Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Positivisme

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 25-33).

POSITIVISME. — I. Doctrine.— II. Organisation sociale. — III. Positivisme après Auguste Comte : Positivisme orthodoxe, Positivisme indépendant. — IV. Quelques jugements sur Auguste Comte. — V. Critique : amoindrissement a priori de là pensée ; amoindrissement de la notion de philosophie ; amoindrissement de la science ; amoindrissement et négation de la morale ; doctrine areligieuse.

I. Doctrine- — Le mot remonte à Augustr Comte el le positivisme de toute nuance reconnaît en lui son fondateur.

Auguste Comte naquit à Montpellier en 1798, d’une famille catholique et royaliste. A 14 ans, il avait perdu la foi. Bientôt il se révélait républicain convaincu. D’une étonnante précocité d’intelligence, il entrait en 1814 à l’Ecole polytechnique, dont il avait passé avec éclat l’examen d’admission l’année précédente. En deuxième année, il se faisait renvoyer pour acte de révolte. Sans ressources, il s’attache au réformateur socialiste Saint-Simon, dont il devait rester 7 ans le collaborateur. Il épouse civilement, en 18a5, Caroline Massin, femme de mœurs peu honorables. Enlin, le a avril 1826, il ouvrait dans son propre appartement son Cours de philosophie. Dès la 4' leçon, il devait l’interrompre. Des ennuis de ménage et surtout une extraordinaire tension d’esprit avaient amené une crise de folie. Ces crises le ressaisirent à divers intervalles. En janvier 1829, il pouvait reprendre son cours. L’année suivante, avec quelques amis, il fondait l’Association Polytechnique, qui se propose l’instruction du peuple par des cours gratuits. Lui-même se chargea d’un cours d’astronomie jusqu’en 1848. Mais sa principale occupation était celle de répétiteur, puis d’examinateur à l’Ecole polytechnique, fonction à laquelle se joignait la composition de ses massifs volumes. Tel le Cours de Philosophie positive, en six volumes publiés de 1830 à 1842. Des difficultés de caractère lui faisaient perdre sa place. Il était réduit

; 'i vivre de subsides fournis par quelques admirateurs anglais, ensuite par ses amis de France. Séparé

de sa femme depuis 1842, il se prend, en 1 845, d’une passion mystique pour une jeune femme d’une intelligence distinguée, d’une âme délicate et souffrante, d’un caractère romanesque, Clotilde de Vaux. Elle mourait en avril 1846. (Voir L’Amoureuse Histoire d’Auguste Comte et de Clotilde de Vaux, par Charles du Rouvre, Paris, 1917) Dès lors, Auguste Comte voue à sa mémoire un culte passionné. Il disait qu'à sa rencontre la lumière s'était faite en lui : il avait compris la religion de l’humanité avec son caractère affectif.

C’est la seconde phase de sa vie. A cette période appartient son second grand ouvrage, le Système de Politique positive, en 4 volumes, publiés de 1851 à 1854. H vit désormais comme le prophète de la religion nouvelle. Il s'éteignait le 5 septembre 1807, près du fauteuil de Clotilde.

« Le caractère fondamental de la philosophie positive, écrit-il, est de regarder tous les phénomènes

comme assujettis à des lois naturelles invariables, … en considérant comme absolument inaccessible et vide de sens pour nous la recherche de ce qu’on appelle les causes, soit premières, soit finales… Dans nos explications positives, même les plus parfaites, nous n’avons nullement la prétention d’exposer les causes génératrices des phénomènes, parce que nous ne ferions jamais alors que reculer la difficulté, mais seulement d’analyser avec exactitude les circonstances de leur production et de les rattacher les unes aux autres par des relations normales de succession et de similitude. » (Cours de

Philosophie positive. I, 14. — 1" édition, Paris, Bachelier) « La philosophie positive, dit-il encore, Be distingue surtout de l’ancienne philosophie théologique ou métaphysique par sa tendance constante d'écarter comme nécessairement vaine toute recherche quelconque des causes proprement dites, soit premières, soit finales, pour se borner à étudier les relations invariables, qui constitueraient les lois… Nous ne saurions réellement connaître que les faits appréciables à notre organisme, sans jamais pouvoir obtenir aucune notion sur la nature intime d’aucun être ni sur le mode essentiel de production d’aucun phénomène. » (Ibid., VI, 701)

En bref, le positivisme « consiste essentiellement dans une distinction établie d’une manière absolue et a priori entre deux objets de recherches ; d’une part les faits et leurs lois, d’autre part les causes et les substances. Suivant la doctrine positiviste, les faits et les lois sont les seuls objets d’observation, et l’observation est la seule source de la science. En conséquence, les causes et les substances ne peuvent être connues. Elles sont situées derrière les faits, dans une région inaccessible, la région de l’inconnaissable. Existent-elles ? Sont-elles réelles ou chimériques ? Le positiviste ne se prononce pas sur ce point. Il s’abstient, il ignore et sait qu’il doit ignorer. » (Abdi'î de Broglie, Le Positivisme et la .Science expérimentale. Paris, Palmé, 1880, t. I, Introduction, p. m)

Positif, dit encore Auguste Comte, est ou doit devenir synonyme de réel et d’utile, de certain et de précis, en opposition aux spéculations de l’ancienne philosophie, synonyme d’organique par son aptitude à fonder l’ordre social, synonyme de relatif par la renonciation à tout principe absolu. (Système de Politique positive, I, 57)

A entendre A. Comte, la conception positive appliquée à toute recherche est l’aboutissant d’une vaste évolution qui s’est effectuée selon la fameuse Loi des trois états. L’humanité, en son développement, passe nécessairement par trois phases. Elle commence par l'état théologique ou fictif : l’homme explique le monde extérieur par des volontés surnaturelles analogues à la sienne ; il nie l’invariabilité des lois naturelles ; il néglige l’observation scientifique. A l'état théologique succède l'état métaphysique ou abstrait ; ce n’est qu’une transition : des abstractions ou entités prennent la place des êtres concrets et surnaturels. Enfin, l’esprit s’arrête à l'état positif ou scientifique, comme à un état définitif : l’observation conduit à la découverte des lois qui rendent raison des phénomènes. (Cours de Philosophie positive, I, 3-7 et passim.)

Non moins importante est la Classification des sciences, ou la Hiérarchie des sciences, qui permet de construire l'édifice de la philosophie positive, ou de « résumer les diverses connaissances acquises en les présentant comme autant de branches d’un tronc unique ». Les phénomènes les plus simples sont les plus généraux, et ces phénomènes à la fois plus simples et plus généraux sont le fondement large sur lequel d’autres viennent comme s'étager suivant des degrés de complexité et de précision toujours croissantes. La loi qui règle la classification hiérarchique des sciences est donc leur généralité décroissante et leur complexité croissante. Il est possible de classer tous les phénomènes observables en un petit nombre de catégories, de telle manière que l'étude rationnelle de chaque catégorie soit fondée surla connaissance des lois de la catégorie précédente : de là résulte aussi « leur dépendance successive ».

A la base se placent naturellement les mathéma39

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tiques. Ainsi ia philosophie positive comprend six sciences principales, disposées dans l’ordre suivant : i' la Mathématique, ï° l' Astronomie, 3" la Physique, 4° la Chimie, 5" la Biologie, 6* la Sociologie ou Physique sociale. — La Morale, tantôt regardée comme une branche de la physiologie, tantôt mise à part comme une septième science, est, à la lin du Cours de Philosophie positive, rattachée à la Sociologie.

