Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Marie, Mère de Dieu (II. Patristique)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

II. — MARIE DANS L’ANCIEXNE TRADITION PATRISTIQUE

A l’heure où se clôt la révélation du N. T..l’Eglise est en possession de documents écrits et detradilions vivantes louchant la Vierge mère. Ces documents et ces traditions se transmettront d’âge en âge, et, sous l’assistance de l’Esprit saint, leur interprétation acquerra plus de précision ; les conclusions légitimes qui s’en dégagent acquerront plus de fermeté. Tel est l’enseignement de l’Eglise.

A rencontre despréjugés qui attaquent la dévotion catholique à Marie comme le produit fantaisiste d’un christianisme sénile, il est possible démontrer, dans les prérogatives aujourd’hui reconnues à Marie, le développement légitime des données primities déj)0sccs au cœur du peuple chrétien.

A cet elTet, nous interrogerons, selon l’ordre des temps, les plus anciens monuments de la foi et de la piété clirétienne ; non pas, certes, avec la pensée d’y retrouver toutes nos croyances déjà formées ; mais bien avec l’espoir de faire toucher du doigt l’identité substantielle, depuis l’origine, de la foi catholique en ce qui concerne.Marie, et de justilierau regard des esprits non prévenus la loi de son développement. D’autres pourront conduirccette démonstration jusqu’au terme ; qu’il nous suffise de l’amorcer.

Parmi les monuments de la tradition, les plus vénérables sans contredit sont ceux que l’autoriléde l’Eglise a consacrés comme règle ollicielle de la croyance ou du culte : ceux-là nous font entendre réellement la voix de l’Eglise hiérarchique. Puis vient l’enseignement des grands évêques et des docteurs. Enlin, à côté mais au-dessous des écrits datés et signés, que recommande le caractère ou le nom de leurs auteurs, il n’est pas inutile de recueillir les textes apocryphes ou anonymes, soit historiques soit simplement légendaires, dont quelques-uns ont exercé une influence considérable, comme véhicules de la croyance populaire : c’est le cas, par exemple, du Protévangile de Jacques.

A des degrés divers, tous ces documents nous aident à lire dans la conscience de l’Eglise.

1" Tradition anténicéenno

Il convient de faire une place à part, et la première de toutes, au symbole baptismal de l’Eglise romaine, pièce catéchétique singulièrement vénérable, préservée, par sa nature même, des entraînements de l’improvisation et des actualités de la polémique ; on peut être sûr de n’y trouver que la foi aulhenlique, éprouvée, de cette Eglise et des Eglises qui recouraient habituellement à son magistère, c’est-à-dire de toutes les Eglises d’Occident.

Les témoignages concordants de Tcrtullibn (De præscriptione liæreticorum, xiii ; De yirginibus velundis, I ; Adi-. Praxean, 11) et de saint Irknke (Contra hæreses 1, x, 1 ; ni, iv, 2) nous le montrent fixé dès avant la Un du ii* siècle, et permettent d’en ressaisir la teneur. Au nombre des articles essentiels de la foi chrétienne, que tout catéchumène devait professer, figure celui-ci : Jésus-Christ né de la Vierge Marie. Cecjui se passait à Rome en l’an 200, a dû s’y passer en l’an 150 ; nous en avons pour garant saint Jlsti.n, qui n’a pas été amené par les sujets

qu’il traitait à réciter exactement le symbole baptismal, mais qui à maintes reprises rend témoignage de la même foi dans les mêmes termes (notamment I Apol.. XXII, XXXI, XXXII. xxxiii, xlvi, lxiii ; Dial. cum Tryphone Judæo, xxiii, XLiii, XLv, XLViii, l,

LVII, LXIII, LXVI, LXXV, LXXXV, LXXXVIl, C, CI, CV, CXIII,

cxxviii). Pas plus à la date de 150 qu’à la date de 200, cette alliriuation ne présente aucun caractère de nouveauté ; elle était entrée dans les habitudes du langage et de la pensée chrétienne en Occident. Et nous constaterons bientôt qu’à cet égard l’Occident ne différait pas de l’Orient. Il n’y aurait aucune invraisemblance à dater du i" siècle de notre ère le symbole baptismal romain, avec tous ses traits caractéristiques.

On trouvera dans l’Enchiridion de Denzinger-Bannwaut les variantes principales de ce symbole, tel que les citations des Pères nous le révèlent.

Donc, aussi loin que nous pouvons remonter dans l’histoire de l’Eglise mère et maîtresse, nous voyons que les candidats au baptême étaient interrogés au bord de la piscine sacramentelle : « Croyez-vous en Jésus Christ né de la Vierge Marie ? » Sur leur réponse affirmative, ils étaient marqués du signe du chrétien.

Après ce témoignage olUciel et public, recueillons les témoignages privés.

Saint Ignace d’Antiochb (-j- martyr, 107), évêque de la métropole de Syrie qui, selon la tradition, fut le premier siège de l’apôtre saint Pierre, écrit :

Ad Ei’liesins, VII, 2 : Il n’y a qu’un soûl médocin, chair et esprit, né dans le temps et antérieur au temps. Dieu inc. irnc, vraie vie dans la mort, né de Marie et de L)ieu, d abord passible et puis impassible,.lésus Christ Notre .Scifjneur. — xvui, a : Notre Dieu.lésus Clirist a été porté dans le sein de Marie, selon le plan divin, issu du sang de David et de l’Esprit saiiu… —, ix, i : Le prince de co monde ignora la virf^inité de Marie et son enfantement et la mort du Soigneur : trois mystères retentissants, accomplis dans le silence de Dieu.

Ad Tral’îaniis, ix. 1 : Fermez donc l’oreille aux discours de ceux qui vous parlent sans confesser Jésus Christ descendant de David et lils de Marie…

Ad Smyrnæoi, 1, i : Vous croyez fermement on Notre Seigneur, vraiment descendant de David selon la chair, vraiment né de la’x’ierge…

D’après ces affirmations réitérées, Jésus Christ, Fils de Dieu, est aussi en rigueur lils de David, parce que fils de la Vierge. Or saint Ignace nous a transrais l’écho direct de la prédication des apôtres, très particulièrement de l’apôtre saint Jean. Nous n’avons pas craint, pour répondre à ceux qui s’étonnent du silence de saint Jean sur l’enfance du Seigneur, de faire refluer jusqu’à lui le témoignage d’Ignace ; des textes comme ceux qu’on vient de lire nous en donnent sûrement le droit.

Avant le milieu du ii" siècle, l’apologiste athénien Akistiob présentait à l’empereur Antonin le Pieux son libelle, où nous lisons que le Fils du Dieu Très haut, par la vertu de l’Esprit saint, descendit du ciel et s’incarna dans le sein d’une fille des Hébreux, en respectant sa virginité. La rédaction grecque, conservée dans la Vie de Barlaam et Joasaph, P. G., XCVI, lui B, peut paj^aitre suspecte de retouche postérieure, à raison même de sa précision : ’tx r.v.^’iif.j K-/(a ; /i’yr.’iùi àjno’^-j ; t£ x<ti àpWpu ; Q’j.py.y. ài>é)yCt. Mais qu’on se réfère à la version syriaque, éditée par J. R. Harris et J… RoBiNsoN, Cambridge, 1891, c. XV, on constatera son accord substantiel avec le grec.

Saint Justin ({- 167, à Rome), parlant à.antonin le Pieux, I Apol., xxxiii, P. G., VI, 381, s’exprime ainsi sur la conception virginale : 157

MARIE, MERE DE DIEU

158

Ecoutez maintenant comment Isaï© a prédit en proj)res termes que le Christ naîtrait d’une vierge. Il s’exprime ainsi : (i’oici ([uo la vierge c^incevra et eulnntera un lils, et on 1 a|ipellera ; Dieu avec nous.. » Co >|uip, issait pour incroyable et impossible parmi les hommes, Dieu l’a prédit par l’Esprit propliétique, avant l’événement, alin que l’événement ne parut pas incroyable, mais.l’ut cru à cause de la prédiction. Mais peut-être quelques-uns, faute de comprendre la propliétie qu’onleur signale, nous reprocheraient ce que nous-mêmes avons reproché aux [joetes, qui parlent du commerce ciiarnel de Zeus avec des femmes. -Nous nous efforcerons donc d’éclaircir ces paroles. {( La vierge concevra j), c’est-à-dire non pas qu’elle concevra par un commerce charnel, car en ayant commerce avec quelqu’un elle cesserait d’être vierge ; mais la vertu de Dieu, venantsur la vierge, Iacourit de son ombre et la rendit enceinte sans jiréjudice de sa virginité. ..

Nous venons d’entendre Justin parler à l’empereur. Ecoulons-le maintenant parler aux Juifs, en les pressant au nom des Ecritures juives. Dialogus cuiii Tryphone ludæo, xlviii, P. G., 580 :

Je sais que mon langage est déconcertant, surtout pour les hommes de votre race : jamais vous a avez voulu com[irendre ni accomplir les enseignements di.ins, vous préférez vous en tenir à ceu.v de vos maîtres, comme Dieu même le dit assez haut (/.v., xix, 13). Néanmoins. Tryphon, il demeura établi que Jésus est le Christ de Dieu, quand mémo je ne réussirais pas ; i prouver que. Fils du Créateur de l’univers, il préexistait comme Dieu et naquit homme delà vierge. Oui, tout concourt a prouver qu’il est le Christ de Dieu, quoi qu’il faille d’ailleurs penser de sa personne. Des lors, si je ne réussis pas a prouver qu’il préexistait et consentit à naître homme passible comme nous, dans la chair, selon la volonté du Père, vous aurez bien le droit de me prendre en défaut sur ce seul point ; mais non de nier qu’il est le Christ, s’il paraît homme, né de parents humains, et si le choix fait de lui comme Chnst est prouvé. De fait, mes amis, il y ades hommes de votre race qui le reconnaissent comme Christ, mais le déclarent homme, né de parents humains : je me garderais de les suivre. quand même je m’y verrais invité par beaucoup de mes anciens coreligionnaires : car cène sont pas des enseignements humains que le Christ a proposés à notre croyance, mais les enseignements transmis par les prophètes et ! ip[)0rtés par lui -même.

Ici, enregistrons une conquête notable de la critiiine textuelle. Jusqu’à ces derniers temps, tous les éditeurs ont fait dire à saint Justin : « Quelques-uns des nôtres (rtviç « Tri zoù r, iJ.iripo-jyémji), ea reconnaissant Jésus pour le Christ le tiennent néanmoins pour un homme né de parents humains. » Et ils s’évertuaient à expliquer comment Justin a pu donner le nom de chrétiens à des hommes qui niaient la conception virginale du Christ. (Voir en particulier la note de Dom Maran, /-*. g.. VI, 581.) Cependant GeorgeBuLL et autres avaient suggéré qu’il faut lire : n/i ; àr.o roù ùixizipo’j -/i-jo-ji, et que Justin a en vue non des chrétiens, mais des juifs. La controverse est aujourd’hui tranchée par l’inspection du manuscrit d’.rétlias (Bihliotlièque Nationale, fonds grec, no 450), d’oi’i procède toute la tradition manuscrite du dialogue avec Tryphon. Il faut lire : z-.ii ifinipo-j -/i-j-ij : ,. Donc Justin ne témoigne pas connaître des chrétiens qui nient la conception virginale du Christ ; il témoigne au contraire connaître des juifs i|ui reconnaissent Jésus pour le Messie, mais reculent devant la croyance à la conception virginale. L’honneur de cette découverteappartient à H.vnN.vcK. Voir Lehrbuch der DogmeiiJ eficli ichte’t. I, ]i. 310, Tiibingen, 1909. Le résultat en est fort appréciable, puisqu’elle fait disparaître du champ de l’histoire ecclésiastique de prétendus judéochrétiens opposés à la conception virginale, au temps de saint Justin.

Que les païens et les juifs se soient rencontrés dans la négation de la conception miraculeuse, la chose va de soi. Mais il importe davantage de constater que cette négationnese rencontre pas avant le milieu

du II’siècle dans les sectes réputées chrétiennes, l’ius tard seulement, elle gagnera certains ébionites, qui néanmoins prétendront au nom de chrétiens. Voir EusÉcE, ]I.E. lll.xxvii ; saint Epiphane, Huer., xxx. Mais rien n’est moins démontrable que le lien de ces sectaires avec la tradition des Apôtres ; pas plus que les anciens disciples de Cérinthe et de Carpocrate, ils ne possédaient l’héritage chrétien. La croyance à la conception virginale appartient au fond le plus authentique du christianisme, n’en déplaise auxmythologues de nos jours, qui se flattent d’expliquer par un emprunt au panthéon grec l’origine de la doctrine chrétienne touchant la naissance du Fils de Dieu.

Ailleurs, Justin appuie encore sa croyance sur l’oracle d’Isaïe relatif à l’Emmanuel, et oppose Marie à Eve ; Dial, cum Tryphone, Lxxxiv, P. G VI, 673 :

C’est encore du Christ qu’avait été prédit : « Voici qu’une vierge concevra et enfantera un lils. » Car si ce n’était pas d’une vieige que devait naître l’entant annoncé par Isaie, au sujet duc|uel l’Esprit saint s’est écrié : « Voici que le Seigneur lui même vous donnera un signe : une vierge concevra et enfantera un fils » ; si, comme tous les autres premiers-nés, il devait naitre d’un commerce charnel, où serait le signe, non commun à tous les premiers-nés, annoncé par Dieu.’Mais il fallait un vrai signe, capable de garantir la croyance du genre humain : c’était l’apparition, d.-ins un sein virginal, du l’remier-né de loulos créatures, fait vraiment petit enfant : voilà le signe prévu par l’Esprit prophétique et prédit, comme je vous l’ai exposé, en diverses manières, afin qu’au jour de l’événeinent on reconnût la puissance et la sagesse du Créateur do toutes choses : ainsi Eve naquit-elle d’une cote d’Adam ; ainsi tous les animaux furent-ils créés, au commencement, par la parole de Dieu. Mais ici encore, vous osez redresser les interprétations données parles interprètes vos |)eres sous l’œil de Ptolémée roi d Egypte ; vous dites que l’Ecriture n’est pas conforme à leur interprétation, mais porte : Voici que la jeune femme (yi’jHi) concevra ; comme si c’était un grand signe qu’une femme enfanl.-ît après avoir connu un époux, ce qui est le cas de toutes les jeunes femmes, à l’exception de celles qui sont stériles et que Dieu peut, à son gré, rendre fécondes…

Dial. cum Tryphone ludæo, c, P. G., VI, 709-512 :

(Le ( ; hrist)nous a dévoilé tout ce que, par sa grâce, nous avons découvert dans les Ecritures, le tenant pour premier-né de Dieu avant toutes les créatures et hls des patriarches, puisque, inc ; irné par le moyen d’une vierge de leur race, il a consenti à devenir homme sans beauté, sans gloire, exposé à la souffrance. Aussi dans les paroles qu’il j)rononça lorsqu il s’entretenait de sa passion à venir, on voit qu’il fallait que le Fils de l’homme soullrît beaucoup, qu il fut rejeté par les Pharisiens et les Scribes, qu’il fut mis en croix et ressuscitât le troisième jour. Donc il s’appelait Fils de rinunnio, soit parce qu’il était né d’une vierge, issue, comme je l’ai dit, de David, de Jacob, d’Isaac et d’Abraham, soit parce qu’Adam lui-même est le père des personnages énumérés comme ancêtres de Marie : car ceux qui ont engendré des femmes sont, vous le savez, appelés pères des enfants nés de leurs iilles…

Nous comprenons qu’il s’est fait homme par le moyeu de la vierge, afin que la désobéissance provoquée par le serpent prit fin, piir la même voie par où elle avait commencé. En effet. Eve, vierge et intacte, ayant con< ; u la parole du serpent, enfanta la désobéissance et la mort ; la vierge Marie, ayant conçu foi et joie, quand l’ange Gabriel lui annonça que l’Esprit du Seigneur viendrait -sur elle et que la vertu du Très-Haut la couvrirait de son ombre, en sorte que ri’]tre saint né d’elle serait Fils de Dieu, répondit :

« Ou’il me soit fait selon votre parole. » Il est donc né d’elle, 

celui dt » nt parlent tant d’Ecritures, comme nous l’avons montré ; par lui. Dieu ruine l’empire du serpent et de ceux, anges ou hommes, qui lui sont devenus semblables, et afl’ranchit de la mort ceux qui se repentent de leurs fautes et croient en lui.

En saint Justin, nous entendons la voix de l’Eglise romaine, à laquelleil s’était donné après avoircherché 159

MARIE, MERE DE DIEU

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la vérité religieuse dans toutes les écoles philosophiques et sous tous les cieux, etdansle sein de laquelle il souffrit le martyre.

