Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Index

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 357-364).

INDEX. — I. Sa définition et son contenu. — II. Esquisse historique. — III. Valeur de l’Index et portée de ses interdictions. — IV. Qui peut imposer un Index ? — V. légitimité et nécessité de l’Index. — VI. Réponse aux objections.

I. Définition et contenu. — L’Index est le catalogue des livres que le Saint-Siège a condamnés comme nuisibles à la religion ou à la saine morale et dont la lecture et la détention sont, sauf dispense légitime, interdites aux fidèles. Des auteurs français l’ont parfois appelé Indice ; mais le premier nom a prévalu. La raison de l’une et l’autre appellation est évidente, le catalogue en question ayant pour objet d’indiquer authentiquement ou de dénoncer les ouvrages pernicieux. Outre les ouvrages prohibés nommément, il en est qui sont défendus par des règles générales qu’on trouve au commencement de toutes les éditions de Vlnde-r. Autrefois, lorsqu’un écrivain avait donné des preuves non douteuses de ses tendances obstinément mauvaises, l’inder interdisait la lecture de tous ses livres tant à venir que déjà publiés, même de ceux qui eussent pu en soi n’être pas mauvais. Le motif de ces condamnations globales, prononcées « in odium auctoris », était double : infliger à l’auteur une punition bien méritée ; surtout, prémunir les fidèles contre ses productions, entre lesquelles il leur est souvent diflicile de faire les distinctions nécessaires. Mais cette sévère formule a disparu de la plus récente édition de l’Index, et avec elle son application est supprimée. Certains livres ne sont point proscrits absolument, mais provisoirement et jusqu’à ce qu’ils aient été corrigés (douée corrigantur). Cette correction ne pouvait jadis être entreprise que par la congrégation même de Vlnde.r ou sur son ordre ; actuellement, il suffît que, faite par l’auteur ou par n’importe qui, elle soit soumise au contrôle de la congrégation et approuvée par elle avant toute nouvelle publication de l’ouvrage.

II, Esquisse historique. ^ L’origine de VIndex comme recueil spécial et sous ce titre ne remonte pas au delà du xvi’siècle. Mais, sans parler du « Fragment de Muratorl >i, extrait disciplinaire qui remonte à l’an 196 environ et qui, à côté des livres divinement inspirés et des livres édifiants, permis ou recommandés, au moins pour la lecture i)rivée, signale déjà d’autres livres de provenance hérétique, « ne pouvant pas être reçus dans l’Eglise » ; dès le v" siècle, dans un concile romain tenu en 496, le pape GÉLASF 1"’publiait une liste d’écrits mis au ban delà société ecclésiastique et de l’orthodoxie. Gratibn nous l’a conservée dans son Décret (Can. Sancta Homana, c. 3, d. 15). Vers la fin du xv* siècle, les abus naissants d’une invention excellente, de l’imprimerie, attirèrent nécessairement l’attention des

1. H. Delehaye, 3/u » <’on, 1912, 1. 703

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souverains pontifes. Innocent VIII, en i-'|8-, Alexandre V (bulle Inler iiiiiltiplices, dn i'"'^ juin lôoi), et LÉON X (b. Inler sollicitudines, du 4 uiai 1515), se préoccupèrent de contenir dans le devoir les imprimeurs et éditeurs trop peu soucieux des intérêts de la foi et de la moralité : ils statuèrent que rien ne pourrait être imprimé sans autorisation de l'évêque du lieu ou de son vicaire général. Léon X et, après lui, Clément YII allèrent plus loin, en portant une défense spéciale de lire les écrits de Luther. Cependant, sous la pression des circonstances, des listes prohibitives particulières à divers diocèses ou à diverses provinces paraissaient successivement (cf. PÉRiÈs, L’Index, Paris, 1898). Mais le nombre des mauvaises publications continuant à croître, Paul IV Ut dresser et promulicuer, d’abord en lôo^, puis en 1559, un catalogue des livres dont il interdisait l’usage. C'était la première ébauche d’un Index général. Persuadé de son utilité, le concile de Trente eut à cœur de la compléter et de la perfectionner. Une commission d'évêques et de théologiens, désignée par lui pour ce travail, ajouta en tête du recueil, sur la publication, la lecture et la détention des ouvrages repréhensiblcs, un ensemble de règles auxquelles Pie IV donna force légale ( 1 56^). Les règles primitives ont été depuis lors retouchées, suivant les conjonctures et les exigences des temps et des milieux, par Clément VllI (1596), par.lexandhe VII (1664), par Benoit XIV (i -53 et 1758), et entin par Léo.n Xill, dans sa constitution Of/iciuruin oc miineriim, du 25 janvier 1897. Cette constitution et les Décrets généraux, en quarante-neuf articles, y annexés et publiés avec elle, régissent désormais toute la matière. Seuls, quelques détails de procédure ont été précisés par PrE X, dans sa Constitution Sapienti consilio, du 2y juin igo8. C’est aussi sous Léon XIII qu’a paru, à Rome, en 1900, la dernière édition officielle de l’Index librorum prohihiloruni.

Paul IV avait laissé le soin de rechercher et de condamner les mauvais livres à la congrégation du Saint-Office. Mais saint Pie V institua dans ce but une congrégation spéciale, dite de V/ndex(ib']i'), qui fut délinitivement organisée et complètement séparée du Saint-Office par Sixte-Quint, en 1588. C’est de cette congrégation qu'émanent aujourd’hui la plupai’t des condamnations. Quelques livres cependant, à cause de leur malice exceptionnelle, sont censurés soit par décret du Saint-Ollice, soit par une bulle ou par un bref du Pape ; ces circonstances sont toujours consignées dans l’Index. Une disposition spéciale de la constitution Sapienti consilin porte que désormais, à raison de l’identité de leur objectif principal, qui est la défense de la foi catholique, les cardinaux membres, les eonsulteurs et les fonctionnaires du Saint-Office et de l’Index pourront toujours, sous le sceau du secret professionnel, se commiiniciuer les uns aux autres tout ce qui se rapporte à la ])rohibition des livres.

