Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Lorette

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

LORETTE. — La question de Lorette intéresse l’apologiste de la foi catholique, soit à raison de la dévotion attachée depuis des siècles au célèbre san « luaire, soit à raison des encouragements donnes par l’Eglise à cette dévotion. Elle présente d’ailleurs deux aspects forts distincts, l’un doctrinal, l’autre

historique. Quelle est au juste la portée des encouiragcments donnés par l’autorité ecclésiastique à la dévt>tion de Lorette ? Première question, qui intéresse le théologien. — Les murs de la Santa Casa sont-ils identiquement les mêmes qui abritèrent à Nazareth le Verbe incarné, la Vierge Marie et saint Joseph ? Deuxième question, qui déborde les cadres de la théologie et sur laquelle l’Eglise n’a pas négligé d’entendre les historiens et les archéologues.

Nous retiendrons la question de principes, et sur la question d’iiisloiie enregistrerons le jugement autorisé de la Sacrée Congrégation des Kites, renvoyant le lecteur, pour toute discussion approfondie, aux auteurs spéciaux.

1. Question de principes. — Les principes généraux (lui dirigent l’Eglise dans l’appréciation des faits ré[)utés miraculeux et des traditions pieuses ont été déjà formulés ci-dessu3(article Likux saints) ; nous les rappellerons brièvement, d’après l’Encyclique l’asccndi (IIP partie, c. vi) :

n En ce qui regarde le jugement à porter sur les pieuses traditions, voici ce qu’il faut avoir sous les yeux. L’Eglise use d’une telle prudence en cette matière, qu’elle ne permet point que l’on relate ces traditions dans des écrits publics, si ce n’est qu’on le fasse avec de grandes précautions et après insertion de la déclaration imposée jtar Urbain VIII ; encore ne se porte-t-elle pas garante, même dans ce cas, d^ la vérité du fait ; simplement, elle n’empêche pas de croire des choses auxquelles les motifs de foi humaine ne font pas défaut. C’est ainsi qu’en a décrété, il y a trente ans, la Sacrée Congrégation des Rites (décret du g mai 1877) : Ces apparitions ou rét’élO’tions n’ont été ni apjiroufées ni condamnées par le Saint-Siè( ; e, qui a simplement permis qu’on les crût de ftii purement humaine, sur tes traditions qui les relatent, corroborées par des témoignages et des monuments dignes de foi. Qui tient cette doctrine, est en sécurité. Car le culte qui n pour objet quelqu’une de ces apparitions, en tant qu’il regarde le fait même, c’est-à-dire en tant qu’il est relatif, implique toujours comme condition la vérité du fait ; en tant qn’ahsolu, il ne peut jamais s’appuyer que sur la vérité, attendu qu’il s’adresse à la personne même des saints que l’on veut honorer. Il faut en dire autant des reliques. »

Celte doctrine est parfaitement claire. La raison fondamentale et indéfectible du laissez-passer ac cordé par l’Eglise à la dévotion de Lorette est la réalité même du mystère de l’Incarnation, que les fidèles venaient honorer en ce lieu ; la croyance, qui identifie le sanctuaire de Lorette à l’ancienne habitation de la sainte Famille, n’avait à attendre de l’Eglise aucune garantie, et en l’autorisant, sur les témoignages humains qui l’aflîrmaient, les papes du XVI’, du xvn’, du xviii", du xix’et du xx" siècle, n’ont pas engagé sur cette question leur magistère infailUljle. Qui tient cette doctrine, est en sécurité.

Que les principes généraux énoncés ci-dessus trouvent leur pleine application dans le cas de Lorette, c’est ce qui ressort de la teneur même des documents jiontilicaux. La série en est longue ; nous citerons deux des plus anciens : celui de Paul II, où apparaît pour la première fois la crojance à la translation miraculeuse de la madone lorétane, et celui de JuLBS II, où apparaît pour la première fois la croyance à la translation miraculeuse de Pédicule lui-même.

La bulle de Paul II est datée du i 2 février 1470 ; on y lit :

« Cupientes eccicsiam B. Marie de Laureto, in honorem

ejusdem sacratissime Virginis extra muros Racanati miraculose fundataiu, in qua, sicud fide dignorum habet asserlio et universis potest constare 23

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fideUbus, ipsius Virginis gloriose jmago angelico comitante cetu mira Dei clementia coUocala est, et ad quain, propter innumera et slupenda rairacula, que ejusdem meritis et intercessione singulis ad eaiii dévote recuirenlibus et ipsius patrocinium cum Lumilitate poscentibus Altissinius operatus est liactenus et operatur in dies, ex diversis niundi partibus etiaiu reniolissimis, ejusdem sacratissime Virginis liberali presidiis populorum contluit multitude, cuique nos ob prcclara ipsius Matris Dei mérita ab ineunte elate ultra communem morlalium modum semper devolissimi ac alt’ectissimi fuimus. »

