Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Jean Népomucène (Saint)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 611-612).

JEAN NÉPOMUCÈNE (SAINT). — Saint Jean Népomucène, patron de la Bohème et premier martyr du secret de la confession, a été canonisé par Benoit XIll, le 17 mars 1729, après un procès conduit selon toutes lesrèglescanoniques. Or, d’après une opinion aujourd’hui très répandue et fortement appuyée, le procès de canonisation contiendrait des erreurs considérables, que les ennemis de l’Eglise déclarent inconciliables avec le dogme de l’infaillibilité pontificale.

En effet, le personnage dont le procès de canonisation place la mort en 1383 et qui a été proclamé saint, n’aurait pas existé réellement ; le seul Jean Népomucène historique serait Jean de Népomuck, vicaire général de l’archevêque de Prague Jenzenstein, précipité dans la Moldau. en 1393, par ordre du roi Wenceslas, et pour lequel des messes de Requiem ont été dites pendant longtemps, dans l’église de Saint-Vit. Le procès de canonisation distinguant nettement ce Jean Népomucène, seul personnage historique, de celui qui a été proclamé saint, l’erreur est évidente et capitale. Avant de répondre à cette dilliculté, exposons rapidement l’état de la question.

Tout le monde est d’accord sur un point, c’est que l’archevêque de Prague. Jean de Jenzenstein (13811896) a eu un vicaire général du nom de Jean de Pomuk oudeNépomuk. Entre les années 1872 et 13g3, le nom de ce vicaire général revient souvent dans les archives métropolitaines (iiftri erectionum), où il signe les fondations en se nommant « Johannes U’el/lini (filius) de Pomuk ». Il était docteur en droit {decretorum doctor), grand vicaire en 1889 ; il devint archidiacre de Saaz en 1890, et comme tel Canonicus Pragensis ad extra, c’est-à dire chanoine de Wyssehrad, mais non pas chanoine titulaire de résidence. On relève sa signature de vicaire général dans plusieurs actes judiciaires du consistoire de Prague. On ne sait pas si le nom de Pomuk désigne la ville où il est ne ou seulement l’origine de sa famille. En 1898, il fut torturé et jeté dans la Moldau par ordre de l’empereur d’.llemagne, roi de Bohême, Wenceslas le Fainéant, pour avoir confirmé contre la volonté de celui-ci l’élection d’un nouvel abbé du monastère de Kladrau (Kladrub).

Ce fait est raconté en détail dans une plainte que 1211

JEANINE D’ARC

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l’archevêque adressa bientôt après au j^ape Boniface IX. Longtemps après la mort de ce vicaire général, des messes de Requiem furent célébrées pour le repos de son âme dans la cathédrale de Saint-Vit. Kien de certain n’a été rapporté sur 1 invention de son corps dans les eaux du fleuve, mais il est enterré dans la cathédrale. Le nom de martyr ou de bienheureux lui est attribué trois fois dans le cours des siècles, à savoir i" dans la plainte de l’archevêque ; 2" dans la vie de ce même archevêque écrite par un chanoine régulier ; et 3" dans une lettre de donation de i’i') ! , sur laquelle une maininconnue a apposé les mots : B. Joannes.ep. me f’ecil, pour dire que saint Jean Népomucéne avait rédigé l’acte. L’archevêque, dans sa plainte dont l’original existe aux archives du Vatican, raconte que son vicaire général fut martyrisé et jeté dans la Moldau, par ordre de Wenceslas, pour avoir conlirmé le nouvel abbé de Kladrau sans attendre le consentement du roi ; il ne parle nullement du secret de la confession, et il ne fait aucune mention d’un autre Jean Népomucéne, qui aurait été martyrisé dix ans auparavant, par le même prince.

Depuis le milieu du x-in’siècle, l’opinion s’est peu à peuétablie.parmiles catholiques d’.Vllemagne, qu’il y avait eu quelque erreur dans le procès de canonisation, et qu’on ne doit pas admettre, comme ce procès le suppose, deux personnages du nom de Jean Népomucéne, tous les deux chanoines de Wyssehrad à la même époque, tous les deux précipités dans la Moldau par ordre du même roi Wenceslas, l’un en 1383 et l’autre en 1393, tous les deux ayant leur tombeau dans l’église de Saint-Vit, et tous les deux qualifiés de saints ou de bienheureux. Il n’y aurait eu qu’un Jean Népomucéne, vicaire général de l’archevêque de Prague, martyrisé en iSgS ; la cause réelle, mais secrète, de son martyre, aurait été le refus de découvrir la confession de la reine, et la cause oflicielle, avouée et connue de tous, aurait été la confirmation de l’abbé de Kladrau.