Saint Ihénéb de Lyon possède une autorité personnelle encore plus grande, puisqu’il représente à la fois la tradition des anciens presbytres d’Asie, qu’il avait entendus durant sa jeunesse, et la tradition de l’Eglise romaine, où il avait séjourné ; enfin c’est un évêque du siège primatial des Gaules, et probablement aussi un martyr. Il écrit, touchant la foi de l’Eglise universelle, Adv. Ilær., 1, x, i, P. G., VII, 549 A :

L’Eglise dispersée par tout le monde… (croit) à un seul Jésus-Christ, Fils de Dieu, incarné pour notre salut, et au Saint Esprit qui, par les prophètes, a annoncé les desseins de Dieu et ses avènements, sa naissance d’une vierge…

Cf. III, V, 2, 855-856, sur les Eglises apostoliques. Il nomme et llétrit les hérétiques opposés au dogme de la maternité divine :

Ibid., I, XXVI, I, 686B :

… (Cérinthe enseigna)… que Jésus est né, non d’une vierge (il tient cela pour impossible), mais de Joseph et de Marie, k la fa(, *on de tous les autres hommes ; et qu’il s’éleva au-dessus des hommes par sa justice, sa prudence et sa sagesse.

Ibid., III, XXI, 1, 945AB :

Dieu s’est fait homme, le Seigneur lui-même nous a sauvés en nous donnant le signe de la vierge… Non pas comme disent quel(]ues-uns de ceux qui de nos jours osent interpréter l’Ecriture : « Voici que la jeune femme (vtàvi ;) concevra et enfantera un fils », selon l’interprétation suivie

f>ar Théodole d’Ephèse et Âquila du Pont, tous deux proseytes juil’s : ainsi, les Ebionites disentqu’ilcst né de Joseph ; ruinant, dans la mesure de leurs forces, un si grand dessein de Dieu, et frustrant le témoignage des prophètes…

Il fonde sa croyance sur l’Ancien et sur le Nouveau Testament ; en disant

Ibid., III, XXI, 8, 953C :

Si (le Sauveur) était fils de Joseph, comment pourrait-il avoir plus que Salomon ou que Jonas, ou être plus que David, étant de même race qu’eux, et leur descendant ?

Ibid., 10, 954C-955A :

Adam, le premier homme, tiré d’une terre neuve et encore vierge, fut pétri par la main divine, c’est-à-dire par le Verbe divin,.^insi, restaurant en lui-même le personnage d’Adam, le Verbe en personne, naissant de Marie encore vierge, commençait-il par reproduire la génération d Adam.

Le parallélisme entre la première et la nouvelle Eve est repris par Irénée, qui le poursuit dans un très grand détail.

Ibid., iii, XXII, 4, 958-960 :

Marie, vierge, se montra obéissante en disant : « Voici votre servante. Seigneur ; qu’il me soit fait selon votre parole, » Eve se montra désobéissante : elle désobéit alors qu’elle était encore vierge. Comme Eve, épouse d’Adam mais encore vierge, … devint désobéisbante et par là attira la mort sur elle-même et sur tout le genre Immain, ainsi -Marie, fiancée mais vierge, en obéissant, procura le salut à elle-même et à tout le genre humain. Aussi la Loi donne à la fiancée (d’Adam), encore vierge, le norn d’épouse, pour manifester le cyclequi, de.Marie, remonte à Eve : car les liens (du péché) ne sauraient être déliés que par un procédé inverse de celui qu’a suivi le poché… C’est pourquoi Luc, commençant sa généalogie par le Seigneur, remonta jusqu’à Adam, marquant par là que ce ne sont point (les ancêtres selon la chair) qui ont engendré le Seigneur, mais bien le Seigneur qui les a engendrés à la vie nouvelle de l’Evangile. De même, le nœud formé par la désobéissance d’Eve n’a pu être dénoué que par l’obéissance de Marie. Ce que Eve vierge a lié par son incrédulité, Marie vierge l’a délié par sa foi.

Ailleurs, il insiste sur la pureté transcendante de cette maternité.

Ibid., l, xxxiil, II, 1080B :

Les prophètes qui annonçaient l’Emmanuel né de la vierge, traduisaient l’union du Dieu Verbe à sa créature : car le Verbe sera chair, le Fils de Dieu sera Fils de l’homme : pur, ouvrant purement le sein pur qui rend les hommes à la vie en Dieu, et que lui-raéme a fait pur.

On peut rapprocher le traité d’Irénée Ei ; ’s-ne^n^cj toO’a-nocr’Aixoû y.rip&/fi.rxT-^i, récemment découvert en traduction arménienne, c.Liv, edd. KakapetTbr-Mekerttschian et Erwand Ter-Minassiantz, Leipzig, 1907 ; (lieclierches de science religieuse, oclohve-décembre 1916, trad. française de l’arménien, par F. Bar TIIOULOT.)

Les grands ennemis d’Irénée, les’gnostiques valentiniens, étaient des docètes, qui, niant l’humanité du Christ, devaient logiquement nier la maternité de Marie. Il repousse leurs prétentions. Adv. Hær., V, I, 2, 1 122 BC :

Nous avons montré que c’est tout un, de dire qu’il s’est montré seulement en apparence, et de dire qu’il ne tenait rien, de Marie. En efl’et, il n’eut pas réellement possédé la chair et le sang par lesquels il devait nous racheter, s il n’eût récapitulé en sa personne l’antique création d’Adam.

Une fois encore, voici lé parallèle entre les deux Eve ; Irénée tourne et retourne sur toutes les faces cet enseignement. Ibid, , Y, xix, i, ii^S :

Le Seigneur vint visiblement dans son domaine et fut porté par la créature que lui-même porte ; il accomplit la réparation de la désobéissance commise par l’arbre (de la science), en obéissant lui-même par l’arbre (de la croix) ; pour remédier à la séduction que subit malheureusement Eve, fiancée mais encore vierge la bonne nouvelle de vérité fut portée par l’ange à Marie, fiancée mais vierge. Comme Eve, séduite par le discours de l’ange, se détourna de Dieu et trahit sa parole, ainsi Marie entendit de l’ange la bonne nouvelle de vérité ; ejle porta Dieu dans son sein, pour avoir obéi à sa parole, Eve avait désobéi à Dieu ; Marie consentit à obéir à Dieu ; ainsi Eve vierge eut pour avocate Marie vierge. Le genre humain, enchainé par une vierge, est délivré par une vierge ; à la désobéissance virginale, l’obéissance virginale fait équilibre. Au péché du premier homme, la soult’rance du Fils premier-né (de Dieu) remédie ; la prudenci" du serpent cède à la simplicité de la colombe : les liens qui nous enchaînaient dans la mort sont déliés.

Par le soin très particulier qu’il prend de rattacher Marie à l’ensemble du plan divin et de marquer son rôle essentiel, à côté du nouvel Adam, dans l’œuvre de notre Rédemption, saint Irénée l’emporte sur ses contemporains et ouvre à la pensée chrétienne des voies fécondes ; il est vraiment, en même temps que le premier théologien de la Rédemption, le premier théologien de la Vierge mère.

Tertullien, qui le suivit de très près, et qui lui doit beaucouj), a recueilli notamment le meilleur de ses idées concernant Marie, et, comme toujours, il pousse ces idées avec une éloquence puissante et originale.

C’est surtout dans les dernières pages du De carne Christi que Tertullien s’occupe de la mère du Christ. Il reprend l’antithèse Eve-Marie. A l’encontre des doeètes valentiniens, qui accordaient que Jésus a passé par le sein de la vierge, mais niaient qu’il eût pris d’elle sa propre substance, il affirme, en termes d’un réalisme extrême, la vérité physique de cette maternité. Il la montre exigée par l’Evangile (Matt., I, uo), par saint Paul (Gal., iv, 4), par la prophétie d’Isaie (/s., vii, 14), lue à la lumière duN. T. Il maintientque lanière du Verbe devait rester vierge danssa conception ; mais il accorde qu’elle cessa d’être vierga 161

MARIE, MERE DE DIEU

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dans l’acte même de son enfantement. Ailleurs, il va plus loin, et atlirnie qu’après avoir donné naissance à Jésus, Marie connut un époux. Il semble bien que, aux yeux de Tertullien, les « frères de Jésus » sont des iils de Marie ; De carne Christi, vu ; IV Adv. Marcionem, xix ; cf. De virginibus velandis, w ; De morwatnia, viii. Donc, s’il est très ferme sur la virginité ante partunij par contre il ne voit aucun inconvénient à abandonner la virginité in parla et la virginité pose partum. Sur ces deux points, un démenti catégorique lui sera donné ultérieurement par renseignement de l’Eglise.

Nous traduirons quelques pages caractéristiques du De carne Christi (texte de Œhler), laissant toutefois de côlé des passages très crus et particulièrement déplaisants en un tel sujet. — Nous renverrons à notre Théologie de Tertullien, p. ujS-ig^, Paris, 1905.

De carne Christi, xvii, xviii, xx, xxi, xxiii.

XVII… Avant tout, il faut mettre en lumière la raison pour laquelle il convenait que le Fils de Dieu naquît d’une vier^^e. Il devait naître d’une façon nouvelle, celui qui devait inaugurer une naissance nouvelle, le Seigneur, objet du signe prédit par Isaie. Quel est ce signe ? Voici qu’une vierge concevra dans son sein et enfantera un fils. Dune la vierge conçut et enfanta Emmanuel, Dieu avec nous. Voilà une naissance nouvelle : un homme nait en Dieu. Dans cet homme, Dieu est né, prenant la chair de l’antique semence, mais sans l’antique semence, afin de la réformer par une semence nouvelle, spirituellement, en l’alTranchissanl des antiques souillures. Mais toute cette nouveauté, comme tant d’autres, avait sa figure dans l’antiquité ; un plan raisonnable présidait à la naissance de l’Homme-Dieu par une vierge. La terre était vierge, elle n’avait pas senti l’effort du laboureur, elle ne s’était pas ouverte à la semence, quand Dieu la prit et en fit un homme, âme vivante. Si telle est la tradition relative au premier homme, il convenait que le suivant, le dernier Adam, comme dit l’Apôtre, fut tiré d’une terre — c’est-à-dire d une chair — non encore ouverte par la génération, et élevé par Dieu au ranjj ; ’d’Esprit vivifiant. Gôpen dant — pour ne pas laisser passer ici le nom d’Adam — d’où vient que le Christ fut appelé, par TApôtre, Adam, si son humanité n’était pas d’origine terrestre ? Ici, la raison proteste que Dieu, pour reconquérir sur le diahle son image et ressemblance, prit le contrepi’?d de la conquête. Eve encore vierge avait laissé pénétrer en elle la parole, ouvrière de mort. Il fallait que pénétrât aussi dans une vierge la parole ouvrière de vie, afin que le sexe auteur de rentraînement vers la ruine, fut aussi l’auteur du salut. Eve avait cru au serpent ; Marie crut à Gabriel. La faute qu’Eve commit par sa croyance, Marie, par sa croyance, la répara. Mais [dirat-on ] Eve ne conçut rien alors par la parole du serpent — Erreur. Si elle enfante désormais dans l’abjection et dans les douleurs, c’est à cause de la semence qu’est la parole du diable. Enfin elle mit au jour un diable fratricide. Au contraire, Marie a mis au jour Celui qui devait, en son temps, sauver Israël, son frcre selon la chair et auteur de sa mort. Donc Dieu fit descendre dans le sein [de Marie] son Verbe, bon frère, pour anéantir la mémoire du mauvais frère. Le Christ devait sortir, pour sauver l’homme, d’où l’homme était entré déjà condamné.

xviii. Mais répondons plus simplement : il ne convenait pas que le Eils de Dieu naquit d’un homme, de peur que, s’il était tout entier Fils de l homme, il ne fût plus Fils de Dieu, et n’eut rien de plus que Salomon ou que Jonas, comme l’a prétendu f’^bion…

XX (Sur Mnff, , i, 20). Par quel procédé tortueux prétendez-vous retrancher la syllabe de [ex), qui fait oflice de préposition, et la remplacer par une autre qu’on ne trouve pas remplissant ce rôle dans l’Ecriture sainte ? Vous dites qu’il -est né par iprr) la vier^^e, ot dans le sein (in), non du sein, parce que ran ; re même a dit à Joseph dans un songe : « Ce qui est né en elle, c^t de l’Esprit saint », et non ; « Ce qui est né d’elle ". Apri’S tout, il n’a pu dire : d’elle, sans par là même dire en elle ; car cela seul qui était en elle, a pu naitre d’elle. Donc c est tout un de dire : en elle et d elle, car ce qui était en elle était d’elle. Heureusement, le métne Matthieu. .parcourant la (çénéalogie du Seigneur, d’Abraham jusqu’à Marie, dit (i, ifi) : k Jacob engendra Joseph, époux de.Marie,

Tome m.

de qui nait le Christ. » A son tour, Paul impose silence à ces

grammairiens, en disant [Gal., iv, k) : " Dieu envoya son Fils, fait d’une femme. » A-t-il dit : <f par une femme », ou

« dans une femme »’? Remarquez commo il tranche le mot.

en disant : fait^ et non pas né. Il était plus simple de dire : né. En disant : fatt^ il a marqué Tmcarnalion du Verbe et aûirmé la vérité de la chair née de la vierge. Ici nous invoquerons encore les psaumes, non pas de l’apostat et hérétique et [datonicien Valentin, mais du très saint et très orthodoxe prophète David. David chante parmi nous le Christ, ou plutôt le Christ même se chante par lui. Prêtez l’oreille au Christ et entendez le Seigneur dire à Dieu son Père (l*s. xxi. 10. 11) : « C’est vous qui m’avez tiré du sein do ma inere. » Et encore : « Vous êtes mon espoir depuis les mamelles de ma mère, je fus jeté en vous au sortir de ses entrailles »… XXI (Sur Mait.^ I, 23) …Serrons l’euneini de plus près. L’Ecriture dit : « Voici qu’une vierge concevra dans son sein. » Et quoi ? Sans doute. Le Verbe de Dieu, non la semence d’un homme ; cela, pour enfanter un fils. Car « elle enfantera un fils ». Comme la conception fut son fait, de même l’enfantement, bien qu’elle ne fut pas cause de la conception. Au contraire, si le V’^erbe s’est incarné de lui-même, il s’est lui-même conçu et enfanté ; et c’en est fait de la prophétie. Car la vierge n’a pas conçu ni enfanté, s’il n’est pas vrai de dire que ce qu’elle enfanta, après avoir conçu le Verbe, est sa propre chair. Et c’en serait fait, non seulement de cette parole du prophète, mais de celle de l’ange, annonçant la conception et l’enfantement de la vierge, et de toute Ecriture qui parle de la mère du Christ. En effet, comment est-elle sa mère, si ce n’est pour l’avoir p -rté dans son sein ? Mais il ne doit rien au sein qui l’a porté, rien qui assure le nom de mère à celle qui l’a porté ? Car ce nom n’est pas du par une chair étrangère. Il n’y a à nommer le sein maternel que la chair fille de ce sein. Et celle-là n’est pas fille qui est née à part. Donc silence à Elisabeth, portant un (ils prophète qui déjà connaît son Seigneur, et remplie elle-même de l’Esprit saint ! Elle se trompe en disant : < D’où m arrive cet honneur, que la mère de mon Seigneur vienne à moi.^ » Si Marie portait Jésus dans son sein non comme un fils, mais comme un liùte, comment Elis. theth lui dit-elle : « Béni le fruit d i votre sein ? » Qu’est-ce que le fruit du sein, s’il n’a germé du sein, pris racine dans le sein, s il n’appartient pas à colle qui possède le sein ; et comnænt le Christ est-il fruit du sein (de la vierge) ? Osera-t-on dire : il est la fleur de la tige issue de la racine de Jessé ; or la racine de Jossé est la rare de David, la tige issue de la racine est Marie fille de David, la fleur de la tige est le fils de Marie appelé Jésus-Christ : il est encore le fruit, car la fleur et le fruit ne font qu’un, vu que par la fleur et de la fleur tout fruit passe à l’état de fruit ? Quoi donc ? On refuse au fruit sa fleur, à la fleur sa tige, à la tige sa racine ; on ne veut pas que la racine revfmdique. par la lige, la propriété de la fleur et du fruit sortis de la tige : on doit pourtant savoir que chaque degré de la race se réclame du premier ; en sorte que la chair du Glirist se rattache, non seulement à Marie, mais à David par Marie et à.lessé par David. C’est pourquoi Dieu jure à David que ce fruit de son corps, c’est-à-dire de sa postérité nharnelle, siégera sur son trône. S’il procède du corps de David, combien plus du cor|13 de Marie, par qui il fut contenu dans le corps de David ?