Voici le passage capital de la bulle donnée par Jules II en date du 21 octobre iSo^ :

« Nos attendentes quod non solumerat in predicta

eeclesia de Loreto imago ipsius béate Marie Virginis, sed etiam, ut pie creditur et fania est, caméra sive thalamus, ubi ipsa beatissinia Virgo concepta, ubi educata, ubi ab Angelo salulata Salvatorem seculorumverbo concepit, ubi ipsum suum primogenitum suis castissimis uberibus lacté de celo plenis lactavit et educavit, ubi quando dcLocseculonequamad sublimia assumpta extitit orando quiescebat, quaraque aposloli sancti primara ecclesiam in honorem Dei et ejusdem béate Virginis consecrarunt, ubi prima missa celebrata extitit, ex Bethléem angelicis manibus ad partes Sclavonie et locuniFlumen nuneupatum primo porlata, et inde per eosdem angelos ad nenius Laurete mulieris, ipsius beatissime Marie Virginis devotissime, et successive exdicto nemore, propter homieidia et alla facinora que inibi perpotrabanlur, in collera duorum fratrum, et postremo, ob rixas et contentiones inter eos exortas, in vicum publicum territorii Uacanatensis translata existit. »

On a dû remarquer les expressions employées : Ecclesiam inii-aculose fiiiidatam, in qita, sicut fide di^norum liahel assertio et universis potest constare fidelibus, ipsius Virginis gloriose ymago angelico comitante cetu mira Dei clementia collocata est, disait Paul II. — Attendentes quod non solum erat in predicta de l.oreto imago ipsius heale Marie Virginis, sed etiam, ut pie creditur et fama est, caméra sive llialamus ubi ipsa heatissima Virgo concepta, uhi educata, uhi ab Angelo sahitata Salvatorem seculorum veri)0 concepit, dit Jules II. Le jugement porté sur la valeur et la moralité des témoins laisse à ceux-ci toute la responsabilité de leur témoignage. Qu’il s’agisse des origines du sanctuaire ou de la réalité des innombrables faveurs miraculeuses — innumera et stupenda miracula — obtenues par l’intercession de la Vierge, les documents pontificaux s’en tiennent exactement aux principes énoncés plus haut.

Dès lors, la réponse à la première question, tjueslion de principes, est fort claire : les expressions indécises de Paul II, les expressions plus déterminées de Jules II et de ses successeurs, renferment, outre la constatation d’une croyance très répandue au déclin du quinzième siècle, l’expression d’une opinion personnelle, mais nulle assertion dogmatique. L’introduction, dans la liturgie romaine, d’un ofQce de la Translation, n’a pas une autre signification ; car, ainsi que l’ont rappelé, à diverses reprises, les Congrégations romaines, l’approbation d’offices nouveaux ne comporte aucun jugement définitif sur la réalité des faits qui ont donné lieu à cette concession : en proposant ces faits aux fidèles comme croyables de foi humaine, l’Église ne perd pas de vue sa mission enseignante, qui est d’un tout autre ordre, et plus haut, que celle d’un tribunal historique. Que les leçons historiques du bréviaire, compilées à des sources de valeur très inégale, renferment de notables erreurs, cela est si vrai que parfois

l’Église avoue ces erreurs et les corrige : on l’a vu récemment dans le cas du pape saint S3 Ivestre et du pape saint Marcellin. Croire ces leçons irréformables, serait prendre le change sur la nature de l’infaillibilité à la([uelle prétend l’Eglise en matière liturgique. Les mêmes principes s’appliquent exactement au fait de la translation miraculeuse. Le premier ollice approuvé par la Congrégation des Rites, pour Lorettc et les Marches, n’en faisait pas mention : toutes les leçons du second nocturne étaient prises du commun. En 1699, on fit un pas de plus : l’affirmalion du miracle trouva place à la fin de la sixième leçon. Un récent décret de la Congrégation des Rites, en date du 12 avril 1916, vient de lui apjiorter une consécration nouvelle.

