Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Dogme (Plan et I. Historique)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 569-573).

DOGME. —
I° Partie (historique) :
I. Le mot et

.sort liistoire. — II. Sommaire de la doctrine catholique. — III. Aperçu sur les théories modernes : A. catholiques, B. hétérodoxes.

II° Partie (dogmatique) : Existence ET OBJET DU DOGME :
IV. Existence du dogme. — V. Trois classes de dogmes. — VI. Valeur de vérité. — VII. Valeur de vie. — VIII. Dogme et théologie. — IX. Dogme et formules dogmatiques.

IIIe Partie (dogmatique) : Développement du dogme :
X. Notions de l’implicite et de l’explicite. — XI. Germe primitif. — XII. Plénitude apostolique. — XIII. Immutabilité. — XIV. Objet du développement. — XV. Facteurs.— XVI. Phases.— XVII. Critères. — XVIII. Avenir du dogme.

Conclusion : XIX. Economie de la révélation. — XX. Bibliographie.

Ie Partie. — Historique

I. Le mot. — Dans le langage chrétien, le mot dogme désigne une vérité qui appelle un assentiment de foi.

Histoire du mot : Dérivés du même verbe ôîzé&j, les mots 05 ; a elôe/u-a ont eu une fortune différente.

Dans le langage platonicien et aristotélicien, ôd^x désigne, par opposition à la science, qui démontre, le jugement ou opinion, que fondent les apparences sensibles.

Dans le vocabulaire stoïcien, ocr/ucn désigne une opinion arrêtée, un jugement, principe d’action, Travri yxp oiiziov rsO — pK77ïev rt ôî’/yK, Epictète, Dissent. III, c. ix, ii, 12, vice ou perfection de l’esprit, fii^’^ii [^’-’àxaSa^TiK C15-/y. « T «  r.o-j-npv., Dissert. IV, c. xi, n. 8 ; Cicéron, Academ. post., 1. II, c. ix ; Marc Aurèle, Comment., 1. II, n.3 ; 1. III, n. 13. etc.

Dans le grec du X.-ï., ôsfa est réservé au sens de gloire ; ôd-/ixcf. signifie le placet ou décret administratif du pouvoir civil, Luc, ii, 1 ; Act., xvii, 7, ou de l’autorité apostolique, Act., XVI, 4, ou encore les prescriptions de la loi mosaïque, Ephes., III, 15 ; Col., 11, 14.

Chez les Pères, sous l’influence du langage stoïcien, le mot ôdy ; i.oL se restreint à exprimer les vues chrétiennes en matière de foi, ou, si l’on veut, les divers jugements qui s’imposent à la foi et caractérisent la philosophie nouvelle, celle du Christ. S. Justin, I Apol., n. 26, P. G., t. VI, col. 3(59 ; cf. n. 20, col. 357 ; S. Irénée, Èpist. ad Florin., P. G., t. VII, col. 122.5. L’usage s’accentue chez les Pères alexandrins. Clément d’Alex., Strom., 1. VII, P. G., t. IX, col. 544. Le mot, employé encore, par opposition à jtWov/ua, l’enseignement ecclésiastique, pour désigner les prescriptions rituelles, cc/is -/ùp ôd-/ij.y. /.vX v.)lo x » ; /5v/aa, par S. Basile, De Spir. Sancto, c. xxvii, n. 63, P. G., t ! XXXII, col. 188, 189, est réservé expressément à la doctrine dans S. Grégoire de Nysse, Epist. xxiv, P. G., t. XLVI, col. 1089. C’est le sons qui a prévalu : Cælestis pîdlosopliiæ dogniata, Vincent de Lérins, Contmon. I. c. xxii, P. L., t. L, col. 668.

On éclairera encore le sens du mot, en étudiant l’expression voisine, « article de foi >>.

S. Thomas nomme article la vérité de foi que caractérise une difficulté spéciale. L’artifle a donc une certaine individualité : celle d’un membre, ti.oOcw, dans le corps de la doctrine chrétienne. Ainsi la passion, la mort, la sépulture du Christ, présentant au fond la même difficulté, se rapportent à itn article, bien qu’elles donnent lieu à plusieurs propositions, dont chacune exige l’assontimenl du croyant. In IV Sent.. 1. III, dist. 25, q. 1, a, 1, q. 1, sol, ; Sum. t/ieol., II, n. q. 1, a. 6, c ; S. Bonaventure, In IVSent., 1. iii, dist. 25, éd. Quaracchi, t. IIJ, p, 525.

Dogme et article de foi. on le voit, ont été définis par leur rapport avec rintelligence.

II. Sommaire de la doctrine catholique. — L’enseignement de l’Eglise, sur le sujet i)résent, est résumé dans les textes officiels suivants. Ils forment la base de cette élude et le lecteur voudra bien s’y reporter.