La Mathématique fournit le type de la méthode applicable à tous les genres de recherches. Celte méthode consiste à mesurer ou à déterminer des grandeurs inconnues au moyen de grandeurs connues. « Les sciences les plus compliquées… ne sauraient offrir aucune espèce de raisonnement dont la science mathématique ne puisse fournir… l’analogue plus simple et plus pur. » (Cours de Philosophie positive, I, 24-3a, 86-13-2 ; III, 423-4a8) Cela veut dire que tout ordre de vérités sera uniquement envisagé selon les notions de quantité et de nombre, de ligure et de mouvement.

La Sociologie est au sommet de toutes les sciences, comme l’Humanité est l’aboutissant de l’universelle évolution. « Sous le rapport statique, aussi bien que bous l’aspect dynamique, l’homme proprement dit (individu) n’est, au fond, qu’une pure abstraction ; il n’y a de réel que Y Humanité, surtout dans l’ordre intellectuel et moral. » (Ibid., VI, 692) La grande idée d’Humanité, et non l’idée de Dieu VI, 691) tout hypothétique, servira de base à une morale sociale, vraiment réelle et scientifique. VI, 807)

II. Organisation sociale. — Le Cours de Philosophie positive a établi la prééminence de l’idée d Humanité, seule notion générale réelle. Il s’agit maintenant d’organiser la société suivant cette idée. Ce sera l’objet du Système de Politique positive. (Cf. Catéchisme positiviste ou Sommaire exposition de la Religion universelle, octobre 185a ; Appel aux Conservateurs, août 1855 ; Synthèse subjective, novembre 1856).

L’Humanité comprise par le cœur, ou la méthode affective, donne naissance à la religion. La religion consiste dans l’harmonie des facultés ramenées à l’unilépar l’amour. La religion a pour objet l’Humanité. Celle-ci, en tant qu’elle est proposée au culte et à l’amour des individus, porte plus particulière ment le nom de Grand-Etre, qui se compose non seulement des générations présentes, mais aussi des générations passées et futures, au moins de cette partie des générations successives qui peut revendiquer un rôle d’utilité sociale. « Les morts gouvernentles vivants. » La terre, séjour du Grand-Etre, est le Grand-Fétiche ; l’espace où elle se meut est le Grand-Milieu. Le credo de la religion positive, ou la doctrine philosophique transposée en formule affective, sera : « L’Amour pour principe, l’Ordre pour ba^c, le Progrès pour but. » La morale, enfin constituée, se résumera dans l’axiome : « Vivre pour autrui. » Son précepte essentiel, son impératif sera :

« Il faut assurer la prééminence du cœur sur l’esprit.

L’affectif doit primer l’intellectuel. »

Le culte que nous rendons à l’humanité n’a rien île l’adoration religieuse. Nous servons le GrandEtre en nous améliorant par le développement des facultés affectives, et en le perfectionnant par là même. Le culte personnel consiste dans « l’intime adoration (assimilation affective) du sexe affectif, d’après l’aptitude de chaque digne femme à représenter L’Humanité ». Mieux que l’homme, la femme, en qui domine la sympathie, personnifie le GrandEtre. Auguste Comte règle tous les détails de ce cul’e. Il les observait scrupuleusement à l'égard de la mémoire de Clotilde de Vaux. Il l’appelait ia « mère

de sa seconde vie », la « vierge positiviste », la

« prétresse de l’humanité », la médiatrice entre le

Grand-Etre et son grand prêtre » (lui-même).

Le culte domestique prépare par ses neuf sacrements à l’incorporation dans l’humanité.

Le culte public a pour objet direct le Grand-Etre. A. Comte décrit ce que seront les temples, bâtis au milieu des bois, entourés des tombes des morts éminents. Un Calendrier servira à régler le culte de L’Humanité. L’année est divisée en treize niois.dédiés chacun à un homme éminent dans l’histoire : Moïse, Homère, Aristote, Archimède, César, saint Paul, etc. Chaque mois compte quatre semaines, dont chaque jour a son patron.

La première éducation appartient à la mère, par laquelle l’enfant entre déjà dans le culte positif de l’Humanité. Elle se continue dans les écoles positivistes attachées au temple de l’Humanité. Les deux sexes y sont réunis. On se proposera d’assurer au cœur la prépondérance sur l’esprit, de préparer à a vivre pour autrui » et à « vivre au grand jour ».

Régime social. Après avoir organisé minutieusement le sacerdoce, A. Comte rappelle que la religion de l’Humanité donne à la vie privée un caractère principalement social. L’altruisme, d’ailleurs, conduit au bonheur le plus pur. Cet altruisme transformera le mariage. Les satisfactions des sens sont rejetées au dernier plan. Bien plus, l’union de la virginité et de la maternité serait l’idéal de l’union positiviste. A. Comte institua même une fête de la Vierge-Mère. La femme est dans la famille ce que le pouvoir spirituelestdans l'État.

La notion du droit, contraire au développement de l’amour, doit disparaître du domaine politique, pour ne plus laisser place qu’aux devoirs de tous envers tous.

Les Etats se fractionneront en petites républiques de un à trois millions d’habitants. Les classes moyennes s'éteindront graduellement. Il ne restera d’une part que les capitalistes ou banquiers, de l’autre que les prolétaires. Le prolétaire a la qualité d’un fonctionnaire qui louche un traitement lixe, plus une quote-part variable, proportionnée au travail fourni. Le sacerdoce, par son ascendant moral, prévient ou tranche les conflits soit entre particuliers soit entre nations, sans recourir, sauf le cas d’absolue nécessité, à la force. Le Grand-Prêtre positiviste est le véritable chef de tout l’Occident. Avant la lin du siècle, le monde sera converti à la nouvelle religion. Sept ans suffiront à la conversion des monothéistes, treize à la conversion des polythéistes et autant à celle des fétichistes. Les trois races blanche, jaune et noire, qui représentent l’intelligence, l’action, le sentiment, et dont le concours forme le Grand-Etre, se rangeront sous la bannière positiviste.

Avec la révolution de 18/(8, parut à Auguste Comte avoir sonné l’heure d’appliquer son programme de régénération sociale. Il lance des manifestes, institue des conférences publiques, adresse des appels aux gouvernements, aux partis, aux corporations, même au T. R. P. Beckx, général de la Compagnie de Jésus, pour lui proposer une alliance avec les positivistes. Cependant il prenait de plus en plus au sérieux son rôle de Grand Prêtre de l’Humanité. Mais déjà la désunion s’introduisait parmi ses disciples : tout un groupe, avec Littré, prétendait s’en tenir à 1 a partie scientifique de l'œuvre du maître. C’est au milieu de ces préoccupalions qu’Auguste Comte mourait ( 1 85^), sans avoir réglé sa succession. Il en écartait formellement Littré, et il n’osait choisir Pierre Laffitte, qui lui inspirait plus confiance, mais qui lui paraissait manquer d'énergie pour la haute fonction de Grand Prêtre. 41

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Dès lors le positivisme se divise en deux groupes : d’un côte, l'école orthodoxe ; de l’autre, de nombreuses écoles indépendantes.

III. Positivisme après Auguste Comte.— 1° Positivisme orthodoxe. — En France. — A la mort du fondateur, la Société positiviste prend pour « Directeur » Pierre Laftïtte. Celui-ci était alors âgé de 3/, ans. Il s’emploie avec une bonnevolonté méritoire à garder intacteet à perfectionner l'œuvre du maître. Mais sesgoùts le portaient vers les sciences. Depuis le jour surtout où fut créée en sa faveur au Collège de France une chaire d’Histoire générale des Sciences, son enseignement devint de plus en plus scientifique. Il a exprimé ses idées dans son cours de Philosophie troisième et dans la liane occidentale, organe du positivisme pour la France et l’Occident, fondée en 1878. Autour de lui se rangent, amis parfois mécontents, les docteurs Robinet, Delbet et Audiffrent, Sémérie, Antoine, Camille Monier, Magnin, Pierre. Laflitte mourait le 4 janvier 1903. Selon sa volonté, Charles Jeannolle le remplaçait. Des treize exécuteurs testamentaires d’Auguste Comte, le dernier survivant fut le docteur Georges Audiffrent (18a310, o3), celui de ses disciples qui s’est le mieux efforcé de reproduire le maître par la tête et le cœur.

