugea pouvoir tolérer. Tolérance provisoire, mais qui permit de nombreuses conversions, môme chez les lettrés et les mandarins. — M. Ricci, I co nmentari délia Cina, Edit. Tacchi Venturi, 191 1 ;

— J. Bruckkr, art. Chinois (Rites), dans le Dict. de Tkéol.

6. — Signalons, en courant, les missions d’Afrique, Congo, Angola, Zambèze, essayées, parfois assez florissantes, partout où le Portugal faisait sentir son autorité. Dans l’Ethiopie, les Jésuites d’abord, puis les Franciscains connurent toutes les alternatives de succès et de persécutions, y compris le martyre. — Bbccari, Rerum Aethiopicarum scriptores, 15 vol.,

1905-19 17.

7. *— Dans le même temps se développent les missions d’Amérique. Au Brésil, en Floride, au Mexique, au Pérou, en Californie, etc., etc., les Jésuites ont rejoint et quelquefois précédé les anciens missionnaires. Entre beaucoup de héros, citons trois saints canonisés : le Dominicain Louis Bbrtrand (-f- 1569) qui évangelisa la Nouvelle-Grenade, le Franciscain François Solano (-} 1610), apôtre du Pérou et de l’Argentine, le Jésuite Pibrrb Claver (fi 654), 1* * père des nègres », à Carthagène.

L’œuvre la plus originale fut celle des Jésuites au Paraguay. Officiellement constitués protecteurs des Indiens, ils les défendaient de leur mieux contre la rapacité et l’immoralité des exploiteurs européens. Pour cela, ils les isolaient, les groupaient en petites républiques chrétiennes ou réductions. On y faisait leur éducation d’hommes et de chrétiens, car souvent c’était à la plus absolue barbarie qu’on les arrachait. On leur apprenait les premiers cléments d’une vie vraiment sociale. Il fallait suppléer à leur incapacité de se gouverner, leur apprendre à bâtir des maisons, à travailler pour vivre, à prévoir les années de disette.

Hier coureurs des bois, toujours grands enfants, ils entraient peu à peu dans la civilisation, et les résultats obtenus faisaient l’admiration des voyageurs. Les premiers villages furent créés en 1609. Les Jésuites avaient, dans cette tâche, de nombreux ému les, surtout chez les Franciscains, lesquels, par des méthodes un peu différentes, visaient au même résultat. — Voir Patrino Fbrnandbz, Rehiciôn historial de Indios del Paraguay (1736), Madrid, 18g5 ;

— F. Sagot, Le Communisme au Nouveau Monde, Dijon-Paris, 1900 ; — Charlbvoix, Hist. du Paraguay, 1757 ; — M. Muratori, Relation des Missions du Paraguay, trad. de l’italien, 1826.

§ 5. — Dix-septième et dix-huitième siècles

1. — Dans l’histoire que nous esquissons, l’année 1622 marque une date. Grkgoirb XV fondait la congrégation De Propaganda Fide, Jusque-là, l’apostolat semblait exiger la coopération des grandes puissances colonisatrices, l’Espagne et le Portugal . Le travail des missions n’était matériellement possible que parallèle au progrès des colonies. De là le patronat Le pape envoyait les missionnaires, érigeait les évêchés, conférait les pouvoirs, et se réservait le contrôle suprême. La couronne assurait les voyages, l’entretien des ouvriers, désignait les sujets pour les bénéfices ; rien, en somme, ne se faisait que par son intermédiaire. Aucun missionnaire ne s’embarquait s’il ne figurait sur la liste approuvée par le Conseil des Indes. Le système avait de gros avantages : il avait ses inconvénients aussi, la liberté de l’apostolat n’était pas entière, et qu’arriverait-il le jour où la couronne cesserait d’avoir la pleine intelligence de ses devoirs ? Mais quand tout se passait normalement, une mission était tout d’abord ouverte en pleine infidélité. Les conversions se multipliant, la mission devenait diocèse ; le titulaire de l’évêché était un Européen, parfois un métis, rarement et seulement sur le tard, un indigène. La mission proprement dite n’était pas supprimée, elle restait une extension du diocèse, et ne disparaissait qu’avec le dernier des infidèles. Normalement, un pas restait à faire : développer le clergé indigène et aboutir à une Eglise se suffisant et pour les ressources matérielles et pour le personnel. Ce programme idéal se réalisa en partie, mais en partie seulement, dans l’empire colonial espagnol, cela grâce à une abondante population métisse. Ce fut en particulier le cas pour les Philippines.

Moins compact, l’empire portugais resta plus loin du but. Si l’Eglise goanaise eut un clergé inférieur indien suffisant, l’épiscopat fut toujours fourni par la métropole. Puis, pour des raisons diverses, les évêchés restèrent clairsemés. En 1622, iln’yenavait encore que six pour tout l’Extrême-Orient ; encore celui du Japon (Funaï) était-il purement nominal. Et les sièges restaient parfois des décades entières, sans titulaires. De très belles missions demeuraient sans pasteurs. Plus on avançait, plus on sentait les inconvénients du patronat.