1° Fin du dogme. — La raison d’être du dogme est celle de la révélation. Le concile du Vaticah la définit ainsi :

a. Il faut attribuer à cette divine révélation, que les vérités qui, dans les choses divines, ne sont pas de leur nature inaccessibles à la raison humaine, puissent, même dans la condition présente du genre humain, être connues de tous, sans difficulté, avec une ferme certitude, et sans mélange aucun d’erreur.

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b. Toutefois, ce n’est pas pour ce motif que l’on doit dire la révélation absolument nécessaire, mais parce que Dieu, dans sa bonté infinie, a ordonné l’homme à une fin surnaturelle, c’est-à-dire à la participation des biens divins, qui dépassent complètement l’intelligence de l’esprit humain, I Cor., II, 9.

Sess. III, c. 2, Denzinger, n. 1786 (1634).

2° Nature du dogme. — Présenté à l’intelligence, soit pour secourir sa faiblesse, dans la connaissance de vérités qui, en droit, lui sont pourtant accessibles, soit pour suppléer à son impuissance radicale, dans la connaissance des choses surnaturelles, le dogme est donc une vérité garantie par l’autorité de Dieu.

a. En conséquence, l’Eglise ne peut tolérer qu’on l’assimile aux doctrines philosophiques d’origine humaine. C’est l’opinion qu’elle a condamnée par l’Encyclique Qui pluribus (9 nov. 1846), chez les Hermésiens :

Comme si la religion n’était pas l’œuvre de Dieu, mais des hommes, ou quelque invention philosophique que put parfaire le travail humain. A ces gens emportés d’un si déplorable délire s’applique à merveille le reproche justifié de Tertullien aux philosophes de son temps « fauteurs d’un christianisme sto’icien, platonicien, sophistique », De præscript, c. vii, P. L., t. II, col. 20. Denzinger, n. 1636 (1497).

b. Elle ne saurait supporter davantage l’explication pragmatiste, et l’a proscrite par le décret Lameiitabili (3 juillet 1907), en censurant cette proposition :

Les dogmes de foi sont à retenir seulement selon leur sens pratique, c’est-à-dire comme règle qui s’adresse à l’action et non comme règle de croyance. Propos. 26, Denzinger, n. 2026.

C. L’Encyclique Pascendi (j sept. 1907) a condamné de même, avec insistance, l’interprétation des modernistes, qui présentent le dogme comme la formule symbolique, plus ou moins ai-bitraire, par laquelle l’homme traduit ses impressions religieuses, son « expérience » personnelle du divin :

Le dogme, d’après eux, tire son origine des formules primitives et simples, essentielles, sous un certain rapport, à la foi ; caria révélation, pour être vraie, demande une claire apparition de Dieu dans la conscience. Le dogme lui-même, si on les comprend bien, est contenu proprement dans les forjnules secondaires… ; [leur but] est de fournir au croyant le moyen de se rendre compte de sa foi. Elles constituent donc, entre le croyant et sa foi, une sorte d’entre-deux : par rapport à la foi, elles ne sont que des signes inadéquats de son objet, vulgairement des symboles ; par rapport au croyant, elles ne sont que de vulgaires instruments.

Dekzinger, n. 2079 ; cf. n. 2078 sq., 2039 sq.

3° Propriétés du dogme. — Ayant rejeté ces principes, l’Eglise répudie leurs consécpiences :

a) Soit la théorie du rationalisme, que le dogme doit évoluer avec les progrès de la philosophie, opinion condamnée par le Syllabus :

La révélation divine est imparfaite et pour ce motif soumise à un progrès continu et indéfini, qui réponde au progrès de la raison humaine.

Propos. 5, Denzinger, n. 1705 (1552).

b) Soit 1 » thèse moderniste :

[De sa conception des formules dogmatiques] on peut déduire, continue l’Encyclique Pascendi, qu’elles ne contiennent point la vérité absolue : comme symboles, elles sont des images de la vérité, qui ont à s’adapter au sentiment religieux dans ses rapports avec l’honinie ; comme instruments, des véhicules de véi’ité, qui ont l’éciproquement à s’accommoder à l’homme dans ses rapports avec le sentiment religieux. Et comme l’Absolu, qui est l’objet’de ce sentiment, a des aspects infinis, sous lesquels il peut successivement apparaître ; comme le croyant, d’autre part, peut passer successivement sous des conditions fort dissemblables, il s’ensuit que les formules dogmatiques sont soumises à ces mêmes vicissitudes, partant sujettes à mutation. Ainsi est ouverte la voie à la variation substantielle des dogmes. — Amoncellement infini de sojihismes, où toute religion trouve son arrêt de mort.

