Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Extrait de la préface de la première édition

J.-B. Jaugby
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Table analytiquep. xvii-xxi).


EXTRAIT DE LA PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION


Le titre de ce Dictionnaire en indique suffisamment la nature et l’objet ; néanmoins il ne sera pas inutile, croyons-nous, de fournir ici au lecteur quelques éclaircissements sur le but spécial en vue duquel nous le publions, sur les principes qui ont présidé à sa composition et sur son contenu.

I. But. — Autrefois, dans notre monde chrétien, on naissait croyant ; aujourd’hui l’enfant naît sceptique ; il commence à douter aussitôt qu’il commence à raisonner. À toutes les époques, le scepticisme a fait des victimes, mais jamais cette fatale maladie n’avait envahi les esprits aussi universellement que de nos jours. Non seulement, en effet, elle sévit dans les classes lettrées, où souvent elle est engendrée par des études mal conduites et par l’abus même des facultés intellectuelles, mais elle exerce ses ravages jusque dans les couches les plus infimes de la société ; elle se manifeste, non seulement dans l’âge mûr et dans la vieillesse, où elle est parfois le fruit des déceptions de la vie, mais dès l’adolescence, à une époque où l’esprit, encore dépourvu de toute expérience, semble à peine capable de soupçonner l’existence de l’erreur.

Le scepticisme contemporain, il est vrai, ne s’étend pas à tous les objets de nos connaissances ; en particulier, il ne s’étend pas aux sciences qui ont la matière pour objet et qui se fondent sur l’expérience, mais il atteint toutes les croyances religieuses ; il n’est pas, comme autrefois, limité à certaines vérités particulières, il porte sur les principes mêmes, sur les racines de toute conviction religieuse et morale. On peut le considérer comme le mal capital de notre époque, comme le ver rongeur du christianisme au milieu de notre société. Tout homme qui en subit les pernicieuses atteintes perd aussitôt la foi chrétienne, car cette foi est essentiellement une croyance ferme, absolue et non provisoire, en la parole de Dieu annoncée par l’Église. Bientôt même il perd ce qu’on peut appeler la foi naturelle en Dieu, en l’immortalité de l’âme, en la vie future, ou du moins, sa croyance à ces vérités primordiales devient chancelante, incertaine ; il ne peut plus se délivrer de la crainte d’être le jouet d’une illusion.

Cette disposition maladive des esprits, s’ajoutant aux autres tentations qui sont les mêmes aujourd’hui qu’autrefois, explique la diminution considérable du nombre et de la fermeté des croyants au milieu de nous. Elle explique aussi ce phénomène étrange d’efforts admirables, accomplis de nos jours par l’Église dans le domaine des œuvres de charité et d’instruction populaire, et de résultats si faibles au point de vue de la conservation de la foi dans les intelligences.

À côté de ce scepticisme religieux, qui est comme inné dans les générations actuelles, il faut placer la haine du christianisme qui, dans tous les siècles, a poussé un certain nombre d’hommes à combattre la foi chrétienne. Ces ennemis, pour ainsi dire, personnels du Christ, sont aujourd’hui nombreux et puissants ; leurs paroles retentissent à toutes les oreilles et leurs écrits sont dans toutes les mains. Enfin il faut considérer que la diffusion de l’art de lire ou d’écrire, ainsi que les nouvelles conditions de la vie politique et sociale ont multiplié, comme à l’infini, le nombre des travailleurs sur tous les terrains des connaissances humaines. De là ce déluge d’objections contre la foi catholique, sous lequel on espère la submerger. Les unes sont anciennes pour le fond, mais se présentent sous des formes nouvelles : ce sont principalement celles qui se tirent de la philosophie, de la théologie, et de l’histoire ; un certain nombre d’autres sont relativement récentes et portent surtout sur l’Écriture sainte, elles sont le fruit de la critique rationaliste ; les autres enfin sont puisées dans les sciences naturelles, principalement dans la préhistoire, dans la linguistique, dans l’ethnologie et dans l’histoire des religions. C’est en vue de cette situation morale et des dangers qu’elle fait courir à la vérité religieuse qu’a été conçu et réalisé le projet de ce Dictionnaire apologétique. Il est destiné, dans notre intention, à mettre à la portée et, pour ainsi dire, sous la main de tout lecteur de bonne volonté les preuves principales de la foi catholique, avec les réponses les plus solides aux objections de toute nature que l’on fait contre elle. Nous y avons condensé et mis en lumière une multitude d’arguments, de faits et de renseignements, qu’on ne pourrait se procurer ailleurs que par l’étude d’un grand nombre d’ouvrages, au prix de beaucoup de travail et d’argent. Tel a été notre but.