Qu’ils effacent donc les témoignages des démons, proclamant Jésus fils de David ; mais ils ne pourront *>ff ; Ker les témoignages des Apôtres, si ceux des démons ne sont pas recevables. Tout d’abord Matthieu, très fidèle évangéliste en sa qualité de compagnon du Seigneur, a voulu précisément nous livrer l’origine du Christ selon la cliair en débutant ainsi : Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d Abraham… Matt., i. i ; cf. Rom..-. 3., II 7V/h., II, 8 ; Ga}., ni, 8. iG.

xxrii (Sur A.Hr., ii, 31). Nous voyons s’accomplir la parole prophétique de Siméon sur le Seigneur encore tout petit enfant : " Celui-ci est posé pour la ruine et la résurrection de beaucoup en Israël et comme signe de contradiction. » En effet, la naissance du Christ est un signe, selon Isaïo :

« C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un

signe : voici qu’une vierge concevra dans son sein et enfantera un fils. » Mous reconnaissons le signe de contradiction, dans la conception et l’enfantement de la’irrge Marie, livrés aux disputes de ces Académiciens ; « Elle a enfanté et n’a pas enfanté, elle est vierge et non vierge. « Ce langage, s il était correct, nous appartiendrait plutôt. En effet. Marie a enfanté de sa chair, et elle n’a pas enfanté par le commerce d’un homme. Elle est vierge en tant qu’épouse ; elle ne l’est plus eu tant que mère. Toutefois, si elle n’a pas enfanté, si 103

MARIE, MÈRE DE DIEU

164

elle demeure viorffô après la maternité, ce n’est pas fiiute d avoir coiiLribué de ses entrailles, comme une mère. Mais parmi nous, pas d’ambiguïté, pas d’échappatoire cachée sous des mots à double entente : la lumière est lumière, les ténèbres sont ténèbres ; oui est oui ; non est non ; lo reste vient du malin. Celle qui a enfanté a enfanté ; si elle était vierge quand elle conçut, elle cessa de l’être quand elle enfanta. Elle cessa d’être vierge, par le fait que son corps s’ouvrit pour donner passage à un homme ; peu importe qu’il soit entré ou sorti ; l’homme brisa le sceau de sa virginité…

Contemporain de TertuUien, le docteur romain saint HiPPOLYTK, non content d’insister fréquemment sur le rôle maternel de Marie, aime à en détailler les conséquences pour la rédemption du genre humain, et présente à ce sujet plusieurs vues originales. Il décrit l’Incarnation comme les noces du Verbe avec l’humanité : le Verbe divin.puresprit, revêtune chair sainte prise de la Vierge sainte, comme un liancé revêt une robe nuptiale. Demonstratio de Chrisio et Antichristo, iv, éd. Achelis, p. 6 ; P. G., X, ’jSî 15. Il ramène assidûment la conception de deux avènements successifs du Verbe : l’un qui se fait par la création, l’autre qui se fait par l’Incarnation ; il établit même un lien inattendu entre ce dernier avènement et la dénomination de Fils, allirmant que le Verbe ne devient liU au sens plénier qu’en s’incarnant au sein de la Vierge. Adv. Noetum, xv, P. G.. X, 824 BG ; Comment, in Danielem, passim. Cf. d’Alès, Théologie de saint Hippolyte, p. a5 et 180, Paris, 1906.

Un fragment d’Hippolyte sur le Cantique de Moïse, (Deut., xxxui, 26), conservé par Théodorkt, Erunistes. Il, éd. Achelis, p. 83, P. G.. LXXXllI, i^S, met en lumière ce rôle de la Vierge :

Celui par qui le premier homme, étant perdu et enchaîné dans la mort, fut arraché du fond de l’Hadès, celui qui descendit d’en haut et releva ce qui était en bas, l’ôvangéliste des morts, le rédempteur des âmes, la résurrection des corps au tombeau, était le même qui, pour secourir l’homme vaincu, a pris sa nature ; Verbe premior-në, il visite, dans (le sein de) la Vierge, Adam, premier-homme ; spirituel, il va cherclier l’homme matériel dans le sein d’une mère ; éternellement vivant, il va chercher l’homme qu’une désobéissance a tué ; céleste, il appelle en haut l’iiomme terrestre ; noble, il veut ntTranchir rescla-e par sa propre obéissance ; cet homme tombé en poussière et devenu la pâture du serpent, il le transforme en fer, il le suspend au bois, il le rend maître de son vainqueur, et triomphe ainsi parle bois.

Dans l’arche faite d’un bois incorruptible, Hippolyte voit la figure de Marie, arche du Seigneur. In Ps. XXII, ap. Thkodoret, Eranistes, I ; éd. Achelis, p. 147 :

Le Seigneur était sans péché ; fait d’un bois incorruptible quanta son humanité, c’est-à-dire revêtu Intérieurement et extérieurement, par la’ierge et par le Saint Esprit, de l’or très pur du Verbe divin.

Clément d’Albxandrib appartient à un courant d’idées fort différent de celui où se meut TertuUien ; rien en lui ne rappelle le puissant réalisme du docteur carthaginois ; on l’a même soupçonné de quelques faiblesses pour les docètes. Cependant il se rencontre avec TertuUien pour les combattre, et quelquefois par les mêmes armes. Comme TertuUien, il réprouve les subtilités de leur exégèse et allègue contre eux, sous le nom d’Ezéchiel, certain texte apocryphe dont l’hérésie s’était prévalue. Mais, contrairement à TertuUien, il affirme (probablement d’après le Protévangile de Jacques) que Marie demeura vierge dans l’enfantement de son Fils. On a parfois dénoncé dans ce passage des traces de docétisme ; j’avoue ne les pas apercevoir ; en revanche, j’y trouve un bel hommage à la Vierge ; Strom., Vil,

XVI, 93-94, éd. Stahlin, p. 6fi ; P. G., IX, 629. Clément veut faire entendre que les Ecritures divines procurent le salut aux Udèles, et aux lidèles seulement ; il ne trouve pas de meilleur terme de comparaison que Marie, demeurée vierge dans son enfantement. Les fidèles connaissent la fécondité des Ecritures, et reçoivent d’elles la doctrine du salut ; les hérétiques, méconnaissant le mystère de cette fécondité, s’en détournent. L’application peut paraître subtile et forcée ; mais on retiendra l’assertion honorable à la virginité de Marie ; elle est catégorique.

(Juand une fois on a reçu la bonne nouvelle et vu le salut, dès lors qu’on l’a reconnu, on ne doit pas se retourner à l’exemple de la femme de Lot ; on ne doit pas revenir â son ancienne vie occupée d’objets sensibles, encore moins au.x héiésies, qui disputent à tort et à travers, ignorantes du vrai Dieu…

Il semble qu’aujourd’hui encore on se représente généralement Marie, après la naissance de son enfant, comme l’accouchée que, de fait, elle n’était pas (on assure qu’après l’enfantement la sage-femme la trouva vierge). Ainsi en est-il pour nous des Ecritures divines, qui enfantent la vérité mais demeurent vierges, continuant de receler les mystères de vérité. « Elle a enfanté et elle n’a ], as enfanté ii, dit l’Ecriture [Psoudo-Ezécliiel], pour faire entendre qu’elle a cont : u d’elle-même et non d’un époux. Aussi les Ecritures sont-elles grosses de vérité pour les gnostiques (parfaits chrétiens) ; mais les hérésies, ne reconnaissant pas qu’elles sont grosses de vérité, s’en détournent.

Dans ses développements mysticpies et un peu vaporeux, relatifs au chrétien gnostique ou parfait, Clément ne détaille pas beaucoup les mystères du Christ ; sa marialogie est peu développée, mais d’un beau souffle idéaliste. Après l’auteur de l’Apocalypse, il emprunte à Marie des traits pour peindre l’Eglise, et confond dans une iiicme image ces deux vierges, ces deux mères. Pueda^., I, vi, 41-4a, éd. Stahlin, p. 115, />. G., VIII, 300 B :

Les femmes enceintes, une fois mères, deviennent des sources de lait ; le Seigneur Christ, fruit de la Vierge, n’a pas dit : m Bienheureuses les mamelles des femmes ! » qui versent la nourriture ; mais la tendresse de son Père ayant fait pleuvoir son’erbe sut- les hommes, lui-même est devenu nourriture spirituelle des âmes vertueuses. O mystère admirable ! U n’y a qu’un Père universel, un Verbe universel, im Esprit saint partout le même, une seule mère vierge : j’aime à I appeler l’Eglise. Cette mère n’est passeuleà avoir du iait, car elle n’est pas seule femme ; mais elle est à la fnis vierge et inere, pure comme une vierge, aimante comme une mère ; elle appelle ses enfants pour les nourrir du lait sacré. le verbe des tout petits.

Abordons enfin au rivage d’Asie Mineure.

Aberkios. évêque d’Hiérapolis en Phrygie (fin du II’siècle), dans son épitaphe célèbre, retrouvée de nos jours, fait allusion à la maternité de Marie. Le Christ est pour Aberkios

« le Poisson très grand, immaculé, que prit une vierge

[ture ».

(On trouvera le texte reproduit intégralement et traduit à l’article Epigraphib, t. I, col. 1436.) Ce poisson, que « la foi donne sans cesse à manger aux amis », c’est le corps eucharistique du Christ. Aberkios met la Vierge mère en relations avec le dogme de l’Eucharistie.

Nous avons entendu des évêques : Ignace d’Antioche, Irénée de Lyon, Aberkios d’Hiérapolis ; des prêtres et des laïques : Aristide, Justin, TertuUien, Hippolyte, Clément. Ils attestent la diffusion, dans l’Eglise universelle, d’une conviction ferme et d’un sentiment très fort, qui dès lors associent étroitement. la Vierge mère aux hommages rendus à son Fils. 165

MARIE, MERE DE DIEU

1C6

Reste à examiner une série d’ouvrages d’autorité moindre, mais, en leur genre, suggestifs et nullement négligeables.

Le deuxième siècle avait vu naître, particulièrement dans les milieux judéochrétiens, divers apocryphes bibliques où il est question de Marie. Tel le Testament des douze Patriarches, xi (Joseph), 19, P. G., II, 1140 A :

Et je vis que de Juda naquit une vierge ; elle avait une robe de pourpre ; et d’elle sortit l’Agneau sans t : iclie, ayant à sa (rauche comme un lion ; tous les animaux se jetèrent’sur lui et l’Agneau les vainquit…

Les détails du symbolisme ne sont pas tous très nets, à commencer par le rôle du lion de Juda. Mais rien de plus clair que l’hommage à la Vierge mère de l’Agneau.

Le Proléi’angile de Jacques se distingue entre tous ces apocryphes par la diffusion très large qu’il obtint sous diverses formes et par les leçons qui s’en dégagent. L’auteur met sur les lèvres de saint Joseph un récit original de la nativité du Seigneur. Nous ne demanderons pas grâce au lecteur pour son audace naive ; ce sont choses vénérable^ c. xix-xx, trad. Amann, Paris, 1910, p. 251-267

El voici qu’une femme descendait de la montagne, et elle me dit : » ( Homme, où vas-tu.-" » Et je dis ; « Je cherche une sage-femme juive, w Et elle me répondit ; ’t Tu es d’Israël ? » Et je lui dis : « Oui. » Elle nie dit : « Et qui est celle qui va mettre au monde dans la grotte ? i) Et je dis :

« C’est ma Hancée. : i Et elle me dit ; « Elle n’est pas ta

femme ? » Et je lui dis : « C’est Marie, celle qui a été élevée dans le temple du Seigneur, et que le sort m’a donnée comme femme ; et (pourtant) elle n’est point ma femme, mais, si elle a con( ; u, c’est du Saint-Esprit. » Et la sagefemme lui dit : (( Cela est-il vrai ? » Et Joseph lui dit : H Viens et vols. » Et la sa^e-femme partit avec lui. Et ils arrivèrent à lendroit de Ta grotte. Et voici qu’une nuée lumineuse couvrait de son ombre la grotte. Et la sagefemme dit ; u Mon âme a été e.xaltée aujourd’hui, parce que mes yeux ont vu des choses étonnantes, car le salut est né pour Israël. » Et soudain la nuée s’évanouit de dessus ia grolte et une grande lumière parut dans la grotte, au point que nos yeux ne pouvaient la supporter. Et peu après, cette lumière s’évanouit, juste au moment où l’enl’ant apparut, vint, et prit le sein de sa mère Marie. Et la sage-femme s’exclama et dit : <( Aujourd’hui est ungrandjour pour moi, puisque j’ai vu un spectacle nouveau, w Et la sage-femme sortit de la grotte et elle rencontra Salomé et lui dit :

« Salomé, Salomé, c’est un spectacle nouveau que j’ai à te

raconter ; une vierge a enfanté, ce que (pourtant) sa condition ne permet pas. » Et Salomé dit : « (Aussi vrai que) vit le Seigneur mon Dieu,.si je n’y mets pas le doigt et ne me rends pas compte de son état, certainement je ne croirai pas qu’une vierge a mis au monde. »

Et la sage-femme entra et dit à Marie : " Laisse-toi faire, car ce n’est point un mince débat qui s élève sur ton compte. » Et Salomé voulut se rendre compte de son état, mais elle poussa un cri et dit : H Malheur à mon impiété, mallieur à mon incrédulité, parce que j’ai tenté le Dieu vivant, et voici que ma main (est consumée) parle feu et se détache ! » Et elle fléchit les genoux devant le Maitre souverain, disant ; (( Dieu de mes pères, souviens-toi de moi, car je suis de la postérité d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; ne t’ais pas de moi un exemple pour les fils d’Israël, mais rends-moi aux pauvres. Car tu sais, ô Maître, que c’est en ton nom que je donnais mes soins, et que mon salaire je le recevais de toi. » Et voici qu’un ange du Seigneur se tint (devant elle), lui disant : « Salomé, Salomé, le Seigneur t’a exaucée ; approche la main du petit enfant, porte-le et tu auras salut et joie. » Et Salomé s’approcha, et le porta en disant : « Je l’adorerai, parce qu’(en lui ! est né un grand roi pour Israël, n Et voici qu’aussitôt Salomé fut guérie, et elle sortit de la grotte justifiée. Et voici qu’une voix lui dit : « Salomé, Salomé, n’annonce rien des miracles que tu as vus, jusqu’à ce que l’enfant soit entré dans Jérusalem. ))

Ce récit, dont la rédaction ne saurait être datée

avec précision, mais dont la source remonte sûrement assez haut dans le deuxième siècle, montre la pensée chrétienne dès lors préoccupée de rendre le caractère singulier de cette maternité qui donna Jésus au monde. Les inventions auxquelles elle recourait, en dépit de leur caractère factice, traduisent une intention réfléchie, et révèlent une conviction digue de tout respect.

A la Un du deuxième siècle ou au eoramencemenl du troisième, appartient vraisemblablement la première partie du Proléyangile de Jacques, c. i-xvi, racontant l’enfance de la vierge. Car il y a lieu de tenir cette partie pour plus récente que le récit de l’Annonciation. Voir Ch. Michel et P. Peeters, Evangiles apocryphes, t. I, p. vn-xvii. La trace s’en trouve pour la première fois dans Orioènb, In Matt., t. X, xvii. Analysons le récit, qui met en scène Joachim et Anne, les parents de la vierge.

Joachim était un homme Juste qui, de sa grande fortune, avait coutume de porter au temple des offrandes doubles. Or un jour qu’il portait au temple son offrande, un certain Ruben se dressa devant lui et lui dit : <i Tu n’as pas le droit d’apporter le premier tes offrandes, parce que tu n’as pas engendré de rejeton en Israël. »

L’âme de Joachim fut percée de ce trait. Il s’en alla, compulsa les archives des douze tribus, et constata que, effectivement, depuis Abraham, tous les justes avaient laissé une postérité en Israël. Alors, navré de douleur, il se retira au désert et jeûna quarante jours et quarante nuits.

Cependant Anne sa femme gémissait dans sa maison. Le grand jour du Seigneur étant venu, elle descendit au jardin, pour se promener.

Et levant les yeux au ciel, elle vit un nid de passereaux dans le laurier, et elle se mit à gémir, disant en elle-même :

« tlélas ! qui m’a engendrée, et quelles entrailles m’ont enfantée, 

pour que je sois devenue un objet de malédiction pour les Gis d’Israël, et qu’ils m’aient outragée et cliassée avec dérision du temple du Seigneur ? Hélas ! à qui ai~je été assimilée ? Ce n’est pas aux oiseaux du ciel ; car même les oiseaux du ciel sont féconds devant vous, Seigneur…))

Comme elle pensait ainsi en elle-même.

Voici qu’un ange du Seigneur lui apparut et lui dit :

« Anne. Anne, le.Seigneur a écouté ta jirière : tu concevras

et tu enfanteras, et on parlera de ta progéniture sur toute la terre. » Et Anne dit : « Par la vie du Seigneur mon Dieu, si j’enfante, soit un fils, soit une fille, je l’amènerai comme oll’rande au Seigneur mon Dieu, et il sera à son service tous les jours de sa vie. n

A ce moment, des messagers survinrent, qui lui dirent : Voici que Joachim ton époux arrive avec ses troupeaux ; car un ange du Seigneur est descendu vers lui, disant : « Joachim, Joachim, le Seigneur Dieu a écouté ta prière ; descends d’ici, car voici que ta femme Anne concevra dans ses entrailles. »

De fait,

Joachim arriva avec ses troupeaux. Et Anne, se tenant debout prés de la porte, vit venir Joachim, et courant à lui, elle se suspendit à son cou, disant : « Maintenant je sais que le Seigneur Dieu m’a comblée de ses bénédictions ; car voici que j’étais veuve et je ne le suis plus, j’étais sans enfant et je vais concevoir dans mes entrailles, n Et Joachim se reposa le premier jour dans sa maison.