Denzinger, n. 2079 : cf. décret Lamentabili, propos. 58, ibid., n. 2058 sq.

A rencontre de ces doctrines, le Concile du "N’^atican a défini celle de l’Eglise, avec une grande netteté, accentuant à la fois deux caractères du dogme, une immutabilité absolue en lui-même, une perfectibilité très large dans l’intelligence que nous pouvons en acquérir :

C’est qu’en effet, la doctrine delà foi, que Dieu a révélée, n’a pas été proposée à l’esprit humain comme une élucubration philosophique à perfectionner ; mais, comme un dépôt divin, elle a été confiée à l’Epouse du Christ, pour être gardée avec fidélité et proclamée avec infaillibilité.

Aussi faut-il conserver perpétuellement aux dogmes sacrés le sens que notre Sainte Mère l’Eglise a une fois défini et ne jamais s’en écarter, dans l’illusion et sous le prétexte de les comprendre mieux.

Qu’il y ail donc accroissement, qu’il y ait grand et intense progrès d’intelligence, de science, de sagesse, pour chacun comme pour tous, pour chaque individu comme pour l’Eglise entière, suivant la marche des âges et des siècles, mais que ce soit exclusivement dans son genre propre, à savoir dans l’identité du dogme, dans l’identité du sens, dans l’identité de la pensée, in eodem scilicet dogmate, eodem sensu, eademque sententia, ci. S. Vincent de Lérins, Common. I, n. 28, P. L., t. L, col. 668.

Sess. III, De fide, c. iv, Denzinger, n. 1800 (1647).

Si quelqu’un venait à dire qu’il peut se faire, avec le progrès de la science, qu’il faille quelque jour attribuer aux dogmes proposés par l’Eglise un sens différent de celui que l’Eglise a compris et comprend, anathème.

Ibid., can. 3, Denzinger, n. 1818 (1665).

Que le lecteur veuille bien noter le lien qui existe entre l’origine du dogme, sa nature, ses propriétés. Les trois choses sont unies de telle sorte, que l’opinion admise sur l’un de ces points commande celle que l’on adoptera sur les deux autres.

III. Aperçu sur les théories modernes. — Pour l’intelligence des études qui vont suivre, il paraît utile d’escpiisser ici en quehjues mots les théories modernes que nous aurons soit à recommander, soit à réfuter.

A. Théories catholiques. — Les décisions de l’Eglise rappelées plus haut — et l’article Tradition montrera à quel point elles résument la pensée de tout le passé chrétien — imposent à tous les écrivains catholiques des assertions communes : a) origine divine du dogme, /3) valeur intellectuelle de ses données, /) développement sans changement substantiel. S’il y a divergence entre eux, ce n’est donc que sur la manière de les justifier mieux. Elle s’accuse surtout dans la question du développement dogmatique ; encore est-ce moins par opposition proprement dite, que par insistance plus spéciale, chez l’un ou chez l’autre, sur telle ou telle explication.

On pourrait caractériser ainsi l’orientation respective de trois théories plus originales et les déviations spéciales qui les ont provoquées.

En réaction contre le protestantisme et ses prétentions à retrancher tout ce qui est addition (dogmatique, liturgique ou ascétique) à l’Evangile, J. H. Neav-MAN insiste sur le pouvoir assimilateur des grandes idées et siu* leur développement organique. 1125

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A rencontre de l’évolutionisme idéaliste de Hegel et de Guenlher, le Cardinal Fraxzeli ? » met en relief VexpUcitation logique.

Aux excès du criticisme philosophique ou historique, M. Blondel oppose les ressources de l’action morale et religieuse.

La note suivante éclairera ces assertions de quelques détails.

Théories particulières. — a) Newman a indiqué lui-même, comme initiateurs de sa pensée, J. de Maistre et A. Moehler.

Des spéculations du premier deux idées surtout se détachent : la conception de l’Eglise comme d’un « organisme social » et celle de raccroissement « insensible » de tout ce qui a vie. Les passages les plus marquants de ses œuvres ont été relevés par M. de Graxdmaison, Revue pratique d’apologétique, 1908, t. VI, p. 12 sq. On y ajoutera quelques notes inédites, publiées dans les Etudes, 1897, t. L.WIII, p. 5, 14 sq.

J. S. VON Dret, à Tubingue, en 1821, reprenait l’application de ces vues à la dogmatique chrétienne, G. Goyau, L’Allemagne religieuse, Le Catholicisme, t. 11, p. 23.