II. Principes suivis dans la composition de cet ouvrage. — Les principes qui, à notre avis, doivent guider l’apologiste catholique, lorsqu’il se place au point de vue indiqué ci-dessus, et que nous avons cherché à suivre fidèlement dans la composition de ce Dictionnaire, peuvent se ramener aux quatre suivants : Orthodoxie, Impartialité, Science et Charité.

Orthodoxie. — Nous plaçons l’orthodoxie au premier rang, parce que l’apologiste qui, pour les besoins xv… EXTRAIT DE LA PREFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION

de la défense, allère ou abandonne com ne insoutenable un point quelconque, même secondaire, des doc. Irines nue l’Eglise impose à la croyance de ses enfants, renverse par la base toute la démonstration de la foi catholique. Bn effet l’Eglise se proclama établie de Dieu pour enseigner la vérité religieuse et infaillible dans l’exercice de cette mission ; si donc l’on concè le que l’un des points de la doctrine qu’elle impose à la foi de ses enfants est une erreur, on concè le par là-même qu’elle n’est pas infaillible, qu’en s’attribuent I fl privilège elle se trompe ou bien elle nous trompe, et que, par conséquent, elle ne vient pas de Dieu. En matière apologétique s’applique rigoureusement la parole du Seigneur : « Qui ergo solverit unum de maiidati 3 istis minimis, et docuerit sic bomines, miniums vocabitur in regno cu-lorum. » (Malt, v, 19.)

Mais si c’est une loi inviolable pour l’apologiste de n’abandonner aucun des points de doctrine imposés par l’Eglise à notre croyance, c’est aussi pour lui une règle stricte de ne rien ajouter à cette doctrine de son propre fonds ou sur l’autorité de qui que ce soit. La violation de cette loi constituerait de sa part une faute très grave. En effet, il usurperait un p >uvoir qui ne lui appartient pas, en présentant comme une vérité certaine de la foi catholique une doctrine que l’Eglise ne propose pas comme telle, et il jetterait une regrettable confusion dans les esprits, en défendant comme également incontestables des propositions dont les unes sont garanties par une autorité infaillible et les autres par son propre jugement privé. Agir ainsi, c’est défendre, non pas la foi de l’Eglise, mais les croy.inces personnelles de l’apologiste, deux choses qu’il importe de ne pas confondre. C’est donc une règle sacrée pour le défenseur de la foi de ne jamais soutenir, comme faisant partie du dogme catholique, aucune proposition qui n’ait été l’objet d’une définition infaillible de l’Eglise, ou qui n’appartienne incontestablement à son enseignement ordinaire et universel.

Toutefois la tâche de l’apologiste n’est pas limitée à la défense des vérités que l’Eglise impose à notre foi ; elle comprend encore d’autres objets. C’est d’abord la défense des doctrines qui, sans appartenir incontestablement à la foi catholique, sont communément reeues dans l’Eglise, que le Saint-Siège favorise en les faisant enseigner dans ses écoles et en censurant les opinions opposées, comme fausses ou dangereuses. L’apologislen’est pis obligé de soutenir ces d îctrines communes dans l’Eglise comme infailliblement vraies ; il doit même faire observer que la vérité n’en est pas garantie par la décision de la suprême autorité ecclésiastique ; mais il lui incombe de montrer que l’Eglise, en les favorisant, suit ordinairement les règles de la prudence et travaille en faveur de la vérité. Nous disons « ordinairement », parce qu’il n’est pas impossible que l’erreur se glisse dans une sentence provisoire rendue en faveur d’une doctrine commune, mais laissée à l’état d’opinion ; l’apologiste doit proclamer cette possibilité d’erreur, et, le cas échéant, reconnaître loyalement l’erreur commise.