III. Valeur de l’Index et portée de ses interdictiODS. — Les règles de l’Index et les défenses particulières qu’il contient sont en soi des mesures disciplinaires. Si, généralement, elles s’inspirent de considérations doctrinales, il arrive aussi qu’elles soient dictées uniquement par des considérations d’opportunité ; et certains ouvrages, d’abord mis à l’Index. ont pu en être effacés plus tard. Telle la célèbre et savante œuvre de Bellakmin, les Oisputntiones de co/i<r()rers ; i.s/ ; (/e/, que Sixte-Quint y avait fait insérer, à cause de la théorie du p<iuvoir indirect du pape sur le temporel des princes, et que, ])eu d’années après, Grégoire XIV en fit disparaître sans que la condamnation eût jamais été promulguée officiellement (cf. La

Bacuelet, Etudes, t. CXI, p. 22--246 : Bellarmin à l’Index). Nous avons vu du reste que les règles générales, qui tracent une ligne de conduite non seulement à chaque lidèle, mais même à la congrégation de l’Index, ont été modiliées à diverses reprises ; suivant la doctrine commune des théologiens, elles n’atteignent plus aujourd’hui tous les livres qu’elles atteignaient précédemment. On peut donc violer les défenses de l’Index sans pécher contre la foi.. plus forte raison le pourrait-on sans encoiLrir la note d hérésie, même dans les cas où une condamnation est motivée par des erreurs de doctrine. Bien qu’un jugement doctrinal de cette sorte se rattache en quelque façon au dogme et à l’exercice de l’infaillibilité de l’Eglise, il n’est pas infaillible ; car les décrets des congrégations romaines ne le sont pas, fussent-ils ratifiés par le Pape. Le privilège de l’infaillibilité est personnel au Souverain Pontife, il appartient donc exclusivement aux actes qui, revêtus d’ailleurs de tous les caractères d’une délinition dogmatique, émanent directement de l’autorité suprême. Par conséquent, celui-là seul tomberait dans l’hérésie à l’occasion d’un livre condamné pour assertions erronées, qui, non content de transgresser la loi prohibitive, nierait en outre formellement soit 1 infaillibilité restreinte aux limites que nous venons d’indiquer, soit toute autre vérité clairement délinie comme dogme.

Mais les décrets de la S. C. de l’Index, même simplement conlirmés in furma communi par le Souverain Pontife, obligent certainement tous leslidèles de tous les pays, et ils les obligent gravement, de leur nature ; néanmoins, si la matière delà lecture est très restreiirte ou le temps de la détention fort court, la faute ne sera que légère. On a dit parfois que ces [irohibitions seraient pures mesures de police doctrinale externe ». Le moindre défaut d’une semblable atlirmation est d'être absolument trop vague et de piêler liane à une foule d'équivoques. Veut-on signifier que les sentences prohibitives ne portent point sur les idées et dispositions intimes de l'écrivain, qu’elles ne contiennent donc à son adresse ni blàrae ni flétrissure ? C’est chose admise par tout le monde. Mais irait-on jusqu'à prétendre que l'œuvre et les opinions y exprimées, prises en elles-mêmes et objectivement, ne soient nullement jugées niatteintes'? Ce serait une interprétation qu’excluent les déclarations répétées du Saint-Siège et les formules mêmes de certaines condamnations. Les défenses de l’Index impliquent une appréciation et une dénonciation autorisées du livre comme repréhensible, c’est-à-dire comme entaché de vues erronées concernant la foi ou les mœurs, ou au moins comme dangereux et inopportun ; et, conséquemment, elles appellent de la part des auteurs et des chrétiens en général plus que la soumission extérieure. Ce n’est pas assez de ne rien faire ni dire qui aille visiblement à rencontre, de leur accorder le respect du silence, s/7eH/iHm ohsequiusiim) ; on leur doit en outre une certaine soumission de l’intelligence, un certain assentiment intérieur, non pas sans doute cet assentiment absolu, <iui ne peut être exigé que pour des définitions infaillibles, mais un assentiment prudemment et provisoirement ferme, proportionné aux circonstances et i>ouvant, selon le cas, se rapporter soit à la vérité du contenu d’un ouvrage, soit à son opportunité. Le plus souvent, les mobiles concrets auxquels la S. C, de l’Inilex a obéi restent son secret. Alors chacun jieut suspendre son jugement et son assenlinicnt ipiantà l’objet précis de la condamnation. Mais parfois le Saint-Siège, comme il l’a fait naguère à propos des livres d’Hermann Schell, demande à l’auteur une rétractation ou prend soin d’informer le public <|u’une défense a été motivée par des propositions hétéro705

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Joxes ou suspectes d’hcttrodoxie. En ce cas, il n’est plus permis de recourir à des allénuations supposant que la seule question d’oi)porlunité a été en jeu.

Quel(iues gallicans du xvii’et du xvin’siècles, se fondant, disaient-ils, sur d’anciens usages et privilèges, ont prétendu que l’Index n’avait pas force de loi en France ; c’est une prétention insoutenaljle, sans nul fondement ni théologique ni juridique, opposée même à tous les principes. Il suflirait, pour la réfuter, de renvoyer ses défenseurs à la doctrine unanimement admise peu d’années auparavant par leurs compatriotes et proclamée dans les conciles provinciaux d’Aix, en 1581, de Toulouse, en iSgo, d’Avignon, en 15g^, etc. Cette opinion est d’ailleurs complètemcnl abandonnée aujourd’hui. Un grand nomlae de synodes provinciaux et diocésains d’une époque récente, reprenant spontanément la chaîne, quelque peu obscurcie plutôt qu’interrompue, de la tradition nationale, ont signalé le caractère obligatoire de VIii-Jex : d’autres, tels que le concile provincial de Toulouse, de 1850, et celui deUeims, de 1867, quiavaient d’abord omis la mention expresse de ce point, l’ont ajoutée, à la demande de la congrégation romaine chargée de la revision de leurs actes. Benoît XIV, en 1757, avait formellement déclaré que les décrets de l’Index liaient tous les fidèles en tous lieux ; cl LiioN XIII, dans la constitution 0/pciorum, qui fait loi en l’espèce, renouvelle expressément cette déclaration :

« Les livres, est-il dit à l’article 45, condamnés

par le Siège Apostolique seront considérés comme proliihés dans le monde entier el en quelque langue qu’ils soient traduits. » (Cf. CiiouriN, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège, Paris, 1907.)

