Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Monita secreta

Bernard LOTH
Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Table analytiquep. 46-49).

MONITA SECRETA. —
I. Idée du pamphlet. —
II Origine et auteur. -
III. La fortune du pamphlet. °—
IV. Les Monita et la critique.

I Idée du pamphlet. - En août 161 ', paraissait à Cracovie un opuscule intitulé Monita privata Societatis Jcsu, avec la dale 1612 et, comme heu d’impression, un nom de ville introuvable sur la carte Sotobirga. Ce sont les célèbres Monita seen foou arcana Le titre précisait qu’un manuscrit espagnol avait été trouvé à Padoue, égare des archivée de La Compagnie, traduit en latin, envoyé à Vu puis à Cracovie, et c’est là qu’enfin on le livrait au oublie Instructions secrètes destinées aux supérieurs et initiés de l’Ordre. Encore, a ces derniers, ne devaient-elles être communiquées au’avec discrétion, non comme envoyées d aille mais comme simple expression des expériences personnelles des supérieurs. Que si elles tombaient entre des mains étrangères, on aurait toujours des Pères. mi pourraient en nie, carrément 1 authenticité et leur opposer les règles officielles et publiques.

Ces Monita comportent 16 petits eh « pitres (1 ; dans les éditions à partir de 1676), divisé* en numéros Voiei quelques titres :

I. Comment la Société doit agir quand elle mence quelque fondation. - H-Corn acauéreront et conserveront la familianli ces et personnages notables. - LU. conduira, de ceux qu, . sans être ri

ont de l’autorité dans l’Etat et peuvent rend, , services.., VI. Comment gagner les veuves VU. Comment entretenir la faveur des veuves. : de leurs biens. - Mil Comment amené fils deveu er dans la gnie, etc.

style copie celui des règles et pièces authentiques de l’inslilut, enveloppant d’onction lecyn. Ui fond. Le fond, c’est l’accaparement mcihodn 1 e , 1e La richesse et de la domination En résumé, pour wquiàaî de l’accroissement matériel de la Compa..„„. voici comment tes supérieurs procéda P Etant donné que, l’augmeutaliond. | « Société est Le commencement de l âge d or. dra lou, faire pour l’aeceutuer. 1 Nôtres fonderont des collèges seulement da Villes riches ; car le but de noire S

".^Utîonde’jésus-Christ, lequel séjournait de prilVl, ii,e a Jérusalem, et ne faisait que passer dans

, tta té 8 moindres (eh., ). Les supérieurs f «  comprendre ans personnes pieuses et riches Uèuîe nécessite où se trouvent leurs ma Quand Lia auront reçu quelque aumône, ils

tribueront ostensiblement aux indigents, ce qui fera bon effet etaltirera des biens plus considérables. Ils caclieront soigneusement l'état réel des biens de la Compagnie. Ils n’achèteront rien que sous des noms d’emprunt, afin de sauvegarder les dehors de la pauvreté.

Surtout ils s’arrangeront pour circonvenir les veuves riches. Trois chapitres (vi, vii, vin) sont consacrés à cet intéressant sujet, les plus amusants de la série. Des Pères âgés, mais d’humeur enjouée, seront députés à ce ministère délicat. Ils visiteront ces personnes ; ils leur vanteront l’ctaj. de viduité. Ils éloigneront d’elles tout ce qui leur donnerait l’idée malencontreuse de se remarier. On leur composera une domesticité de gens dévoués aux jésuites. Malades, on leur enverra quelque médecin sûr, de sorte que, en danger de mort, les Pères soient avertis… Le confesseur les amènera à multiplier les oeuvres profitables à la Compagnie. Bref, on ne les perdra pas de vue qu’on ne les ait complètement dépouillées. Ont-elIe5 des enfanls ? on les exhortera à pousser les filles au couvent, et les fils seront accaparés par la Société, et, avec les fils, l’héritage.