L’Église n’est pas seulement attaquée dans son enseignement, elle l’est aussi dans sa conduite, et c’est là un autre objet de la tàehe le l’apologiste contemporain. Les apologistes des premiers siècles n’avaient pas à traiter ce genre de difficultés, puisque l’Église n’avait pas encore d’histoire ; mais aujourd’hui elle a derrière elle un passé de dix-huit siècles, et il faut montrer que, pendant ce long espace de temps, elle a constamment porté les caractères d’une œuvre divine, que jamais elle n’a rien fait, rien subi qui dénote une institution d’origine purement humaine. Cette preuve de la vérité de la foi catholique, à laquelle cba. que siècle apporte un nouvel éclat, est attaquée de mille manières, et il incombe à l’apologiste de repousser ces attaques ; miis q telles règles l’orthodoxie lui ira ; >ose-t-elle en cette matière ? Ces règles découlent des deux principes suivants : premièrement L’Église n’est jamais abandonnée par Jésus-Christ, son divin fondateur ; secondement l’Eglise est composée d’hommes soumis aux infirmités humaines. Du premier de ces principes ilsuitqie L’Église, eu aucun temps, dans aucune circonstance, n’olTre rien dans son histoire qui soit incompatible avec les privilèges d’une société spécialement assistée de Dieu pour l’accomplissement de sa mission, que l’ensemble de ses lois, de ses actes et des résultats obtenus par elle porte la marque de l’assistance divine. Par conséquent l’orthodoxie nous oblige à soutenir et à montrer : que jamais l’Église n’a ordonné ni approuvé aucun acte, aucun usage qui fût opposé soit à la loi naturelle, soit à la loi positive de Dieu, que sa législation a toujours été sage et propre à produire la sanctillcition des hommes, qu’en réalité elle a produit cette sanctification dans une mesure sullis ante ; mais elle ne nous oblige pas à soutenir que ses lois et ses procédés ont toujours été de la plus grande perfection et de la plus grande opportuni’.é possibles. Dusecond princip ; en tnoé il suit qu : les m -m’ires de l’Église, les papes, les évéques, les prêtres, les religieux ont inévitablem >nt succombe, en plus ou m >ins grand nombre, aux faiblesses humaines. L’orthodoxie ne nous oblige donc pas à pren Ire toujours la défense de la conduite des papes, des évéques. des prêtres et des or. 1res religieux : elle nous coin nande même, en certiins cas, de la condamner hautement, puisque l’Eglise elle-111 ai a publiquement reconnu, à diverses reprises, la culpabilité de plusieurs de ses ministres, et la réalité des abus qui s’étaient introduits dans son sein. En somme, l’orthodoxie de l’apologiste consiste à défendre tous les points de l’enseignement de l’Eglise, en matière de dogme et de me 1rs, avec le d >gro de certitude 0.1 de probabilité qu’elle leur attribue elle-même, sans y rien ajouter et sans en riea retrancher ; nom avons conscience de n’avoir rien négligé pour rester fidèle, dans le présent Dictionnaire, à cette règle fond im-ntile de l’apologétique catholique. EXTRAIT DE LA PRÉFACE DE LA PREMIERE EDITION xix

L’impartialité. — La seconde loi qui s’impose à l’apologiste est celle de l’impartialité. L’impartialité n’est, au fond, qu’une forme spéciale de la justice ; dans le cas actuel, c’est la ferme disposition à attribuer à chaque argument, à chaque opinion, la force probante ou la valeur qui iui appartient, et qu’un homme ami de la vérité doit lui reconnaître. Or, le jugement porté sur une opinion, ou sur un argument, dépend surtout des principes qui constituent, pour chaque individu, la règle d’après laquelle il mesure la vérité des choses, et de là est né le préjugé si répandu que l’apologiste ne peut être impartial ; c’est, dit-on, un avocat et non un juge. Les motifs qui, dans l’opinion commune, doivent toujours faire soupçonner l’impartialité de l’apologiste sont les deux suivants : le premier est sa conviction même, et le second est son désir de réussir, aux yeux du lecteur, dans la tâche qu’il entreprend. Examinons de près ces deux causes prétendues de la partialité imputée à l’apologiste.