C’est pour y remédier en partie que fut organisée la Propagande. Il s’agissait de dégager, sans manquer aux contrats passés entre les couronnes et le Saint-Siège, la juste liberté de ce dernier en matière démissions, derelâcher la sujétion exagérée des apôtres à l’égard du pouvoir laïque, d’assurer au pape d’une façon plus efficace la haute direction des Eglises d’outre-mer, de suppléera ceque l’Etat ne faisait pas et d’organiser une hiérarchie plus complète. En somme, on voulait concentrer et centraliser un travail jusque-là trop dispersé. Peu à peu seulement, le programme sera exécuté, à mesure que s’affaiblira la puissance du Portugal en Asie. Car, en Amérique, les missions, étant presque partout appendices de diocèses réguliers, ne dépendaient pas ordinairement de la Propagande. — A. Huondbr, 300 Jahre Propaganda (161Q-192Q). Die Katholischen Missionen 1 931-1921. N. 4> P- 65. 377

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a. — Cependant, les pouvoirs coloniaux continuaient à s’intéresser aux œuvres d’apostolat. Les pays catholiques qui n’avaient pas de colonies, Italie, Autriche, Pays-Bas, envoyaient leurs missionnaires chez les Portugais et les Espagnols. La France, vers ce temps-là, ébauchait son empire colonial. Elle eut donc immédiatement à créer et administrer des Eglises lointaines. En 1 6 1 4. Champlain débarquait au Canada avec des Franciscains récollets. Les Jésuites qui avaient déjà paru en Acadie dès 161 1, revinrent en 16a5. Alors commence chez les Hurons, les Iroquois, les Algonquins et autres sauvages, un apostolat qui, de proche en proche, devait s’étendre au nord jusqu’au cercle polaire, à l’ouest jusqu’à l’Océan, au sud jusqu’au golfe du Mexique, rejoignant là et en Californie l’apostolat des Espagnols. Et l’on sait quelles belles pages d’héroïsme et de martyre furent alors écrites par les Pères Jogues, de Brébeuf, Lallemant, Daniel.

C’est encore l’apostolat français qu’on rencontre aux Antilles, au Sénégal, en Guyane. La France soutient les missionnaire latins dans tout le Levant, de Constantinople au Caire, et cela de par les droits que lui confèrent les traités passés avec la Porte. Plus tard, Louis XIV forcera le Portugal à tolérer des missions françaises à côté de celles du Patroado en Chine, au Siam, en Indo-Chine, aux Indes (Pondichéry). A quoi il faut ajouter l’envoi par saint Vincent dk Paul des prêtres de la Mission aux pays barbaresques et à Madagascar. — Voir J. G. Shba, History of the Catholic missions among the lndian tribes of the United States ; — O. Jouvb, Les Frères mineurs à Québec ; — Relations de la Nouvelle France ; — C. db Rochbmontbix, Les Jésuites de la Nouvelle France, 5 vol., 189, 5-1906.

3. — Autre nouveauté, qui donne à l’apostolat français sa note originale. En 164g, le P. Albxandrb db Rhodbs était venu réclamer pour l’Indo-Chine des secours en hommes, surtout des évêques. Le résultat fut d’abord la création deVicaires apostoliques. Le Portugal semblant se refuser à créer les diocèses nécessaires, Rome décida de se passer de lui. Elle envoya en Extrême-Orient des missionnaires ayant caractère épiscopal, mais non tous les pouvoirs des évêques résidentiels. Il s’agissait, avant tout, de multiplier les prêtres chinois, siamois, tonkinois, de donner à ces jeunes Eglises ce qu’on n’avait pas eu le temps de fournir au Japon, un clergé.

Les premiers prélats furent choisis dans une congrégation d’ecclésiastiques que dirigeait à Paris le Jésuite Bagot. Leur entrée dans les territoires qu’on leur assignait fut contrecarrée par les autorités portugaises. Tels de leurs prêtres connurent les prisons de Goa et de Macao. Il s’ensuivit, entre les c Propagandistes » et les missionnaires de patroado, de longs et pénibles conflits.

Dans le même temps, d’autres disciples du P. Bagot, par suite aussi de l’impulsion donnée par A. de Rhodes, fondèrent le Séminaire des Missions Etrangères, lequel ouvre la série des sociétés consacrées exclusivement aux missions lointaines. Ce n’est pas une congrégation religieuse, mais un groupe de prêtres séculiers ne relevant que de l’évêque qui les emploie. Enfin Rome leur assignait la tâche très spéciale de créer, partout où ils iraient, un clergé indigène. Sur ce dernier point, s’ils n’ont pas réalisé dans toute son ampleur le programme des premiers jours, celui-là même qu’avait proposé le P. Alexandre de Rhodes, ce n’est pas faute d’avoir tout essayé, y compris l’épiscopat chinois et annamite. — A. L*unay, H. Génér. de la Soc. des M. Etr., 3 vol., 189^.

4. — La façon étroite dont le Portugal entendait

son patronat fut un obstacle sérieux au progrès de la foi. Il y en eut d’autres.

Les rivalités politiques et commerciales d’abord, entre Castillans et Portugais. Le Japon eùt-il tant souffert, si les Espagnols des Philippines n’eussent pas paru sur ses côtes ?

Puis surgissent Anglais et Hollandais contre Portugais : il en résulte la disparition des missions de Malaca et des Moluques. Peu s’en fallut que Ceylan et l’Inde méridionale eussent le même sort.