Anne devient mère ; après neuf mois écoulés, elle met au monde une fille et lui donne le nom de Marie. A l’âge de trois ans, l’enfant est conduite au temple pour accomplir la promesse de ses parents, et elle se sépare d’eux sans regarder en arrière. Elle grandit dans le temple du Seigneur, comme une colombe, recevant sa nourriture de la main d’un ange. 167

MARIE, MERE DE DIEU

168

Quand elle est parvenue à l’âge de douze ans, les prêtres délibèrent à son sujet, el le grand prêtre, après avoir consulté le Seigneur, décide de convoquer les hommes veufs en Israël pour savoir qui sera l’époux de la vierge. Us accourent, et| cliæun reçoit une baguette. Le grand prêtre recueille les baguettes et pénètre dans le sanctuaire pour prier. Après quoi il prend les baguettes et les rend à ceux qui les ont portées. Joseph reçoit la dernière, et voici qu’une colombe en sort et va se poser sur sa tête. Par où l’on connaît qu’il est appelé à devenir_le gardien de la vierge.

Peu après, le conseil des prêtres décide de faire tisser un voile pour le temple du Seigneur. Marie est désignée par le sort pour hier la pourpre destinée à ce voile. C’est au cours de ce travail qu’elle est visitée par l’ange de l’Annonciation.

Ainsi, à la lin du deuxième siècle ou au commencement du troisième, la fiction s’évertuait-elle à combler les lacunes de l’histoire évangélique, touchant le passé de la Vierge.

L’Ascension d’haie, xi (Trad. E. Tisserand, Paris, I 909), reflète la croyance à la virginité in partit :

..Je vis encore une femme de la famille du prophète David, donl le nom ét.tit Marie ; et elle était vierge et elle était fiancée un homme du nom de Joseph, un artisan, lui aussi do la race el de la famille de David le juste, de lielhloheiu Jde Juda, el il entre en possession de son lot. El lorsi|u’elle fut liancéc. elle se trouva enceinte, et Joseph l’artisan voulut la renvoyer. Et l’ange de l’Esprit apparut en ce monde, el après cela Joseph ne la reuvoy.i pas, el il çaida Marie, mais il n y eut personne à qui il révélai celle artaire. El il n’approcha pas do Marie, et il l.i garda commeune vierge sainte, bien « ju’un enfant tut dans son sein. Et il ne demeura pas avec elle pendant deux mois. Et après deux mois de jours, Joseph se trouvail dans sa maison, ainsi que Marie son épouse, mais tous les deux seuls : et il arriva, comme ils étaient seuls, que Marie regarda alors de ses yeux el vit un petit enfant, et elle fut effrayée. Et après qu elle fut ellrayée, son sein S’î trouva comme précédemment, avant qu’elle eut conclu. El lorsque son époux Joseph lui dil : a Ou est ce qui t’a effrayée ? » ses yeux s’ouvrirent et il vit l’enfant el il loua le Seigneur, car le Seigneur était venu dans son lot. El une voix s’adressa à eux : « Ne dites cette vision A personne ! » et une rumeur courut dans I3elhléhem au sujet de l’enfant, et il y en eut qui dirent ; " La vierge Marie a enfanté avant qu il eût deux mois qu’elle fut mariée. > Et beaucoup dirent : « Elle n’a pas enfanté, et il n’est pas monté de sage-femme, et nous n’avons pas entendu les cris des douleurs. » El tous furent aveuglés à son sujet (de l’enfant), et tous le connaissaient, mais ils ne savaient d’où il était.

La môme conviction se reflète encore dans les Odes de Salomnn (W siècle). (Traduction et introduction par J. Labourt et P. Batifkol, Paris, 191 1.) Cet apocryphe mystérieux, vraisemblablement écrit en grec, nous a été rendu il y a peu d’années, grâce à la découverte faite par M. Rendbl H.^hris d’une traduction syriaque. L’ode xix rend poétiquement le mystère de l’Incarnation :

Une coupe de lait m’a été apportée, el je l’ai hue dans la douceur de la suavité du Seigneur. Le l’ils est cotte coupe, et celui quia été trait, c’est le Père, et celui qui la trait, c’est rEsjiril saint, parce que ses mamelles étaient pleines et il voulait que son lait l’ut répandu largement. L’Esprit saint a ouvert son sein ; il a mêlé le lait des deux mamelles du Père et a donné le mélange au monde, à son insu, et ceux qui le ret ; oivent dans sa plénitude sont ceux qui sont à droite. L’Esprit étendit ses ailes sur le sein de la Vierge, et elle conçut et enfanta, et elle devint Méro vierge avec beaucoup de miséricorde : elle devint grosse el enfanta un fils sans douleur ; el, alin qu il n’arrivât rien d’inutile, elle ne deman la pas de sage-femme pour l’assister : comme un homme, elle enfanta volontairement ; elle [l’Jenfanta en exemple, elle [le] posséda en grande puissance, et [rjaima en salut, el [le] garda dans la suavité, et [le] montra dans la grandeur. AUeluia !

Dans la troisième épître (apocryphe) de saint Paul aux Corinthiens (Actes de Paul, éd.’Vouaux, p. 258, Paris, 191 3), on lit l’aflîrmation de la descendance davidique de Marie :

Notre Seigneur Jésus Christ est né de Marie, qui sort de la semence de David, l’Esprit du ciel ayant été envoyé

u’il I

îlle par le l’ère, afiii (|U il parût dans ce siècle et qi délivrât toute chair par sa chair, el que dans nos corps il nous ressuscitât d’entre les morts, ce qu’il annon< ; a d’avance en en donnant lui-même l’exemple.

Le recueil parvenu jusqu’à nous sous le titre d’Oracles sibyllins, conglomérat indigeste où l’on discerne la trace de diverses mains et de divers siècles, renferme, au livre viii « , plusieurs centaines de vers d’une inspiration évidemment chrétienne : on a de bonnes raisons de les rapporter au temps de Marc Aurèle.’Voir Geffckbn, Komposition und Entstehungszeit der Oracula Sihyllina, p. 38-46, dans Texte und Untersuchungen, XXIU, i, Leipzig, 1902. Nous en détacherons une partie de ce qui regarde la’Vierge.

Oracula Sihylirha, lll, 269-270 ; 357-358 ; 456-475.

Se souvenant donc de ce destin (miséricordieux), (le Créateur)

[ira vers sa créature ;

Fait à rima, ’e (de l’homme), il descendra dans une vierge

[pure.

Il a donné sept ans de jours pour la pénitence

Aux hommes égarés, par les mains d’une vierge pure.

A la fin des temps, il rlescendit sur terre ; petit enfanl. Du sein delà Vierge.Marie, il se leva, nouvelle lumière ; Venu du ciel, il revètU nue forme mortelle. Tout d’abord Gabriel apparut sous un aspect puissant et

[vénérable.

Puis l’archange adressa la parole à la vierge :

« Reçois Dieu, ô vierge, dans ton sein immaculé, n

Il dil, et Dieu insuflla la grâce à la vierge. Mais elle fut saisie de trouble et d’elfroi en entendant. Et demeura tremblante : son esprit était frappé, Son cœur palpitait à ces paroles inou’ies. Puis elle se rassura : son cœur fut guéri par cette voix, Elle sourit virginalernent, la rougeur couvrit sa joue ; Caressée i)ar la joie el touchée en son âme de respect, Elle reprit courage. Le Verbe vola dans son sein, Fail chair enfin el engendré dans ses entrailles, Il prit forme mortelle et fut fait enfant

Par un enfantement virginal : grande merveille pour les

[mortels,

Mais non giande merveille pour Dieu le Père et Dieu le

  • ’[Fils.

Vers le nouveau-né la terre bondit. Le trône céleste sourit, le monde tressaillil.

L’insertion de ces vers nouveaux au recueil des oracles sibyllins explique largement le regain de faveur dont ce recueil devait jouir à l’aurore du qiiatrième siècle.

A plusieurs reprises, Marieestappeléevierge pure, TiKfSsvî ; « /vil. 270, 358, 458, 462 ; — vierge au sein immaculé, 46 1. Une fois seulement elle est appelée par son nom, Marie, 457.

Elle enfante virginalernent, Ttxf^evix’J : tw.îtcî : , 472.

Elle apparaît, non plus seulement avocate d’Eve, comme chez Irénée, V, xix, 1, mais médiatrice du genre humain à qui la grâce de la pénitence est donnée par ses mains, 358. Ceci est nouveau, et très digne d’attention, comme indice de l’orientation des esprits vers l’invocation de la Vierge.

Celle dernière série de documents, provenant de sources mal délinieset parfois troubles, apporte quelques détails peu intelligibles, bizarres ou même suspects ; dans l’ensemble, elle corrobore la tradition de 169

MARIE, MERE DE DIEU

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respect envers îa Vierge mère, établie par des documents plus autorisés ; elle dégage même certains points de vue avec une audace qui a son prix.

Maintenons la liiérarcliie des témoignages : le seul symbole baptismal de l’Eglise romaine suflit à prouver qu’on ne peut reléguer dans l’ombre le personnage de la Vierge mère, sans mutiler la foi catholique.

La croyance au miracle de la conception virginale est si ferme dans l’Eglise du deuxième siècle, qu’elle s’impose généralement même aux sectes dissidentes. Nous l’avons constaté pour la gnose valentinienne, à qui on ne peut reprocher en cette matière qu’un raflinement d’idéalisme, allant à méconnaître la réalité de l’humanité du Christ, et du même coup la réalité du lien qui l’attache à sa mère. On peut le constater pour d’autres sectes encore, séparées de l’Eglise catholique par un moindre intervalle, notamment pour les sectes adoptianistes des deux Théodote, qui professaient lidèlemenl que le Christ est né de l’Espril-Saint et de la Vierge. Voir Pseudoteutullien, Adt ontnes hæreses, viii, P. J.., II, 72.

A considérer d’ensemble ce deuxième siècle, siècle de foi vive, de piété ardente et d’inexpérience théologique, on s’assure qu’il a fait à la Vierge mère la place qui lui revient, prés du Verbe incarné. Il est remarquable que le principal docteur de ce siècle, saint Irénée de Lyon, soit aussi le premier théologien de Marie. Nous ne découvrons pas encore à l’état distinct un culte mariai, mais bien le fondement solide où ce culte s’appuiera.

On lira avec fruit un très solide article de M. Gres-HAM Machen, The virgin birth in tlie second century, dans Ilie Princeton lievien’, 629-580, ocl. 19IQ.

lll’siècle, et IV’jusqu’au concile de Nicée

Entre les penseurs chrétiens du troisième siècle, Ohigénk tient facilement le premier rang. Son œuvre renferme les éléments d’une marialogietrès vaste et aussi très inégale. Diffus dans les livres contre Celse et dans les traités exégétiques, ces éléments raanifeslent le fond chrétien de l’àme d’Origène, et quelque chose aussi des regrettables chimères qui marquent sa pensée d’un stigmate inquiétant.

Attaquant le christianisme au temps de Marc Aurèle, le philosophe néoplatonicien Cklsk n’avait pas craint de se faire l’écho d’une fable infâme, touchant la naissance du Christ. D’après cette fable d’origine juive, Jésus serait le (ils de l’adultère ; et l’on nommait son père, c’était un soldat appelé Panttiéra. Soixante-dix ans plus tard, réfutant les attaques de Celse, Origène rencontre cette calomnie, et venge l’honneur de la mère du Christ. Il souligne l’invraisemblance de l’invention, à considérer le rôle providentiel et le ministère de Jésus : tout de sainteté personnelle et de sanctilîcation Seule une vierge était digne de donner naissance à l’Emmanuel. Contra Cehum, I, xxxii sqq., éd. Koetschau, p. 83 sqq., P. G., XI, 721 sqq.

Par ailleurs, Celse n’a eu garde de citer l’oracle d’Isaie, vii, 14. Pourtant, il le connaissait, ne fut-ce que par l’évangile de saint Matthieu, où il a pris tant d’autres traits, par exemple l’apparition de l’étoile, à la naissance de Jésus. Origène aborde le problème eiégétique posé par cet oracle ; mais on relève dans sa discussion un défaut d’exactitude qui surprend, chez l’auteur des Hexaples. Il assure que le mot hébreu’almali se retrouve à plusieurs reprises Veut., XXII, 28-26, appliqué à <ine vierge. C’est une erreur, le texte de Deut. porte à plusieurs reprises beihuUili, il n’y a donc rien à tirer de ce rapprochement. Au reste, Origène est trop sage pour fonder principale ment sur ce root controversé l’argumentation par laquelle il revendiqvie la naissance miraculeuse de l’Emmanuel. Il la fonde sur l’ensemble du texte prophétique, pour lequel les événemenls conteuqjorains d’Achaz ne fournissent pas d’interprétation plausible. L’interprétation seule vraie suppoi-e la prophétie. Qu’il y eût des prophètes en Israël, ce n’est pas surprenant ; Origène ose dire qu’a priori c’était nécessaire, ne fut-ce que pour prémunir les Juifs contre la séduction des oracles païens. Dans les oracles des prophètes, on doit s’attendre à retrouver des prédictions d’ordre général et d’ordre particulier. Aux Grecs, qui rejettent la croyance à la maternité virginale, on peut répondre d’abord que l’Auteur de toute nature et de toute vie a bien pu déroger aux lois ordinaires de la nature et de la vie, par lui-même posées. Puis, que les fables helléniques proposent à la croyance des traits aussi surprenants que les miracles chrétiens.

D’ailleurs, ce point est de ceux sur lesquels l’enseignement chrétien ne peut transiger ; Origène le redit plusieurs fois avec une grande force. Contra Celsum^ V, Lxi, éd. Koetschau, t. II, p. 65 ; />. G., XI, 1277 :

Telle secte admet Jésus, et à cause (le cela so prétend chrétienne, mais, d’autre part, veut observer la loi de Moise, comme les multitudes juives : c’est la double secte des Ebionites, dont les uns confessent avec nous que Jésus est né d’une ^ier^e, les autres le nient et assurent qu’il est né comme tous les hommes. Y a-t-il là de quoi accuser les fds do l’Eglise ?…

In Juan, (xiii, ly), 1. XXXII, ix (xvi Preuschen, p. 452), P. G., XIV„ 784 A :

^’i quelqu’un, croyant que le crucifié du temps de Ponce Pilate fut un être divin venu pour le salut du monde, se refuse à admettre sa naissance de la vierge Marie et du Saint Esprit, et le tient pour fils de Joseph et de Marie, ii celui-là manque un élément essentiel à l’intégrité de la foi.

Très ferme sur la conception virginale, Origène ne l’est pas moins sur la réalité du lien qui unit Jésus à Marie, comme un fils à sa mère. Il réunit ces deux enseignements, non sans quelque subtilité. In Rom., 1. III, X, P. G., XIV, 956D, à propos de Gai, iv, 4 :

Do tout homme, on devra dire qu’il a été Sailpar If moyen d’une femme -^ car avant de naître par le moyen d’une femme, il a dû son origine à un homme. Mais le Christ, qui ne doit pas à un homme l’origine de sa chair, doit être dit fait d’une feiiiine. Car c’est à la femme qu’appartioiit le rôle principal dans l’orij^ine de sa chair ; et l’Apôtre a raison de dire qu’il a été fait, non par le moyen de la femme, mais de la femme.

Vers l’année 233, Origène commente l’évangile de saint Luc, et, à propos de la loi de la purification, se demande comment Marie a pu s’y soumettre. La réponse est faite pour surprendre. Il déclare que non seulement Marie avait besoin de purification, mais encore Jésus, car le texte sacré parle, au pltiriel, des jours de leur purification, xi riiiif.tt.i roû x ! /.Oxpi(t/j.oO aÙTiSv. Et il cite à l’appui lob, xiv, 4. 5, allirmanlque nul ici-bas n’est exempt de souillure. Du moins il s’empresse d’ajouter que souillure n’est pas péché. In Luc, I/om., XIV, P. G., XIII, 188^. Encore éjirouverat-il le besoin de rétracter son assertion douze ans plus tard, dans les homélies sur le Lévitique. Là, il examine de près la loi de la purilication des mères, etdéclare Marie exempte. In Le^, , /loin., viii, 2^, P. G., XII, 493. Plus loin, il écarte positivement l’idée d’une souillure quelconque, soit en Jésus, soit en sa mère. In Lev., Jloni., xii, 4, P- G., XII, 589. Origène s’est plus d’une fois contredit ; encore ne doit-on pas exagérer ses contradictions. Du rapprochement de ses deux assertions successives touchant la position de 171

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Marie devant la loi de la puiiCcaton, il résulte d’abord avec évidence que l’idée d’une souillure morale quelconque doit être écartée de son esprit, soit quant à Jésus, soit quant à sa mère. L’assertion des homélies sur saint Luc, rétractée dans les homélies sur le Lévitique, se rattache sans doute à la théorie générale d’Origène sur les relations entre l’esprit et la matière : la matière, lieu provisoire de détention et de purification pour l’esprit. C’est la conclusion déjà indiquée par Huet, Origeiiiana, II, ii, q. 4, P.O., XVII, 838 sqq. Voir notre article sur les erreur.t d’Origène, Etudes, t. CXLll, p. 312, 5 mars igiô. Elle est solidement appuyée sur le texte d’Origène, qui dit dans son homélie xiv sur saint Luc : « Toute âme revêtue d’un corps humain a ses souillures », et applique aussitôt après à Notre Seigneur cette loi générale. C’est bien la même assertion qu’il rétracte, et quant à Notre Seigneur et quant à sa mère, dans l’homélie xn sur le Lévitique. Et dans l’homélie vni, il s’est demandé si la teneur même de la loi relative à la purification des femmes n’atteste pas l’intention prophétique d’excepter Marie, destinée à concevoir sans souillure.