Avant la mort de Charles Jeannolle (191/1), un schisme s'était produit parmi les positivistes français : d’un côté, M. Emile Corra était reconnu comme Président du Comité positif international ; c’est le directeur de la Revue positiviste internationale ; d’autre part, M. Georges Deherme réclamait une action sociale plus vigoureuse ; en 1918, il fondait officiellement le Groupe Auguste Comte.

Du positivisme orthodoxe se réclame le mouvement de laïcisation qui a emporté tant d’esprits en France depuis une quarantaine d’années. Ses promoteurs, de Jules Ferry et Georges Clemenceau au général André, se proclamaient positivistes comtistes. C’est au nom des principes positivistes, dans un esprit d’intolérance très étranger aux sentiments de Comte mais conforme à la logique de ses vues, qu’ils ont poussé l'œuvre de laïcisation et de sécularisation. De même, l’alliance avec la franc-maçonnerie a été ouvertement revendiquée par Littré et Jules Ferry, au nom du positivisme. (Voir Discours et Opinions de Jules Ferry. Ed. Robiquet. Paris, A. Colin, 1894, II. 193, 194..")

Au positivisme orthodoxe se rattache un groupe très nombreux, aux teintes variées, s'étalantde Charles Maurras à Georges Deherme, allant des confins du catholicisme jusqu'à l’incroyance et l’athéisme pur, d’allure éminemment sociale. Il emprunte à Comte son idée d’ordre, d’organisation et de hiérarchie sociale, son principe d’autorité monarchique ou dictatoriale. Il monte la société comme un rouage savamment construit, où l’intérêt in dividuel compte peu, où tout est dirigé en vue du bien collectif. En histoire, en morale, en philosophie, il se place à un point de vue positif, utilitaire, pragmatiste (Voir Pragmatisme), tenant compte des résultats tangibles plus que des états d'àme, de la réussite plus que des intentions et des secrets mobiles.

A l'étranger. — Les représentants les plus éminents du positivisme orthodoxe sont, en Angleterre, Richard Congreve (1818-1899) d’abord attaché avec ferveur à la partie cultuelle duComlisme ; Frédéric Harrison (né en 1 83 1) plus épris de sa partie morale ; George Eliot ou Miss Evans (181 9- 1880), qui développe dans ses romans les doctrines de l’altruisme et du progrès humain ; James Cotter Morison (1 83 1 — 1888).

En Suéde, le docteur Ant. Nystrom a fondé en

1880 une « Société positiviste », dont la propagande s'étend surtout dans le inonde ouvrier.

En Portugal fleurit un positivisme comliste puissant, positivisme de gauche, antireligieux, auquel appartient Teotilo Braga, le grand révolutionnaire portugais.

Mais c’est dans l’Amérique du Sud que la pensée religieuse d’Auguste Comte a été adoptée avec une fidélité et une foi plus ardente, et qu’elle a passé plus exactement dans les institutions. Dès 1871, Benjamin Constant (Botelho de Magalhæs) introduit le positivisme au Brésil. Après la Révolution de 1889, dont il avait été l'àme, il forme le projet d’organiser la république brésilienne selon le programme positiviste. A sa mort (1891), le Congrès National Constituant salue, reconnaissant, son passage de

« la vie objective à l’immortalité ».II est secondé par

Miguel Lemos, R. Teixeira Mendès et Jorge Lagarrigue, chef du groupe chilien. Ceux-ci dépassent en ferveur leur maître et tiennent la doctrine de la Vierge-Mère comme le résumé synthétique de la religion positiviste, son culte comme la forme réelle delà religion de l’Humanité. Des Circulaires annuelles et de nombreux écrits entretiennent au Brésil le feu sacré. L’obédience brésilienne a souvent anathématisé le scientisme de l’obédience de Pierre Laffille. Le drapeau brésilien porte la devise positiviste : Ordre et Progrès.

(Cf. Ant. Baumann, Le Positivisme depuis A. Comte dans Annales de ph. chrétienne, juin 1901, p. a51274.)

a° Positivisme indépendant. — Le Cours de Philosophie positive et la Politique positive forment, au jugement d’Auguste Comte, un tout indissoluble. Dès 1822, il proclamait qu’il était résolu à consacrer sa vie à la recherche d’une politique positive, que son système de philosophie n’avait pour objet que de donner un fondement scientifique à « la réorganisation spirituelle des sociétés modernes ». Et, plus tard, dans l’Appendice général mis à son Système de Politique positive, il déclare : « Ma politique, loin d'être aucunement opposée à ma philosophie, en constitue tellement la suite naturelle que celle-ci fut directement instituée pour servir de base à celle-là. » Son but dernier est de mettre fin à l’anarchie, qui est à la fois intellectuelle et sociale.

De bonne heure, Littré et J. Stuart Mill voulurent faire une part dans l'œuvre du maître, adopter la philosophie et rejeter la politique. Plusieurs même ne craignirent pas d’attribuer toute la construction religieuse et sociale d’Auguste Comte au retour d’une de ces crises d’aliénation mentale dont jadis (1826-1827) il avait été la victime. La résurrection d’une religion avec prescriptions cultuelles et caste sacerdotale embarrassait manifestement les « scienlistes «.Ils ne remarquaient pas assez que la religion à la manière de Comte n’avait rien de théologique, qu’elle n'était que l’expression des facultés affectives de l’homme et de sa tendance à l’altruisme, que les pratiques rituelles répondaient au besoin positif qu’a notre nature de traduire en symboles extérieurs ses sentiments, que la caste sacerdotale représentait l’autorité spirituelle nécessaire à toute société humaine. A. Comte était seulement plus logique et moins timide que les « scientistes i> qui restaurent leculte de la Science sans oserl’avouer. On lui reprochait encore d’avoir substitué la méthode subjective (Synthèse subjective) à la méthode objective. Mais Comte lui-même notait que la méthode subjective doit être conduite selon les règles de la méthode objective, qu’il faut étudier le sentiment et le cœur en se bornant aux faits internes qui peuvent être perçus. 43

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L'école positiviste qui prend naissance autour de Littré se dit surtout scientifique : elle est facilement agressive à l'égard du catholicisme.

Ce qui est capital, c’est qu’il se forme, sous l’influence d’Auguste Comte, un immense et profond mouvement d’idées qui s’inspire des principes de sa philosophie positive. Méfiance ou dédain à l'égard de ïa métaphysique, recherche unique du fait, culte exclusif de l’expérience, suprématie, puissance sans limites et extension indéfinie de la science, dogme de son efficacité morale, doctrine de l'évolution sociale et d’un progrès indéfini, plus ou moins rectiligne, de l’humanité, morale indépendante. Herbert Spencer est tout entier dans Auguste Comte. D’autres courants combinent les données de la philosophie avec celles de la politique ou de la sociologie : morale de la solidarité et doctrine de l’altruisme, humanitarisme et pacifisme, le social primant et fondant le moral et le religieux, suprématie de la société sur l’individu, le bonheur total de l’homme découlant d’une bonne organisation sociale. De ces idées ont vécu une partie des générations venues à l’existence depuis trois quarts de siècle. Nous nous en libérons à peine.