Elles sont poussées, dans le même milieu, par J. -A. Moehler. En même temps qu’il insistait sur le développement du dogme par adaptation continue aux besoins de la pensée catholique, cet écrivain signalait surtout le rôle de l’Espril-Saint dans la vie de l’Eglise. Il en est l’âme. Cf. Die Einheit in der Kirclie oder das Princip des Katholicismus, Tubingue, 1825. En présence des théories protestantes sur la révélation de l’Esprit, sur l’expérience immédiate du divin, cf.Xéander dans G.Gotau, J.-A. Moehler, in-12, Paris, 1905, p. 17 sq., il ramenait l’attention sur les Pères des trois premiers siècles, à la fois très voisins de cette thèse par leur insistance à rappeler la présence constante et les touches de l’Esprit-Saint dans les âmes, et très éloignés d’elles par leur doctrine sur le principe d’autorité. Son ouvrage, La symbolique, traduct. Lâchât, 2’édit., Paris, Vives, 3 in-8°, 1852-53, témoigne d’une préoccupation analogue, celle de mettre en lumière l’action intérieure de l’Esprit, et d’établir, contre le protestantisme, le rôle du Christ, à l’origine, et, dans la suite des temps, celui de l’Eglise, « son incarnation permanente )). Cf. 1. I, c. V, p. 1-150.

Le spéculatif profond et l’affectif qu’était ÎS’ewmax devait faire son profit de ces observations. Il a rapporté comment, demeurant dans son Eglise tant que le caractère schismotique de l’anglicanisme ne lui parut pas plus évident que l’idolâtrie du romanisme (1841), cf. Apologia pro cita sua, in-12, Londres, 1881, c. iii, p. 113 (trad. franc., in-12. Tournai, 1865], il en vint au cours de ses études historiques à modifier peu à peu ses préjugés, reconnaissant que tout était’< grossi » dans l’Eglise romaine, mais en respectant l’harmonie de l’ensemble. Apolos^ia, p. 196, n. 2. Mis sur la voie du développement dogmatique, il poursuit cette idée. En 1843, il en fait l’objet de son sermon célèbre, le XV des l’iiii’ersili/ sermons, trad. franc. R. Saleilles, La Foi et la liaison, in-12, Paris, 1905, p. 199 sq. Cf. Apologia, c. iv, p. 197, n. 3 sq. Les développements dogmatiques sont légitimés par la puissance d’expansion des idées rév(’-]ées : en les expliquant, ils ne leur ajoutent rien. Ainsi l’explicitation logique du dogme a sa raison cachée dans la continuité latente de la vie et de la piété chrétienne. A ce stade de son évolution personnelle, Newman n’est pas encore porté à jut’-ciser le rapport des illuminations intimi’S de la foi dans les âmes avec le magistère extérieur. Enfin, ses doutes augmentant, il se décide à étudier de f)lus près, en vue d’un livre, l’évolution du do^me chrétien. Apologia, c. iv, p. 228, 234. Avant que l’ouvrage fut achevé, sa conviction était faite. Il signe, en lft’15, comme catholique, son Essai/ on the dercloptuent of Christian doctrine. Les idées du « liscours d’Oxfoi-d sont d(’veloppéeset comi)létéeg. Dans une premièrepartie, Newman détermine en quoi consiste l’énergie vitale des idées, et par quel processus elles arrivent à la traduire au dehors, c. Il ; il établit la richesse hors pair des idi’-cs chrétiennes et la présence d’une autorité infaillible qui surveille leur évolution, c. iii, jv ; il examine enfin, au regard de l’histoire, leur mode d explicitation. Une seconde partie précise les caractères du développement légitime : conservation du tyj)e originel, continuité des principes, puissance d’assimilation, enchainemeiit logique, anticipation de

l’avenir, action conservatrice à l’égard du passé, énergie persistante ; elle montre leur vérification dans les dogmes chrétiens.

Dès l’abord, on notera ces points, qui suffisent à distinguer ces théories de tout système hétérodoxe : cf.) l’origine du dogme est une révélation divine, extérieure, de telle richesse malgré l’état d’enveloppement dans lequel elle a livré son apport, que les âges suivants ne l’ont pas encore K réalisé « tout entier ; /3j un magistère extérieur, d institution divine, maintient le développement dans de justes limites et garantit infailliblement sa valeur. C’est bien à tort que le modernisme essayerait de revendiquer ce patronage, cf. J. Lebretox, dans la Rei’. prat. d’apol., 1908, t. VL p. 630 sq. ; Mgr Û’Dwyer, Card. Newman and the Encyclical Pascendi, Londres, 1908 ; L. Gougald, Le Modernisme en Angleterre, g iii, dans la Rev. du clergé, 1909, t. LVIl, p. oGO sq.