M. Neubbrt, Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 184, explique autrement ces textes, et pense qu’Origène, après avoir nié dans les homélies sur saint Luc la virginité in partu, l’affirma dans les homélies sur le Lévitique. Il ne me paraît pas évident qu’Origène se soit prononcé dans un sens ni dans l’autre, et je ne crois pas que telle soit la ligne de sa pensée. La souillure qu’il a en vue est une souillure d’ordre tout à fait général, résultant du contact entre l’esprit et la matière. Après y avoir assujetti même Jésus, il en exemple même Marie.

Sur la virginité posi partum, il s’est prononcé plusieurs fois et avec une grande énergie. On remarquera qu’il professe l’opinion, alors généralement répandue, d’après laquelle les « frères de Jésus » étaient des lils nés à Joseph d’un premier mariage, et se réfère à deux apocryphes : l’Evangile de Pierre et le Protéi>angile de Jacques. In Matt., t. A’, xvir, P. G., XIII, 876B-877A :

Ceux qui ignoraient que Jésus fut fils d’une vierge et ne l’auraient pas cru quand même on le leur eut dit, mais supposaient qu’il était fils du charpentier Joseph, disaient, étonnés : « N’est-ce pas le fils du charpentier ? » Et dans leur mépris pour tout ce qui semblait être sa jtroche parenté, ils répétaient : « Sa mère ne s’appelle-t-elle jias Marie ? Ses frères, Jacques, Joseph, Simon, Jude ? Ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? » On le tenait pour fils de Joseph et de Marie : quant aux frères de Jésus, quelques-uns, d’après une tradition consignée dans l’Eran^i/e de Pierre et dans le Livre de Jacques, les tiennent pour fils de Joseph, nés d’une première femme qu’il avait épousée avant Marie. Ceux qui parlent ainsi veulent sauvegarder jusqu’au bout l’honneur de Marie en sa virginité ; ils ne sauraient admettre que le corps choisi pour instrument du Verbe qui a dit : (I L’Esprit saint viendra sur voua et la ^’ertu du Très Haut vous couvrira de son ombre », ait connu la couche d’un homme, après avoir reçu la visite de l’Esprit saint et l’ombre de la Vertu d’en haut. J’estime que la palme de la virginité doit appartenir, entre les hommes à Jésus, entre les femmes à Marie, On ne saurait, sans impiété, attribuer à une autre la palme de la virginité.

Le langage d’Origène est très digne d’attention. Il touche deux points : 1° l’origine des « frères de Jésus » ; 2° la perpétuelle virginité de Marie. Sur le second point, Origène n’admet aucune contestation, il ne veut pas entendre dire, ce que l’Ecriture n’insinue nulle part, que Marie pût avoir d’autres enfants après Jésus. Sur le second point, il se contente de noter que quelques-uns (tiv=ç) tiennent les « frères de Jésus » pour des enfants nés à Joseph d’un premier mariage, et il loue leur intention, qui est de concilier

la mention des « frères de Jésus » dans l’Evangile avec la perpétuelle virginité de.Marie, supposée indiscutable. Mais il n’ajoute pas qu’il fait sienne leur solution, et la manière dont il la présente marque assez clairement qu’il la considère comme une solution entre autres, non comme l’unique solution possible. A ses yeux, le champ demeure ouvert à d’autres hypothèses, pourvu qu’elles respectent la Vierge. Ailleurs, il flétrit, sans le nommer, un auteur dans lequel il faut probablement reconnaître TertuUien (voir A. DiHAND, L’enfance de Jésus-Christ, p. 233) ; In Luc, Honu, vii, P. G., XIII, 1818 :

Il s’est trouvé un homme assez fou pour affirmer que Marie avait été reniée par, le Sauveur, pour s’être, après sa naissance, unie a Joseph. Que celui-là réponde de ses paroles et de ses intentions… Cette affirmation, que Marie cessa d’être vierge après sa maternité, on ne la prouvera jamais. Car ceux qui passaient pour fils de Joseph, n’étaient pas nés de Marie ; il n’y a pas trace de cela dans l’Ecriture.

Les vrais enfants de Marie, ce sont les frères de Jésus selon l’esprit, c’est-à-dire les chrétiens dignes de ce nom ; Origène pose en termes admirables la loi de cette maternité spirituelle qui commença de s’exercer au Calvaire. In luan., I, vi, éd. Preuschen, p. 8, P. G., XIV, 32AB :

Osons dire que la fleur des Ecritures, ce sont les évangiles et la fleur des évangiles, celui de saint Jean. Nul n’en saurait comprendre le sens s’il n’a reposé sur la poitrine de Jésus et reçu de Jésus.Marie, devenue aussi sa mère. iMais pour être un autre Jean, il faut pouvoir, comme Jean, être montré par Jésus en qualité de Jésus. En effet, si, de l’avis de ceux qui pensent d’elle sainement, Marie n’a pas eu d’autre fils que Jésus, et si Jésus dit à sa mère : « Voici votre fils 1), et non : « Voici encore un fils », c’est comme s’il disait : « Voici Jésus, à qui vous avez donné le jour. » En effet, quiconque est consommé [dans le Christ] ne vit plus, mais en lui vit le Christ ; et parce qu’en lui vit le Christ, de lui Jésus dit à Marie : « Voici votre fils, le Christ. »

On ne saurait refuser le sens du christianisme à l’auteur qui le premier, et avec une telle profondeur d’accent, a défini le rôle de Marie, mère de toute l’hunianitê rachetée.

Mais voici qui lui fait moins d’honneur.

Etroitement associée à l’œuvre de son Fils et à l’œuvre de ses Apôtres, Marie, comme les Apôtres, aurait souffert scandale lors de la passion de son Fils. Origène estime qu’il faut lui irapuler quelque défaillance : autrement, qu’est-ce que son Fils eût trouvé en elle à racheter ? In Luc. (n), Uom. xvii, P. G., XIII, 18^5 :

Quel est ce glaive qui transperce, non seulement d autres coeurs, mais celui même de Marie ? L’Ecriture dit ouvertement qu’au temps de la Passion, tous les Apôtres souffrirent scandale, au témoignage même du Seigneur : a Tous vous souffrirez scandale, cette nuit. t> Donc tous souffrirent scandale, au point que Pierre momc, prince des Apôtres, le renia par trois fois. Quoi ? pensons -nous que. les apôtres souffrant scandale, la mère du Seigneur en fut exempte ? Si elle ne souffrit pas scandale dans la passion du Seigneur, Jésus n’est pas mort pour ses péchés. Mais si tous ont péché, si tons, exclus de la gloire de l)ieu, sont justifiés et rachetés par sa grâce, Marie, elle aussi, soufi’rit alors scandale.

Nous avons déjà signalé divers échos de ce jugement. Il est juste de noter qu’il appartient au commentaire sur saint Luc ; or nous savons déjà qu’il ne faut pas chercher dans ce commentaire le dernier mot d’Origène sur Marie.

Les théories biz.irres qui avaient séduit le grand esprit d’Origène, et dont il ne s’affranchit jamais complètement, théorie des épreuves indéfinies des âmes, théorie de la déchéance par l’union à la matière, ont donc projeté leur ombre jusque dans sa marialogie. Il a entrevu la grandeur de la Mère de Dieu, et parfois 173

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il l’affirme excellemment ; mais pour cet esprit prodigieusement fertile et mobile, la possession de la vérité n’allait pas sans quelques éclijïses.

Par contre, voici un disciple d’Origène, non moins illustre par sa dévotion à Marie que par ses vertus et ses miracles ; c’est saint Grégoire Thaumaturgb (+ 2T0), évêque de Néocésarée dans le Pont. On lui attribue avec vraisemblance une homélie conservée en syriaque, où il explique la virginité in partu^ en traçant un parallèle entre la génération divine du Christ et sa génération humaine. 5ermo in nativitatem Christiy viii, xni, xrv, xv, ap. Pitra, Anaîecta sacrUj t. IV, p. 136-13 ; , latin SSS-Sga.

(L’attribution, rejetée par Harnack, Chronologie der altchristlichen Liit, , t. II, p. loi, est admise par Looks, Tkeol. f.it. Zeitung^ 1884, col. 551 sqq., par Nbcbkrt, p. 186 ; Bardenhewbr, /’û^ro/og^ie-’S p. 162, n’y est pas opposé.)

VIII. Né du Père, ineflable dans sa personne et dans sou être, aujourd’hui [le Christ] nait pour nous d’une manière ineffable et inscrutable ; jadis il est né selon son essence, inséparable du Père ; aujourd’lmi il nail de la Vierge pour notre salut, mais non selon sa nature…

De mémo que dans la première naissance le blasphème ne trouve pas de place, car il est né sans intermédiaire ni séparation, restant indivis et inséparable du Père, de même dans la seconde naissance l’impiélé ne trouve pas de pbce, car il est né sans corruption : pur, il conserve pure s : i mère. Dieu n’a pas soufl’ert de douleurs en enTantant divinement un Dieu ; la Vierge n’a pas soufl’ert de corruption, car elle a enfante spirituellement un Fils qui est spirituel. La première naissance est inexplicable ; la seconde est impénétrable. La première s’est produite sitns passion ; la seconde est exempte d impureté. Nous savons que la Vierge a enfanté aujourd’hui, et nous croyons qu’elle a enfanté Celui qui est né du Père de toute éternité. Quel est le mode de sa naissance ? Je n’espère pns l’expliquer, je n’ai pas essayé de l’analyser en paroles, je ne me flatte pas d’y atteindre par mon esprit ; car la nature d^ Dieu ne tombe pas sous l’observation, l’esprit n’y atteint pas, notre pauvre intelligence ne la saurait concevoir : il faut croire à la puissance de ses œuvres…

xiii. Qui est-ce que la Vierge a enfanté, en réalité ? Le Seigneur de la nature corporelle… La Vierge a enfanté, non comme elle-même l’a voulu, mais comme l’a voulu Celui qui devrait être enfanté. Dieu ne s est pas comporté à la façon d’un corps ; il n’est pas tombé sous la loi des corps, mais il s’est manifesté comme le Seigneur de la nature corporelle ; il a montré au monde une naissance admirable afin de faire éclater sa puissance ; il a voulu l’aire voir que, devenant homme, il n’est pas engendré comme un homme, mais que c’est divinement qu’il se fait homme ; rien, eu effet, n’est difficile à sa volonté.

XIV. En ce grand jour, Dieu est né d’une vierge ; il a vaincu la nature, il est supérieur au mariage et exempt de corruption. Il convenait en effet que le docteur de la chasteté fit éclater sa gloire en sortant d’un sein pur et immaculé…

XV. Les Juifs ont l’habitude de demander aux Gentils si le Christ est Dieu. Bépondons-leur donc clairement : le Christ est Dieu par nature, et il est devenu Jiomme, mais non selon la nature. Voilà ce que nous affirmons et croyons véritahlemeni, en invoquant comme témoins les sceaux d’une virginité immaculée, gage de la toute-puissance divine ; car, créateur du sein, inventeur et prédicateur de la virginité, il a choisi un mode de naissance sans tache, et il est devenu homme comme il l’a voulu.

C’est là un langage vraiment nouveau en sa précision

D*autre part, au témoignage de son biographe, saint Grégoire Thaumaturge fut favorisé d’une apparition surnaturelle : Marie daigna se montrer à lui, avec l’apôtre saint Jean, qu’elle chargea de lui expliquer les vérités de la foi. Saint Grégoire de Nysse, De vita Sancti Gregorii Thaumaturgi, P, G, , XLVI, 909-913.

Hno nuit que Grégoire méditait sur la doctrine de la foi… plein d’application et de sollicitude, apparaît à ses

l

yeux un per.ionnage humain ayant les traits d’un vieillard, velu avec une gravité religieuse ; la vertu brillait dans lu grâce de son visage et dans tout son extérieur. Effrayé à cette vue, il se leva de son lit et demanda : « Qui Ot-s-vous et que voulez-vous. » L’inconnu calma le trouble de ses pensées en lui parlant doucement : dit qu’il lui apparaissait parordiedô Dieu pour eclaircir ses doutes en lui découvrant ta vérité de la foi pieuse. Rassuré par ces paroles, Grégoire le regardait, partagé entre la joie et la frayeur. L’apparition étendit tout droit la main, comme pour lui montrer la direction opposée : tournant les yeux de ce côté, il vit un second personnage, aux traits féminins, plein dune majesté surhumaine. De nouveau ellrayé, il se détourna et baissa les yeux, interdit devant cette vision, ne pouvant en suppufter l’éclat… Et il entendit les Jeux personnages qui lui étaient apparus, dialoguer sur le point qui l’occupait ; par 1 ; , non seulement il actjuit la vraie science de la ioi, mais encore sut nommer les deux personnages qui s adressaient l’un à l’autre en se désignant par leurs noms. Il entendit le personnage féminin exhorter l’évangéUsle Jean à découvrir au jeune homme le mystère de la piété ; et celui-ci répondra qu’il était prêta le faire pour la mère de Dieu, puisque tel était son bon plaisir ; après un discours net et précis, il disparut. Grégoire s empressa de mettre par écrit l’enseinement divin, d en faire part à son Eglise, et do léguer à a postérité, comme un héritage, la leçon venue du ciel…

Celte page a été souvent citée, comme témoignage de la vigilance maternelle de Marie sur la pureté de la foi et sur les besoins des àræs. A la suite de l’évêque anglican George Bull qui, au xvnic siècle, combattit pour la doctrine des Pères, lecard. New-MAN la cite, dans le livre où il repousse les attaques du Dr. PusEY contre le culte de la Sainte Vierge ; et il y trouve comme les prémices du rôle que Marie devait remplir, à travers tons les temps et tous les lieux, pour l’extermination des hérésies, selon le mot de la liturgie catholique : Cunctas hæreses sala intereniisti in univevso mundo. — Newman, Du culte de la Sainte-Vierge dans VEgVise catholique^ trad.de igo8, p. 115.

Nous y noterons autre chose encore : les prémices de ces apparitions que Marie devait multiplier au cours des âges en faveur d’àmes choisies et qui contribuèrent si puissamment à larégénération chrétienne des individus et des foules : histoire dont une page récente s’est écrite à Lourdes ; elle commence au milieu du troisième siècle.

A la veille du concile de Nicée, d’autres évêques et d’autres docteurs rééditent les louanges traditionnelles de la vierge.

Saint Pierre d’Alexandrie (*]- martyr, 31 i), P. G., XVIU, 512A, rend hommage à la conception virginale :

Le Dieu Verbe, sans l’ossistance d’un homme, par la volonté du Dieu tout-puissant, s’est fait chair dans le sein de la vierge, sans réclamer le concours ni la présence d’un homme. Car la puissance de Dieu supplée abondamment le concours d’un homme, couvrant de son ombre la vierge avec l’assistance du Saint-Esprit.

Du même, fragment syriaque édité par Pitra, Analecta sacra, t. IV, trad. lat., p. 426, fragm. D :

La naisî^ance de l’Emmanuel rendit mère de Dieu la vierge, de qui glorieusement il s’incarna et naquit.

S. Méthode d’Olympe (-{ martyr, 3 1 2), Conv..Y virginam ^ ni, Thalia, 4. P- G. XVIU., 08A, réédite le parallèle entre le premier et le nouvel Adam, entre la première et la nouvelle Eve :

Il était de toute convenance que le premier-né deséons, le premier des archanges, devant converser avec les hommes, prit pour demeure le premier-né, le premier des hommes, Adam. Ainsi restaurant le dessein mitial et le restituant par l’opération de la Vierge et de l’Esprit, il le façonne : d’autant qu’à l’origine la terre était encore vierge et n’avait pas senti la charrue, quand il prit du limon pour 175

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en former l’animal essentiellement raisonnable, sans le concours d’une semence.