Est-ce le cas de redire avec un ancien auteur : Multorum devotio paucorum doctrinæ cedere non débet ? Après tout, un tel opportunisme ne présenterait rien d’absolument scandaleux. Car l’Eglise n’est pas une académie, mais une société instituée pour promouvoir le bien surnaturel des âmes ; dans l’hypothèse d’un conflit entre l’intérêt immédiat des âmes et la conservation de telle vérité scientifique particulière, il est assez naturel qu’elle songe d’abord aux âmes. Toutefois, ce point de vue étroitement utilitaire n’est pas celui où ont coutume de se placer ceux qui, d’office, veillent aux intérêts généraux de la foi. C’est ce que Léon XIII rappelait un jour en empruntant la parole de Job (xiii, 7) : Numquid Deus indiget vestro mendacio ? (Dans le même ordre d’idées, voir la lettre du même pape aux cardinaux de Luca, Pilra et Hergenroether, sur les études historiques, 18 août 1883. Trad. française dans la Revue des Questions historiques, t. XXXIV, p. 353363.) Si la fête de la translation miraculeuse fut introduite au xvn" siècle, si elle fut maintenue de nos jours, c’est sans doute qu’on lui trouva des titres sérieux. Ces titres, suffisants pour la légitimer au jugement de l’Eglise, ne le sont pas pour permettre de jeter l’anathème à ceux qui l’ont parfois discutée en historiens.

Il serait donc aussi contraire à la vérité qu’à la prudence, de dire, avec tel auteur anonyme :

u II faut proclamer (la brutale matérialité du fait de Lorelle), la faire briller, car l’abandonner aux coups de l’adversaire, c’est faire l’abandon de tout le surnaturel chrétien à travers Ihistoire. C’est pourtant ce qu’ont fait certains critiques catholiques bien intentionnés et rêvant de jeter un pont au protestantisme. C’est une singulière façon de servir l’Eglise. X (Voir /.a Croix, dn iGdéc. 1909, et la contreiiarlie dans le même journal, 9-10 janv. 1910.) Non, la vraie façon de servir l’Eglise ne consistera jamais à l’engager plus qu’elle-même ne prétend s’engager. L’Eglise n’a jamais songé à rendre « tout le surnaturel chrétien « solidaire des traditions lorétanes.

D’autre part, le sentiment de dévotion qui, depuis des siècles, entraîne les foules chrétiennes vers le sanctuaire de Lorette, ne tire pas sa valeur de la matérialité de pierres : il a un objet plus haut, et s’adresse aux mystères fondamentaux du christianisme. Il n’en faudrait pas davantage pour justifier, en tout état de cause, devant la raison comme devant la foi, les miracles opérés par Dieu dans ce lieu béni, et conséquemment les encouragements donnés par l’Eglise à cette dévotion.

II. Question de fait. — Le fondement le plus sûr de la croyance à la translation miraculeuse est la longue série de documents pontificaux iqui, depuis le commencement duxvi’siècle, constatent la croyance populaire et autorisent la dévotion qui s’y fonde. A cette série officielle, viennent s’ajouter, pour 25

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les deux siècles précédents, d’autres documents ou moins explicites ou moins vénérables. Ne parlons pas des invectives, qui ne servent en aucune mesure la cause de la vérité.

Nous avons cité les bulles de Paul II (12 fév. 1^70) et de Jules II (21 oct. 1607) ; on a pu observer qu’elles font allusion au passé de la Sania Casa en termes très généraux. Une narration précise peut être atteinte par nous dans V Histoire présentée le 19 septembre 1531 à Clément VllI par Jérôme Angelita, secrétaire perpétuel de la commune de Recanati ; en voici le résumé :

9-10 mai 1291. — Arrachée de ses fondements par les anges, la Santa Casa de Nazareth est transportée par eux à Rauniza, entre Fiume et Tersatto (Dalciatie). Apparition et discours de la sainte Vierge au curé ( ?) Alexandre.

1292. — Envoi de quatre délégués illyriens de Tersatto à Nazareth pour vériiier les dimensions respectives du sanctuaire et de ses anciennes fondations.

10 décembre 1294, — La Santa Casa reprend son vol, traverse la mer Adriatique, et vient se poser dans le territoire de Recanati.

10 août 1295. — Nouveau transport de la Santa Casa à peu de distance, dans le domaine des frères Antici.

9 septembre 1295. — Envoi par la ville de Recanati d’un ambassadeur au pape Boniface VIII, pour lui annoncer l’arrivée de la maison de Nazareth sur son territoire.

2 décembre 1295. — Quatrième et dernière translation de la Santa Casa au lieu dit Laurelum.

1296. — Apparition de la Vierge Marie à un anachorète.