Par rapport à la sanction pénale, les œuvres mises à l’Index peuvent se ramener à deux catégories. La première est définie dans un article de la constitution Apostolicoe 5erfis, reproduit textuellement sous le numéro xlvii des Décréta gencralia de Liiox XIII. Cet article décrète l’excommunication spécialement réservée au Pontife Romain et à encourir de plein droit (ipso facto), contre « tous ceux qui, sciemment et sans l’autorisation du Saint-Siège, lisent les livres des apostats el des hérétiques dans lesquels l’hérésie est défendue, ou bien des livres d’un auteur quelconque, nommément condamnés par lettres apostoliques », et aussi contre « ceux qui détiennent les livres susdits, qui les impriment ou qui leur prêtent appui, de quelque façon que cesoil », L’usage des autres livres condamnés constitue une violation du droit naturel et du droit positif, mais n’entraîne aucune censure, à moins que la sentence du juge ou du tribunal ecclésiastique n’en ait fait mention expresse. J’ai dit : l’usage des autres livres…, pour ne point parler de la peine canonique infligée à certains imprimeurs et éditeurs par l’article xlviii des Décréta generalia, qui porte : a Ceux qui impriment ou font imprimer sans l’approbation de l’ordinaire des livres, des annotations ou des commentaires de la Sainte Ecriture, encourent par le fait même une excommunication non réservée. »

IV. Qui peut imposer un Index ? — L’admission ou la condamnation d’un lifre en tant qu’il intéresse la foiet la morale chrétiennes est une indication autorisée ou une prohibition obligatoire pour les fidèles, et elle constitue soit un laissez-passer soit un obstacle légal à la lecture privée comme à celle qui se ferait en public ; elle est donc du ressort de la puissance spirituelle, qui seule est directement chargée des intérêts de la religion et s’impose sûrement à la conscience des croyants. Si l’histoire nous montre parfois l’intervention des princes séculiers dans les affaires de ce

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genre, clic nous apprend aussi ([ue cette intervention ne fui jamais admise comme légitime qu’à la condition de se produire de concert avec les représentants du pouvoir ecclésiastique, pour seconder leur action ou appuyer leurs décisions. C’est ainsi que Constantin, .rcadius, Théodose et Marcien proscrivirent les écrits d’Arius, des Manichéens, de Neslorius et des partisans d’Eutychès. Plus récemment, en 153g, au témoignage de Llouiînte (Histoire de l’Inquisition d’Espagne), Charles-CJuint, désireux de promulguer dans ses Etals un catalogue de livres défendus, obtint du pape Paul III une bulle approuvant son dessein. Ce catalogue ne parut qu’en 1546, sous ce litre :

« Mandement de l’impériale Majesté, donné el publié

en l’an XLVI, avec catalogue, intitulatioji ou déclaration des livres réprouvez, faiete par Messieurs les Docteurs en sacrée Théologie de Luniversité de Louvain, à l’ordonnance et commandement de la susdiclc Majesté impériale. » Il n’appartient qu’au Souverain Pontife ou à un concile œcuménique de porter, par eux-mêmes ou par personnes à ce déléguées, une défense qui oblige l’Eglise universelle ; mais les évêques peuvent exercer le même acte de juridiction dans leurs diocèses respectifs. L’article XXIX des Décréta generalia de LiioN XIII leur en fait même un devoir ; et, pour renforcer leur autorité et leur action, le pape déclare qu’en cette matière ils pourront procéder (1 comme délégués du Siège apostolique ».

V. Légitimité et nécessité de l’Index. — 1° Preuie de raison tliéologitjue. — Le droit qu’a l’Eglise de proscrire certains ouvrages repose d’abord, d’une part, sur la puissance qui lui a été donnée el le devoir qui lui a été imposé de eiller à la conservation de la foi et des mœurs, de l’autre, sur le dommage que causent aux individus et à la société les lectures malsaines. Si un chrétien a tout à craindre de la fréquentation d’hommes impies ou libertins, si « les mauvais discours corrompent les bonnes mœurs » (I Cor., XV, 33), ainsi en esl-il, à plus forte raison, de la lecture d’écrits dans lesquels l’incrédulité el l’hérésie ont répandu leur venin, que l’immoralité a souillés de ses tableaux dangereux ou efTronlément lubriques. On a dit souvent (]u’un livre est le eonipagnonleplus assidu, l’ami le plusfidèle. Il eslégalcmenl exact de<lireque c’est un maître ou un prêcheur déguisé, aussi opiniâtre qu’habile el insinuant : c’est le conseiller dont la voix, écoutée avec le moins de défiance, pénètre le plus sûrement dans l’intelligence el dans le cœur. Insensiblement, sans heurter beaucoup nos idées ni froisser nécessairement nos sympathies, sans susciter du moins aucune des objections que l’amour-propre, à défaut de la raison, ne manquerait pas d’opposer aux propos d’un interlocuteur vivant, le livre, grâce à son impersonnalité même, fait son œuvre ; il verse ses pensées el ses senlimenls dans l’àme du lecteur, il les y grave d’autant plus profondément que celui qui les reçoit ne soupçonne pas qu’ils lui viennent du dehors et croit s’être formé à lui-même sa conviction, son inclination ou son aversion à l’endroit des personnes et des doctrines. Il n’est point, peut-être, de puissance de suggestion qui soit comparable à celle de la lecture, parce qu’il n’en est point qui se rapproche autant de l’autosuggestion. Tel esl le secret cle l’influence délétère de tant de publications contemporaines, telle la cause des ravages effrayants de la presse irréligieuse et li<encieuse.

L’Eglise se doit donc à elle-même, elle doit aux âmes qui lui sont confiées d’éloigner, autant que possible, ces occasions de perversion. Voilà pourquoi elle défend à tous ses sujets soit de lire, soit de

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conserver, sans son autorisation spéciale, des ouvrages reconnus nuisibles. En agissant ainsi, elle montre, dans sa sphère supérieure, la sollicitude d’une mère qui refuse à ses enfants des aliments qu’elle sait vénéneux ou suspects ; elle imite la sévère prévoyance d’un père qui arrache une arme à feu des mains de son lils imprudent ; elle veille à sa propre sécurité, comme la société civile, qui ne permet pas de colporter, sinon sous certaines conditions et avec un enseuible de précautions déterminées et contrôlées par elle, des objets et des engins spécialement dangereux, de la poudre, de la dynamite et d’autres matières inflammables ou explosibles ; enûn, semblable à un sage gouvernement, qui interdit et punit toute attaque contre les institutions sociales existantes ou toute provocation à l’immoralité, telle que l’exhibition de peintures luanifestement obscènes, elle prétend assui’er à ses fidèles la conservation des biens de l’ordre le plus élevé.

Ces raisons suffisent pour faire justice des déclamations des protestants et des rationalistes contre le point de législation qui nous occupe. Quiconque reconnaît à l’Eglise du Christ le caractère de société véritable, hiérarchique, et réfléchit à l’objet essentiel de sa mission, qui est de maiulenir et de promouvoir l’observation de la loi chrétienne, dans sa partie théorique comme dans ses applications pratiques, doit avouer que les papes, en flétrissant les écrits impies ou immoraux, se montrent justement soucieux des intérêts des âmes et accomplissent le plus impérieux des devoirs.