Les idées de ce docteur n’ont pas eu dès leur apparition la vogue qu’elles obtiennent aujourd’hui. C est en dehors d’elles que s’est débattue la question du développement dogmatique soulevée par le semi-rationalisme allemand et tranchée au Concile du Vatican, sess. ni, c. 4. Cf. DenziNGER, n. 1795 sq. (1643 sq.).

b) Franzelix, alors théologien consulteur, avait mis la dernière main au schéma prosynodal, cf. Acta et décréta, t. VII, p. 508, 513 et les annotations, p. 534, n. 20 scj., 537, u. 24. Son beau livre, De dicina Tradiiione et Scriptura, 3" édit., in-8°, Rome, 1882, thés. 22-26, p. 263 sq., reste le meilleur traité scolastique surle sujet. îloins fouillé que les écrits de Newman, moins séduisant dans l’allure rigide de ses thèses, éclairant de manière peut-être trop exclusive le côté logique de l’expansion dogmatique, il accentue avec plus de fermeté les grands traits de la doctrine catholique : plénitude de la foi apostolique, clôture de la révélation à la mort des apôtres, implicitation des développements futurs, soit dans la doctrine, soit dans la vie chrétienne, explicitation progressive, et donc intelligence exacte du canon Lérinicn : point de nouveautés, c’est-à-dire. rien de contraire à la foi traditionnelle, et non pas rien de plus clair que la doctrine de tel ou tel âge.

c) M. Blondel a voulu opposer d’une partau criticisme agnostique les données immédiates de toute action humaine, d’autre partà l’immanencepanthéistiqueles traces detranscendance que nous découvrons en nous-mêmes, cf. Revue du Clergé, 1904, t. XXXVIII, p. 407. En 1893, sa thèse de L’Action, in-8°, Paris, montrait comment, sans violenter une certaine autonomie de la volonté. Dieu se révèle dans l’action qu il dirige, p. 400 sq., et pour amener à accepter les vérités qu’il a en vue, nous façonne lui-même par les pratiques qu il nous impose, p. 408 sq. C’était dire qu’agir prépare à connaître, et qu’il peut y avoir dans nos actes des éléments qui n’arriveront que lentement à la pleine conscience. En 1904, dans la Ç « t « zrt/nc, 3 articles, il signalait

« dans l’action fidèle l’arche d’alliance où demeurent

les confidences de Dieu », p. 443..yant formé ses apôtres à une vie nouvelle,.lésus comptait sur la persévérance de cette vie, jjour maintenir dans leurs âmes le sens précis des quelques paroles riches de sens, dont ils n’auraient pu à la première heure pénétrer toute la portée. La tradition vivante, c’est-à-dire les affections et les pensées auxquelles il les avait formes, soutenue par la pratique chrétienne, devait donc su]>pleer à la concision et à l’imperfection des textes : « L’Evangile n’est rien sans l’Eglise… l’exégèse rien sans la tradition », p. 445. L’action chrétienne, qui se continue à travers les Ages, est donc le lien niystérieux par où se rejoignent les faits chrétiens primitifs et les définitions dogmatiques de tous les temps. « Les dogmes ne sont pas justifiables par la science historique seule, ni par la dialectique la plus ingénieusement appliquée aux textes, ni par l’effet de la vie individuelle, mais toutes ces forces y contribuent et se concentrent dans la tradition, dont l’aulorite divinement assistée est l’organe d’expression infaillibl.-).. p. 448 sq. Il soulignait ailleurs sa [lensée : « Une tradition doctrinale est humainement inii>lelligible. si elle ne se comi>lète par une tradition ascétique, et réciproquement. Toile est la vérité essentielle que j’ai eu à cœur de mettre en lumière. » Revue du Clergé, 1904, t. XXXVIII, p. 518. 519.

M BiONDFL a nommé lui-même sa philosophie un <( pragmatisme ». Rev. du Clergé, 1902, t. XXIX, p. 652. Mais il a souligné les divergences qui le séparent des vues de M. Le Roy : « Nous n avons, dit-il, la même conception initiale ni des relations de la pensée et de l’action, ni de la 1127

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liaison des phénomènes avec l’être ou de la matière avec Tesprit, ni des relations de la science avec la philosophie ou de la philoso])liie avec la théolojjie. » Bei’. du Clergé, 1907, t. L, p. 546. Ni le concept de dogme, ni celui de son développement n’ont donc dans ces systèmes les mêmes caractères.

Chacune de ces théories présente des avantages ou prête à des abus que le détail des problèmes nous amènera à préciser.

B. Théories HÉTÉRODOXES. — En dehors de l’Eglise, se manifestent des tendances toutes opposées. La note suivante esquissera les thèses particulières des écrivains les plus marcjuants ; nous nous bornons à indiquer les assertions communes les plus caractéristiques.