Puis encore, rivalités d’ordres religieux : certains ajoutant à leurs préjugés nationaux les prétentions, parfois exorbitantes, de leur ordre, entrant de force sur le terrain d’autrui ou excluant les étrangers de leur propre terrain. Conflits de juridiction, les limites géographiques et morales des pouvoirs n’étant pas nettes. Conflits de méthodes surtout. Les uns étaient pour la prudence, les marches lentes, les conversions longuement préparées, le soin à éviter les éclats inutiles ; d’autres préconisant les procédés rapides, sommaires, et aussi les attaques violentes et directes aux préjugés et aux coutumes locales, tenues quelquefois un peu vite pour superstitieuses. De là, des polémiques. A cela se rattache la querelle des rites chinois et malabars. Assoupie depuis la décision de tolérance dont nous avons parlé, elle se ranima et Rome crut devoir revenir sur les concessions. Elles furentretirées en 1715 par Clément XI, et par Benoit XIV en 174a.

Il n’est pas vrai que l’œuvre des Jésuites en Extrême-Orient,

« privée de sa base naturelle, se soit écroulée

du coup » (Krauss, hist. de V Eglise, III, p. a52). Ce que l’on peut dire, c’est que les conversions chez les lettrés et les brahmes cessèrent. Mais les chrétientés fondées se maintinrent et continuèrent à grandir peu à peu. Ona beaucoup exagéré les pertes subies de ce chef. Si la décadence survint, elle fut due à d’autres causes. Retenons cependant la conclusion de ces tapageux épisodes : combien l’Eglise est scrupuleuse à repousser des accommodements, pour peu que la doctrine soit ou simplement paraisse être en jeu.

Benoit XIV, bull. Ex quo Singulari 1 1 juillet 17^2,

— P. J. Brucker, op. cit.

5. — Les persécutions violentes ne manquèrent pas. Nous avons parlé du Japon et des Moluques.

Persécutions dans l’Inde, intermittentes et locales, surtout de la part des musulmans, par exemple dans le Maïssour.

Persécutions dans l’Indo-Chine. Le premier martyre connu est de 1644. Les violences furent continues aux xvme siècle et plus encore au xix*. Jésuites, Dominicains, prêtres des Missions étrangères, prêtres indigènes, simples fidèles, moururent par troupes avec un héroïsme admirable.

Persécutions en Chine. Au xvii « siècle, rien que des épisodes isolés. Avec Yong-Tcheng.en 1724, la persécution générale commence. Elle dura plus d’un siècle, et fut marquée par une xénophobie aiguë. Elle ne cessa qu’en 1844par suite des traités imposés par la France, non sans avoir fait de nombreux martyrs.

Persécution en Abyssinie, qui détruisit l’œuvre d’union, péniblement réalisée par les Jésuites, coûta la vie à plusieurs d’entre eux, à des Franciscains et à des milliers d’indigènes.

On ne peut parler de persécution en Amérique ; mais tous les ordres religieux employés là dans la mission des Indiens ont leurs longues listes de prêtres massacrés par les sauvages. — P. Allard, article Martyrb, col. 461-49 ».

6. D’autres misères suivirent au xvin » siècle,

pires que les persécutions venant des infidèles. — 379

PROPAGATION DE L’EVANGILE

380

D’abord la ruine de la Compagnie de Jésus. Pombal, l dos 1/54, s’était comme fait la main, en supprimant toutes les maisons de Jésuites au Brésil. En 1769, ce fut le tour du Portugal et des Colonies. Sans s’occuper du tort immense qu’il faisait, non seulement aux âmes, mais à son pays, il expulsa tous les Jésuites des terres portugaises. La France fut un peu moins rigoureuse. Les Jésuites restèrent à titre individuel au Canada, aux Indes, en Chine, et l’on s’occupa de leur trouver des remplaçants chez les Lazaristes et les prêtres des Missions étrangères. L’Espagne de Charles 1Il fut presque aussi brutale que Pombal. L’Amérique fut vidée de Jésuites. On jugera du désastre par quelques chiffres ; il y avait, réunis en villages chrétiens, lia. 000 Indiens au Mexique, 55. 000 au Pérou, 7.718 au Chili, 7.586 à Quito, 6.50, 4 en Nouvelle Grenade, 134.g34 au Paraguay (avant le démembrement de 1754). Les Jésuites partis, remplacés vaille que vaille, parfois pas remplacés du tout, bientôt de tout cela il ne resta presque rien. Mêmes ruines en Afrique ; et la destruction fut consommée quand, en 1845, furent arrachés à leurs Eglises les Dominicains duZambèzeet les Capucins du Congo.

— Le dernier coup fut portée laCompagnieen 177$ : du jour au lendemain, près de 3. 000 missionnaires étaient mis hors de service. Et qui les remplacerait ? L’heure était au philosophisme ; les couvents et les séminaires se vidaient. Puis venait la Révolution suivie des guerres de l’Empire. — J. Bruckbr, La Compagnie de Jésus, p. 79, 4-832.