2" Preuve tirée du sentiment et de l’usage universels. — On peut invoquer en faveur de la même discipline le sentiment unanime de tous les peuples et de toutes les sectes, y compris les soi-disant réformateurs du XVI’siècle. Chez les Juifs, à cause de quelques tableaux dangereux pour l’imagination des jeunes gens et d’énoncés ou de récits dont le vrai sens dépassait la portée de leui-s intelligences, la lecture de la Genèse, du Cantique des cantiques et de plusieurs chapitres d’Ezéchiel n’était permise à personne qui n’eût atteint l’âge de vingt ans au moins. Au témoignage d’Eusèbe, le roi Ezéchias ht jeter au feu des livres qu’on attribuait faussement à Saloraon, de crainte qu’ils ne devinssent pour le peu[)le une occasion d’idolâtrie. Les païens même n’étaient pas moins persuadés de la nécessité de s’opposer à tous les excès de plume. Cicéuon (De nat. deuruni, liv. I, ch. 23) et Lactance (De ira Dei, ch. ix ; Migne, P. /-., t. VIII, p. 98) nous rapportent que Protagoras d’.Vbdère fut banni de la ville et du territoire d’Athènes pour avoir mis au jour un écrit où il disait : « Que les dieux existent, c’est ce que je ne puis ni affirmer ni nier. « Son ouvrage fut brûlé au milieu de l’agora. Les Romains, aussi bien que les Grecs, étaient d’une grande sévérité sur ce j)oint ; nous en avons pour garants Tite-Livk, Vali’ ; he-Maxi.mk, Suétone, SÉNKQUE, Tacite (cf. Devoti, fnstitutiones canonicae, 1. IV, lit. VII, S 3). TiTK-LivE cite (1. XXV, c. 1) un décret du préleur M..Vttilius ordonnant d’anéanlir les livres prophétiques carthaginois.

Toutes les communions chrétiennes ont cru devoir se défendre par des mesures analogues. Saint.thanasb, saint Victoh de Vite et saint Théodork Stu-DITE racontent que les Ariens, surtout Grégoire de Cappadoce, patriarche d’.lexandrie, que Genseric et Huneric, rois des Vandales, que les iconoclastes, livraient aux flammes les livres des Catholiques. Tout le monde sait que Luther se passa la même fantaisie à l’endroit du Corpus juris canonici. Ses disciples proscrivirent également les producti(ms des Zwingliens et des Calvinistes, alléguant, comme précédent, la défense portée parles empereurs Théodose, Valen linien et Marcien, de lire ou de transcrire les œuvres de Nestorius, d’Eutychès et des ApoUinaristes. On peut voir dans Zaccahia (Storia polentica délie proibizioni de libri, dissert, i, ch. ;) comment les Calvinistes ne voulurent point demeurer en reste de bons procédés avec les Luthériens.

3" Preuve tirée de la pratique constante de l’Eglise.

— En agissant comme nous venons de le dire, les sectaires de toutes nuances rendaient témoignage à la pratique constante de l’Eglise, aussi conforme à l’Ecriture que fondée sur le bon sens et sur l’histoire du genre humain. Saint Paul, en elfet, n’a-t-il pas mis les lidèles en garde contre la peste des mauvaises doctrines ? Non seulement il affirme que « les conversations malsaines gâtent les bonnes mœurs », qu’il faut « éviter les entreliens vains et profanes, qui conduisent à l’impiété et dont le venin se répand comme la gangrène » (II Jim., 11, 16, 17), ce qui doit s’entendre assurément des discours écrits autant et même plus que des discours parlés ; mais nous lisons dans les.4c les des.4 patres (xix, 19) qu’à la suite de ses prédications à Ephèse, « beaucoup de ceux qui avaient exercé les arts magiques apportèrent leurs livres et les brûlèrent en présence de tous », et l’on calcula qu’il yen avait pour une somme de cinquante mille deniers. On peut donc dire à la lettre, en se basant sur ce fait important, que l’usage de soustraire à la circulation les ouvrages dangereux et de les détruire est un usage apostolique. Les Pères, les conciles et les Papes de tous les siècles s’y sont montres fidèles. Ainsi ont fait, entre beaucoup d’autres, saint Cyprien à l’égard des productions schismaliques, le concile de Nicée à l’égard de la Thalie d’Arius, et un grand nombre de Pontifes romains. En 400, l’évêqne d’.lexandrie, Théophile, interdit les livres d’Origèiie et en informa.4nastase I", qui approuva la mesure. Cinq ans plus lard, en io5, In.nocent I*^ répondant à Exupère. évêque de Toulouse, au sujet d’une liste d’écrits apocryphes, déclarait qu’ « il fallait non seulement les écarter, mais les condamner » (Epist. vi, n. 13 ; P. /,., t. XX). Saint Liio.N le Grand stigmatise à son tour, en 443, tous les écrits manichéens, et, en 447. <^’""x des Priscillianisles d’Espagne {Epist. VIII, XV et seq. ; P. f.., t. LIV). Nous avons déjà mentionné le décret de Gélase I" (496) établissant la distinction des « livres qu’il faut recevoir et des -v livres qu’il ne faut point recevoir ». Dans sa constitution 0/ficiorum ac munerum, § 2, Léon XIU rappelle ces actes de ses prédécesseurs, et il ajoute :

« Pareillement, dans le cours des siècles, la juste

sentence du Siège.postolique a frappé les livres empoisonnés des Monothélites, d’Abélard, de Marsile de Padoue, de WiclelTet de Jean Huss. »

L’autorité de l’Eglise en cette matière est donc incontestable ; sa pratique actuelle est fondée sur les meilleures raisons et se recommande des plus illustres exemples.

VI. Objections. — La législation et l’usage de l’Index dans l’Eglise ont été l’objet de bien des critiques, soit lie la part des incrédules et des hétércdoxes, soit même de la part de certains catholiques inconséquents. On trouvera dans l’exposé juridique et historique qui précède la quintessence de la réponse à faire aux principales. Mais il ne sera pas inutile d’en mentionner quelques-unes en particulier.