IV. Quelques jugements sur Auguste Comte. Emile Fauuf.t. — « C’est quelque chose que de faire penser, et Auguste Comte est merveilleux pour cela ; c’est le semeur d’idées et l’excitateur intellectuel le plus puissant qui ait été en notre siècle, le plus grand penseur, à mon avis, que la France ait eu depuis Descartes… L’influence d’Auguste Comte sur les idées de notre siècle a été immense. Adopté presque entièrement par Stuart Mill ; s’imposant, quoi qu’on en ait dit, à Spencer, ou, comme il arrive, coïncidant avec lui et s’engrenanl à lui d’une manière singulièrement précise ; dominant d’une façon presque tyrannique la pensée de Renan en ses premières démarches, comme on le voit par l’Avenir de la Science ; inspirant jusque dans ses détails l’enquête philosophique, historique et littéraire de Taine ; se combinant avec l'évolutionisme.qui peut être considéré comme n’en étant qu’une transformation, — son système a rempli toute la seconde moitié du disneuvième siècle, et on l’y rencontre ou tout pur, ou à peine agrandi, ou légèrement redressé, ou un peu altéré, à chaque pas que l’on fait dans le domaine de la pensée moderne. » (Politiques et.Moralistes du xix c siècle. 2e série. Paris, 1898, p. 368-369)

L.LfivY-BnuLH. — « Par sa philosophie proprement dite, il est un homme représentatif de son siècle tout entier… C’est de Comte que Taine procède, à travers (les autres penseurs). Là se trouve l’origine delà plupart de ses idées directrices…L’esprit positif s’est si intimementmêléà la pensée générale de notre temps qu’on ne l’y remarque presque plus, comme on ne fait pas attention à l’air qu’on respire… Comte a anticipé sur des résultats qui ne pouvaient être immédiats. C’est un trait de plus qui lui est commun avec Descartes… Descartes, ayantconçuun certain idéal mathématique delà science physique, s’est représenté les problèmes de la nature, et surtout ceux de la nature vivante, comme infiniment moins complexes qu’ils ne sont. Nos savants, aujourd’hui, n’osent plus se poser des questions biologiques dont la solution lui paraissait relativement aisée. De même Auguste Comte… a cru la science nouvelle (la sociologie) beaucoup plus avancée par ses propres travaux qu’elle ne l’a été réellement… A ses yeux,

« le plus fort était fait ». Les sociologues pensent, 

maintenant, que presque toutresle à faire… (Mais sa philosophie) agit encore et se développe chez ceux mêmes qui la combattent. » (La Philosophie d’Auguste Comte. Paris, 1900. Introduction. Conclusion)

Charles Macrbas. — « Il se rendait justice en se classant parmi les grandes intelligences : ainsi Dante se met entre les grands poètes. Si la mémoire lui fournissait un nombre infini de matériaux de tout ordre, puisés dans la science, l’histoire, la poésie, les langues ou même dans l’expérience de chaque jour, ce trésor était employé par une raison critique et une puissance de systématisation qui n’y étaient pas inégales. Mais le travail se fit d’autant plus énergiquement qu’il était activé par une âme plus véhémente. Peu de sensibilités seraient dignes d'être comparées àcelle de Comte. » (L’Avenir de l’Intelligence, p. 1 43)

Georges Dehrhmb. — « Pour tous les esprits clairvoyants, non prévenus, Auguste Comte est, à tout le moins, le plus grand penseur du dix-neuvième siècle, celui dont l’influence s’est fait sentir le plus, en profondeur aussi bien qu’en largeur, dans tous les ordres d’activité intellectuelle. Même ceux qui ne prononcent jamais son nom restent imprégnés de sa pensée… Le positivisme ne vaut que dans son ensemble, universalisant le mode de penser qui lui est propre, pour constituer l’unité fondamentale, par la sociologie objectivement et la morale subjectivement. Partiellement, le positivisme a des clartés, il n’a pas de force. » (Auguste Comte etson Œuvre.Paris, '9°9>P- a3 et 109)

V. Critique. — Le positivisme, tel que l’a conçu et construit Auguste Comte, est une remarquable systématisation du savoir. S’il emprunte des matériaux aux empirisles, tels que Hume et Fontenelle, aux encyclopédistes, surtout à d’Aleraberlet Diderot, aux biologistes comme Lamarck, Gall et Cabanis, aux économistes comme Turgot, Saint-Simon, peut-être Pierre Leroux, aux politiques tels que Montesquieu, Condorcet, deBonald et Joseph de Maistre, il les fond dans une puissante unité. On assure d’Auguste Comte qu’il composait de tête, phrase par phrase, les sept ou huit cents pages de ses traités. La méditation ainsi conduite, il rédigeait tout d’un trait, presque sans rature. Cette force de conception, il l’a portée dans l’ensemble de son œuvre. Et cependant dans son œuvre il y a :

Amoindrissement a priori de la Pensée. — Cette œuvre, c’est à la fois une synthèse de tout ce qu’on sait sur le monde, sur l’homme et sur les sociétés, et uneméthode générale des voies suivant lesquelles on a appris ces choses. Dans la synthèse, ne sont acceptées que les choses connues selon cette méthode générale. Quelle est cette méthode ? C’est celle des mathématiques : partir d’une quantité connue pour aller à une quantité inconnue, grouper ensemble les faits semblables, de manière à en faire l’expression de relations constantes appelées lois. Selon cette méthode on élaborera les autres sciences, la physique, la biologie, l’histoire, la sociologie, la morale. On établit ainsi entre toutes les sciences une véritable

« cohérence logique » ; mais nécessairement on

laissera hors de chacune ce que n’atteint pas le procédé quantitatif : la qualité, la vie, la liberté, l’idéal, l’obligation.

Et c’est là l'énorme a priori du positivisme. On adopte un procédé d’investigation à l’exclusion de tout autre ; on ne se demande pas s’il n’y aurait pas divers ordres de vérités, et si tous les ordres de vérités sont sensibles à cet unique procédé employé. On imite l’historien des civilisations anciennes qui ne ferait appel qu’aux documents écrits, laissant décote les monuments de pierre ou la linguistique. L’on prétend que tout le savoir, pratiquement que toute vérité tient dans le domaine de l’expérience directe. Sans doute, on ne nie pas brutalement l’existence 46

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des vérilés métaphysiques, de l’ordre spirituel ; on se contente île déclarer, au début, que la recherche îles substances et des causes est chose vaine. <iue c’est là une région inaccessible. Mais, cette déclaration posée, on procède connue si ces vérités, de fait, n’existaient pas. On organise tout lesavoir, dans le présent et dans l’avenir, comme s’il se fermait en un circuit vraiment complet sur le terrain expérimental. Grâce aux merveilleuses ressources de la méthode trouvée, on entrevoit pour la science des progrès indéfinis, des découvertes inouïes, d’où sortira une transformation totale de la vie humaine. Mais toujours ce progrès, ces découvertes se feront dans l’ordre sensible. Jamais la recherche humaine n’abordera les questions : i| y a-t-il une âme, une âme libre et immortelle, un Dieu, un devoir ? Le cercle où le labeur de la pensée humaine tournera pourra s'élargir ; il restera coupé de toute vue en haut, de toute percée sur l’infini. Ce n’est pas la nature des choses, qu’on n’a pas scrutée, c’estle positivisme qui en décide ainsi. Le positivisme théorique devient un matérialisme pratique. (Voir Matkiualismb)