7. — Q »’y avait-il comme population chrétienne dans les pays de mission aux environs de 1700, et qu’en restait-il, vers 1800, après les grandes épreuves ? Impossible de répondre. On n’avait point assez autrefois le goût des statistiques précises, et un peu trop celui des grossissements oratoires. Quand on veut vérifier les chiffres qu’on se passe d’auteur à auteur, et recourir aux sources abordables et sérieuses, on voit qu’il faut beaucoup se délier. Il est fort douteux, par exemple que le Japon ait jamais eu les 1.800.000 fidèles que lui attribue Charlevoix. A consulter les Liiteræ annuæ des Jésuites, qui donnent année par année le chiffre des conversions, c’est 500.ooo, 800.000 au plus qu’il faudrait dire. — Est-il vrai qu’en Chine, ce nombre des Chrétiens soit descendu en cent ans de 800.000 à 187.000 ? Le P. Louis lb Comtk, en 1697, ayant parcouru à peu près toutes les provinces, estimait qu’alors le nombre total des chrétiens ne dépassait pas 300.ooo (Mémoires sur l’Etat présent de la Chine, t. 0, 291). L’Inde aurait, au commencement du xvih* siècle, compté de 1.200 à i.500 mille baptisés, avant la querelle de rites malabars ; — et en 1841, il en restait 837.000. Ce dernier chiffre paraît sérieux : les autres sont de fantaisie. La preuve en est qu’en 169g la mission du Maduré, une des plus florissantes de l’Inde, ne comptait pas plus de 150.ooo fidèles.

Unchiffre, même approximatif, desgains del’Eglise en terres d’infidèles, entre 1500 et 1800, est donc impossible à fixer. Du moins a-t-on essayé de discerner dans la population actuelle des pays qui furent alors pays de mission et ne le sont plus, comme les Philippines ou l’Amérique latine, le nombre de baptises, attestant l’activité des anciens missionnaires.

On arrive au chiffre de 22 millions : entendez que, par les naissances, en 150 ans, la population baptisée depuis 1500 a fourni 22 raillions de catholiques actuels. Chiffre trop fort, car il en faudrait déduire les éléments d’émigration. Chiffre trop faible, car il y faudrait ajouter tous les vieux chrétiens des missions actuelles, reprises par l’apostolat. — Voir KnosB, Kuthulische Missionslatistik, 1908 ; — Cas tbts, Ancient missions statistiks (Examiner de Bombay, 20 août 1921, Il févr. 1922 et The Portuguese missions of Goa Cochin and Ceylan, 18 mai, a4 juin. 1922).

§ 6. — Dix-neuvième et, vingtième siècles

1. — Les mauvais jours passés, l’Eglise se remit au travail. Mais les conditions sont changées. Les voyages deviennent rapides et sûrs. L’Océanie et l’Afrique noire sont explorées, colonisées, partagées. Le Japon s’européanise. La Chine s’ouvre et est contrainte à la tolérance. Partout les persécutions cessent au bruit des canons européens. L’Inde est mise au régime de la pax Britannica. Par ailleurs les races sauvages reculent et disparaissent devant l’envahissement des blancs. Tout cela, et bien d’autres causes encore, font à l’apostolat et des facilités et des difûcultésnouvelles. Notons seulement les grands faits généraux.

2. — D’abord l’augmentation du personnel. Les ordres anciens sont tous ou restés ou revenus à leur poste, Franciscains, Dominicains, Jésuites, Lazaristes, Carmes, Augustins, etc., etc. Une vingtaine de congrégations nouvelles ont été fondées, consacrées exclusivement ou en partie aux missions : Pères de Picpus, Maristes, Salésiens, Pères du Verbe Divin, duSacré-Cœur de Marie (Scheut). Les besoins de l’Afrique noire ont provoqué la création des Palottins, des Pères Blancs, des PèresduSaint-Esprit, des Missions Africaines de Lyon. Il n’y avait qu’un séminaire des missions au début du xixe siècle ; il y en a maintenant une douzaine, et un peu dans tous les pays. A ce contingent européen, il faut ajouter les prêtres, religieux, catéchistes indigènes. En 191 8, le Handbuch du P. Arens donnait le tableau suivant :

4.541 indigènes

477 »

9.198 »

35.263 »

a.335 »

12.377 prêtres, dont

3. 200 « frères »

19.373 religieuses

— catéchistes

— grands séminaristes

Les missionnaires sont certainement plus nombreux qu’ils n’ont jamais été. On en peut juger par ce détail : de la mort de saint François-Xavier à la suppression de la Compagnie de Jésus — deux siècles, — 456 Jésuites travaillèrent en Chine ; et 401, de 1842 à 1892, — 50 ans. De même au Madure. De 1600 à 1800, la mission vit passer 122 Jésuites, tous prêtres, et de 1840 à ig13, 486, dont 3 19 prêtres.

3. — Le nombre des Eglises de mission (préfectures, vicariats, etc.) a singulièrement grandi au xixe siècle. En 1800, il y avait 3 de ces Eglises dans l’Inde, 6 dans la Birmanie, le Siam et l’Indo-Chine, 5 en Chine, 4 aux Philippines, rien au Japon, en Corée, en Océanie, en Afrique. Vers 1840, le progrès s’accuse : Inde, 10 ; Chine, 1 1 ; Afrique, 5 ; Amérique, 8 ; Océanie, 3. En 1922, les Mistiones Catholicæ énumèrent pour l’Inde 30 missions, auxquelles il faut ajouter quatre vicariats syro-malabars et 4 diocèses goanais ; 18 pour l’Indo-Chine, 62 pour la Chine ; 9 pour le Japon ; 3 pour la Corée ; 76 pour l’Afrique, y compris les lies, 10 pour l’Amérique du Nord, 10 pour l’Amérique centrale, 28 pour l’Amérique du Sud, 27 pour l’Océanie, etc.