Après la richesse, la faveur des princes. Il faut savoir flatter leurs penchants, par exemple leur goût pervers pour les mariages à des degrés prohibés ; s’immiscer dans leurs querelles pour avoir l’honneur et l’avantage de les apaiser ; acheter leurs familiers qui renseigneront sur les humeurs et inclinations des maîtres. Au confessionnal on sera indulgent ; jamais on ne se permettra de leur fairela leçon en chaire. On saura leur recommander, pour les pousser aux charges publiques, les amis de la Société. Ce sera avancer les affaires de l’Ordre que de se faire confier des missions auprès des princes voisins et des grands monarques. Les supérieurs, le trait est à noter, mettront à la disposition des princes des casuistes relâchés. Quant aux prélats, curés, dignitaires ecclésiastiques, le moyen de les gagner, c’est de leur rendre de grands honneurs, les entourer de considération, les édifier par des exercices spirituels : on arrivera ainsi à mettre la main sur les prieurés, paroisses, bénéfices, fondations.

Bref, pour procurer le bien temporel de la Compagnie, tout est sacrifié, Dieu et les hommes, l'âme et le ciel, et tous les moyens sont bons, fraude, mensonge, (lagorneries.

L’autour avait drainé les préjugés, cancans, racontars, médisances qui peuvent courir dans une population mi-catholique, mi-protestante, comme était la Pologne. Laissant habilement de côté les grosses Calomnies, assassinat, empoisonnement, lyrannicide chers aux pamphlétaires protestants, il s’en était tenu à quelque chose de modéré, d’humain. Peu Importait que l’ensemble fût invraisemblable. Il n’y avait, dans les détails, rien qui put choquer des gens prêts à l’avance à tout accepter contre les Jésuites, à condition de ne pas dépasser certaines limites.

II. Origines et auteur. — D’où venait le texte ? Nous avons dit ce qu’a (Urine l'édition princeps : manuscrit espagnol, arrivé en Pologne par l’Italie et par Vienne, et, en roule, traduit en latin. Cette version parut trop peu intéressante à certains éditeurs. Le célèbre « gladiateur des lettres », comme on l’a appelé, Gaspard Scopp, ou Scioppius, en 1632, oubliant complètement ce que disait le texte de i G 1 4 > contait ceci :

Il y a quelques années, Christian, duc de Brunswick, soi-disant évoque d’Halbcrstadt, ayant pillé le collège des Jésuites à Paderborn, fit don de leur bibliothèque et de leurs archives aux Capucins. D’autres, sans plus s’occuper des dates, remplacèrent

Paderborn par Prague, dont le pillage par les Saxons n’est que de iG34. On parla également de Liège, de Gand, d’Anvers. On imagina que des Hollandais avaient découvert le manuscrit à bord d’un vaisseau qui faisait le commerce des Indes pour le compte des Jésuites, ou encore qu’un capitaine prussien l’avait pris aux archives jésuitiques de Glalz, ou encore qu’il venait d’une cachette pratiquée dans la cloison d’un galetas au collège d’Heidelberg. Il y a mieux : c’est de la Propagande qu’il venait, et il en parut une édition portant la rubrique : Huma, tipografie dclla Propaganda, con permissione.

L’auteur ne resta paslongtemps inconnu. Les soupçons s'égarèrent d’abord sur un calviniste. Mais un détail devait mettre sur la bonne piste, l’insistance avec laquelle étaient justifiés ceux que la Compagnie avait congédiés. Ils n’avaient été chassés que pour des motifs parfaitement honorables, et, une fois mis dehors, étaient avec acharnement poursuivis par leurs anciens confrères (eh. x, xi, xii, etc.). Une enquête ordonnée par la curie épiscopale permit de préciser, et Jérôme Zahorowski, ancien Jésuite, sorti de l’Ordre en 1613, présentement curé de Gozdziec, fut cité au tribunal de l’Inquisition. Il nia tout, déclare n’avoir aucun grief contre la Compagnie, et on la laissa tranquille.