Le PsEUDOCLÉMBNT, Ep. I ad l’irgines, 6, P. G., I, 392, souligne la réalité de la maternité virginale :

Les entrailles delà vierge sainte ont porté Notre Seignei.r Jésus Christ, Fils de Dieu ; le corps que Notre Seigneur revêlit, et avec lequel il supporta les épreuves de ce monde, il l’avait pris de la vierge sainte.

Adamantius, De recta in Deum Jide, s. iv, P. G., XI, 1844B, alTirme sa foi au Verbe incarné de l’immaculée vierge, àrri à.ypoa/To-j -nv.^dimj :

Le Verbe de Dieu descendit pour prendre la nature humaine dans le sein de l’immaculée vierge Marie ; et le Christ nait sans le commrrci- d’un homme ; prise de.Marie par l’Esprit saint, son humanité endura toutes les souffrances humaines pour sauver l’homme.

Lactance n’est pas un docteur, mais c’est un témoin éloquent de la foi. Il écrit, Divin. Jnstit., IV, xii, />. /.., VI, 478 B :

Descendant du ciel, cet Esprit saint de Dieu fit choix dune vierge sainte pour pénétrer dans ses entrailles. La vierge, ayant reçu l’Esprit saint, conçut sans le concours d’un homme…

Lactance allègue ensuite, parmi des textes de l’A. T., un texte qu’il attribue à Salomon : ce texte s’est retrouvé de nos jours dans une Ode du Pseudo-Saloraon, et a permis d’identifier tout le recueil. Voir ci-dessus, col. 167.

Au reste, Lactance aime à recueillir un peu de toutes mains les témoignages en faveur du christianisme : par exemple, il cite abondamment les Oracles sibyllins.

C’est un trait fort curieux de ces premières généralions chrétiennes, que l’empressement commun des lettrés à chercher dans les œuvres païennes des anticipations plus ou moins distinctes de l’Evangile. Empressement malheureux, osons le dire, quand il se tourne vers la littérature des sibylles, et, sans paraître y soupçonner la supercherie, fait crédit à ces prophétesses fabuleuses, de lumières surnaturelles sur les temps évangéliques. Déjà le deuxième siècle avait donné cet exemple, mais beaucoup plus timidement (voir Ju.sTiN, 1 Ap., XX. xliv ; Tatibn, Or. adx Græcos, xLi ; Athknagore, ie^ntio, xxx ; Thkophilk d’Antiochk, Ad Autolyciim, II, m. xxxi. xxxvi. XXXVIII ; CLKMB^T d’AlÈxandbik, Strom, , III, m ; VI, y ; Tertullikn, II Ad Aationes, xii ; Apologeticiim, xix ; De pallin, n). Cklsb avait raillé chez certains chrétiens ce recours aux sibylles. Voir Origkne Contra Celsiim, V, lxi, P. G.. XI, la^^C. Au troisième et au quatrième siècle, la sibylle obtient plus largement droit de cité chrétienne ; d’autant que son recueil s’était accru récemment de soi-disant oracles, étroitement apparentés à l’Evangile.

Dans la composition qu’EusÈBB nous a conservée sous ce titre : Discours à rassemblée des saints, et qu’il attribue à l’empereur Constantin, l’auteur se montre adepte enthousiaste de la sibylle d’Erythrée. Il lui attribue un acrostiche dont les lettres initiales forment en grec les six mots : Jésus-Christ. Fils de Dieu. Sauveur. Croix : ’Ui’.ùi. Xpiir-^i. © « û. Vi’i ;.’S.’ji-nip. ST « u/30 ;  ; il assure que Cicéron lui-même a recueilli et traduit cet acrostiche. La sibylle de Cumes ne lui paraît pas moins admirable en ses anticipations du christianisme : n’a-t-elle pas inspiré à Virgile son églogue fameuse (iv), où il annonce la venue du Christ par ces vers :

Voici venir lei derniers temps marqués par l’oracle de 1.Il longue série des siècles recommence, [Cumes :

Voici revenir la Vierge, revenir le règLe de Saturne, Voici descendre du ciel une race nouvelle. A reniant nouveau-né, qui éliminera la généralion de fer Et suscitera par tout le monde une génération d’or (Faites accueil)…

Soiis le voile de l’allégorie, l’orateur impérial n’hésite pas à reconnaître dans les vers de Virgile toute la carrière du Sauveur prédite, à commencer par la conception virginale. Oratio ad sanctorum coetum, xviii xxi ; surtout xix, P. G., XX, 1292.

La piété chrétienne, qui depuis longtemps saluait Marie dans la gloire, n’attendit pas le quatrième siècle pour recourir à ses suffrages. Comme on honorait la mémoire des martyrs en offrant le saint Sacrifice sur leurs tombeaux et en sollicitant leur intercession près de Dieu, surtout en leurs jours anniversaires, on avait dû songer de bonne heure à la très excellente médiation de Marie. Pourtant, il faut avouer que les traces d’une invocation positive sont presque imperceptibles dans la littérature mariale des quatre premiers siècles.

Saint GniiaoïnB de Nazianzb montre une vierge, en péril au temps des persécutions, invoquant Marie pour la défense de sa chasteté, et sauvée par son intercession. Oratio xxiv, Il sqq., In laudem S C}priani, P. G., XXXV, 1181 sqq. Cf. H. Delehaye, Les origines du culte des martyrs, p. 134, Bruxelles, 1912. On trouverait à cette date fort peu de textes semblables.

Beaucoup plus abondantes sont les attestations monumentales du culte rendu à Marie dès les premiers siècles de l’Eglise.

La plus ancienne des Catacombes romaines, celle de Priscille, renferme à elle seule plusieurs peintures de la Vierge, dont l’une, au jugement d’une critique indépendante, remonte aux premières années du deuxième siècle. Marie est assise, avec l’Enfant Jésus sur ses genoux ; devant elle, un homme debout montre une étoile : c’est sans doute un prophète. Ailleurs, Marie présente Jésus à l’adoration des mages ; les catacombes de Domitille, celles des saints Pierre et Marcellin, de Calliste, ont conservé de ces images, reliques de sa piété du troisième ou du quatrième siècle. L’attitude majestueuse de la Vierge suggère l’idée de sa dignité éminente et de soncr édit auprès de Dieu..( Le symbolisme des peintures cimitériales est indéniable, et… il faut chercher son explication dans les prières liturgiques. Eefrigeret tihi Domnus Ippolitus, dit une inscription. Si l’on n’a pas encore trouvé la formule : liefrigeret tihi Domna Maria, ele est évidemment traduite par ces images. » Marvcchi, Eléments d’urch. chr., t. I, p. 321.

Voir ci-dessus l’article Catacombes, t. 1, p. 4^7 ; i>E Rossi, Immagini scelle délia heata Vergine Maria traite dalle Catacombe romane, Roma, 1863 ; surtout WiLPERT, Roma sotterranea. Le pilture délie Catacombe romane, Roma, igoS ; H. Maruccbi, Eléments d’archéologie chrétienne, t. I, p. 315-321. Paris-Rome, 1900-1903.

En général, sur cette période, on peut lire E. Xeubert, Marie dans l’Eglise anténicéenne (thèse de l’Université de Fribourg, Suisse), Paris, 1908.

2° Du concile de Nicée (325) au concile d’Ephèse(431).

A partir du concile de Nicée, la littérature christologique devient si abondante qu’il faut renoncer à mentionner tout ce qui s’est dit de notable sur Marie. Obligés de faire un choix parmi les témoins de la tradition ecclésiastique, nous nous bornerons à quelques hommes représentatifs. Ce seront, pour 177

MARIE, MERE DE DIEU

178

l’Eglise grecque, saint Atiianase d’Alexandrie et saint Ei’U’HANK de Salaniine, Chypre ; pour l’Eglise syriaque, saint Efiihum, moine, orateur et poète ; pour l’Eglise latine, saint Jkhôme, prêtre, exégcte et polémiste, enfin ascèle à Bethléem ; saint AmimoisK de Milan et saint Augustin d’Hippone.

Déjà bien des questions dogmatiques ont été soulevées ; plusieurs sont résolues. Nous reviendrons sur ce ? questions, après avoir marqué la part des docteurs du quatrième siècle dans le développement du culte de Marie.

.. Eglisk grecque. — La grande figure d’AiHA-NASE (-j- 3^3) remplit le demi-siècle qui s’ouvre au concile de Nicée. Après avoir assisté, eoninie diacre del’évéque Alexandre, au triomphe du Christ consuhstantiel à son Père, le nouvel évêque d’Alexandrie devait lutter sans relâche contre toutes les formes de l’hérésie arienne. Or la délinition de N’icce ne pouvait manquer d’avoir un contre coup dans le domaine de la marialogie ; car l’atlirmation de la divinité du Christ conduit logiquement à saluer Marie du titre de Mère de Dieu. Athanase ne man([ua pas de déduire cette conséquence. De plus, en défendant le dogme christologique, il eut occasion de signaler à la fois les deux écueils opposés sur lesquels, au siècle suivant, les conciles d’Ephèse et de Clialcédoine devaient allumer les phares inextinguibles de leurs délinitions dogmatiques : écueil du monopliysisme, qui confond les deux natures dans le Christ, écneil du nestorianisme qui les divise. Cet épisode, qui précéda seulement de deux ou trois ans la mort d’Athanase, lui permit de rendre à la Vierge mère un hommage complet et décisif.

Epictète, évêque de Corinlhe, avait communiqué à l’évêque d’.lexandrie certains écrits qui lui i)araissaient renfermer des propositions mal sonnantes. On y lisait tantôt que le Verbe divin est consubstantiel au corps formé dans le sein de Marie, qu’il s’est transformé en chair ; tantôt que le Verbe s’est uni à Jésus comme jadis aux ])rophètes, qu’il ne s’est l)as précisément fait liomme, car autre est le Christ né de Marie, autre le Fils de Dieu, coéternel à son Père.

Or déclarer le Verbe consubstantiel au corps formé dans le sein de Marie, c’est ravaler la divinité au niveau de la création matérielle. D’autre part, distinguer le (ils de Marie du (ils de Dieu, c’est méconnaître l’éminente dignité du Christ, qui est à la fois Fils de Dieu et Fils de Marie. Athanase n’n pu, sans frémir, lire ces blasphèmes. L’un et l’aulre ruine la foi de Nicée ; mais l’un et l’autre aus.si fait injure à la Vierge mère. C’est tout le fond de la célèbre Lettre à Epictète.

Sur le premier point, Athanase écrit, Ad Epictet., IV. V, P. fi., XXVI, 705 ; AB :

Si le Verbe est consubstantiel au cnips, ne pavions plus de.Marie, elle ne seil de rien, puisque le coi’ps peut, nvnnt Marie, exister éternellement, aussi bien que le Verbe même, selon tous consubstantiel au corps. Et à quoi bon la venue du Verbe, s’il doit revêiir ce qui lui esl consubstantiel, ou êhe transformé de sa propre nature en corps.’La divinilé ne s’empare point d’elle-même, pour levélir ce qui lui esl consubstantiel. Et le Verbe n’a point pécbé, lui qui rachète les péchés d’autrui, pour se tiansformei- en corps, s’offrir i)uur lui-même en sacriface et se racheter lui même. Non certes, à Dieu ne plaise I n srmparr de la race d’Abraham, selon le mot de 1 Apôtre. Aussi drvait-il devenir en tout semblable à ses frères (Heb., Il, 16. 171. et prendre un corps semblable

aux nôtres. C’est pourquoi Marie est vraiment en eau elle lui fournil ce qu’il fera sien et offrira, comme …, pour nous. C’est elle que visait l’oracle d’isaïe, disant : Voici que la Vierge concevra et enfantera…

tel,

Sur le deuxième point, Athanase écrit xi P. G XXVI, io68 :…

Quant i ceux qui s’imaiçinent et disent que, comme le Verbe descendit sur chacun des propliLles, il descendit paieillement sur un homme né de Marie, inulile de s’escrimer, quand leur folie se condamne d’ellç-niêuie. En ertet, s’il est venu ainsi, pourquoi naître d’uiie vierge et non de l’bomme et de lu femme.’ainsi naquirent tous les saints. Et pourquoi, si le Verbe est venu ainsi, ne dit on pas de chaque (prophcile) qu’il est mort pc ur nous, mais de lui seulement, ’Pourquoi, si le Verbe est descendu en chaque prophète, le Fils de Marie est-il le seul dont on dit qu’il est venu une fois, à la fin des temps.’Pourquoi, s’il est venu comme il vint sur les saints d’autrefois, les autres, après leur mort, n’ont-ils pas encore ressuscité, mais seul le Fils de Marie ? Pourquoi, si le Verbe est venu pareillement pour les autres, le Kils de Marie est-il seul appelé Emmanuel, nom qui exprime la plénitude de la divinité dans le corps par elle mis au monde ? Car Emmanuel signifie : Dieu avec nous. Pourquoi, s’il est Tenu ainsi, quand chacun des saints mange, boit, peine, meurt, ne dit-on pus également que le Verbe mange, peine et meurt, mais seulement pour le Fils de Marie ? Car ce qu’a soull’erl ce corps, on dit que le Verbe même l’a souffert. De tous les autres, on dit seulement qu’ils furent mis au monde ou engendré » ; du Fils de Marie seul, il est dit : Et le Verbe s’est fait chair

(loan., I, n ;.

En composant (de 3^4 à Z-j’j) son traité Contre les hérésies, saint Epipiiane (f /, o3) rencontra deux sectes arabes qui menaçaient diversement le culte de Marie. Les Aiilidicomarianites (adversaires de Marie) portaient atteinte à l’honneur de la mère de Jésus en niant sa virginité perpétuelle ; les CoUyridicns au contraire, par une surenchère de dévotion, lui vouaient une sorte d’idolâtrie.

Au dire des Antidicomarinnites (Epiphane, Ilær., (Lvm) Lxxvm, P. G., XLII, 700-740), Marie, après la naissance du Seigneur, aurait connu Joseph, son époux. Epiphane s’indigne plus qu’il ne s’étonne : tant de sectaires se sont attaqués à Dieu le Père (Gnostiques, Marcionites, Manichéens et autres), ou à son Fils (Ariens), ou au Saint Esprit (Macédoniens), qu’il devait s’en trouver aussi pour médire de Marie toujours vierge — rf, i ; k/ik ? Mapim^ rf, i xsŒc/.pOénou (5). Mais ils se montrent peu instruits de son histoire. Quand elle s’unit à Joseiih, celui-ci était veuf et fort avancé en âge. C’était un témoin donné par Dieu à sa virginité. Joseph était frère de Cléopas et (ils de Jacob surnommé Panther. Il avait eu, d’un premier mariage, quatre (ils et deux (illes : ce sont eux que l’Evangile désigne comme frères et sœurs de Jésus (8). Devenu l’époux de Marie à quatre-vingts ans passés, comment n’efit-il pas respecté le corps virginal qui avait été le sanctuaire de la divinité’? Le fait que Jésus mourant légua sa mère à saint Jean, s’explique par la virginité de saint Jean, qui le désignait pour recueillir la vierge des vierges, Kpyn-/iv Tr, s ; ny./-Je-ji « : , … rr.-j ùimv.pOi-nj. Si elle avait eu alors un époux ou des (ils, sans nul doute elle se fût retirée chez eux.

D’autre part, les Ecritures sont muettes sur la mort de Marie. Epiphane respecte ce mystère, et se tait (11). Mais pour rendre croyable la perpétuelle virginité de Marie, il n’est pas à court de raisons. La lionne n’a qu’un lionceau : ainsi la mère de Jésus n’a qu’un (ils, le Lion de Juda (Gen., xi, ix, 9) (12). Jacques, frère du Seigneur, surnommé le Juste, ascète et martyr, devait laisser un extraordinaire renom de vertu. Quelle ne fut donc pas la vertu de Joseph, le père de Jacques ? (14). Assurément, l’institution du mariage est sainte. Et pourtant Dieu, dans la Loi, marque une plus haute estime de la continence, par les commandements qu’il fait aux prophètes et aux grands prêtres et par l’exemple de 179

MARIE, MERE DE DIEU

180

Moïse (16). Or Marie était prophétesse, d’après fs., vin, 3. Elle n’a pu faire moins que ne tirent les quatre lilles du diacre Pliilipi)e, viery^es et propliétesses (Act., xxi, g), que ne lit la vierge Tliècle. Si l’Evangile dit que Marie conçut du Saint Esprit avant de s’unir à Joseph (Mait., i, 18), s’il parle de son fils premier-né (Luc, ii, 7 ; Matt., i, 26), ces textes n’autorisent aucune conclusion contraire à la perpétuelle virginité de Marie. Son Fils est appelé premier-né en tant que preraier-né de toute créature (Col., I, 15), donc eu égard à son Père céleste ; mais il est unique eu égard à sa mère (17). Marie est la nouvelle Eve, la vraie mère des vivants. En Jésus, s’accomplira pleinement l’oracle de Gen., iii, 15. Gomme Eve naquit du côté d’.dam, ainsi du côté de Jésus, percé sur la croix, naîtra l’Eglise (iS-ig). Si l’on veut absolument lire dans l’Evangile que Joseph connut ultérieurement son épouse (Matt., i, 25), on écartera l’idée de relations conjugales et l’on entendra simplement qu’avec le temps Joseph comprit mieux l’incomparable grandeur de Marie (20). D’ailleurs, il y a dans la carrière de la Vierge des mj’stcres qu’on doit respecter. Ses derniers jours nous échappent. Si elle est morte et descendue au tombeau, la gloire environne son repos, l’innocence marque sa fin, la virginité est sa couronne. Si elle a expiré sous le glaive prédit par Siméou (/. « c, 11, 35), elle triomphe avec les martyrs ; la béatitude est due à ce corps saint, d’où la lumière se leva sur le monde. Cependant Marie ne vit-elle pas encore ? Epiphane n’ose écarter cette hypothèse (2^). D’ailleurs, il nu fait que commenter, à l’usage de ceux qui la veulent bien entendre, la salutation de l’ange : X « r^e, x.t-/y.pn^ljhri, K’J^’sto ; y.eTà ffcû. Il y trouve pour l’éternité le gage d’une incomparable gloire (^5).