A des degrés divers, les théories hétérodoxes se révèlent : a. Agnostiques. — Elles refusent à la raison la possibilité de connaître Dieu et au langage humain la possibilité d’exprimer ses attributs avec quelque exactitude.

b. nationalistes. — En même temps, elles rejettent la possil)ilité d’une révélation divine, au sens reçu de manifestation authenticpie de vérités précises, soit en tant qu’intervention miraculeuse de Dieu dans les choses de ce monde, soit en tant que violation de Yautonomie de la raison, incapable de s’assimiler ce qui ne serait pas le produit de sa propre activité.

c. Individualistes. — Ayant déclaré la raison impuissante, il ne leur reste plus, pour arriver à Dieu, que le sentiment. 1, ’expérience individuelle, la conviction subjective cju’elle entraîne, deviennent la règle de la foi. Tout au plus, dans les sj^stèmes qui n’ont pas encore admis les dernières conséf|uences de ces principes, reconnaît-on à la communauté, ou même à l’autorité, un certain droit de contrôle.

d. E-olulionistes. — N’étant plus un énoncé intellectuel garanti par Dieu, le dogme et ses formules ont à évoluer avec l’esprit humain et les expériences religieuses de l’humanité.

Théories particulières. — L’homme qui parait, dans les temps modernes, avoir exercé sur la dogmatique protestante l’influence la plus décisive est Schleiermacher,

Porté à insister sur le sentiment par son éducation piétiste et par la philosophie de Jacobi, il se rapproche, par ailleurs, du jianthéismc de Sfjinoza. La religion, à ses yeux, est le sentiment intime del’identité de l’homme avec Dieu ; le dogme n’est que l’expression abstraite des expériences de la communauté chrétienne.

Tous les partis, en quelque mesure, devaient se réclamer de lui. Comme ils ne peuvent, en effet, sans renier la Réforme, faire appel à d’autre critère qu’à l’évidence subjective, la théorie de l’expérience religieuse les intéresse tous de très près. Il est aisé de voir, par contre, combien elle devait favoriser la volatilisation de tous les dogmes. L’essentiel, pense-t-on, le sentiment demeure, quand les formules se transforment ou s’en vont. Cf. Vacant, Etudes théol. sur le. Conc. du Vatican^ in-S", Paris, 1895, t. I, p. 100 sq. ; G. Goyau, L’Allemagne relig.. Le Protestant., p. 75 sq. Voir l’art. Expérience religieuse.

La théologie catholique elle-même, avec le semi-rationalisme allemand, se laissait contaminer. Après Hermès, GuENTHER, hégélien par ses vues iJanthéistiques et son intellectualisme, qui prétend démontrer même les mystères (fîdes cognitionis)^ sentimentaliste par sa conception de la foi ifides cordis), s’essaye à la « renouveler ». Singulière illusion, qu’on avait vue et qu’on revoit. Elle explique ce fait, qu’un concile aitcru devoir avertirles fidèles que le panthéisme est inconciliable avec la foi, Collect. Lacensis Acta, t. Vn, p. 100, eme » d. 28 ; >. 112, 113. Les propositions dogmatiques, pour Guenther, marquent les divers stades de la pensée en évolution ivraies au moment où l’Eglise les formule, comme la traduction la meilleure pour ce temps, elles ont à se transformer avec le progrès de la raison philosophique. Cf. Ki.eutgen, Die Théologie der Vorzeit, 2 « éd. in-8% MUnster, 1874, t. V, p. 391 sq. ; G. Goyau, L’Allemagne relig., Le Cat/iolic, t. II, p. 43 sq.

Pendant ce temps, la dogmatique protestante se divisait en trois courants principaux, lun dit libéral, qui fait appel surtout à l’exégèse et à la critique pour épurer le (Christianisme, l’autre orthodoxe, qui s’essaie à maintenir l’autorité des dogmes et à définir un minimum de doctrine, le dernier symbolo- fidéiste, vcconmxïssixni &Vi^ formules dogmatiques une utilité temporaire de symboles, et confinant la religion dans les expériences du cœur. Au surplus, pardeux voies différentes, libéraux et symbolofidéistes se rapprochent, souvent se rejoignent.

A la tête du mouvement libéral, M. IIarnack paraît s’accorder avec Ritschl pour rejeter le panthéisme et reconnaître la valeur spéciale de la révélation primitive. La conscience inefl’able des relations de Jésus, homme comme nous, avec Dieu, son Père, la prédication de la paternité divine, qui en est sortie, voilà le germe et l’essence du Christianisme. A ce germe étaient unies quelques données historiques, et l’on pouvait en tirer toute une conception du monde. Il était impossible que les intellectuels n’en vinssent à le tenter : effort légitime, à condition de ne pas confondre cette systématisation, adaptée aux besoins d’une époque, et, de sa nature, réformable, avec la révélation. En fait, le danger n’a pas été évité. Les théologiens ont formulé leurs vues dans les cadres de la philosophie grecque. L’hellénisme a envahi et masqué l’Evangile. Le Christianisme, qui était un amour, est devenu une métaphysique, et le même progrès du formalisme, qui en faisait une orthodoxie, en a fait une hiérarchie et une liturgie.