Mais les Jésuites avaient des raisons sérieuses de maintenir leurs soupçons. Zahorowski n’en était pas à sa première aventure. On raconte que, entiché de sa noblesse, vaniteux, ayant échoué dans ses études, humilié de rester simple professeur de grammaire, pour se venger, il avait dicté à ses écoliers des lettres que ces petits ne comprenaient pas, mais pleines d’accusations graves contre son Ordre (On aimerait bien à avoir ces lettres et à les comparer au texte des M. S.). Il commit la maladresse d’en confier un paquet au recteur de Lemberg, le P. Wielewicki, le priant de les faire parvenir à leur adresse. Sans défiance, le recteur fit la commission. Mais bientôt les destinataires arrivaient au collège, demandant des explications. Le secret fut éventé. Les petits secrétaires reconnurent leur écriture, et l’indigne régent fut congédié sur l’heure (1613). C’est le P. Wielewicki lui même, qui, dans le journal de la maison professe de 1 Cracovie, nous a révélé le nom du faussaire (flisloricnm diarium domûs professas Cracoviensis Soc. Jesit, ab anno 1519 ad 1637, t. VII, X et XIV des Scripiores sérum Polonicarum, 1881-86-89).

Tout de suite, los Jésuites avaient répondu. En 1 G j 5 avaient paru les Monita Salutaria data anonymo autori, œuvre du P. Bembo. Le pamphlet avait été condamné à Cracovie par l'évoque, en attendant de l'être à Borne par l’Index (iGi(> et 1621). Tant que l’auteur vécut, les Jésuites s’abstinrent de le nommer. Mais leurs apologistes, le rude Gretzer surtout, faisaient clairement entendre qu’ils le connaissaient, (n Le renard se dissimule… 11 croit qu’on l’ignore ? Pas tant que cela ! » ) On savait les secours en argent qu’il recevait d’un certain duc, ses larges beuveries, et jusqu’au nom de sa bière favorite. Jacobi Gretseri S. I. theologi, contra famosum libellant cujus inicriptîo est Monita privata S, J., etc. libri apologetict. Opéra omnia, t. XI. Au xviii c siècle seulement, lors d’une reprise de polémiques, le nom de Zahorowski fut prononcé. Aujourd’hui, chez ceux qui veulent bien examiner l’affaire avec tant soit peu d’indépendance critique, la version de l’ancien recteur de Lemberg s’est généralement imposée

III. La fortune du pamphlet. -Zahorowski, nous dit-on, se repentit avant de mourir. Mais il n'était 31

MON ! TA SECRETA

plus en son pouvoir d’arrêter la calomnie. L'édition prlnoepi est <le 161 4< L’année même paraissait en Italie, les Avis d’nr de la très religieuse Compagnie de Jésus a Vu sage des l’uliitques et de tous lis amis Je Jésus, édites pur Théophile Eulalim, catholique de Bohême ; Plaisance, chez L’ttréla Agathandre de Vérone. L’année suivante, édition clandestine à Paris. Dans le seul XVIIe siècle, 22 éditions sont signalées. À partir de 1676, on remanie, on transpose les chapitres. Un chapitre xvu° et dernier est ajouté, où nous relevons les conseils suivants :

« S’elTorcer d'éclipser par le savoir et le bon

exemple le reste du clergé, séculier et régulier, surtout les pasteurs. Répéter que les pasteurs n’ont pas besoin de tout savoir : il leur suffit d'être lidèles à leurs obligations, car ils pourront toujours recourir à ceux de la Société… Peu à peu, prudemment et secrètement, étendre le temporel de la Société : ce serait pour l’Eglise l'âge d’or, la paix universelle. Savoir changer de politique avec les temps. Exciter des guerres pour avoir l’occasion de les apaiser et d’en être récompensé par des bénéfices et dignités ecclésiastiques. Enfin la Société, après avoir gagné la faveur et l’autorité des princes, tàthera, à défaut d’amour, d’inspirer la crainte. »