Et de cette situation amoindrie faite à l’homme, pas un regret. C’est l’acceptation morne d’une mutilation qu’on s’est imposée. Dans toute l'œuvre d’Auguste Comte, on ne trouve pas un soupir, un élan vers les paradis désormais fermés, vers les grands espaces à jamais glacés. Parmi les disciples immédiats de Comte, seul le sec et scientifique Littrb a écrit, non sans mélancolie, se rappelant Pascal :

« L’immensité tant matérielle qu’intellectuelle…

apparaît sous son double caractère, la réalité et l’inaccessibilité. C’est un océan qui vient battre notre rive, et pour lequel nous n’avons ni barque, ni voile, mais dont la claire vision est aussi salutaire que formidable. » (A. Comte et la Philosophie positive, 3' édition, 1877, p. 505) Et cependant tout homme qui réfléchit sent que ces questions d’origine, de nature intime, de destinée sont les questions vitales, les questions nécessaires. Là est même l’unique nécessaire. Il ne s’agit pas de faire ici le stoïque ou le dédaigneux. Il ne s’agit pas de laisser aux esprits faibles et inférieurs ces chimères, tandis que les esprits fermes et virils se nourrissent des vérités positives.si austères soient-elles. Il ne suffît d'écarter par le mot : mysticisme, toute recherche sur l’au-delà. L’homme réfléchi tient précisément que c’est sa gloire d'être préoccupé de ces problèmes, il voit là la marque de sa supériorité sur le reste de la nature. Loin d'éprouver le besoin de s’en excuser, il revendique en cela son caractère d’homme.

A celui qui allègue la profondeur de ces aspirations, de ce besoin d’infini, les positivistes, depuis Taine jusqu'à Charles Maurras, répondent qu’il y a dans l’homme, bien des facultés et des désirs qui avortent ; ce prétendu besoin n’a pas plus de droit que tout autre à trouver sa réalisation. — Réponse inefficace. Ce besoin est essentiel entre tous. En lui, c’est notre tout qui est en jeu. Dire qu’il est vain et chimérique, c’est prétendre que nous sommes l’objet d’une totale et cruelle tromperie de la part de je ne sais quelle impitoyable nature, c’est mettre au point de départ de nous-même le plus incompréhensible des mystères. La réalité de l’au-delà posée, ce mystère essentiel s'éclaircit et, avec lui, les mystères secondaires de nos possibles avortements. Tout mystérieux que soit cet au-delà, il est beaucoup moins incompréhensible que sa négation même, que le fait d’un être se sentant né pour une vie infinie et sombrant dans le néant.

Et ce besoin persistant met en défaut la loi des truis étais, où quelques-uns des disciples de Comte ont voulu voir la plus importante de ses découvertes.

Non, il n’est pas exact de dire que l’intelligence humaine, dans son développement historique, explique d’abord les phénomènes par des volontés (stade théologique ou anthropomorphique), puis provisoirement par des abstractions représentant des lois invariables, telles que l'élher, le principe vital, l'àme (stade métaphysique ou abstrait), pour s’arrêter à la seule observation expérimentale des faits et à l'énoncé de lois relatives (stade positif ou empirique).

Loi des trois états, loi historique construite toute a priori. — Sur quelle donnée affirmer que l’esprit humain est fixé à tout jamais dans le stade positif, sans possibilité de revenir à l’un des deux précédents ? Loi historique mal venue : un stade infini en avant, un stade infini en arrière, au milieu un stade qui, de l’aveu de Comte, ne comprend guère que deux siècles, le dix-septième et le dixhuitième. Et dans chaque période se retrouve l’emploi des méthodes qu’on veut propres aux autres. Par exemple, les civilisations anciennes avaient poussé très loin l'étude de l’astronomie et aussi les contrats d’affaires ; elles admettaient nombre de rapports fixes entre les phénomènes. Le dix-septième a trouvé, avec Descartes, Pascal, Leibniz, les principes des hautes mathématiques, sciences essentiellement « positives ».Denos jours, les abstractions comme énergie, chaleur, pesanteur, électricité, magnétisme emplissent les livres de science. On reparle de finalité interne. Il y a réaction contre le déterminisme absolu, jusqu'à introduire la contingence ou l’indétermination dans la production des phénomènes naturels : ce sont presque les volontés capricieuses de l'âge théologique. Surtout croyants et philosophes gardent à l’idée de cause son essentielle valeur. La prétendue loi des trois états nepeut donc être que l'énoncé très sommaire de tendances dominantes avec d’innombrables exceptions ou réserves.

Amoindrissement de la notion de Philosophie. — De tout temps, la philosophie a été la recherche des essences et des causes, la poursuite de l’idée qui se cache dans les êtres, du sens profond enfermé dans ce qui apparaît. Les questions de nature, d’origine, de finalité étaient de son noble domaine. C’est en ce sens qu’elle était considérée comme un effort vers la sagesse. Le positivisme y substitue une synthèse des sciences, et des sciences conduites selon la méthode d’observation expérimentale et directe. Observer les faits, les classer pour en tirer des formules de lois, sans doute cela mérite la labeur humain. Mais pourquoi refuser à l’homme le droit de faire davantage, de regarder plus avant ou plus haut ?

Le Positiviste accumule autour d’un point des observations de détail. I) intitule cela : « Etudes scientifiques » ou même « Etudes philosophiques ». Il donne ainsi au public la funeste illusion que la question est vidée. — Une des causes du malaise des esprits, c’est que l’on sait mal beaucoup de choses ; et l’on sait mal lorsqu’on ne va pas jusqu'à la nature et aux causes.

Autre chose est de partir des faits pour remonter axix principes ; autre chose se confiner dans l’observation des faits. Le premier procédé est celui de la saine philosophie, particulièrement de la philosophie péripatético-scolastique, le second est celui du positivisme ou de l’empirisme.

Avec une des plus généreuses occupations de l’esprit humain, risque de disparaître ce caractère de désintéressement qui était dans la recherche philosophique. La science positiviste est utilitaire.

« Voir pour prévoir, écrit A. Comte, tel est le caractère

permanent de la véritable science. » (Cours de Phil. 47

POSITIVISME

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posit., VI, 7a3) Nous voulons bien que, dans la pensée du maître, on doive chercher à prévoir el à réaliser en vue du progrès de l’humanité. Seulement, pour beaucoup des disciples, ce progrès est trop uniquement matériel. C’est le bien-être qu’on se propose. Il ne se peut nier que l’esprit positiviste ne soit souvent, de fait, synonyme d’Utilitarisme.

Et' ce qui reste de la philosophie devient Pragmaf « 'sme.Selon cette théorie, est vraie l’idée ou l’opinion qui nous adapte au milieu, qui consolide l'équilibre de notre vie, qui nous permet de l’organiser selon nos besoins individuels et sociaux, qui mène à une expérience utile. Une vérité ne peut être dite vraie d’une façon absolue et définitive. Elle vaut selon son adaptation à notre situation et à nos besoins. Le résultat juge la pensée. Doctrine qui fleurit surtout dans les pays anglo-saxons, pour business-men. (William James, C. Peirce, Josiah Royce. — Cf. Eludes. Idéal et Pragmatisme, 5 mai 1909, p. 413l, io)

Amoindrissement de la Science. — Le génie inventif dans les sciences comporte une part d’imagination et de risque. Pour trouver, il faut sortir de ce qui est constaté et classé, pour tenter des hypothèses nouvelles. Il y a là un élément de possibilité, un inconnu contre lequel l’esprit positif est en défiance. Pastbcr le notait déjà dans son discours de réception à l’Académie, le 27 avril 1882. Le positivisme, dit-il, est plus propre à coordonner les données déjà existantes, qu'à étendre le champ de la science par des découvertes nouvelles. Il est timide dans cette voie. A. Comte et Littré n’ont pas connu la vraie expérimentation. Ils l’ont confondue avec la méthode restreinte de l’observation des faits.