On voit ce qu’est le dogme pour M. Harnack : dans son origine, l’œuvre AeV esprit grec &ivol pieté de l’Evangile ; dans son développement, une déviation croissante vers la spéculation. Cf. Das Wescn des Christentums, in-8°, Leipzig, 1899 ; trad. franc., Paris, l’J02 ; autre 1907 ; Die Mission u. Aitsbrcitung des Christentums, iii-S°, hei[>zig, 1902 ; 2* éd., 1906, et son Histoire des dogmes.

Le symbolo-fidéisme allemand a été vulgarisé en France par les publications de A. Saratier, surtout dans son Esquisse d une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire. 7’éd., in-8°, Paris, 1903 et dans Lesreligions d’autorité et la religion de l’Esprit, 2’éd., in-S", Paris, 1904.

« Si la piété c’est Dieu sensible au cceur, il est évident, 

écrit-il, qu’il y a dans toute piété quelque manifestation positive de Dieu… Je conçois donc que la révélation soit aussi universelle que la religion elle-même… Elle consiste dans la création, l’épuration et la clarté progressive de la conscience de Dieu dans l’homme individuel et dans l’humanité. » Esquisse, 7" éd., p, 34 sq. D’abord traduite en symboles plus ou moins naïfs et grossiers — phase mythologique — cette expérience intime tend à s’exprimer en formules rigides, dont on confie la défense au magistère de l’autorité — phase dogmatique. La formule ainsi arrêtée reste en retard sur les sciences humaines qui progressent et les conce])tions nouvelles qui s’imposent. La lutte s’aggrave. La solution ne peut être que dans l’abandon des cadres vieillis. A chacun de traduire à sa manière le divin qu’il perçoit en lui — phase critique.

Ces idées ont provoqué les réfutations des protestants conservateurs autant que des catholiques. Leur influence a marqué de manière sensible les svstèræs de MM. Loisy et Tyrrell.

Lepremier, pour réfuter la thèse de M. Harnack, a changé les rôles. Ce n’est plus l’Eglise, àson sens, qui s’est trompée, c’est Jésus. La révélation première était l’annonce du royaume de Dieu, que le Christ croyait imminent. Quand l’espoir a été déçu, l’Eglise s’est adaptée aux nécessités des temps : elle s’est organisée en un corps social que le Christ n’avait pas prévu ; elle s’est constitué un corps de doctrine, recevable en tant qu’il sauvegarde la tradition première, l’idée du royaume, réformable en tant qu’il doit s’adapter lui aussi au mouvement de l’esprit humain. Cf. L’Evangile et l’Eglise, 4’éd., in-12, Paris, 1908.

Un panthéisme très voisin de l’hégélianisme, cf. Quelques lettres, in-12, Cefl^onds, 1908, p. 47, 69 et passim, forme le postulat caché de ces études, où l’histoire seule est censée parler ; cf. Lepin, Les Théories de M. Loisy, in-12, Paris, 1908.

G. Tyrrell a donné quelques indications sur 1 histoire de sa pensée, Reo. prat. d’apol., 1907, t. III, p. 499 sq. (Rectifications et critiques par M. J. Lebreton, ibid., t. III, p. 542 sq. : t. IV. p. 527 sq. ; 1908, t. VI, p. 462 sq.) Après avoir réclamé de manière d’abord assez modérée contre 1129

DOGME

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les excès de la spéculation ihéoloe’iqno et insisté sur la nécessité de vivifier et de corriger l’étude abstraite par la piété, Théologie et Betiifion^ dans les Annales de philos, chrét., 1900, ^t. CXXXIX, p. 625 sq., il a léduit de plus en plus la valeur intellectuelle des formules dogmatiques et exagéré progressivement la part du sentiment et de l’instinct religieux dans lafoi. En 1907, il se révolte ouvertement contre l’Encyclique Puscendi. Adhérant fermement h 1 Eglise catholique, comme à l’héritière authentique du Christ, lui reconnaissant un « instinct prophétique », pour défendre la piété inaugurée par lui sur la terre, il voit dans ses définitions doctrinales « non un corps de vérités théologiques dialecliquement développées, mais une masse de j)rotections défensives », variables par conséquent et révisables. Voir surtout Lex ora71d/ in-1’2, Londres, 1903 ; Lex credendi, in-12, Londres, 1906 ; Through Scylla a. Cliarybdis^ in-12, Londres, 1907.