Entre ces diverses Eglises, existe une hiérarchie spéciale. Elles sont d’abord missions, plus ou moins autonomes. Quand elles ont grandi, elles deviennent préfectures apostoliques, ayant ordinairement à leur tête un prélat, régulier ou séculier, sans caractère épiscopnl ; — puis vicariats apostoliques, dont le chef est évêque, mais sans jouir de tous les droits des cvêques proprement dits. Enfin, quand le Saint-Siège le juge utile, les vicariats deviennent 381

PROPAGATION DE L’ÉVANGILE

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diocèses, et se groupent en provinces (Japon, Indes anglaises). Sons le nom de délégués apostoliques, des envoyés spéciaux du Saint-Siège exercent sur les missions un haut contrôle, et servent, au besoin, d’intermédiaires diplomatiques avec les puissances (Indes, Japon, Chine, Philippines, etc.).

En tout, la Propagande, à l’heure qu’il est, a sous sa juridiction 3g archidiocèses, 61 diocèses, 198 vicariats, 63 préfectures, 3 abbayes nullius (indépendantes), 7 « missions ». Tout ici n’est pas mission chez les infidèles. Plusieurs de ces Eglises sont en terres protestantes ou schismaliques. Par ailleurs il y manque les missions dépendant de diocèses ordinaires, par exemple les missions indiennes relevant des évèqucs des Etats-Unis, toutes les Eglises orientales, y compris les quatre vicariats syro-malabars, les diocèses portugais de l’Inde et de Chine au nombre de 5, ainsi que ceux d’Afrique, Angola, Congo, etc.

4. — La création de vicariats nouveaux, et le démembrement des Eglises est souvent, mais pas toujours, la suite des accroissements de la population chrétienne.

Le progrès numérique est constant. Il est impossible de savoir, même en gros, le nombre des baptisés que, à la reprise des missions, les anciennes Eglises léguaient aux nouvelles. On n’a que des chiffres approximatifs, et même contradictoires. Voici pourtant quelques détails. Il pouvait y avoir de 2 à Soo.ooo chrétiens en Chine vers 1800 ; on en compte 330.ooo en 1850 ; 576.44° en 1890 ; 800.000 en 1906. L’exercice 1921-1933 accuse un accroissement de 61.855 pour un an et un total de a.o56.338. Ajoutons un demi-million de catéchumènes. — En Corée, rien il y a cent ans ; aujourd’hui 93.337 baptisés. — Le Japon, en 1865, débutait avec 10 ou 15.ooo vieux chrétiens : aujourd’hui, 77.615 catholiques. — A peu près rien dans les Indes néerlandaises, en 1808, année où s’ouvrit la mission de Batavia ; aujourd’hui 1 13. 600. — L’Indo-Chine est montée de 314.800 baptisés en 1800 à 597.1 10 en 1890, 1. 196.600 en 1931.

— Pour l’Inde, on peut porter le nombre des catholique à 837.000 en 1841 : il est aujourd’hui, y compris la Birmanie et Ceylan, de 2.970 000.

Impossible de savoir ce qu’il y avait au juste de catholiques indigènes en Afrique en 1800. En bloc, l’Afrique noire était infidèle, exception faite pour les débris à peu près abandonnés des anciennes missions portugaises. En 1907, le P. Krose, sur 3 millions et demi de catholiques vivant en Afrique, discernait 850.g31 gagnés par la mission moderne. Aujourd’hui, les Misiiones Catholicæ fourniraient un total d’environ 3.240.000, sur lequel il faudrait prélever, sans doute, 3 à, 400.000 Européens.

En Océanie, on peut dire qu’il n’y avait rien en 1800, en 193 1, toujours d’après les Missiones Catholicae, il y a plus de 3a5.ooo indigènes catholiques. Tous ces chiffres globaux sont approximatifs, car il s’en faut que toutes les missions fournissent des statistiques où les divers éléments de la population chrétienne soient licitement distingués. Il reste du moins ceci : à peu près partout, le progrès est sensible et supérieur à ce qu’il était dan » les missions d’ancien régime. Il va de soi que c’est encore bien peu de chose, au prix de ce qui reste à faire.