« L’inconnu dans le possible, et non ce qui a été : 

voilà le domaine (de l’expérimentation)… Pour juger de la valeur du positivisme, ma première pensée a été d’y chercher l’invention. Je ne l’y ai pas trouvée. » Par une heureuse inconséquence, certains savants, qui se donnent comme positivistes, rompent avec leur méthode diminuée. Mais, par nature, lepositivisme s’oppose à l’esprit créateur.

Autre amoindrissement. La célèbre classification des sciences semble exiger que chaque classe de phénomènes particuliers, constituant une science, ait son caractère propre et perfectionné, par où elle se distingue de la classe inférieure et s’y superpose. Mais quel est ce quelque chose ? Quel est cet élément nouveau et dit irréductible, qui apparaît à chaque degré de l'échelle des sciences ? Parlant des phénomènes vitaux, A. Comte nous dit : « La physiologie n’a commencé à prendre un vrai caractère scientifique… que depuis l'époque… où les phénomènes vitaux ont enfin été regardés comme assujettis aux lois générales, dont ils ne présentent que de simples modifications. » (Cours de Philos. positive, III, p. 272273 et passim) Ces lois générales, dont les phénomènes de la vie ne sont que des modifications, ne peuvent être que les lois mathématiques, mécaniques, physiques et chimiques. Ce qui est dit expressément des phénomènes vitaux doit être étendu aux phénomènes sociaux, selon ce qu’enseignera A. Comte lui-même, et conséquemment aux phénomènes moraux. Et on ne voit pas que ce quid proprium de chaque classe supérieure de phénomènes puisse être autre chose qu’une certaine complexité, d’où nait une apparente indétermination et l’imprévisibilité. Mais à tous les étages de la science régnent les lois mathématiques, mécaniques et physiques, avec leur radical déterminisme. L’histoire, que ce soit celle des grands hommes, des littératures ou des civilisations, se ramène, comme chez Taine et Spencer, par la théorie du milieu, à un ensemble de lois mécani ques. Evidemment, la spontanéité humaine, avec son libre jeu, n’y trouve plus de place.

En outre, selon cette idée que la science initiale, la plus simple, est le type duquel les autres doivent travailler à se rapprocher, il y a tendance constante chez les positivistes à faire rétrograder, à faire descendre de quelques degrés toutes les manifestations de la nature ou de l’homme. De même qu’on ramène la qualité à la quantité, la vie au mécanisme, on prétend expliquer la pensée par le cerveau, la volonté par une nécessité vitale, l’activité de l'âme jusque dans ses manifestations les plus hautes par des besoins organiques, le génie par la folie, la religion parle fétichisme, les états mystiques par des désordres morbides. C’est une sorte de conspiration, consciente ou non, qui va au rabaissement constant de l’humanité.

Dans les sciences historiques, juridiques, sociales, théologiques, on remplace la discussion, l’interprétation, la philosophie des faits par des travaux de

« dépouillement », des statistiques, des collations de

textes. Sous prétexted’objectivité, on sert au lecteur le fait brut, massif, en oubliant qu’il y a dans le fait une valeur, un sens. On déverse des matériaux au lieu de construire un édifice. On fait travail de manœuvre et non d’architecte. Il arrive que le livre qu’on offre au public reste à faire.

Amoindrissement et négation de la Morale. — La morale positiviste garde une partie des mots et des formules de la morale traditionnelle. Elle parle de droit, de devoir, de renoncement à l'égoïsme, de vie pour autrui. Mais qu’y a-t-il sous ces mots et ces formules ? Quel en est le soutien ? Pourquoi devonsnous donner la prépondérance aux tendances affectives sur les tendances intellectuelles ? Pourquoi devons-nous nous renoncer à nous-mêmes afin de vivre pour autrui ? Pourquoi devons-nous sacrifier l’intérêt personnel à l’intérêt social, au bien de l’humanité? On ne voit à tout cela aucune raison solide. Régler ses instincts est une nécessité biologique, vivre pour autrui est une nécessité sociale. Mais nécessité ne dit pas obligation. Qui nous oblige à faire violence à notre nature, à nous sacrifier pour la société?

A. Comte avoue que, dans notre nature, les instincts égoïstes l’emportent sur les instincts sympathiques. Mais si cette prédominance est une loi de notre organisme, pourquoi la combattre ? Il est vraiment étrange que, si nos devoirs sont des nécessités biologiques ou organiques, il puisse y avoir un devoir à se mettre en opposition avec les données de l’organisme. Les positivistes (ici A. Comte fait exception) aiment à s'élever contre l’ascétisme chrétien en général et le célibat religieux en particulier, au nom des nécessités physiologiques. Pourquoi et de quel droit prêcher le renoncement aux instincts égoïstes qui ont leur raison dans la physiologie ? Les spiritualistes peuvent parler de lutte à soutenir par les facultés raisonnables et supérieures contre l’excès des tendances irrationnelles et inférieures, parce que précisément ils admettent et prouvent qu’il y a dos facultés supérieures et des facultés inférieures, que ces diverses facultés composant un certain ordre que nous recevons tout constitué de par Dieu, et dont nous n’avons pas la propriété, il ne nous est pas loisible de le changer. La doctrine positiviste ne fournit aucun fondement à la hiérarchie des facultés, et comme, par ailleurs, elle écarte la notion d’absolu, de Dieu, on ne voit pas pourquoi cet ordre s’imposerait à nous.

Ce qui fait illusion, c’est que, dans nos sociétés civilisées, nous vivons d’une morale naturelle à la fois spontanée et reçue, d’une morale chrétienne qui 49

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a passé dans les mœurs. C’est selon cette double donbée morale que nous interprétons les principes posiivistes. Mais par eux-mêmes ces préceptes sont dépourvus de toute base, de toute ellicacité, de toute sanction. Dans le grand classeur positiviste, les étiquettes restent ; les fiches sont vides.

Nombre de positivistes indépendants en appellent à la morale de la Solidarité : solidarité est un mot d’une allure plus scientifique que celui d’altruisme. Mais du fait que nous dépendons les uns des autres, que les vivants dépendent des morts, que les générations futures dépendent des générations présentes, comment, dans la doctrine positiviste, passer au principe que nous devons régler notre conduite de façon à faire servir cette interdépendance au bien d’autrui et des générations à venir, et non la tirer à notre profit ? Nous sommes tous liés à une chaîne. Chacun peut-il tirer à soi ou doit-il céder à autrui ? Qui décidera ? Ce ne sera pas le positivisme avec ses lois d’ordre mécanique. Tous les programmes de morale positiviste sont des programmes de gens qui vivent de mots reçus. Mots vides et stériles : toute morale positive étant logiquement, selon le terme au moins sincère employé par l’un d’eux (Jban Marir Guyau, i 85^- 1 888), une morale sans obligation ni sanction.

C’est encore l’esprit positiviste qui a amené à remplacer la morale par la Science des-mœurs. La science n’a d’autre fonction que de connaître ce qui est. Elle tend à la découverte des lois, mais ces lois ne sont que les relations constantes qui existent entre les phénomènes. Ainsi est bien, c’est-à-dire est en conformité avec notre nature, ce qui se fait communément à un moment de l’histoire et en une portion de l’espace. Les conditions physiques et sociales commandent notre conduite et en font la moralité. (L. Liîvy-Bruhl, La Morale et la Science des Mœurs. Paris, 1903. Cf. Etudes, ao mars 1904, p. 837-840) Même inspiration chez Emile Durkhbim (18.S8-1917). La « physique sociale » d’Auguste Comte commande toute la morale sociologique. (Voir Année sociologique et Espinas, Des sociétés animales, a* édition, Paris, 1878.) Le social absorbe la morale. Au commencement était le social et le social est tout le moral. Tout ce qui est obligatoire est d’origine sociale, ce qui veut dire que le devoir est un produit social, un produit humain.