La première, si elle exerce une influence quelconque, agit sur tout homme qui entreprend de traiter sérieusement la question religieuse ou même n’importe quelle question : elle inllue également sur tous, croyants, incroyants ou sceptiques. En effet, il faut supposer chez l’auteur qui veut traiter sérieusement les questions d’apologétique, une étude préalable suffisante, sans laquelle il serait évidemment incapable de pénétrer à fond les arguments et d’en apprécier la valeur. Or, cette étude l’a nécessairement conduit à la persuasion, soit de la vérité de la foi catholique, soit de sa fausseté, soit de son incertitude. Dans le premier cas, il ne peut être impartial, dit l’objection, parce que sa conviction l’entraîne invinciblement à exagérer la valeur des arguments favorables et à diminuer celle des arguments opposés. Il faut évidemment en dire autant de l’incroyant, que la persuasion de la fausseté de la religion entraîne en sens contraire. Reste donc le sceptique, celui dont la persuasion est que la vérité de la religion est douteuse, qu’elle ne peut être connue avec certitude. Sa condition est-elle meilleure que celle du croyant ou de l’incroyant ? Eu aucune façon. Car sa conviction que la certitude est impossible, en cette matière, l’entraînera naturellement àdiminuer la valeur de tous les arguments capables de convaincre en un sens ou dans l’autre et à exagérer celle des arguments opposés soit à la foi, soit à l’incrédulité. Si, en elfet.il reconnaissait la force démonstrative d’un seul argument, n’importe en quel sens, sa conviction serait logiquement détruite, et il deviendrait par le fait même croyant ou incrédule. Sa situation, au point de vue de l’impartialité, est donc absolument la même que celle des autres : son esprit est préoccupé par une conviction d’après laquelle il juge, celle de l’incertitude de la vérité religieuse. Si le préjugé vulgaire contre l’apologiste était fondé, il faudrait donc admettre cette conclusion absurde : Quiconque a suflisamment étudié la question religieuse pour se faire une conviction est incapable de la traiter parce qu’il est partial ; celui-là seul peut la traiter avec impartialité, c’est-à-dire avec justice, qui ne l’a pas étudiée !

Le second motif allégué contre l’impartialité de l’apologiste a moins de valeur encore. On dit, en effet, que le défenseur de la religion est porté à altérer 1° vérité, ou du moins à la voiler, par le désir qu’il a de faire triompher la religion plus complètement aux yeux de son lecteur : en d’autres termes, on suspecte sa loyauté à cause de son amour pour la religion et aussi à cause de sa vanité intéressée à gagner devant le lecteur la cause dont il a pris la défense. Mais s’il en coûte au croyant d’avouer qu’il ne voit pas la solution de telle dilliculté, dirigée contre la foi chrétienne, ou que telle preuve invoquée par lui n’a pas toute la valeur désirable, l’aveu est-il moins pénible, en pareil cas, pour l’athée ou pour le sceptique ? Ceux-ci désirent-ils moins vivement que lui triompher aux yeux de leurs lecteurs ? Si cet argument était fondé, il ne serait plus jamais permis de prendre la défense d’aucune opinion, même pour soutenir qu’elle est douteuse, sans s’exposer au soupçon de manquer de loyauté. L'écrivain est protégé contre la tentation de déloyauté dans la controverse par la voix de sa conscience, qui lui commande de respecter avant tout la vérité, et celle voix se fait entendre aux amis comme aux ennemis de la religion. Chez les catholiques, elle est fortifiée par la voix de l’autorité exlerieure.de l’Eglise, qui commande à l'écrivain de défendre sa religion par la vérité et seulement par la vérité. Naguère encore, dans son Bref S.rpenitmero considérantes (i * s 3), le chef de l’Eglise rappelait solenne.lement celle loi : « Avant loul, disait il. que les écrivains aient ceci présent à l’esprit : la première loi de l’histoire est de n’oser rien dire de faux, ensuite c’est de ne pas craindre de dire la vérité quelle qu’elle soit et de ne prêter à aucun soupçon de (laiterie ou d’animosilé (i). « 

Le commandement de la conscience, commun à tous les hommes et ensuite le commandement de l’Eglise. acre pour tout catholique, voilà ce qui protège l’apologiste contre la tentation de partialité, et doit écarU i 'le lui autant et plus que de tout autre, le soupçon de déloyauté dans la discussion.

Mais il y a plus, l’apologisle catholique se trouve placé, sous le rapport de l’impartialité, dans une condition beaucoup plus favorable que ses adversaires. En effet, la conviction absolue qu’il a de la vérité de la religion et de son triomphe final, la solidité des preuves qui l’appuient, solidité attestée par l’expérience