5. — Ces conquêtes n’ont pas eu lieu sans grosses difficultés. Il y a eu au Japon, en Corée, dans l’Annam, en Chine, dans l’Ouganda, des persécutions violentes, et des martyres. — Il y a partout la rivalité protestante, soutenue de l’or anglais, allemand, américain, norvégien. Rivalité qui s’accuse par l’i<hondance des fondations scolaires et charitables. Sur ce terrain, il est difficile aux catholiques de

soutenir la concurrence. Mais le résultat de l’effort protestant est de compromettre la foi par le spectacle des contradictions doctrinales. Us sont les premiers à l’avouer, le « dénominationalisme » est la peste de leurs missions, et cette peste n’est pas funeste à eux seuls. — Il y a, sous des formes diverses, le nationalisme, allant jusqu’à la xénophobie et à la guerre (Chine, les Boxers), ou confondant le patriotisme avec les cultes du pays (Japon, le Shintoïsme), ou du moins développant à l’excès chez les chrétiens le désir d’autonomie, non sans danger de schisme. — En Afrique, il y a la conquête sourde du continent noir par l’Islam. — De tous les côlés, il y a l’exploitation des indigènes par les blancs, aboutissant à un esclavage masqué, et par suite, la désaffection pour tout ce qui esl étranger. — Il y a les législations « laïques », entravant par exemple, l’éducation chrétienne (Japon, Philippines, etc.). L’énumération des obstacles est loin d’être complète ; il y faut ajouter ceux qui sont venus des gouvernements européens.

6. — Presque tous ont eu à faire avec la mission. Quelques-uns, sincèrement catholiques, eurent à cœur de collaborer à l’apostolat dans les terres qui leur étaient soumises. Ainsi, naguère, l’Espagne aux Philippines. Ainsi, la Belgique, partageant le Congo entre toutes les congrégations du royaume. Récemment, l’Italie inscrivait à son budget la part des missions dans ses colonies. D’autres ont été carrément persécuteurs. Ainsi le Portugal, qui, par deux fois, en 1834 et 1910, expulsalesmissionnaires. Quant aux Etats protestants, onsait quel’Angleterre laisse toute liberté, qu’au besoin elle protège les œuvres scolaires et charitables. Il n’en a pas toujours été ainsi : ses agents furent responsables de plusieurs persécutions (Ouganda, Madagascar, etc.).Si, en certains endroits, qui disait Français disait catholique, par contre Anglais signiflaitprotestant. L’Allemagne appréciait et utilisait méthodiquement le concours apporté par les missionnaires, quels qu’ils fussent, à son œuvre impérialiste. D’autres Etats, aujourd’hui libéraux et protecteurs, ont commencé par être taquins. La Hollande, pour tenir balance égale, assignait aux catholiques et aux protestants leur territoire avec défense d’en sortir ; et il se trouvait qu’ordinairement la part des catholiques n’était pas la meilleure. De même aux Etats-Unis, pour les « réserves

« indiennes.

En France, la politique des missions fut souvent incohérente. Protection des chrétiens en Chine et en Turquie, mais protection des musulmans en Afrique, et du bouddhisme en Indo-Chine. Subvention à des universités catholiques en pays d’influence française, mais, en terres proprement françaises, établissement d’écoles sans Dieu. Intervention armée et diplomatique en faveur des missionnaires, et lois anticléricales entravant leur recrutement, etc.

Mais, à côté du gouvernement, il y a les peuples, et il serait curieux ici d’établir des statistiques précises. La part prise à l’apostolat par les diverses populations catholiques n’est pas facile à apprécier. Au xix c siècle pourtant, c’est la France qui a envoyé le plus de missionnaires chez les infidèles. On calculait en 1900 que la population catholique française, double à peu près alors de la population catholique allemande (3 ; millions contre 18), fournissait 7 fois plus de missionnaires et 17 fois plus de religieuses (7.745 prêtres et religieux contre 1.100, g.150 religieuses contre 500) — Kannengieser, Les missions étrangères, France et Allemagne, p. 266. Des causes diverses ont modifié la proportion, mais ne l’ont pas renversée. Par ailleurs, quoi qu’il en soit du nombre 383 PROPAGATION DE L’EVANGILE 384

absolu des ouvriers, c’est en Hollande, ce semble, que le pourcentage des missionnaires, par rapport à la population catholique, est le plus élevé. — Notons encore qu’à l’heure présente, de divers côtés, aux Etats-Unis, en Irlande, l’intérêt pour les missions, languissant jusqu’ici, va s’éveillant.

7. — En même temps que des hommes, les pays catholiques envoient aux missions des ressources en argent. Dans les siècles passés, ces ressources étaient fournies par les princes, et il s’y ajoutait les dons particuliers. Ce qu’il y eut de neuf au xixe siècle, ce fut la création d’œuvres au caractère nettement catholique : tous les fidèles, quels qu’ils fussent, contribuant à soutenir toutes les missions sans distinction. Telle l’œuvre de la Propagation de la Foi. En cent ans (1822-1922), elle a réparti, chez les missionnaires du monde entier, 300 millions de francs. Et comme, ces temps derniers, pour des raisons diverses, surtout d’ordre nationaliste, certains pays tendaient à rompre l’unité vraiment catholique de cette fondation lyonnaise, le Souverain Pontife l’a directement annexée à la Propagande, soulignant ainsi son caractère purement catholique. D’autres œuvres, catholiques dans le même sens, c est-à-dire universalisles, ont des objets plus spéciaux. La Sainte-Enfance, fondée en France en 1843, s’occupe des orphelinats et des écoles en pays infidèles, mais du monde entier. Citons encore, l’œuvre des Ecoles d’Orient (1856), celle de Saint Pierre pour les clergés indigènes (1883), celle de Saint Pierre Claver pour les noirs d’Afrique. Le manuel du P. Arens énumère 220 sociétés de ce genre, apportant leur obole au budget des missions.