Même année. — Envoi de seize délégués à Nazareth, pour vérification comme ci-dessus,

A la dévotion populaire, manquait une consécration liturgique : elle lui vint de la Congrégation des Rites, qui, par décreldu 29 novembre iG32, approuva, pour la province des Marches, la fête de la Translation, lixée au 10 décembre. En 166g, la fête entrait au martyrologe romain. Le 16 septembre 1699, ^"’approuvé l’office propre, avec la messe, pour la province de Picenum ; des décrets ultérieurs en étendirent l’usage à d’autres parties de l’Eglise, — non à la catholicité tout entière. Malgré certains retours offensifs de la critique, on peut dire que, depuis quatre siècles, l’idée de la Translation est, dans l’Eglise, en possession de la croyance commune. La Congrégation des Rites se réfère à cette possession dans les considérants singulièrement graves de son récent décret. Acta Apostolicæ Sadis, 1916, p. 179 : Celeberrimnm præ cunctis inarialibiis Orhis catholici sacrariis promerito ac iure Lauretanuin habeluv, itludqtie fcre sex ahhinc sæculis Christi fidelium præcipuæ veneraiionis cuttusque inaximi cohoneslalur significationibus. Domus. inijuam, natalis Beatissiinæ Virginis Mariae, ditunis mysleriis consecrata ; ibi eniin Verbtim caro factuni est…

Les arguments opposés au fait de la translation miraculeuse (en dehors de l’universelle (in de nonrecevoir opposée par le rationalisme à tout miracle) sont les uns négatifs, les autres positifs. Les arguments négatifs se résument dans l’impossibilité d’établir le fait du miracle par témoignages contemporains. Les argiments positifs se résument dans le double démenti de la tradition locale. Ni la tradition locale de Lorelle ne serait compatible avec l’apparition miraculeuse de la Santa Casa à la date assignée, ni la tradition locale de Nazareth avec sa disparition miraculeuse.

Ceux qui présentèrent ces arguments furent souvent des catholiques, qui prétendent liien ne le céder à personne en orthodoxie et en dévotion à Marie, et

relevaient toute insinuation contraire comme une injure ; mais convaincus que, dans cette question étrangère à la foi catholique, l’histoire n’est pas sans réponse ; que d’ailleurs il n’est ni prudent ni légitime de solidariser la religion, venue de Dieu, avec des traditions humaines, si favorables soient-elles à la piété ; désireux enUn de servir Dieu et l’Eglise en appliquant à l’éclaircissement de la tradition lorétane les procédés d’investigation ordinaires de la science historique. Ils s’y crurent d’autant plus autorisés que les documents émanés de l’autorité ecclésiastique, en constatant la croyance populaire et approuvant la dévotion, laissaient intacte la question de fait.

Les défenseurs de la tradition leur ont opposé des témoignages et des expertises dont on trouvera le détail dans leurs ouvrages.

Le présent article n’a pas pour but de discuter avec des catholiques, mais de répondre aux adversaires de la foi.

Si des catholiques s’avisent de solidariser la foi avec la question de Lorette, c’est tant pis pour eux, il ne saurait être question de les défendre.

Les adversaires du catholicisme ne se sont pas fait faute de dénoncer, dans la question de Lorette, un conflit entre la foi et l’histoire. Les considérations précédentes suffisent à prouver que cette prétention est absurde, puisque la pieuse croyance relative à la Santa Casa n’appartient pas à la foi. Ce terrain apologétique est ferme. Le lecteur désireux de s’engager sur le terrain archéologique pourra consulter les ouvrages suivants, choisis parmi beaucoup d’autres :

Ouvrages favorables à la translation miraculeuse : Horatii Tursellini Romani, S. J., Laiiretanæ liistoriae tibri quinque, Romæ 1697. (Nombreuses rééditions et traductions en diverses langues.) — Mgr M. Faloci Pulignani, l.a S. Casa di Loreto seconda un affresco di Gubbio, Roraa, Desclée, 1907 (traduct.fr., ibid.). — Alph. Eschbach, ancien supérieur du séminaire français à Rome, La vérité sur te fait de Lorette, Paris, Lethielleux, 190g ; Lorette et l’ultimatum de M. U. Clievalier, Rome-Paris, Desclée, igiS.

Ouvrages contraires à la translation miraculeuse :

Leop. de Feis, barnabite, La S. Casa di Nazareth ed il santaario di Loreto, dans liussegna nazionale, Florence, t. CXLI, p. 67-97 ; < CXLIII, p. 405-430 (igoô). — Chanoine Ulysse Chevalier, correspondant de l’Institut, Notre-Dame de Lorette, Etude historique sur l’authenticité de la Santa Casa, Paris, Picard, 1906, in-8° ; voir aussi la recension par le P. C. de Smedt, S. J., dans Analecta Bollandiann, t. XXV, p. ! t’)S- ! i<jti, 1906. — Constant Bouffard, La vérité sur le fait de Lorette, Paris, Picard, 1910. — Georg Hiiffer, Loreto, Eine geschichtskritische l’ntersuchung der Frage des Ileiligen llauses, t. I, .Miinster i. W., 191 3.

A. d’Alès.