1° Attaquant le droit même de l’Eglise et le principe sur lequel l’Index repose, on leur oppose ce qu’on est convenu d’appeler « les grands principes modernes », la liberté de conscience, de la parole, de la presse, des opinions. — Nous répondons : cette liberté, entendue comme le droit illimité et propre à chaque individu de croire ou de refuser sa foi à la 709

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révélation, d’agir à sa guise.et de publier, sans en Ira vos d’aucune sorte, son sentiment sur une question quelconque, n’existe point devant Dieu ni devant la raison. On ne peut la défendre, à moins d’ériger en thèse le scepticisme ou l’indilTcrentisme religieux et moral, de nier l’existence ou la dignité de la vérité et de la vertu, de mettre sur le même rang la réalité et le mensonge, le bien et le mal. Il n’est donc pas pernns de considérer comme inoffensifs et inviolables des ouvrages qui tendent au renversement des croyances ou à la corruption des mœurs, de réclamer en leur faveur l’inaction de l’autorité compétente et l’impunité. Il sera toujours vrai de dire, avec saint Tuomas, que celui qui attaque la religion ou la morale est plus coupable que le faux monnaycur, d’autant que le bien dont il essaie de nous priver est d’un ordre incoMq>arablement plus élevé. Pie IX, dans son encyclique Quanta cura ^ a condamné à la fois le principe qu’on prétend nous opposer et l’application absolue qu’on en voudrait faire à l’ordre social ; il a stigmatisé cette proposition : « La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme, qui doit être proclamé et assuré dans tout Etat bien oonstitué, et les citoyens ont droit à la pleine liberté de manifester hautement et publiquement leurs opinions, quelles qu’elles soient, par la parole, par la presse ou autrement, sans que l’autorité ecclésiastique ou civile puisse la restreindre. »

On voit dans quelle erreur radicale celle première objection a sa source. Mais il est curieux de noter en outre l’étrange amas d’incohérences et d’inconséquences où toHd)ent ceux dans la bouche ou sous la plume de qui on la rencontre le plus souvent : les légistes, les politiciens et publicistes, tous les hommes qui ont une part ou pré tendent à une inlluence quelconque dans le gouvernement des sociétés. Se refusant à reconnaître à l’Eglise, dépositaire et gardienne d’intérêts supérieurs à tous les intérêts temporels, le droit et le devoir dont l’Index est l’expression concrète et ordinaire ; allant jusqu’à dénoncer, avec M. Roila>"d (séance du Sénat français, du Il mars 1865), dans la Congrégation de l’Index, < l’incarnation du despotisme », ils réclament en même temps pour eux-mêmes, au nom de la raison d’Etat, par mesure de police et de sauvegarde nationale, le double droit de censure préventive et répressive, le pouvoir d’empêcher et de supprimer les livres qu’ils estiment dangereux. N’est-il pas clair que semblable revendication va directement à l’encontre d’une des « immortelles conquêtes de la Révolution », de cette liberté de la presse, à laquelle les principes du droit nouveau ne permettent pas de toucher ? Des adversaires politiques, étrangers à toute préoccupation religieuse, ne se sont pas fait faute de souligner et de stigmatiser publiquement ces contradictions éhonlées. Aujourd’hui encore, il y a plaisir et profil à relire, de ce point de vue, les protestations indignées et les harangues enilainmées de Benjamin CoNST.vNT à la Chandjre française dans le cours des années 18-27 *’8'^8 (Discours à la Chambre des députés, II, p. 634). D’ailleurs, où est pour les gouvernants modernes la règle fixe et certaine à laquelle ils puissent s’en rapporter dans leurs prohibitions’.' Ils n’en ont point. Leur critérium varie constamment et nécessairement avec l’époque, avec le régime et avec les fluctuations de l’opinion. Us sont ainsi amenés lantùt à étendre étonnamment, tantôt à singulièrement restreindre le rôle de leur censure officielle. Us ne connaissent ni ne peuvent appliquer d’autre norme que le courant des idées politiques qui dominent pour le moment, que des inspirations de circonstance. Manifestement, ainsi conçue, aussi capricieusement arbitraire et changeante, la censure

gouvernementale doit apparaître, elle, comme une tyrannie insupportable. La seule censure raisonnable, celle à laquelle il serait souhaitable de voir, aujourd’hui comme autrefois, les sociétés civiles se rallier et accorder leur appui, est la censure telle que l’Eglise la comprend et qui ripose sur les immuables vérités du dogme et de la morale catholiques.

2" Parmi les règles générales de l’Index, il en est qui ont été attaquées avec violence par les protestants et surtout par les Sociétés bibliques : ce sont celles qui concernent l’usage de l’Ecriture sainte et qui spécialement n’en permettent la lecture en langue vulgaire que sous certaines conditions.

En vertu des dill’érentes dispositions qui se sont succédé dans la matière et sauf le cas de permission spéciale, les fidèles ne peuvent lire, parmi les versions en langue vulgaire, que celles qui, faites et éditées par des catholiques, sont ou bien approuvées par le Saint-Siège ou bien publiées sous le contrôle des évêques avec des notes empruntées aux saints Pères et à des interprètes doctes et orthodoxes. La traduction italienne de Martini, la traduction espagnole de Si.io, les traductions allemandes de WiîiniiAKDT, Allioi.i, Loch et.iiNDT, la version anglaise dite Ilible de Douai, spécialement dans la nouvelle édition donnée par Mgr Keniuck, les traductions françaises de Glaibe, de CnA.MPON etde Fillion, pour ne citer que quelques échantillons d’un grand nombre, satisfont aux conditions indiquées. Rien ne s’oppose donc à leur diffusion parmi les fidèles. Celles, entre autres, de Martini, d’AUioli et de Glaire se recommandent de l’approbation de Rome. Les textes primitifs et les anciennesversions, édités par des catholiques, n’ont jamais été l’objet d’aucune prohibition ; il en va pareillement de toutes les traductions en langue latine ou en une autre langue non vulgaire. Leur publication eût-elle été le fait d’hétérodoxes, ces textes et ces traductions restent néanmoins permis, d’après les récents décrets de Liîon Xlll(art. ôet 6), à tous ceux qui s’occupent d’études théologiques ou bibliques. Les personnes adonnées à ce genre d’études peuvent en outre se servir des traductions en langue vulgaire de provenance hétérodoxe, aux mêmes conditions que des textes originaux et des versions antiques, c’est-à-dire pourvu que les dogmes catholiques ne soient pas attaqués dans des prolégomènes ou des notes. On calomnie donc l’Eglise quand on l’accuse de violer la loi de Dieu en interdisant la lecture de la Bible. Tout en enseignant, à la suite des Pères, qu’actuellement, comme dans les premiers temps de la prédication évangélique, cette lecture n’est nécessaire au salut ni de nécessité de moyen ni de nécessité de précepte, l’Eglise en proclame hautement l’utilité. De tout temps elle a recommandé l’élude des Saints Livres. Elle oblige ses ministres à en lire chaque jour quelques pages dans les offices divins ; elle offre aux fidèles, comme aliment spirituel, les Evangiles et les Epilres des dimanches et des fêles, que les pasteurs ont mission d’expliquer. Son désir est que tous connaissent l’histoire sacrée et en particulier la vie de Xolre-Seigneur. Aussi, à toutes les époques, les prédicateurs catholiques ont-ils commenté la parole inspirée ; et à Rome, la Congrégation de la Propagande a fait imprimer la Bible en un grand nombre de langues. Tout récemment, le 21 janvier 1907, PiK X a donné une lettre publique pour encourager l’Association de Saint-Jérôme, qui s’emploie, en Italie, à vulgariser les Evangiles parmi le peuple. Il y énumère les multiples avantages de celle forme d’apostolat, parfaitement appropriée à une époque où la passion de lire est si générale, et il se félicite de voir combattu par un exemple éclatant