Les ennemis de l’Eglise catholique ont tiré parti de ces discussions pour attaquer l’infaillibilité pontificale, et la valeur des procès de canonisation : « Le Pape, disenl-ils, s’est trompé et a proposé h la vénération des lidèles un personnage qui n’a eu d’existence que dans la légende. "

Nous pourrions nous contenter de répondre à nos adversaires que l’infaillibilité du Pape dans la canonisation des saints n’est pas une vérité définie, et que Ion peut la nier sans être hérétique. Nous ne voulons pas cependant nous arrêter à cette solution, parce que nous tenons pour certain, avec la généralité des théologiens, que le Pape est infaillible dans la canonisation des saints. Mais cette exemption d’erreur ne porte que sur le fait de la sainteté du personnage canonisé et sur la gloire dont il jouit dans le ciel ; quant aux détails des dates, des fonctions, des miracles, il ne sont compris par personne dans les matières auxquelles s’étend l’infaillibilité pontificale. Ainsi, d’après l’enseignement catholique, il n’est pas impossible que le Pape se soit trompé dans l’approbation du procès ou même dans la bulle de canonisation, en (ixant la date du martyreà l’an 1383, au lieu de 1893, en ne donnant pas au saint le titre de vicaire général, en le supposant confesseur de la reine Jeanne, au lieu de la reine Sophie, en admettant que ce saint personnage était différent d’un autre personnage du même nom, son contemporain. Il était infaillible seulement en définissant que la personne honorée en Bohême, sous le nom de Jean Népomucéne, a été vraiment sainte et qu’elle jouit de la gloire du ciel. Or, aucune des deux opinions en présence ne permet de douter de

ces afhrmations. Des messes de Requiem ont pu être célébrées pour le repos de l’àme de saint Jean Népomucéne : ce fait ne prouve rien contre sa sainteté ; il montre simplement qu’elle n’était pas reconnue universellement comme incontestable, dans les premiers temps qui suivirent sa mort. L’infaillibilité pontificale n’a donc rien à voir dans la question ; la mauvaise foi seule ou l’ignorance a pu l’y introduire.

Il n’en est pas moins vrai que, si l’opinion qui n’admet qu’un personnage du nom de Jean Népomucéne est vraie, les procès qui ont été faits pour la cause du patron de la Bohême contiennent des erreurs graves et nombreuses. Comme d’ailleurs les règles établies par l’Eglise ont été parfaitement observées en cette circonstance, comme la procédure a été conduite par des hommes très éclairés, notamment par Prosper Lambertini, plus tard Benoit XiV, dans un siècle où la critique historique était en honneur, il faut admettre que l’infirmité humaine garde sa part dans les enquêtes de ce genre et que l’erreur, malgré toutes les précautions prises, s’y glisse quelquefois. Les théologiens catholiques n’ont jamais prétendu le contraire, et le fait qui nous occupe, s’il est réel, montre simplement qu’il est sage de s’en tenir aiyi principes et de ne pas supposer l’infaillibilité là où l’Eglise ne la place pas.

L’identité du vicaire général avec le martyr du secret de la confession est aujourd’hui communément admise. On peut consulter Dobnbr, Vindiciae sigillo cuiifessionis Domini loannis iepomiicerii, protomartyris poenitentiae, assertae, Prague-Vienne, 1784 ; Ebkkndorfer, Chronica rerum romanaritm, 1469. Parmi ses défenseurs calholiques les plus récents, novis citerons : le D Ginzkl, dans un article de l’Encyclopédie de Wetzer et Welte, traduite en français par Goschler ; l’historien Constantin IIoiîfler, dans deux ouvrages parus en 1856 et 1861 ; Adolphe AVuBRFKL. 1862 ; Clément Borovy, 1878 ; Thomas NovAK, 1871 ; Antoine Frisd, plus tard cvèque de Leitmeritz, dans : Der gescliichtliche heilige Jahannes i’o ; i jXepomuk, Eger, 1861, et d’autres écrits j>ubliés en 1878 et 1879. ^^^ arguments de ce dernier auteur ont été adoptés par les Historiscli-polilischen Blætter, le Katholik de Mayence, les Stimmen ans Marial. aach, etc. Voir aussi Kirsch, article John of Nepomuk dans Catholic Encyclopedia. L’autre opinion a pourtant été reprise : Controversia de S. Joanne Nepomuceno, ouvrage anonyme (1881). et la dissertation du P. ScHMUDB (Zeitschrift fiiv kathol. theol., Innsbruck, jan. 1883).

[J.-B. Jaugev.]