Le qualificatif dont on aime surtout à décorer la morale positiviste est celui de morale indépendante. Terme d’un son étrange, dans une doctrine qui proclame précisément la dépendance mutuelle de toutes les sciences, et en particulier la dépendance de la morale à l'égard de la biologie ou de la physique sociale. Mais sans doute, on veut faire entendre par là que la morale nouvelle sera soustraite à toute notion métaphysique, à l’idée de Dieu. On accepte que la morale nous soit dictée par des instincts que nous avons communs avec les animaux, pourvu qu’elle ne soit pas dictée par Dieu. Nous touchons ici au vice radical du positivisme.

Doctrine areligieuse. — Le caractère propre du positivisme, son essence, est, nous l’avons vu, d'écarter du champ de la recherche toute notion de substance et de cause, comme inaccessible, inconnaissable, invérifiable, puis de construire tout le savoir humain sans tenir compte de ces notions de substance et de cause, bien plus, comme si elles ne répondaient à aucune réalité. Le positivisme se présente ainsi comme une immense entreprise d’organiser le savoir, et ce qui en dépend, la vie individuelle, la vie domestique, la vie sociale, en dehors de toute donnée spirituelle, conséquemment en dehors de toute idée religieuse, en dehors de l’idée de Dieu. C’est une entreprise de laïcisation, mot bar bare dont la fortune répondau succèsdu positivisme.

Ce sera l’irréligion non point toujours agressive,

elle le sera chez les matérialistes déclarés, et même chez les positivistes à certaines heures d’effervescence ou d’appréhension, témoin nombre de discours prononcés ou d’articles écrits en 190a pour l’inauguration de la statue d’Auguste Comte, à Paris, — mais l’irréligion par omission, par prétérition, avec, facilement, une nuance de dédain à l'égard d’une période théologique qu’on a dépassée, de besoins mystiques qu’on laisse aux faibles. Ainsi le positivisme se résout en un athéisme pratique. Eliminant Dieu des préoccupations humaines, il laisse vide dans la vie toute la place qui revient à Dieu ; en même temps, il la coupe de toute communication avec Dieu au point de départ et au point d’arrivée. Désert sans issue, sans lointain horizon ; plutôt basse-fosse.

Une des formules les plus populaires du positivisme moderne s’exprime en ces mots par lesquels Protagoras commençait le livre qui le fît chasser d’Athènes : « Quant au dieux, j’ignore s’ils sont ou ne sont pas. » (E. db Roberty, La Philosophie du siècle. p. a5)

Sans doute, cédant à un invincible instinct, l’homme, au moment même où il écarte Dieu, cherche à se refaire une religion et un culte. Pour beaucoup de positivistes indépendants, la divinité, ce sera la Science, ou la Raison, ou le Progrès, ou la Nature. Les positivistes orthodoxes, surtout les disciples d’Auguste Comte, remplaceront Dieu par l’Humanité, soit qu’ils se contentent d’un vague idéal de solidarité, soit qu’ils adoptent le credo du maître et ses pratiques rituelles. Mais alors on arrive à cette conception étrange d’une religion sans Dieu, c’est-à-dire sans principe dernier et suprême. A l’Etre transcendant, on substitue une création de l’esprit, une abstraction qu’on érige en personne. Ainsi dans cette religion, il n’y a point d’adoration, rien de l’hommage de totale soumission dû à l’Etre premier et créateur. A réaliser cette divinité abstraite, Humanité, Science, Progrès, chacun travaille pour sa part. Le Dieu des positivistes, si Dieu il y a, est dans un perpétuel devenir, et c’est la tâche de chaque homme d’en réaliser un degré.

Conséquemment, dans le positivisme, rien non plus de cette vie religieuse intime par laquelle nous nous efforçons de nous unir au principe même des choses, de cette vie qui approfondit et qui élargit l'âme du croyant, qui, chez les saints et les mystiques, l’ouvre déjà comme jusqu'à l’infini. On trouvera peut-être des élans de philanthropie et d’altruisme, une ardeur vers le Progrès ou la Science, dignes d'éloge. Mais cette activité restera captive en de certaines limites, que l’homme obéissant à sa vraie nature sent, au moins parfois, la possibilité et le besoin de franchir.

Totalement encore le positivisme s’oppose au catholicisme. Les notions de chute, de rédemption, de relèvement et de persévérance par la grâce, d’expiation et d’intercession, ne trouvent aucun point d’appui dans son naturisme et son rationalisme. Des catholiques ont été frappés par des ressemblances entre certaines assertions positivistes ( « vivre pour autrui », «. l’amour pour base »)etla doctrine catholique, entre les rites positivistes (prières, commémoraisons, sacrements) et les pratiques catholiques. Il est permis d’en tirer un argument ad hominem, une indication ou une confirmation en faveur de notre foi. On peut montrer que le positivisme, qui prétend remplacer le catholicisme, n’a le plus souvent trouvé rien de mieux que de s’en inspirer ou de le démarquer. Longue aussi est la série des hommages rendus par Auguste Comte à la grandeur et à la sagesse des institutions catholiques : 61

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« L'économie générale du système catholique au

moyen âge forme jusqu’ici le chef-d'œuvre politique de la sagesse humaine. » (Philos, pos., V, 231 [5 « édit. a61]). « Celte admirahle modification de l’organisme social a développé jusque dans les derniers rangs des populations un profond sentiment de dignité et d'élévation jusqu’alors presque inconnu. La soumission a pu alors cesser d'être servile et la remontrance d'être hostile. » (Ibid., 238 [270]) « Le principe électif (a trouvé) une plénitude d’extension jusqu’alors entièrement inconnue… Les institutions monastiques (devinrent) l’apprentissage permanent de la classe spéculative, dont les membres les plus actifs venaient souvent retremper ainsi l'énergie et la pureté de leur caractère, trop susceptible d’altération par les contacts temporels journaliers… La puissante éducation spéciale du clergé devait rendre le génie ecclésiastique habituellement supérieur à tout autre, non seulement en lumière de tout genre, mais au moins autant, en aptitude politique. » (Ibid., V, 244-a/j8 [276-279])

« L’infaillibilité papale, si amèrement reprochée au

catholicisme, constituait, à vrai dire, un très grand progrès intellectuel et social (contre l’abus de l’inspiration directe), outre son évidente nécessité pour l’ensemble du régime théologique, où, selon la judicieuse théorie de de Maistre, elle ne formait réellement que la condition religieuse de la juridiction finale. » (Ibid., V, 250 [282])

« La belle institution de la confession, puissante

pour purifier par l’aveu et rectifier par le repentir, était indispensable au gouvernement spirituel, sans laquelle il ne pourrait suffisamment remplir son office (éducateur). » (Ibid., V, 263 [299])— Cf.GRUBBH, Auguste Comte. Sa vie. Sa doctrine, p. 134-140. Le calendrier positiviste met parmi les grands hommes S. Paul, la plupart des Pères de l’Eglise, S. Ignace, S. François Xavier, Bourclaloue.

Mais l’apologiste, en rapportant ces déclarations, et d’autres, comme des aveux arrachés à un incroyant par la connaissance de l’histoire et le sens des besoins de la nature humaine, ne doit pas oublier qu’Auguste Comte présente ces institutions de l'époque théologique comme périmées et à jamais dépassées par les organisations de l'époque positiviste, qu’elles étaient destinées à préparer. Il y avait en tout cela, sans parler de « la compression intellectuelle », des éléments « puérils » que l’humanité devait rejeter à son âge adulte.