« le préjugé d’après lequel l’Eglise voudrait 711

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empêcher ou contrecarrer toute lecture des Saintes Ecritures en langue vulgaire ». Seulement, depuis que les Vaudois, les Albigeois et, après eux, les novateurs du xvi" siècle ont abusé de la Bible pour troubler les consciences et propager leurs erreurs, l’usage des traductions en langue vulgaire a été subordonné à quebjues pi-ccautions, dont la nécessité est fondée sur la nature et les obscurités d’une partie des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, sur une expérience constante des inconvénients que présente leur lecture pour certaines personnes, enlin sur l’exemple de l’antique Sj’nagogue. Sans doute, au xvi’siècle et suivant l’/nde.r du concile de Trente, les garanties exigées pour laleelure de la Bible en langue vulgaire étaient plus rigoureuses qu’elles ne le sont maintenant. Mais faut-il s’en étonner, quand on songe que le dogme fondamental, la tendance caractéristique du protestantisme consistaient à vouloir mettre la Bible à la i)lace de l’Eglise, à vouloir substituer au magistère vivant, étaljli par Jésus-Clirist, la lettre abandonnée à l’interprétation individuelle ? Dès que l’Eglise a pu sans inconvénient se relâcher de sa sévéritépremière, elle s’est empressée de le faire. Toujours néanmoins il demeurera qu’il ne faut chercher dans la Sainte Ecriture que l’édilicatiou et le bien de son âme. Les lidèles ne doivent donc la lire qu’autant qu’ils peuvent en retirer du prolit, et dans des éditions qui leur permettent de comprendre et de goûter la parole de Dieu.

3° Sans nier en principe le droit de l’Eglise, des hommes qui se croient et se disent ses (ils s’exagèrent souvent les inconvénients pratiques et les imperfections, inévitables parce qu’humaines, de la législation et des condamnations de l’Inde^-. Tantôt ils déplorent qu’on ait fait appel jadis au bras séculier pour ay)puyer les défenses ecclésiastiques ; tantôt ils accumulent les plaintes contre la discipline présente, dans laquelle ils ne voient guère qu’un ensemble de mesures surannées, inellicaces, vexatoires, surtout pour les écrivains catholiques qu’on condamne sans les entendre, et nuisibles enUn aux progrès de la science.

a) Pour ])arler d’abord du grief relatif à l’intervention du bras séculier, tout le monde sait qu’il ne s’apjdique pas uniquement à la répression des excès d’imprimerie et des lectures défendues, mais à la répression de plusieurs autres délits. Or, déjà au xviii* siècle, le docte Z.ccahia, op. cit., page il, y faisait en substance cette réponse : grâce à l’alliance, d’ailleurs si heureuse et si désirable, des deux pouvoirs, l’Eglise s’est trouée parfois amenée, ou plutôt contrainte, à réclamer le concours de la puissance séculière ; celle-ci employait alors des pénalités sanglantes qui nous paraissent actuellement bien cruelles, mais qui, en somme, étaient proportionnées au degré du dcvelo[)pement de la civilisation et qu’on ne saurait apprécier justement sans tenir compte de cet important facteur. C’est à son corps défendant que l’autorité ecclésiastique en venait à cette extrémité, car elle a toujours eu horreur des peines afflictives. Cependant, on comprend que, dans une société chrétienne d’institutions et de régime, il arrivât un moment où il devenait nécessaire, dans l’intérêt même des citoyens, d’arrêter sur la pente du mal, par des peines corporelles, ceux contre lesquels les armes spirituelles étaient restées impuissantes. C’était là désormais une affaire du gouvernement civil, et l’Eglise laissait l’Etat procéder en cette matière comme dans les autres questions criminelles de haute importance. Elle se bornait à souhaiter que la répression sévère infligée mit lin au scandale et fournil au cou[>able justement condamné l’occasion

de se repentir. Au demeurant, tout cela, nos contradicteurs en conviennent, appartient au passé ; ces formes de sanction, qui ont eu leur raison d’être, qui étaient fondées sur le droit public et en harmonie avec la rudesse des mœurs, n’existent plus nulle part,

h) On a dit aussi que l’Index est désormais une arme émoussce, un moyen peut-être plus nuisible qu’utile, et l’on a rappelé à ce propos le mot connu : JSitimur in’etitum seniper ciipimusqiie negnta. — Sans contester la justesse de l’observation psychologique d’un poète qui devait savoir à quoi s’en tenir sur la tyrannie et la force entraînante des mauvais penchants, est-il besoin de souligner les inconvénients de l’application qu’on veut en faire ici ? A ce compte, ne faudrait-il pas supprimer toute législation, principalement toute législation prohibitive et répressive, tout code civil aussi bien que tout code ecclésiastique ? L’absurdité de cette conséquence parfaitement logique nous dispense d’insister. Quant au fond, il y a assurément lieu de distinguer entre les divers milieux et les ditférentes catégories de personnes que comprennent nos sociétés modernes. Si l’on parle des incrédules, des hétérodoxes, des renégats et autres gens qui ne reconnaissent plus, du moins en pratique, l’autorité de l’Eglise, il est trop clair que ceux-l, à ne se soucient pas de Vlnde.r ; aussi bien, ce n’est pas pour eux qu’il a été créé ni qu’il est maintenu. Mais il est faux que les catholiques en général n’en acceptent pas la direction et n’en subissent pas la salutaire inlluence. Nous en avons une preue dans ces doléances mêmes, partiellement irrclléeliies, qui échappent à quelques-uns, et dans leurs aspirations immodérées vers une liberté plus complète ; doléances et asi)irations s’alliant, dans bien des cas, à l’obéissance de fait, et rappelant ainsi les dispositions d’un malade qui ne se soumettrait aux ordonnances les plus urgentes du médecin qu’à regret et à la condition d’y être aidé par les instances et quelquefois par une certaine pression morale de son entourage.

c) Mais, nous dit-on encore, la législation et la procédure de VInde.r ne sont plus de notre temps, elles demandent à être rajeunies et surtout mitigées en bien des points, elles ne tiennent pas assez compte des nécessités scientiliques actuelles, elles gênent spécialement outre mesure le savant catholiqvie, qu’elles exposent même à se voir condamné indûment et sans avoir été admis à présenter sa défense.