(I) 'i lllud in primis scribentium observetur animo : prima m eue hiatoriæ legem ne quid falti dicere audeat deinde rpiid veri non audeat ; ne qua ratio : lit in acribendo, 0, 0 quo limultotis. » xx EXTRAIT DE LA PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITA N

de dix-huit siècles de discussion et par le témoignage de tant de grands génies, lui permettent de dédaigner les aililiccs de langage et de raisonnement, qui s’imposent aux défenseurs de » systèmes incertains et nouveaux. Il est dispense de la nécessita de faire, comme eux, flèche de tout bois. L’impuissance même dans laquelle il peut se truiner de résoudre une dilliculté i ni | revue ne le déconcerte ni lie l’elliaie ; il sait que la réponse existe certainement et que, s’il peut la trouver lui iiicuir, un autre la trouvera. Rien donc ne l’oblige à se réfugier dans l'équivoque ou dans le sophisme, comme ses adversaires sont trop souvent contraints dç le faire pour appuyer leurs théories personnelles, toujours chancelantes et incertaines de l’avenir. Enfin la religion est pour lui une chose sacrée, qu’il ne eut sans sacrilège défendre par des armes indignes d’elle. Il sait que tôt ou tard ses sophhmes et sa duplicité seraient j ercés à jouret deviendraient une flétrissure pour la cause sainte dont il a pris la défense. Son amour même et son resj>ect de la religion lui font une obligation sacrée de la sincérité la plus complète. Nous croyons pouvoir compter que jamais aucun soupçon de partialité ne viendra même à l’esprit des lecteurs de cet ouvrage ; tous reconnaîtront aisément que l’impartialité la plus complète a présidé à L’exposé de-pn uvt —, ainsi qu'à celui des objections et de leurs solutions.

Science. — Mais si la bonne foi et la droiture du coeur suffisent, avec la grâce de Dieu, pour faire un croyant, elles ne suffisent pas pour faire un apologiste. Autre chose, en (fiel, est la conviction que l’on a de la vérité, autre chose la démonstration que l’on en fait. Pour prouver à autiui la vérité de la ieligion, il faut plus qu’une conviction solide ; il faut la science, et une science très élendur. Eu effet, il faut à l’apologiste la science de la théologie et de la philosophie, c’est à- dire la connaissance approfondie de tout ce que l’Eglise enseigne et des preuves sur lesquelles s’appuie cet enseignement ; il lui faut la connaissance des eliverses sciences humaines, dans lesquelles les adversaires sont allés chercher des difficultés contre la vraie foi, et cette connaissance doit être profonde, non superficielle, atiu que la force des arguments soit bien saisie et bien exposée. C’est ce qui nous a déterminé à faire appel, pour ce Dictionnaire, à la collaboration d’un grand nombre de savants catholiejues. Aujourd’hui, en effet, le temps est passé où un seul auteur pouvait résumer toutes les connaissances de son temps ; telle est actuellement la variété, telle est l'étendue des diverses sciences humaines que nul homme, nul génie, ne peut se flatter de les posséder toutes à fond. Les seules sciences religieuses : philosophie, théologie dogmatique, théologie morale, Ecriture sainte, liturgie, droit canon, histoire ecclésiastiejue, approfondies avec tous les développements qu’elles ont reçus dans le cours des siècles, dépassent les forces intellectuelles de 1 individu. Or, a ces connaissances, l’apologiste contemporain doit joindre celle de l’histoire générale, de l’histoire des religions, de la linguistique l’ethnologie, de la géologie, de la préhistoire, de la cosmologie, d’une ceitaine partie de la médecine, de l'économie politique, etc. De cet état de choses, il résulte que les questions d’apologétique ne peuvent plus aujourd’hui être traitées à fond que par des spécialistes. Comme le montrent les signatures des articles du présent ouvrage, nous avons fidèlement suivi cette règle de conduite. On n’y trouvera aucun article important, qui ne soit dû à une plume déjà exercée et connue par ses travaux antérieurs sur la question.

Outre la connaissance, qui est le fond de la science, il faut encore à l’apologiste la méthode et la forme scientifiques. Les esprits sont aujourd’hui tellement façonnés aux procédés en usage dans l'étude des sciences, qu’ils veulent les trouver partout, même dans les matières qui ne les comportent pas. Très souvent, il est vrai, ces procédés n’ont de scientifique que les apparences, et Le ublic s’en contente ; mais cela même est une nouvelle preuve de la fascination eju’exerce sur nos contemporains la forme scientifique donnée à l’argumentation. Au siècle dernier et dans les premières années du nôtre, l’apologiste accordait une grande importance aux preuves qu’on peut appeler sentimentales et littéraires : les harmonies du dogme et du culte catholique avec les besoins du ctvur humain et avec la nature maléi ielle, les ressources merveilleuses qu’ils fournissent pour la culture des lettres et des arts, tels (talent les arguments que nos devanciers aimaient à développer en les entourant de tous les charmes de la littérature. Aujourd’hui le goût et les besoins du public sont tout autres ; et c’est pour nous y conformer que nous aons choisi la forme du dictionnaire, forme qui exclut les développements littéraires et n’admet que les mots rigoureusement nécessaires à l’expression des idées. Pour le même motif, iu us avons relégué à l’arrière-plan L’argumentation qui se fonde sur certaines subtilités métaphysiques, et sur les vestiges, plus ou moins probables, d’une révélation primitive, le caractère de ces preuves, d’ailleurs très faibles en elles-mêmes, convenant peu à l’esprit positif de notre siècle. Le lecteur ne devra donc pas chercher ici les hautes et poétiques considérations « jui font le charme des livres apologétiques les plus célèbres chex nous, ni cette verve littéraire qai donne parfois tant d’attrait aux œuvres de aos polémlsti s. Ce sont des mérites que nous sommes loin de dédaigner, quoique leur influence réelle soit bien amoindrie élans notre iuor.de actuel ; mais la nature du présent ouvrage ne les comporte pas.