Tel est, en résumé, le développement consacré par Epiphane à la secte antidicomarianite.

Sur les Cérintliiens, précurseurs des Antidicomarianites, voir Ilær. (viii), xxviii, P. G., XLI, 397-388 ; sur les Ëbiiinites, Hær. (x), xxx, 2.3, ibid. ^oS-iog.

La secte bizarre des Collrridiens(Hær.(Lix), lxxix, P. G., XLII, 740-756), importée de Thrace en Arabie, donnait dans l’extrême opposé à la précédente, en rendant à Marie des honneurs quasi-divins. Des femmes étaient les ministres de ce culte ; elles offraient au nom de Marie un gâteau sacré (Ko^hpii), qu’elles mangeaient ensemble. — N’est-ce pas, dit Epiphane, l’histoire du serpent et d’Eve qui recommence ? L’A. T. connaît des prêtres, pas de prêtresses. Si le N. T. admettait des prêtresses, ce rôle devrait appartenir tout d’abord à Marie. Mais non : le rôle de Marie n’a rien de sacerdotal. L’Apôtre ne veut pas que les fe mmes élèvent la voix dans l’Eglise (I Cor., xiv, 34). L’Eglise a seulement des diaconesses ; encore leur donne-t-elle le nom de veuves. — D’ailleurs, le culte des Collyridiennes ne paraît par exempt d’idolâtrie ; il tombe sous les anathèmes de saint Paul, Hom., i, 25. Pour incouiparablement sainte qu’elle soit, Marie est une créature ; la maternité d’Anne ne doit pas être tenue pour miraculeuse. Il faut honorer Marie, mais n’adorer que Dieu. H Mk^ik h ti// ;  ; , Kùpioi TrpojxuvïirSw (g, col. 753 D).

Saint Epiphane exécute vivement les hérétiques, coupables de compromettre l’honneur de Marie, soit par défaut soit par excès. Mais il se préoccupe médiocrement de justifier ses affirmations. Oùa-t-il vu que le père de Joseph était surnommé Panther, et n’estce pas là, tout simplement, un écho dénaturé de la fable immonde qui circulait dès le 11’siècle touchant la naissance du Sauveur, fable que Celse avait recueillie et qu’Origène a réfutée ? Où a-t-il vu que Joseph eut d’un premier mariage quatre fils et deux flUes ? Ce n’est certes pas dans l’Evangile ; mais il a

fait crédit, un peu vite, à des rumeurs sans autorité. Où a-t-il vu que Joseph était octogénaire quand il épousa.Marie ? Gomment n’a-t-il pas conscience de détourner de son sens naturel l’expression i premier-né », appliquée à Jésus, en allant demander à l’épître aux Golossiens une explication transcendante

« premier-né de toute créature », alors que le

texte de l’Evangile, rapproché de la loi mosaïque, donne à ce mot un sens parfaitement clair et certain :

« premier-né de sa mère » ? Comment n’a-t-il pas

conscience de commettre un autre contresens sur l’expression « connaître son épouse », en lui faisant signifier autre chose que les relations conjugales ? On a le droit et le devoir de se défier d’un auteur si peu regardant en fait de preuves. Par ailleurs, prenons acte de sa louable réserve touchant la fin terrestre de Marie, ])remiêre orientation vers l’idée de l’Assomption corporelle. L’esprit critique d’Epiphane laisse à désirer ; sa piété est indéfectible.

B. Eglise Syriaque. — Chez saint Epurkm (-] 873), nous rencontrons, outre des développements déjà connus sur la nouvelle Eve, des développements nouveaux sur la maternité de Marie, expressément appelée mère de Dieu ; un éloge enthousiaste de sa pureté incomparable ; un recours très explicite à sa puissance d’intercession ; l’atBrmation très distincte et fortement motivée de l’enfantement virginal, requis comme complément de la conception virginale.

Commentant Gen., iii, saint Ephrem esquisse un parallèle entre Eve et Marie, toutes deux douées d’innocence et de simplicité, mais la première dépourvue de prudence. L’imprudence d’Eve nous perdit ; la sagesse de Marie nous sauve. Opéra syriaca, éd. Romae, 1740, t. ii, p. 827. Célébrant la nativité du Sauveur, il invite les vierges d’Israël à délaisser pour un temps les lamentations de Jérémie, afin d’entonner des hymnes de joie pour le triomphe de Marie ; il invite Eve elle-même à lever les yeux, du fond de l’abîme où elle est ensevelie, vers ce descendant de sa race, qui vient lui rendre la vie : l’Enfant Dieu, né d’une fille d’Eve, écrase la tête du serpent qui jadis donna la mort à Eve. In natalem Domini sernio viii, ibid., p. 424D. Ephrem ne connaît au monde que deux êtres parfaitement beaux et immaculés : Jésus et sa tnère.’, Carmina Nisibena, p. 122, éd. G. BicKBLL, Leipzig, 1866.

La prière suivante nous a été conservée en grec, Opéra græca, ed. Romae, 1746, t. III, p. 5a4 :

Prière à la Très sainte Mère de Dieu.

Très sainte dame, mère de Dieu, seule très pure d’âme et He corps, seule.-m delà de toute pureté, de toute chasteté, de toute virginité, seule demeure de toute la grâce de l’Esprit saint ; par là surpassant incomparablement même les puissances spirituelles, en pureté, en sainteté d’iimc et de corps ; jetez les yeux sur moi, coupable, impur, souillé dans mon Ame et dans mon corps des tares de ma vie passionnée et voluptueuse ; purifiez mon esprit de ses passions ; sanctifiez, redressez mes ]^ensées errantes et aveugles ; réglez et dirigez mes sens ; délivrez-moi de la détestable et infâme tyrannie des inclinations et passions impures ; abolissez en moi l’empire du péché, donnez la sagesse et le discernement à mon esprit enténébré, misérable, pour la correction de mes fautes et de mes chutes, afin que, délivré des ténèbres du péché, je sois trouvé ditfne de vous glorifier, de vous chanter librement, seule vraie mère de la vraie lumière le Christ notre Dieu ; car, seule avec lui et par lui, vous êtes bénie et glorifiée par toute créature invisible et visible, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

In Sataleni Domini sermo vi. Opéra syriaca, t. II, p. 420E-42 lA, Ephrem compare la maternité de Marie à celle des mères de l’A. T. : 181

MARIE, MERE DE DIEU

182

Snra, Rébeccn, Anne, Elisabeth ont obtenu, à force (le larmes, de Tieux et de prières, une postérité ; c’est uprès une loDjiue épreuve et des années d’angoisse, ijue la fécondité combla leurs t.iui : vraiment heureuse Marie, qui n’a pas désiré une postérité, n’a point répandu de prières ni formé de vœux pour l’obtenir, et néanmoins à conçu sans détriment de sa virginité, et a mis au monde le Seigneur, à qui rendent obéissance tous les enfants Je lu femme, saints et justes, rois et prêtres, qui furent dans le passé nu seront à l’avenir ! Quelle mère fut jamais serablabli à Mûrie, à qui il fut donné d’ulTrir à l’enfant cache dans son sein le tendre hommage de sa parole et de ses chants, que dis-je, de dire au Fils du souverain Ouvrier, au Fils du Créateur, au Fils du Très-Haut ; Mon tils !

/irmni et Sermones, éd. Laray, t. ii, 608, sur la conception virginale :

Cette vierge devint mère en conservant intact le sceau de la virginité ; enceinte en demeurant vierge, mère et servante de Dieu, chef-d’œuvre de sn sagesse.

Voici un raisonnement théologique, tendant à établir, par voie d’analogie, la perpétuelle virginité de la Mère de Dieu, Adveraus hæreticos ; Opéra græca, éd. Roraae, i^iS, t. ii, p. aôôE-aô^E :

Pour nous, telle conception, tel enfantement. La mère, en concevant, perd sa virginité ; en enfantant, elle souffre. Gomme elle perd le sceau de la nature en concevant, en enfaiitajit, non seulement elle s’ouvre, mais elle succombe, au détriment de la nature ; elle soufi’re des douleurs qui lui rappellent son intégrité perdue. Car la seiucnce parvenue à maturité prépare des douleurs cuisantes avec les ardeurs de l’enfantement. Pour le Christ, il n’en va pas ainsi : il fut enfanté sans douleur, comme il avait été conçu sans détriment de la viryinité. Il avait été conçu dans une cîiair vierge, non par l’œuvre de la chair, mais par celle du Saint Esprit. Aussi est-il né d’une vierge. Le Saint Esprit ouvrit le sein maternel, pour donner passage à un homine qui est l’Auteur de la nature, comme il avait assisté la vierge pour la croissance de son fruit. C’est l’Esprit qui présida à cet enfantement virginal. Aussi l’enfant laissa-t-il intact le sceau delà virginité ; lu vierge ne souffrit pas en donnantpassage à l’enfant et récupérant le sceau do la nature, -comme les conques ontr’ouvrent leurs plis pour donner passage à la perle et reviennent à leur intégrité initiale.

On a vu souvent un objet devenir meilleui- aux mains de celui qui l’avait emprunté pour son usage : c’est que l’emprunteur, étant bon ouvrier, avait su corrif ; er une matière imparfaite. Combien plus Dieu, emi>runtant une nature saine, ne l’a-t-il pas rendue, non piî’e, mais meilleure ! Il avait emprunté une nature intègre : il l’exempta -de douleurs en naissant d’elle.

… Les princes ont coutume d’accorder des privilèges aux villes témoins de leur couronnement ou de leur naissance : le Fils de Dieu n’aurait pas conservé à la vierge sa mère la virginité, quand il le pouvait. Les maîtres du sol savent y faire jaillir des sources, améliorer le régime des eaux et de l’air, à force d’ingéniosité. Le Christ n’aurait pas, à plus forte raison, corrigé les défauts de la nature.^ Homme, il aurait abandonné sa propre mère à la condition d’une femme quelconque.-’Non ; comme le ^ihrist seul naquit d’une vierge, Marie sa mère devait enfanter sans détriment de sa virginité et devenir mère sans douleur…

L’antiquité syriaque, aujourd’hui encore trop peu connue, a mis bien d’autres fleurons à la couronne de la Vierge.

Ijl G. Eglise latine. — Quelques années après l’écrit

; de saint Epiphane contre les Antidicomarianite.s’, d’Orient, saint Jérôme (-j- 420) entrait à son tour en’lice, pour venger en Occident l’honneur de Marie.

I L’étendue de sa science, dans les trois domaines

i latin, grec, hébraique, jointe à l’autorité qu’il allait

j acquérir comme traducteur des Ecritures, devait

I assurer à son intervention une ellicacité durable,

] pour toute l’Eglise.

Un écrivain obscur, nommé Helvidi us, prétendait prouver par l’Evangile qu’après la naissance de Jésus Marie avait eu commerce avec son époux. Il tirait argument : 1" du nom de « ûancce de Joseph », ([ue lui donne le texte sacré (Malt., i, 18 sqq.) ; 2° de cette assertion, que Joseph ne connut pas son épouse « jusqu’à » la naissance de Jésus (Malt., I, 25) ; 3" du nom de « fils premier-né de Marie », appliqué à Jésus (Luc, ii, 7) ; 4" enfin des nombreuses allusions aux « frères du Seigneur ». A ces difTicultés veriiales, Jérôme oppose une discussion très solide. Le livre De perpétua vir^inilaté B. Mariæ adversus Hehidium (383), P. L, XXIII, 183ao 6, est le premier écrit distinct consacré à Marie par un Occidental. Et c’est le plaidoyer décisif pour la virginité de Marie post partum.

1° Avant d’avoir eu commerce avec son épouse, Joseph la trouve enceinte (Matt., 1, 18) : pour que cette phrase ait un sens, il n’est pas nécessaire de supposer que Joseph eut ensuite commerce avec son épouse ; tout de même que, si l’on dit : avant d’aller en Espagne, Paul fut emprisonné à Rome, on ne donne pas nécessairement à entendre que Paul, délivré de prison, s’empressa de mettre à exécution son projet de voyage en Espagne. Il n’y a pas non plus à tirer argument du mot « épouse >>, qui, dans la langue de l’Ecriture, s’applique aussi bien aux fiancées. Si l’on demande pourquoi la mère de Jésus fut fiancée à un homme, voici trois réponses plausibles : I) pour donner à l’Evangile lieu de nous faire connaître, à l’occasion de la généalogie de Joseph, celle de Marie ; 2) pour ne pas exposer Marie à être lapidée comme adultère, selon la Loi ; 3) pour lui procurer un appui et un guide en vue de la fuite en Egypte. En présence de l’accomplissement manifeste de l’oracle d’Isaïe touchant la mère de l’Emmanuel (/s., VII, 14), l’incrédulité juive ne désarme pas : combien plus redoutable n’eùt-elle pas été si un soupçon injurieux eût plané sur le berceau de Jésus ? Aussi Jésus passa-t-il pour le tils de Joseph, et Marie elle-même lui donna ce nom (iii-iv).

a° Joseph n’eut pas commerce avec son épouse, jusqu’à la naissance de Jésus (Matt., i, 26). Ce a jusqu’à » ne préjuge nullement l’avenir : l’Ecriture présente un grand nombrede cas semblables, où « jusqu’à » marque un certain terme, sans pronostiquer un changement au delà de ce terme. Par exemple, Dieu dit par la bouche du prophète : « Je suis, jusqu’aux jours de votre vieillesse » (/s., xliv, 6) : par là il ne donne pas à entendre qu’une fois passés pour ses serviteurs les jours de la vieillesse, et le temps du repos venu, il ne sera plus. Le Sauveur dit à ses Apôtres : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle » (Malt., xxviii, 19) : on aurait tort d’en conclure qu’après la consommation des siècles, il abandonnera les siens. De même, l’Evangile a pu marquer la nativité du Seigneur comme un terme avant lequel Marie n’a pas connu d’époux, |)arce que cela seul importait ; il ne suggère pas par là qu’après ce terme Marie connut un époux. Au contraire, on doit supposer que, si Joseph respecta jusque-là son épouse, il la respecta beaucoup plus après avoir appris, par révélation divine, un si grand mystère. L’avertissement divin l’avait trouvé prêt à se séparer d’elle par délicatesse de conscience ; cette même délicatesse devait, à plus forte raison, lui imposer une entière réserve à l’égard de la vierge conûée par Dieu à sa garde, au lendemain de son ineffable maternité (v-viii).

3" Un premier-né, selon le langage de l’Ecriture, n’est pas nécessairement le premier d’une série de frères, mais bien celui que nul autre n’a précédé (Ex., xxxiv, 19-20 ;..Yiini., XVIII, lô-i^). Cela estsi vrai 183

MARIE, MERE DE DIEU

184

que, pour aequiller envers les prêtres la redevance prescrite par la Loi, on n’attend pas que le premierné ait (les frères. L’ange exlerniinaleur passa dans les maisons des Egyptiens, mettant à mort les premiers-nés {Ex., XII, 29) : on ne voit pas qu’il ait épargné les lils uniques (ix, x).

li" Si l’Evangile parle souvent des frères de Jésus n, jamais il ne les nomme i< lils de Marie ». Le plus connu d’entre eux, Jacques fils d’Alphée (qu’il ne faut pas confondre avec Jacques fils de Zébédéc), avait pour mère une sœur de la Sainte Vierge, que saint Jean appelle Marie (épouse) de Cléophas* Cléophas et Ali>liée sont un même personnage. Malt., xxvii, 56 ;.Miirc, xv, 40 ; f.nc, xxiv, 10 ; loan., xix,

: ?5. Cela ne doit pas surprendre, si l’on considère que

l’Ecriture donne au nom ùe frère divers sens : outre la stricte fraternité du sang, il y a la fraternité de nation, de parenté, d’affection. Les frères de Jésus étaient des frères au sens large, de simples parents (xi-xvi).