.Vinsi formulé, ce petit réquisitoire a un ])remier défaut manifeste : c’est d’être en relard sur les faits, de méconnaître, en plaidant pour la science, ce qui est de l’histoire contemporaine ou récente. L’Eglise a prévenu engrande partie les réclamations qu’aujourd’hui on continue, par habitude sans doute, à lui adresser. Plusieurs papes, au cours du xix’siècle, Lkom XII, Grkgoirk XVI, surtout Pik IX et Liîon XIII, ont apporté aux lois et à la pratique de VIndex des tempéraments opportuns et très notables. PiK IX, en l)nrliculier, par sa constitution Apostolicæ Sedis, du 12 octobre 186g, avait déjà restreint aux cas indiqués ci-dessus, col. 706, l’excommunication encourue de plein droit (ipso fnclo) ; avait aussi réduit la sanction i)(>rlce par le concile de Trente dans le décret />e editione et iisn sacrornm lilironim, en frappant d’anathème ceux-là seulement q>ii impriment ou font imprimer sans autorisation de l’Ordinaire des livres traitant de reluis sacris. Néanmoins, à l’occasion du concile du Vatican, des demandes furent présentées au Saint-Siège cl une commission spéciale fui instituée au sein du concile en vue d’une adaptation encore plus complète des règles de V Index 713

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aux conditions présentes delà société. Liîon XIII fait mention de ces idées et de ces projets dans l’encyclique ()//iciorum ac munerum : avec une entière franchise, il rappelle les vœux exprimés par des évoques français cl allemands, il en reconnaît la légitimité, et il annonceque le butdeses nouvelles dispositions est de réformer la léffislation del’Kfïlise dans ce sens et d’en faciliter l’observation. On peut croire a priori que cet illustre Pontife, aux vues si hautes et si généreuses, si ami de la science et du progrès, n’a point manqué à sa promesse. Et de fait, si l’on examine ne fut-ce que les premiers articles de ses Diicreta jféiiéraii. i, on verra qu’il n’en est presque pas un seul qui n’introduise dans la discipline existante des adoucissements hautement appréciables : auparavant la prohibition de la seconde règle de l’Jiidex englobait tous les livres des hérésiarques ; désormais, sont défendus ceux-là seulement qui propagent l’hérésie ou le schisme, ou qui attaquent d’une façon quelconque les fondeuients mêmes de la religion (<I^^ 2) ; auparavant les ouvrages d’auteurs non catholiques, traitant ex profi-sso de religion, étaient universellemenlinterdils ; aujourd’hui, ils ne le sont plus, s’il est certain qu’ils ne contiennent rien contre la foi (or/. 3) ; en outre, les livres de même origine ne traitant pas de religion ex professa, tandis qu’ils n’étaient précédemment permis qu’après examen de l’autorité, le sont toujours, sauf le cas d’interdiction spéciale (art. i). Nous avons déjà indiqué comment, dans l’intérêt de la science, les éditions ou versions lie la Bible, dangereuses et défendues au commun des lidèles, sont permises par Léon XIII à quiconque s’occupe d’études Ihéologiques ou bibliques (arl. 5, 6, 7 et 8). On pourrait allonger la liste de ces rapprochements éloquents. Rappelons encore l’abandon, depuis la dernière édition de V Index, de toutes les condamnations in odiiim aiictoris. En présence de ces faits, il serait aussi injuste que déraisonnable d’accuser l’Eglise de se désintéresser des droits de la science et de la libre recherche. Mais si le Saint-Siège a tenu à élargir autant que possible les limites légales du champ d’investigation scientifique, il a dû pourtant maintenir les barrières indispensables pour préserver les âmes de la perdition. Si l’on veut bien sesouvenir que la loi ecclésiastique n’atteint en aucune façon les livres qui ne touchent ni à la foi ni aux mœurs, que la science n’est pas nécessairement et uniquement contenue dans ceux qui olïensent ou compromettent l’im ou l’autre de ces biens précieux, et qu’cnlin il est aisé pour quiconque s’adonne à des recherches spéciales d’obtenir l’autorisation requise, on verra combien l’Eglise laisse de latitude et accorde même de faveur au développement des connaissances humaines. Il est du reste tout naturel que cette mise au point d’unediscipline ancienne, partiellement altérée parles diflicultcsdela pratique.se soit opérée, conmie tous les changements disciplinaires qui ont eu lieu dans l’Eglise, avec une sage lenteur ; elle a été faite, comme dit la Constitution de Léon XIII, après un mûr examen « et de nombreuses consultations des cardinaux qui composent la Sacrée Congrégation de l’Index ».

Relativement aux auteurs, le reproche d’attenter à leur Icgiliuie indépendance et surtout de les embarrasser ou de les paralyser par la crainte de sentences portées comme en cachette et sournoiseuienl, n’est pas plus fondé. Pour s’en rendre compte, il suflit de considérer à la fois la composition de la Congrégation de l’Index, la procédure à laquelle elle est astreinte, la forme et la portée de sa sentence, telles qu’elles ont été et restent ofliciellement régléesparla bulle.S’o//ici^/ ac proii/la de BknoIt IV. Oulre des cardinaux en nombre variable, qui seuls, à stricte ment parler, y détiennent l’autorité et seuls prononcent la sentence définitive, la Congrégation de l’Index comprend une longue série de consulteurs, puis des référendaires ou rapporteurs, qui sont de futurs consulteurs. Tous, choisis parle Saint-Père librement et après soigneuse information, conslituent un ensemble d’hommes éndnents, habitués au maniement des affaires, d’esprits distingués ayant fait leurs preuves par des productions diverses, de compétences spéciales afTermies et allinées par l’expérience ; et leur réunion même est le gage le plus certain d’un jugement sage et modéré.