Celte seconde forme des Monita eut le même succès que la première. En 1680, le nombre de réimpressions montait à !)2. Les titres variaient : Arcanes de la Compagnie de Jésus, Anatomie de la C. de J., le Cabinet jésuitique, le machiavélisme jésuitique, Les Loups démasqués…

Le pamphlet ne rencontrait pas que des dupes. Même parmi les ennemis notoires des Jésuites, il y eut des sceptiques. Paolo Sar pi déclarait voir dans ces révélations « des choses si exorbitantes qu’il ne pouvait se décider à les croire véritables… Ce qu’il ya de certain, écrivait-il à ses amis de France, c’est qu’en Italie nous n’avons point eu de tels hommes (comme ceux que suppose le pamphlet) ». Pascal, qui était prêt à exploiter llospinianus et autres auteurs de même acabit, semble avoir ignoré l’opuscule polonais. C’est sans doute que ses fournisseurs de textes le trouvaient sans valeur. Antoine Arnauld le déclarait mensonger. Tous les Jansénistes n’eurent pas cette prudence. Au début du xviii c siècle, le Carme flamand Henri de Saint-Ignace, dans sa compilation intitulée : Tuba magna mirum spargeus sonum, ad Clementem undecimum… de necessitate, leformandi Societalem Jesu, Strasbourg. 1713, reproduisait le pamphlet. Il en rapportait, à la suite de Scioppius, la découverte au siège de Paderborn, 1622, oubliant que l'édition princeps était de 161/1. Le Jésuite Huylenburg prit la peine de le réfuter et de signaler la bévue (Gand 1513), et le Carme fut assez loyal pour supprimer les Monita dans une réédition de son livre, intitulée, celle-là : Tuha altéra majorent sonum elangens. Sur quoi les très jansénistes Nouvelles ecclésiastiques, pourtant toujours à l’affût de ce qui pourrait être désagréable aux Jésuites, rendantcomple d’une traduction française des Monita, parueen 1719, enregistrèrent le désaveu, et par surcroît, signalèrent les 1 fortes réclamations » deGretzer etde Foreras. Elles concluaient : t Cela doit suffire, pour ne pas mettre les Minuta sur le compte des Jésuites, et, si ceux qui viennent de les publier de nouveau avaient été instruits de ces faits, ils s’en seraient sans doute abstenus v.

Quand il fut question en France d’expulser les JéBUitCS, les M. S. parurent à plusieurs une arme pas trop roulllée, et en 1 — G 1, il en parut une édition nouvelle, en Latin et en français, sous la rubrique, de Paderborn, 1661. Mais ni les Parlements, ni les auteurs dts Extraits des Assertions, ne liient au

libelle l’honneur de l’exploiter. Cette abstention, à elle seule, est une condamna 1,

Au XIXe siècle, le courant continua. On peut en voir le début dans Barbier, DU tionnaire Jo o « > 1 anonyme » <t poeudoeqrmei, lequel tient les 'I. v. pour apocryphes. Le catalogue de la bibliothèque du Britith Muséum en fait autant. Inutile de fai ; dénombrement, même sommaire, (les rééditions. Signalons seulement celle que publia, au 11.

paraient les expulsions de li>80, lefranc-m Charles Sauveslre. On prétend que ce fut elle qui détermina le président Grévy à signer Us fameux déFoujours eat-il que, dès 1877, l'édition b uvelle en était au 1 i' tirage. De l'édition rougela maison Den tu vendit en un an et demi 22.000 exemplaires. Après cela, comment croire le frai : des l’illiers, moine défroqué, qui se crut en obligé de donner la sienne, vii, disait-il, qu’il avait déniai ! dé les Monita à plus de 300 libraires pouvoir en trouver un exemplaire ? Pendant longtemps, l’Espagne semble avoir ignoré le pamphlet polonais. En 1901, l’oubli était réparé, et l'édition de Barcelone en étail à son 6* mille.