8. Conclusion. — On le voitpar ce qui précède, à toutes le » époques, l’Eglise a toujours fait ce qui était moralement et matériellement possible pour exécuter son programme divin : Docete omnes gentes. Aucun échec ne l’a rebutée, ses reculs n’ont jamais étédéfinitifs. Elle a toujours été l’infatigable » recommenceuse ». De plus, les missions ont toujours été pour elle un moyen d’afficher : i" sa catholicité, par l’effort constant qu’elle a fait de porter la lumière partout, effort qui n’a point été stérile ; — 2° son unité, car, à l’encontre des sectes, qui partout étalent leurs contradictions, elle s’est montrée partout la même, ne cédant au nationalisme que ce qui pouvait être cédé ; — 3° sa sainteté, tant par l’héroïsme constant de ses missionnaires, héroïsme allant jusqu’au martyre, que par l’idéal de vie proclamé partout.

Bibliographir. — La littérature des missions est trop considérable pour trouver place ici. D’utiles indications se rencontrent dans les Histoires générales de l’Eglise et dans les grands dictionnaires : Catholic Encyclopedia, Dict. d’histoire etde géogr. ecclésiastique, Herders Konversation Lexicon, Kirchenlexicon de Weltzer, etc., etc. Voir spécialement B. Arbns, Ilandbucffder Katholischen Missionen, Fribourg, 1920, p. 2, 29, 97, 153, 188, 280371, etc. Aux livres cités au cours de l’article, nous ajoutons seulement quelques ouvrages d’intérêt général.

i° Annuaires et Manuels (Arbns, p. 153). Annuario Pontificio, Rome ; — Annuaire Pontifical de Battandier, Paris, depuis 1897 ; Orbis catholicus du chan. Glancky, Londres, depuis 1916 ; — Missiones Catholicae, publiées par la Propagande, 1886, 1907, 1922 ; — Ugo Mioni, Manuale di Missionologia, Milan, 1921.

2* Allas (Arbns, p. 154.155). O. Werner, Atlas des Missions catholiques, trad. de l’allemand, Lyon, 1886 ; — Ch. Strbit, S. V. D., Atlas des M.

cath., Steyl, 1906, et Atlas hierarchicus, Steyl, ig13 ; — A. Lalnay, Atlas de la Société des Missions étrangères.

3* histoires générales. Henrion, Hist. génêr. des Missions catholiques (1219-1844). a vol., ParisLyon, 1844. — Lacroix et E. db Djonkoysky, Dict. des Miss, cathol., 2 vol., Paris, Migne, 1 86364 ; — T. W. M.Marshall, Les Missions chrétiennes, Paris, 1865. — E. Louvbt, Les M. cath. au XIX’s., Lyon, 1894 ; — Pioli t, Les M. cath. françaises au XIX’s., 6 vol., 1902 (Introduction par Et. Lamy).

4° Ordres religieux et Sociétés (Arens, p. 27), MarcbllinodbCivbzza, Storia universale délie Missione Fnmciscane (1 21 2-1 800), Rome, 1857-1895. — J. Fernando, Historia de los Dominicanos en las lslas Filipinas 1… Japon, China, etc., Madrid, 1870-72 ; — A. Launay, Hist. génér. de la Société des Missions étrangères, Paris, 1894 ; — J. Bruckbr, La Compagnie de Jésus, Paris, 1919 ; —

A. Brou, Les Jésuites missionnaires du XIX’siècle, Bruxelles, 1908 ; — Thaddéb Ferré, Hist. d » l’ordre de S. François, 1921.

5° Monographies. Elles sont innombrables. On peut citer comme particulièrement importantes, celles que A. Launay a consacrées à presque toutes les missions du séminaire de Paris, spécialement à celles des Indes (1898). — Marnas, La Religion de Jésus restuscitée au Japon (1897) ; — L. Bbssb, La Mission du Maduré. Histoire de ses Pangons, 191 4 ; — db la Servièrb, Hist. de la Mission du Kiang-Nan (191 4) ; — Colin, Labor evangelica en las lslas Filipinas, édit. Pastels, 3 vol., 1900— 1902 ; — Z. Engblhardt, Missions and Missionaries of California, 4 vol., I 908-1 916 ; — H. Josson, Hist. de la mission du Bengale, 2 vol., 1920, etc., etc. A quoi il faudrait ajouter d’innombrables biographies de missionnaires.

6° Collections. Lettres édifiantes et curii usss, 1702-1776 ; — Stocklein, Aeuer Weltbote, 16421753. — The JesuitRelations and allied Document, 53 vol., 18-6-1991. — Annales de la Propagation de la Foi, depuis 1823. — Les Missions catholiques, depuis 1868. — Die Katholischen Missionem, depuis 1873, etc., etc. (Arens, p. 308-349).