Il y a telles déclarations d’Aug. Comte dont un catholique ne saurait prendre son parti. Par exemple : « L’entière émancipation théologique (doit) constituer aujourd’hui une indispensable préparation à l'état pleinement positif. La grande conception de l’Humanité… vient éliminer irrévocablement celle de Dieu. — Le culte des positivistes ne s’adresse point, comme celui des théologistes, à un être absolu, isolé, incompréhensible. — A des dieux actifs et sympathiques, mais sans dignité et sans moralité, le monothéisme substitua une divinité tantôt inerte et impassible, tantôt impérieuse itinllexible, quoique toujours majestueuse. D’après la réalité qui caractérise le nouvel Etre Suprême, sa nature relative et modifiable nous permet une appréciation plus complète. — En célébrant dignement les mérites et les bienfaits du catholicisme, l’ensemble du culte positiviste fera nettement apprécier combien l’unité fondée sur l’amour de l’Humanité surpasse, à tous égards, celle que comportait l’amour de Dieu. — Le catholicisme ne put que poser vaguement cette immense question sociale, dont la solution, incompatible avec tout principe théologique, appartient nécessairement au positivisme. — Le monothéisme

se trouve aujourd’hui, en occident, aussi épuisé et aussi corrupteur que l'était le polythéisme quinze siècles auparavant… Les plus actifs théologistes… manquent, depuis longtemps, de bonne foi. Leur Dieu est devenu le chef nominal d’une conspiration hypocrite, désormais plus ridicule qu’odieuse, qui s’efforce de détourner le peuple de toutes les grandes améliorations sociales en lui prêchant une chimérique compensation. » (Système de Politique positive. Paris, Mathias, 1 85 1, I, p. 46, 329, 333, 341, 351 et 356, 361-362, 393-395, 397-398)

On salue l’Eglise catholique, mais comme la grande morte. On lui jette des fleurs, mnis c’est sur une tombe qu’on les jette. Nous ne pouvons nous contenter de ces hommages. Ils n’ont pas dans la bouche de Comte ce ton de superbe dédain qu’ils prendront plus tard chez beaucoup de positivistes orthodoxes ou libres. Mais nous revendiquons, forts de l’expérience des siècles sans en excepter le nôtre, l'éternelle vitalité et l'éternelle jeunesse do l’Eglise. Ajoutons que cette apologie que fait A. Comte du catholicisme, s’en tient trop, comme il devait arriver, aux formes extérieures, ne pénètre pas à l'âme qui anime l’organisme. De là, le danger, pour qui s’en contenterait, de vouloir ressusciter un catholicisme trop exclusivement politique ou organique, dépourvu de sève intérieure. Danger qui n’est pas chimérique, à voir les tentatives de quelques-uns pour chercher dans A. Comte les lois d’un ordre social chrétien ou d’un ordre social simplement humain. L’Institut d’Action française n’a-t-il pas sa chaire Auguste Comtel L’ordre politique n’est stable que s’il suppose le règne de l’ordre, de la justice et de la charité, dans l’individu. L’ordre catholique n’est qu’une vaine façade s’il n’est l’expression d’une vie religieuse intense. Or, il y a opposition irréductible entre la vie religieuse de l'âme et les données du positivisme, qu’il soit orthodoxe ou indépendant. Le crime du positivisme est d’avoir entrepris d’habituer l’humanité à se passer de Dieu. Par tous ses efforts, dans tous les ordres d’idées, il entend signifier à Dieu son congé. L’idée de Dieu est réputée démodée ou malfaisante. La science doit remplacer le catéchisme et la théologie. L’homme doit se substi tuer à Dieu. Doctrine qui s’attaque à la plus profonde essence des choses et s’inspire d’un orgueil insensé.

Bihliograpuib. — Sourcks. — — (Euvres d’Auguste Comte, particulièrement Cours de Philosophie positive (1830-18/|2), Système de Politique positive (1851-1851l), Catéchisme positiviste (1862), Appel aux conservateurs (1855), Synthèse subjective (1856) ; Auguste Comte conservateur (Extraits de son ceuvre finale), Paris, Le Soudier, 1898 ; Littré, A. Comte et la Philosophie positive, Paris, Hachette, j 863, I.a Science au point de vue philosophique, Paris, Didier, 1873 ; J. Stuart Mill, A. Comte and Posilivism, London, 1866, trad. franc, par G. Clemenceau, Paris, Baillière, 1868 ; H. Gruber, S. J., A. Comte der Begriinder des Positivismus. Sein Leben und seine l.ehre, Frieburg-im-B., Herder, 1889 ; trad. franc, par Ph. Mazoyer, Paris, Lethielleux, 1892 ; (Cet ouvrage, tout analytique, est très précieux poursuivre la pensée d’A. Comte et son développement. Nous l’avons utilisé, comme font la plupart de ceux qui ont à parler d’A. Comte. L’article Positivisme, dans la Grande Encyclopédie par Th. Ruyssen, n’est qu’un abrégé de cet ouvrage et du suivant.) H. Gruber, Der Positivismus seit Comte bis auf unsere Zeit, trad. franc. 18g3 ; E. Renan, L’Avenir de la Science, Paris, Calmann Lcvy, 1890 ; M. Berlhelot, Science et 53

POSSESSION DIABOLIQUE

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Morale, Paris, Calm.-Levy, 1897 ; Herbert Spencer, System 0/ synthetic Philosophy : Irad. franc. a3 vol. Taris, Alcan.

Critique. — H.Gruber (voir plus haut) ; Abbé de Broglie, Le Positivisme et la Science expérimentale 2 vol. Paris, Palmé, 1881 ; A. Fouillée, Le Mouvement idéaliste et la réaction contre la science positive, Paris, Alcan, 1896, l.e Mouvement positiviste et la conception sociologique du monde, 1896 ; J. Laminne, La Théorie de l'évolution, Bruxelles, Dewit, 1908 ; Mgr S. Deploige, Le conflit de la Morale et de la Sociologie, Louvain, Paris, 1911 ; M. Defourny, La Sociologie positiviste. A. Comte, Paris, Alcan, 190a ; L. Roure, A. Comte et le Positivisme, Eludes, janv. 18g3 ; Herbert Spencer, Etudes, mars, juin, août 18g5, ao déc. igo3 ; Anarchie morale et Crise sociale, Paris, Beaucbesne, 1903, cliap. Il et m ; P. Descoqs, A travers l'œuvre de M. Ch. Mtiurras, 3e édit., Paris, Beaucbesne, 1 9 1 3.

Critique i’lutôtlaudative. — L. Levy-Bruhl, /.a Philosophie d' A. Comte, Paris, Alcan, 1900 ; F. Alengry, La Sociologie chez A. Comte, Paris, Alcan, igoo ; E. Faguet, Politiques et Moralistes du xix « siècle, a* série, Paris, Soc. fr. d’Imp. 1898 ; F. Brunetière, Pour le centenaire d’A. Comte, Rev. Deux Mondes, 1" juin 1902 ; C. Maurras, l’Avenir de l’Intelligence, Paris, Fontemoing, igo5 ; de Montesquiou, Le Système politique d’Auguste Comte, Paris, Librairie nationale, 1907 ; J.-M. Paul Ritti, De la Méthode sentimentale, Paris, Libr. nation., 1904 ; G. Deherme, A. Comte et son œuvre, Paris, Giard, 1909.

Lucien Rourb.