IV. Les Moaita et la Critique. — Les réfutations n’ont pas manqué dès le début. Nous en avons signalé quelques-unes. Dans la suite, de loin en loin, comme pour empêcher le mensonge de prescrire contre la vérité, il en parut encore de temps à autre. Les meilleures sont celles des PP. Duhr, Van Aker Bernard.

Naturellement elles ont été sans eflel sur certains esprits, toujours prêts à dire avec Cli. Sauve

« Les Jésuites nient, donc c’est vrai. » Ou bien avec

certain pasteur Groeber, quand on déclarait invraisemblable pareil code : « Ces canailleries-ià ? Mais précisément, c’est tout à fait jésuite » (1 cité par P. Bernard).

Quant aux historiens qui se piquent de critique, il n’y en a pas beaucoup à admettre purement il simplement l’authenticité du pamphlet. On cite des érudits de second ordre : Græse dans son fit %or des livres rares, Gachard, dans ses Analecta Ht.. d’autres encore peut-être. Parmi ceux qui prennent nettement parti en sens inverse, on trouve des auteurs d’une bien autre notoriété, Gieseler, Hubert, Tschackert, Reuscb, Paulus. Nippold, tous protestants, et les deux vieux-catholiques, Doellinger et Friedrich (Janus). Et Uarnack : < 11 est lamentable qu’on ait exploité contre la Compagnie de Jésufaux comme les Monita Sécréta, Veillons à nous garder, nousprotestants.de faux témoignages contre le prochain. » (fftewfog. I.ttleralitr /> il p. 122).

Parmi les historiens français dont nul ne contestera l’autorité, citons Gabriel Monod.dans son introduction aux Jésuites de l’Allemand llueuuier (Paris, H)io) :

« U suffit d’ouvrir leslfoniteet de les lire sans

vention pour s’apercevoir toutdesuite qu’ils sont, non un recueil de préceptes à l’usage des Jésuites, mais une satire des défauts et des vices qu’on pouvait leur reprocher… Tout en admettant que.les Jésuites aient pu commettre des actes blâmables recommandes parles Monita, ces recommandation-sont en contradiction absolue avec toutes les Instructions données par les congrégations générales et par les gén< de l’Ordre. Bn particulier, l’Instructiopra confeu prineipum, donnée par Aquav iva en 160.1. après la 5° Congrégation générale, prescrit très strictement

aux confesseurs de se tenir à l'écart des affaires politiques etde ne recevoir aucune faveur et aucun don. Que ces prescriptions aient toujours é ; c obseï

c’est une autre affaire, et qu’il serait bien osé d’affirmer. Mais est-il admissible qu’Aquaviva (à qui l’on attribue ces Monita), ou tout autre général, ait pu recommander en secret par des instructions écrites, ce qu’il réprouvait ouvertement ? » (p. lxiv).

N’oublions pas ici qu'à la suppression des Jésuites, leurs papiers les plus intimes ont été saisis et fouillés avec passion par des ennemis avides d’y trouver de quoi justifier leurs accusations, surtout contre le gouvernement de l’Ordre. Leurs efforts ontété vains, et ceux qui depuis ont repris la même besogne dans les archives et bibliothèques publiques, n’ont pas mieux réussi. C’est l’observation que faisait l’auteur de l’article Jesuits dans YEncrclopædia Britannica (dernière édition), le D' R. F. Littledale :

« Les règles officielles et les Constitutions de l’Ordre sont en contradiction patente avec ces soi-disant

instructions ; car elles prohibent expressément d’accepter les dignités ecclésiastiques, sauf ordre exprès du pape, et, dès le temps du fondateur, Ignace, on sait quels obstacles la Société a mis à de telles promotions. Puis, en bien des cas, des instructions authentiques secrètes, provenant du général, et adressées aux supérieurs subalternes, sont tombées entre des mains hostiles. En bien des cas, elles donnaient des directions directement contraires à celles-là (celles des Monita). Dans aucun cas elles ne les corroborent. » (Tout ce passage a été remanié dans l'édition de 191 1 par le R. E. L. Taunton, qui qualifie le pamphlet a bold caricature of jesuit methods.)