Helvidius a voulu faire montre d’érudition ; à l’appui de son opinion, il a cité Tertullien et Victorin de Petlaii. Jérôme écarte simplement l’autorité de Tertuliien qui, lorsqu’il nia la virginité de Mariepost partuni, n’appartenait plus à l’Eglise. Quant à Victorin, c’est à torl qu’on l invoque : il a parlé des fi ères du Seigneur, mais non des lils de Marie. En revanche, Jérôme peut citer une légion d’auteurs anciens qui ont cru à la [)erpétuelle virginité de Marie : Ignace, Polvcarpe, Irénée, Justin et bien d’autres hé ritiers de la doctrine apostolique, qui ont professé cette doctrine contre Ebionites, ïliéodote de Byzance et Valentin (xvii).

Loin d’accorder que les « frères de Jésus » étaient lils de Marie, Jérôme n’accordera même pas qu’ils pouvaient être (ils de Joseph, comme on l’admettait jusqu’à lui as’sez volontiers. L’honneur de Marie exigeait qu’elle fût unie à un époux vierge : tout est virginité dans ce mariage (xix). Hardi coup de barre qui fixera l’orientation de la tradition. Jérôme le justifie par des raisons de haute convenance. P. /,., XXIII, ioS B : Tu dicis Mariam virginem non permon.sisse : ego milii plus vindico, eliam ipsum loseph virginem fuis.^e per Mariam, ut e.r virginali coniugio l’irgo /iliu.i nasceretur..’ii eniin in s’iruin sanctum foriiicntio non cadit et aliam eum uxorem Itahuisse non .<^crihitur,.^lariæ autem, quani putatus est hal/uisse, custos poilus fuit quant maritus ; relinquitur i’irginem euni mansisse cum Maria, qui pater Domini meruit appellari.

Sur l’histoire du culte de saint Joseph et les questions dogmatiques lices à ce culte, voir surtout Joseph Seitz, Die Verehrung des lil..Jasepli, Freiburg, i. B. 1908. Pour la question présente. II, i, 8, p. 51-.’18.

La position prise par saint Jérôme contre Helvidius fut maintenue par lui avec beaucoup de fermeté durant toute sa carrière. En 892/3, l’occasion de revenir sur la perpétuelle virginité deMarie lui fut offerte jiar l’hérésie de Jovinien. C’était un moine en rupture d’ascétisme, qui s’avisa de soutenir, entre autres paradoxes, l’équivalence parfaite, d’un point de vue moral et chrétien, entre la virginité, le veuvage et la vie conjugale. Cette nouveauté fut condamnée en 3go par le pape saint Sirice dans un synode romain, auquel fil écho, l’année suivante, un synode milanais jirésidé par saint Ambroise. Saint Sinicn, Ep. vii, P. L., W, 1168-1172 ; saint Ambroisr, Ep. xLii, P. /.., XVI, 1124 1129. Par les soins de Pammachius, l’écrit de Jovinien fut envoyé de Rome à Bethléem, oii Jérôme écrivit deux livres Adversus loi’inianum, P. I.., XXIII, 211-338. Relevons seulement quelques traits, dans le premier livre, qui louche en passant à la perpétuelle virginité de Marie. Jérôme en trouve

l’image dans le jardin fermé, dans la fontaine scellée du Cantique (iv, 12), et il ajoute : « De cette perpétuelle virginité naîtront de nombreuses vierges » ; Ilæc firgo perpétua multariim est mater virginum ; Adv. lovinianiim, I, xxxi, P /,., XXIII, 254 B. Amené à commenter l’oracle d’/s., vii, 14, il dislingue

riD/y à la fois de n’^lP^ < ! "’signifie proprement virgo, et de n~lî ?3> q"’signifie adolescentula, pælla ; il interprète : virgo sécréta et nimia parentuni diligentia custodita. Ibid.^ xxxii, 254-a55.

Pour saint Jérôme, Isaïe est essentiellement le prophète de la vierge, virginis demonstrator, Adv. loannem Ilierosolyni., x, P. /,., XXIII, 363 C. Dans son commentaire In Is<iiam, il approfondira encore les questions linguistiques relatives à l’oracle de l’Emmanuel, et soulignera notamment la diflérence entre la le^on des Septante ; (ôoù r, r^v.pOivo ; h /y.jzf^l >/, ’^£t « i, et la leçon plus expressive de saint Matthieu, i, î3 : iSryj Y, TTxpSivoi £v y’/7T/51 £ ? ! ’, qul. en tranchant le mot, fait mieux ressortir le fait de la conception virginale. /’. y.., XXIV, 109. Il admet que Marie avait lu l’oracle d’Isaïe ; par là, elle était disposée à entendre la révélation qui lui fut faite par l’ange. Anecdota Maredsolann, II, 895.

On ne s’étonnera pas de voir Jérôme passer, de la maternité i)hysique de Marie, à sa maternilé mystique, et rééditer l’antilhèseEveMarie. Mors per Ei’am ; i’ita pér Maruim, lisons-nous, Ep. xxii, 21, Ad Euslochiuni, P. /.., XXII, 408. A raison de sa virginité perpétuelle, Marie incarne l’idéal de la virginité vouée à Dieu par les i’irgines Christi. Nous trouvons cet idéal projiosé à la même vierge, Ep. xxii, 38, 422 : l’ropone tihi healam Mariam, quæ tantæ extitit piirilatis ut muter Domini esse mereretur. S’adresse-t-il à une mère, Jérôme lui conseille de former sa fille sur ce modèle. Imitetur Mariam, Ep. cvii, 7. |3, Ad Lætam, P. L., XXII, 874. 877.

Avec saint Augustin, Jérôme lutta contre l’erreur pelagienne, écartant la chimère d’un homme sans péché ici-bas. Par là, il n’entend pas limiter la puissance de la grâce, mais seulement constater le fait de notre infirmité originelle. Il ne songe pas à proposer Marie comme une exception à la loi commune, et pourtant il déclare que les plus saintes âmes ne peuvent lui être comparées..Vinsi, Elisabeth et Zacharie, Dial. adv. Pelagiunos, I, xvi, P. A., XXIII, 510D. La doctrine dcl’inimaculéc conception n’apparait pas chez lui ; [lourtant il ouvre la voie dans un texte uni- | que, où il montre Marie, fille des patriarches, affran-’chie des tares héréditaires, tout entière ficurissant pour Dieu, /n Ecvle., P.L., XXIII, 1098 G : Ex quibus nata est virgo tiherior sancta Maria, nullum hahens fruticem, nullum germen er lalere ; sed totus fructus eius erupit in florem, loquentem in Cantico Canticorum : Ego floscampi et liliiim convallium. Cant., 11, i.

Marie s’élève au-dessus de l’humanité par une plénitude de grâce, Ep. lxv, 9, P. /,., XXII, 628, qui doit faire désirer singulièrement, entre les biens de la vie future, l’honneur de lui être réunie. C’est l’espérance proposée à la vierge Eustochie, Ep, xxii, 4 I. P. L., XXII, 4^4- A une mère, Paula, qui pleure sa fille Blésilla, il fait entendre la parole de sa fille :

« Ne pleurez plus sur moi ; car à votre place, j’ai

Marie, la mère du Seigneur I « Ep. xxxix, fi, P. L., XXII, 472.

Voir J. NiiîssEN, Die Mariologiedes hl. Hieronymus, Miinster i. W., igiS ; GniiTZMACHBR, Hieronymus, 3 vol., Berlin, 1901-1908.

Dès l’année 877, saint Ambroisk (}- 897) dédiait à sa sœur Marcelline ses trois livres De virginibus. II y présente Marie comme le miroir des vierges, réalisant l’idéal de toutes les vertus qu’elles doivent 185

MARIE, MERE DE DIEU

186

pratiquer.il, ii, P. L., Wl, 208-iii. Ce thème lui était cher ; il le reprendra quinze ans plus lard (892), à l’intention de la jeune Anibrosia, qui venait de consacrer à Dieu sa virginité ; el il saisira l’occasion de llélrir l’hérésie de Bonosb, renouvelée d’Helvidius. Marie a levé l’étendard de la virginité chrétienne ; son exemple attire au Christ d’innombrables vierges. Et cependant il s’est trouvé des hommes pour nier qu’elle ait persévéré dans la virginité. Ambroise a longtemps préféré s’en taire ; mais quand un évêque (Bonose était évêque de Sardique) se fait complice de telles allégations, il faut nécessairement le flétrir. La réponse qu’il oppose à l’hérétique, moins poussée que celle de saint Jérôme à Helvidius, en reproduit les principaux traits. A propos du doute de Joseph, il esquisse un parallèle entre la résurrection du Christ et sa conception de la Vierge. La résurrection du Christ devait remplir de stupeur les anges (/’5. xxiii, 7-10). Et pourtant ce miracle n’était pas sans précédent scripturaire (1Il Heg., XVII, 22) : le lils de la veuve de Sarepta s’était levé vivant, à l’appel d’EIie. La conception d’une vierge est un miracle sans précédent (IV Heg., IV, i-j). Combien légitime donc l’étonneinent de Joseph ; De institutione virginis, v, 32-^0, P. L., Wl, 3 1 3-3 16. — Ambroise montre Marie, debout au pied de la croix, intrépide quand les hommes ont fui, prête à unir le sacriûce de sa vie à celui de son Fils, ibid., VII, 49, P- 318 G. Il devance saint Jérôme dans l’application à Marie de l’oracle d’Ezéchiel sur la porte orientale du temple, que seul le Seigneur a franchie(^3., xLiv, 2), et interprète cet oracle au sens le plus strict : la naissance du Seigneur ne porta nulle atteinte à la virginité de sa mère, viii, 52, p. 3ao A. — Voir ci-dessus, col. 124.

La spéculation de saint Augustin enrichit la doctrine mariale d’aperçus nouveaux et profonds. Non content de lutter, aux côtés de saint Jérôme, contre les hérésies d’Helvidius et de Jovinieii, il précise et pousse avec vigueur des idées seulement indiquées avant lui, touchant I9 rôle de Marie dans la Sainte Famille et dans l’Eglise, et touchant sa sainteté personnelle.

Augustin s’appuie sur l’Evangile pour revendiquer expressément, comme dû à Joseph, le titre d’époux de Marie ; d’autant qu’il trouve réalisés dans leur union les trois biens essentiels du mariage ; à savoir : 1° la foi conjugale, gardée inviolablement ; a" la postérité, car la protection et l’éducation du Fils de Marie était, dans la pensée divine, la raison d’être de la Sainte Famille ; 3’le sacrement, car cette union fut indissoluble, comme l’union du Christ et de son Eglise, figurée dans le mariage humain (Eph., v, 32). De nupliis et concupiscentia, 1, xi, 12, P. L., XLIV, 421 ; Contra lalianam Pelagianum, V, XII, 46. il’id., 810.

Par ailleurs, il insiste à maintes reprises sur la perpétuelle virginité de Marie ante partum, in partii, post partum. Sermo cLxxxvi (In Natali Domini, m), I, P. L., XXXVIII, 999 :

… Le Créateur invisible s’est fait visible pour nou* ; de ses entrailles fécondes, la vierg-e mère l’a mis au monde, sans détriment de sa virginité. Vierge dans la conception, vierge dans l’enfantement, vierge enceinte^ vierge mère, perpétuellement vierge. liorame, pourquoi rétonner ? Dieu devait naître ainsi, dès lors qu’il se faisait homme. Telle il lit celle dont il devait être fait…

Sermo clxxkviii (In Natali Domini, v), 4, P, /,., XXXVIII, lou/, :

Célébrons avec joie le jour qui vit naître de Marie le Sauveur, d une femme mariée TAuteur du mariage, d’une vierge le Roi des vierges ; confiée à un époux, elle devint mère sans époux, vierge avant le mariage, vierge dans

le mariage, vierge dans renfantemcnt, vierge dans l’allaitement. Par sa naissance, le Fils tout puissant n’a point ravi la virginité à la sainte Mère qu’il avait choisie pour naître d’elle. C’est un bien que la fécondité du mariage ; c’est un plus grand bien que l’intégrité de la virginité. L’homme Christ, pouvant donner l’un et l’autre (car il est à lu fois homme et Dieu), devait, en donnant à sa mère le bien cher aux époux, lui laisser le plus grand bien que les vierges préfèrent à la maternité. Aussi la sainte Eglise vierge célêbre-t-elle aujourd’hui l’enfantement de la Vierge. A elle s’adressent les paroles de l’Àpotre : Je vous ai destinée, vierge chaste^ à un seul époux, le Christ. Où trouver la vierge chaste, parmi une si grande multitude de l’un et de l’autre sexe, parmi non seulement tant d’t’ufantg et de vierges, maïs tant d’époux, tant de pères et de mères.’Où la trouver, dis-je, cette vierge chaste, sinon dans l’intégrité de la foi, de l’espérance et de la charité ? Voulant donc faire la virginité dans le cœur de l’Kglise, le Christ commença par la garder dans le cœur de Marie. Dans les mariages humains, une femme est livrée à un époux, afin de n’être plus vierge ; l’Eglise ne pourrait être vierge si elle n’avait trouvé pour époux le l’ils de la Vierge.

Mère du Christ selon la chair et des chrétiens selon l’esprit, Marie associe d’une façon unique aux gloires de la virginité cellesde la maternité. De sancta virginitate^ vi, P, /,., XL, 899 :

Seule entre les femmes, Marie est, non seulement d’esprit mais de corps, à la fois mère et vierge. Desprit, elle est mère, non pas sans doute de notre Chef et Sauveur, de qui plutôt elle est née selon l’esprit, car tous ceux qui croient en lui — et elle est du nombre — méritent d’être appelés fils de l’Epoux ; mais bien de nous, qui sommes ses membres ; car elle coopéi-a, par sa charité, à la naissance des fidèles dans l’Eglise, des membres de ce Chef. De corps, elle est mère de notre Chef même. Il fallait que, par un insigæ miracle, notre Chef naquît selon la chair d’une vierge, pour indiquer que ses membres naîtraient, selon l’esprit, de l’Eglise vierge. Ainsi Marie est-elle, d’esprit et de corps, mère et vierge ; mère du Christ et vierge du Christ.

Dans le De natnra et gratia, qui appartient au début de la controverse pélagienne (4 15), Augustin combat l’assertion de Pelage, d’après laquelle il y aurait ici-bas des hommes sans péché. Pelage a cité de saints personnages de PAncien Testament : Abel, Enoch, Melchisédech, Abraham, Isaac, Jacob…, Joseph époux de Marie, Jean (le précurseur). Outre les hommes, des femmes : Debbora, Anne mère de Samuel, Judith, Esther. Anne tille de Phanuel, Elisabeth, enlin la mère du Seigneur, « qu’on doit, dit-il, déclarer exempte de péché ». Augustin commence par mettre hors de cause la Sainte Vierge Marie, au sujet de laquelle l’honneur du Seigneur ne permet pas de soulever la question du péché ; car Jusqu’où a pu s’étendre la grâce particulière accordée, pour triompher du péché, à celle qui devait concevoir et enfanter le Seigneur entièrement exempt de péché ? Donc, Marie étant mise hors de cause, si l’on interrogeait tous ces saints et toutes ces saintes et si on leur demandait ; « Etiez-voussans péché ? » Que répondraient-ils ? Ce que répond Pelage, ou bien ce que répond l apôlre saint Jean (I/o., i, 8) : a Si nous prétendons être sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, el la vérité n’est pas en nous » ? De natnra et ^ratia^ xxxvi, ^2, P. î-, XLIV, 267.

Ce n’est pas ici le lieu de discuter si l’alTirmation d’Auî^uslin s’étend à l’immaculée conception de Marie. Deux textes paraissent le suggérer, Contra liilianum Pelagianum V, xv, 5^, P.L., XLIV, 815 ; Opus iniperf. contra / « /(’armm, IV, cxxii, P./.., XLV, 1^18. (L’objection tirée de Op. imp.^ VI, xxii, 1553, ne porte pas.) Mais pour l’exemption aljsolue de toute faute actuelle, aucun doute n’est possible sur la pensée d’Augustin.

Voir : Ph. Fhiedrich, Die Mariologie des hl. 187

MARIE, MÊEE DE DIEU

188

Augustinus, Kôln, 1907 ; Portauk, art. Augustin, dans Dictionnaire de théologie catholique (1908), col. 2’i-^li. 2875.

Voir, en général, sur cette période :

Cardinal J. H. Nbwman, Bu culte de la sainte-Vierge dans l’Eglise catholique (Lettre adressée en 1805 au D Pusey à l’occasion de son Eirenicon)-Traduction revue et corrig-ée par un bénédictin de Farnborougli (Paris, 1908) ; — T. Lnius, The Blessed Virgin in the Fathers of the first six centuries, London, 1896 (surtout documentaire) ; — F. A. von Lbuner, Die Marienverehrung in den ersten Jahrhunderten, 2" Aufl., Stuttgart, 1888.