Charité. — La charité dont nous faisons l’un des principes de l’apologétique catholique ne doit pn « et"-* »

confondue uvec l’indulgence pour l’erreur, avec je ne sais quelle générosité, je ne sais quel libéralisme
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EXTRAIT DE LA PRÉFACE DE LA PREMIERE EDITION

envers les idées fausses. Nous avons dit plus haut que l’apologiste doit soutenir la vérité catholique tout entière, et qu’à l’égard des doctrines contraires à l’enseignement de l’Eglise il doit être intransigeant. Mais il en va tout autrement des hommes qui soutiennent ces doctrines. Aux yeux de l’apologiste, l’adversaire de la religion, à moins de preuves manifestes du contraire, est toujours un homme de bonne foi, un ami de la vérité. Et ici la charité n’est souvent que de la justice. Autrefois les ennemis de la religion étaient presque toujours des rebelles, des hommes de mœurs dissolues, chez qui la bonne fois manquait totalement, ou chez qui l’erreur de l’esprit était la conséquence et le châtiment des vices du cœur. Il n’en est plus de même aujourd’hui ; la grande majorité des adversaires du catholicisme vit dans la bonne foi. Pour plusieurs, cette bonne foi a toujours été exempte de faute, parce qu’ils n’ont pas reçu le baptême, ou parce qu’ils ont été élevés soit dans une fausse religion, soit dans l’athéisme. Pour d’autres, leur erreur a été coupable à l’origine, mais ils sont depuis longtemps rentrés dans la bonne foi, et lorsque l’on considère tout ce qu’il leur aurait fallu de courage, de soins minutieux et constants pour conserver leurs croyances religieuses dans le milieu qui a entouré leur enfance ou leur jeunesse, on songe plus à les plaindre qu’à les condamner. Combien d’âmes, parmi nos frères séparés, parmi nos incroyants et nos sceptiques, ont soif de la vérité et la cherchent, mais hélas ! sans apporter à cette recherche le courage, parfois héroïque, qui serait nécessaire pour arriver à la conquérir ! Dieu nous garde de toute parole amère, de tout soupçon injurieux à leur égard ! Leur erreur se comprend trop aisément, quand on réfléchit à toutes les difficultés que présente la connaissance certaine de la foi catholique, pour qui n’a pas grandi dans le sein de cette unique Eglise du Christ, qui est la colonne de la vérité. Que d’objections et de difficultés de toute nature se présentent aux esprits, dont les préjugés sont malheureusement contre la vérité ! Les preuves les plus éclatantes de la divinité du christianisme, les miracles et les prophéties, sont elles-mêmes l’objet de tant d’attaques, qu’elles perdent une grande partie de leur évidence, lorsque des esprits, nourris en dehors de la vraie lumière, entreprennent de les étudier en détail ; un certain nombre d’objections ne sont résolues que péniblement par les défenseurs de la foi catholique, et les réponses n’ont pas toujours cette éclatante supériorité qu’on voudrait trouver du côté de la vérité. Ceux-là seuls, croyons-nous, peuvent nier les diffiuiltés sérieuses qu’offre l’étude de la religion aux homnes élevés en dehors d’elle, qui ne les ont jamais considérées de près et scrutées à fond. La charité s’impose à l’apologiste catholique, comme un devoir sacré, à l’égard de ceux qu’il combat. D’ailleurs, s’il était permis de nier ou de mettre en doute la bonne foi des adversaires, la discussion n’aurait plus raison d’être…

J.-B. Jaugky.
Auteuil, 28 juin 1888.