La procédure à suivre par eux a été minutieusement décrite et fixée dans toutes ses phases par cet habile canoniste qu’était Benoit XIV. Elle comprend trois parties essentiellement distinctes, et, en premier lieu, un examen préliminaire. Si, comme le supposait toujours la législation antérieure à 1908, il y a eu dénonciation du livre suspect, il incombe au secrétaire de s’informer des griefs du dénonciateur. En tout cas, et lors même que la congrégation procède d’ollice, ainsi qu’elle le peut et le doit, dans certaines circonstances, d’après la constitution Snpienti cunsilio, le même secrétaire devra faire une enquête préalable, en examinant d’abord, non pas à la légère, mais attentivement, avec deux consulteurs déterminés ])ar le cardinal préfet, si l’ouvrage paraît sujet à censure. La réponse étant allirmative, un des consulteurs, spécialement compétent dans la matière, est désigné en secret comme rapporteur. Il rédige ses remarques par écrit, en notant les pages les plus significatives. Son travail est imprimé et distribué aux autres consulteurs et aux cardinaux, qui peuvent aussiexaminer tout le dossieret l’ouvrage, mis l’un et l’autre à leur disposition. Vient ensuite la congrégation préparatoire. Elle est formée des consulteurs, qui se réunissent au moins chaque mois, sous la présidence du Maître du Sacré-Palais. Au procèsverbal, lenombre des votes conformes à celui du rapporteur est soigneusement noté, sans indication des noms des votants. A la suite de la congrégation préparatoire, la congrégation générale entre en jeu. Seuls les cardinaux en sont membres et y ont voix délibérative. Les consulteurs peuvent être admis à exposer leurs motifs ; ils doivent se retirer avant que la décision définitive soit prise à la majorité des suffrages. Leur conclusion n’est pas toujours adoptée par les cardinaux. En ce cas, ceux-ci réclament un nouvel examen et un second rapport. L’auteur n’est généralement pas admis à défendre son œuvre, ce quiadonné lieuàbiendesrécri[ninati(ms. BenoîtXIV ne les ignorait pas, et il y répond qu’il n’est pas nécessaire de le citer, parce qu’il ne s’agit ni d’ai>précier ni de condanmer sa personne ou ses intentions, mais uniquement de préserver les fidèles et d’éloigner d’eux un danger que peut créer le livre envisagé dans sa pureréalité et sa signification objective indépendamment des sentiments de celui qui l’a écrit. Que de fois d’ailleurs le mal redouté aurait le temps de se réaliser et de se répandre, s’il fallait attendre soit une comparution de l’auteur, soit la production de moyenséventuels de justilication oud’explicafion ! Néanmoins, comme on ne peut nier qu’une condamnation de la S. C. de l’Index ne soit chose pénible et ne porte quelque atteinte à la considération de l’écrivain, Benoît XIV veut que, s’il s’agit d’un autciir catholique et ayant bien mérité de l’Eglise, dont l’œuvre soit susceptible d’expurgation, on ait soin, à l’avenir comme par le passé, de l’admettre à fournir des éclaircissements ou au moins de lui assigner un défenseur d’ullice. Oans la même hypothèse, son livre ne peut être condamné qu’avec la clause res-’triclive i> donec corrigatur », et l’on doit lui laisser 715

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le temps d’informer, en personne ou par délégué, la S. Congrégation de sa disposition à se soumettre. Que si non seulement il promet Je uioditier, dans une seconde édition, les passages incriminés, mais veut et peut retirer la première de la circulation, la sentence sera purement et simplement supprimée. S’il est impuissant à arrêter le mal, bien qu’il le désire lu condamnation sera maintenue, mais avec la mention : i Auctor laudaliililer se subjecit. » Enfin, absolu ou tempéré parun adoucissementquelconque, le verdict de proscription doit encore cire, avec molils à l’appui, communiqué auSouverain Pontife, qui prononce souverainement s’il est opportun de le publier. On voit comment les précautions ont été multipliées alin d’éviter jjisqu’à l’apparence de la précipitation ou dune sévérité exagérée, comment aussi on n’a rien épargné pour concilier la liberté et l’honneur des écrivains méritants et orthodoxes avec les exigences de l’hygiène publique. S’il s’agissait d’un livre dénoncé au Saint-Otlice, les formalités et garanties imposées par Benoit pour une sage lenteur et pour la sûreté de la procédure, sont plus rigoureuses encore et plus compliquées. Il faudrait, pour les détailler, citer ou résumer presque toute la constitution Sollicita ac provida : je ne puis qu’y renvoyer les lecteurs sincèrement désireux de s’édifier sur l’inanité de certains préjugés. Mais relevons encore, en terminant, les règles que l’illustre Pontife trace aux consulteurs et aux rapporteurs de l’un et l’autre tribunal : qu’ils se considèrent, dit-il, comme chargés non d’obtenir piir tous moyens la condamnation du livre à eux soumis, mais seulement d’éclairer la Congrégation sur sa valeur véritable ; s’il arrivait, quoiqu’on choisisse toujours et consulteurs et rapporteurs suivant leurs aptitudes connues et en harmonie avec l’ouvrage à examiner, que l’un d’entre eux ne se sentit pas la compétence nécessaire, ce serait pour lui une obligation grave d’en avertir la Congrégation, afin qu’elle le remplace ; tous apporteront à leur lâche un esprit et une volonté non prévenus, c’est-à-dire sans préjugés de nation, de famille, d’école ou d’autre sorte ; qu’ils se gardent de jamais juger d’une phrase ou de quelques phrases sans avoir lu tout le livre et sans replacer ces parties dans le cadre que leur fait l’ensemble ; enfin, qu’ils aient pour principe d’interpréter autant que possible en bonne part les expressions équivoques qui auraient pu échapper à un écrivain d’ailleurs connu comme catholique et bien intentionné. Nous voilà loin, si je ne me trompe, de la conception que quelques-uns paraissent s’être faite des Congrégations romaines préposées à l’examen des livres, comme d’institutions qui condamneraient, sinon avec plaisir, du moins à la légère et sans mesurer leurs coups.

BiBLloGR.PHiB. — Ferraris, Prompta hibtiotlieca canonica. eil>o Libri : Zaccaria, Sturia polemica délie proibizioiii dn’lihri, Foligno, 1777 ; Œvoti, Institutiones canonicae, Gand. 1836, t. 11, p. 276 ; Bouix, De Curia liomana, 1880 ; Petit, L’Index, son histoire, ses lois, sa force obligatoire, Paris, 1888 ; Wernz, Jus Decretalium, Rome, 189y, t. II : Jus constitulionis Ecclesiæ caihuiicæ : Grimahli, Les Congrégations romaines. Sienne, 1890 (condamné par le Saint-Oiliceetà consulteravec précaution) ; Pcriès, Du droit de l’ICglise de prohiber les livres dangereux, dans Journal du droit canon, iSjuil. 1892 ; Ojetti, /le Itomnna Curia, Rome, 1910 ; Guiraud, Histoire partiale et histoire vraie, t. II. Pari.î, 1912 ; Monin, De Curia liomana, Louvain, 191 2. Cf. en outre les commentaires récents sur la constituticm 0/ficiorum ac munerum, spécialement : IloUweck,

Das kirchliche Bilcherverhot, Mainz, 1897 ; Vermeersch. De prohibitione et censura librorum, edit. 4", Rome, 1906 ; Périès, L’Index, Paris, 1898 (fournissant, outre le commentaire, beaucoup de renseignements historiques et de données apologétiques) ; Hilgers, Der Index der Verbotenen Biicher, Freiburg-im-Breisgau, 190^, et Die Bticherverbote in Papsibriefen, ibid., 1907. On consultera aussi utilement, concernant la portée des condamnations, Clioupin, Etude sur la valeur des décisions doctrinales du Saint-Siège, Paris, 1907.

J. FORGET.