Mais, tout en abandonnant ainsi à son mauvais sort le texte lui-même, ne peut-on en sauver quelque chose ? Ce même R d Littledale, qui le traite de faux, ajoute pourtant qu’il est substantiellement vrai. Ce n’est qu’une fiction, mais qui donne la forme de préceptes à des actes réels et aux principes qui les ont inspirés. Un autre Anglais, M. J. A. Symonds, confessait « qu’il était difficile de se prononcer sur ce code ésotérique ». Mais qu’a-t-on besoin d’un texte écrit ? demande-t-il. La politique des Jésuites n’a pas besoin d'être codifiée. « Mieux qu’un code, c’est une fonction biologique… Le feu quintessentiel, qui a soufflé un Eouflle de vie dans l'édifice des jésuites pendant deux siècles d’activité organique, était bien trop vivant et trop spirituel pour être condensé sur du papier. Un Paolo Sarpi pouvait s’expliquer cette absence de code-Mais le public grossièrement ignorant des lois évolutives dans la fonction des organismes sociaux ne pouvait arriver à comprendre que ce code n’existât pas. Des aventuriers fournirent l’objet demandé. Nous pouvons regarder les Monita sécréta des Jésuites comme un document forgé ex post-facta.t (Cité dans The Month, 181j3, p. 52). » Cette façon de prendre les choses est assez répandue (Seignobos, Revue des Cours et Conférences, 1901-1969 t. II, p. 458. A. Vollel dans la Grande Encyclopédie [critique dans Bernard, p. 32], PbUippson, la Contre-Révolution religieuse au xvi c siècle, p. 1 33).

M. G. Monod a essayé de ramener cette exégèse à des Ici mes à peu près acceptables. Les M. S., selon lui, ne sont certain* nient pas un recueil de préceptes à l’usage des Jésuites, mais « une satire des défauts et des vices qu’on pouvait leur ieprocher ; plus exactement, qu’un cerlain public, assez peu scrupuleux sur les devoirs de justice et la charité, leur reprochait. Celait la peinture » des moyens qu’ils étaient censés employer pour accaparer linflucnce et la richesse ». C'était un résumé de tout ce qui a^ait pu être allégué contre certains d’enlre eux, même par des pape* (?), des évêques, voire par des généraux de l’Ordre. Dans tel passage, M. Monod voit une exagération « ou plutôt une caricature » d’articles authentiques des Constitutions Bref, s’ils ont quelque valeur documentaire, c’est la valeur que peut avoir une satire caricaturale et de mauvaise foi. La mauvaise foi qui généralise les fautes individuelles — vraies ou fausses ; qui, de l’erreur d’un seul ou de quelques-uns, fait l’erreur de tous, et, d’un manquement occasionnel un manquement systématique, résultat d’une politique raisonnée ; qui, ne se résignant p&s à expliquer le succès d’une société jalousée, par l’emploi des moyen honnêtes, invente des intentions et des procédés inavouables Cela est de tous les temps, et l’Eglise elle même a été la victime de ces interprétations calomnieuses ; mais, à l’intérieur de l’Eglise, aucune société n’y a eu part plus large que la Compagnie de Jésus,

Voir Paul Bernard, les Instructions secrètes des Jésuites, cîans la Collection Science et Religion, 1903 ; — A. Brou, Les Jésuites de la Légende, Paris, 1906, T. I, p. 273-301 ; — P. Duhr, Jesuiten Fabeln, Fribourg, 1891, p. 45-66 ; - Van Aken, La Fable des M. S., Bruxelles, 1882, etc.

Alexandre Brou, S. J.