7 Etudes diverses. A.. Krosh, S.J., La Statistique des Missions catholiques, traduit de l’allemand, Bruxelles, 1911. — A. Huondbr, S. J, Der einheimische Klerus in den Heidenlàndern, 1909. — Adelhem Jann, O. M. Cap., Die Katholischen Missionen in Indien, China und Japon, lhre Organisation und das portugiesische Patronat, om 15 bis ins 18 Jahrhundert, Paderborn, igiô. —

B. Arens, Die katholischen Missionstereine, Fribourg, 1923.

Appendice. — Les Missions protestantes. — Les hétérodoxes n’ont pas absolument ignoré l’apostolat. Nous avons fait une rapide allusion aux missions nestoriennes d’extrême Asie au vme siècle. L’Eglise russe, avant la révolution, avait ses missions en Chine, au Japon, jusqu’en Alaska. Quant aux protestants, pendant longtemps, presque deux siècles et demi, ils se sont désintéressés de l’évangélisation chez les inûdèles (voir article Rbform » ;)La colonisation hollandaise, c’est-à-dire calviniste, a même amené, ou failli amener la disparition du christianisme là où il avait été porté par les catholiques (Moluques, Malaca, Ceylan).Dansla première moitié du xix’siècle, les protestants se sont ravisés et aujourd’hui leurs œuvres sont importantes. L’ouvrage de Marshall, qui mettait en parallèle leurs missions et les nôtres, a cessé depuis longtemps 385

PROPHETISME ISRAELITE

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d’être au point. Il montre seulement l’état de choses en 1 865, et cet état n’était pas brillant

Depuis, l’intérêt porlé aux missions étrangères s’est singulièrement accentué dans les Eglises séparées. On en peut juger par le chiffre des aumônes. Pour nous en teniraux données d’avant-guerre, alors que le change était normal, le budget de nos deux grandes œuvres catholiques, la Propagation de la Foi et la Sainte-Enfance, atteignait 8.11/1.983 et 4.390.5-22 francs. Ajoutant à ces 13 millions les ressources venues d’ailleurs, on atteindrait auchilfre de ao millions, certainement supérieur à la réalité, pour l’ensemble du budget catholique annuel des missions. Or en 1909, 1e congrès mondial prolestant d’Edimbourg accusait un total minimum de 126. 780.735 francs.

Les résultats sont-ils proportionnés à cet effort financier ? Pour les résultats matériels, églises, résidences, écoles, universités, collèges, hôpitaux, population scolaire, malades soignés, personnel de toute espèce, etc., il n’est que trop certain, les catholiques n’ont rien de semblable à montrer. Ils sont pauvres, et les protestants sont riches. Un simple détail : les catholiques n’ont encore en Chine qu’un seul établissement d’enseignement supérieur, et les protestants en ont onze.

Poux le nombre des baptisés, le catholicisme en général maintient son avance. En 1909, le congrès d’Edimbourg accusait i.gaS.aoô « communiants », 3.006.373 baptisés, 5. 381. 871 adhérents. Les statistiques catholiques ne faisant état en général que des baptisés, aux trois millions de protestants, nous opposions un total de 30.309.900, dont a 1.980. 000 dans les anciennes missions devenues Eglises normales, et 8.3ai.ooo dans les missions actuelles. Donc 8 et 3 millions : des ressources au moins six fois supérieures et un résultat numérique inférieur dans la proportion de 3 à 8 (voir le livre de P. Krosb et Etudes, ao juillet 1908).

Mais les chiffres sont peu de chose, et, en somme, prouvent peu. Ce qu’il faudrait pouvoir apprécier c’est la valeur des conversions. Seulement, qui croire ? les optimistes ou les pessimistes ? En ce qui concerne les protestants parlant d’eux-mêmes, les orateurs de congrès, ou les voyageurs, les journalistes ? les missionnaires découragés ou les autres ? Voici du moins ce qui est hors de conteste. D’un côté les missions protestantes ajoutent quelques millions de plus au chiffre de ceux qui croient à Dieu et à son Verbe incarné. D’autre part, cette foi se manifeste en des symboles contradictoires, grand scandale pour beaucoup. On essaie de remédier au funeste et inévitable a dénominationalisme », comme ils disent, par une coordination plus effective sur le terrain moins compromettant de l’enseignement, de la philanthropie, de la presse. Ce n’est qu’atténuer le mal. Mais on l’accentue par des concessions peu prudentes au nationalisme. Les Eglises sont invitées à se faire plus chinoises, plus japonaises, plus indiennes, à élaborer leur credo. Et les promoteurs occidentaux de ce beau mouvement ne s’aperçoivent pas que c’est augmenter encore le nombre des « dénominations »., et presque inviter les divers christianismes à s’imprégner d’idées shintoïstes, bouddhistes, confiu-ianisles, hindouistes, théosophistes. Mais ne faut-il pas être conséquent avec le principe de libre-examen ?

Statistical Allas for Christian Missions, Edinburg 1910, et les huit volumes publiés par le Congrès de 1910 ; — B. Wolferstan, The Catholic Church in China from 1R60 ta 1909, Londres 1910 (sur le gaspillage des aumônes protestantes). — The Christian occupation of China, Chang-hai 1933 ; — Interchurch

Torn » IV.

World Movement of Xorth America, World Survey Conférences, Atlantic City 1930. Dans les Etudes religieuses, articles du ao juillet 1908, 5 janvier 1909 ao janv. 191 1, 5 mai 1 921, ao mars 1923, 5 fév. iga3.

Alexandre Brou, S. J.