Entre les thèses de G. Tyrrell et celles de iMM. Wil-Bois et E. Le Roy les points de contact sont nombreux : agnosticisme, pragmatisme, insistance sur la vie mystique : mais les présupposés philosophiques, qui donnent à ces tendances leur sens précis, sont bien différents. Ce sont, j)Our MM. WiLBOis et Le Roy, les théories idéalistes de .M. Bergson.

L’évolutionisme de cet auteur a ceci de particulier, qu’il ne sépare plus, comme les philosophies anciennes, l’agir et le connaître, sinon pour opposer la connaissance

« liscursive et les concepts abstraits aux intuitions immédiates

de la connaissance concrète. Il fait de l’idée abstraite une déformation plutôt qu’une expression des choses et de l’intuition concrète la forme la plus haute du devenir conscient : idéalisme et pragmatisme se compénètrent. En conséquence, il définit la vérité de l’idée, non par sa coïncidence plus ou moins fidèle avec l’objet, mais par son aptitude plus ou moins grande à diriger dans la vie vraie, celle qui, par deî expériences plus heureuses, amènera la pensée à se libérer et à se développer. Ainsi, comme les hypothèses et formules scientifiques sont plus ou moins VT-aies, selon qu’elles apparaissent plus ou moins utiles à diriger l’action et plus ou moins fécondes d’applications, les propositions dogmatiques sont vraies, non par les idées abstraites qu’elles suggèrent, mais par les expériences plus parfaites du divin qu elles nous ménagent dans l’action..

On voit par là à quel point le système que MM. E. Le Roy et Wilbois veulent accréditer s’en prend aux fondements de la doctrine catholiqtie. Les dogmes eu rigueur ne sont vrais que comme recettes pratiques ; leur immutabMité n’est plus celle d’une image exacte, bien qu’inadéquate, mais celle d’une formule d’expérience indéfiniment perfectible Cf. E. Le Roy, Dogme et r7t7/(7 « e, in-12, Paris, 2’éd., 1907, bibliographie decette controverse, p. 359 sc].

Plus radical encore est le pragmatisme américain et anglais, dont M. W. J..mes est le représentant le plus en vue.

Il se rapproche du préct’dent par sa critique de l’intellectualisme et de la connaissance abstraite, et par sa notion de la vérité. « Est vrai uniquement ce qui sert en matière de pensée, comme est bien ce qui sert en matière de conduite. » Pragmatism, in-8°, Londres, 1907, p. 222, cf. p. 76 sq., p. 121. Encore faut-il bien comprendre ce i< critère de la valeur ». Ce n’est pas que l’utilité soit signe de la vérité — il y a là un intellectualisme latent — c’est que l’utilité est la mesure de la vérité.

« Il ne faut pas dire, écrit Leub.v, que l’on connaît

Dieu…, il faut dire que l’on s’en sert… Existe-t-il réellement ? Comment existo-t-il ? Il n’imporle guère. Le but de la religion… n’est pas Dieu, mais la vie, une vie plus large, plus riche, plus satisfaisante. » Cité par W. J., Expérience religieuse, 2’éd., in-S", Paris, 1908 (l"éd., angl., p..506).

La religion est doue vraie, poui- le réconfort qu’ellc app<utc à rhumanité. L’essentiel en est dans les attitudes pratiques. L’interprétali<iu intellectuelle de ces « expériences religieuses » constitue les « surcroyances », matière accessoire et libre, /expérience relig., p. 420 sq. (angl., 5ui sq.) Voilà le dogme.

Ces thèses sont du plus haut intérêt, comme dernier aboutissement des théories protestantes sur le libre examen et sur la nécessité pour chacun de sentir sa justification personnelle et sa foi, cf. Exi’krie.nt.e ri ligielsk.

Il sufljra, en terminant, de mentionner l’école sociologique de M. Dlrkiiei.m. Positiviste aussi dans sa méthode.

elle essaye de montrer dans les besoins sociaux l’origine commune du droit, de la morale et des dogmes ; Cf. G. MiCHELET. Dieu et l’agnosticisme contemporain, in-12 Paris, 1909, c. i, p. 1-71 et Rei’. prat. d’apol., 1906.’Le lecteur voit, par cet exposé, à quels articles de ce dictionnaire il devra se reporter, pour trouver la solution détaillée de multiples problèmes en relation a^ec la théorie catholique du dogme.

Les dillicultés intellectuelles étant choses très relatives aux états d’esprit, la réponse théoriquement la plus inqjortante, que nous nous efforcerons toujours d’indiquer, peut demeurer pratiquement insuflisante, pour qui envisage la question sous un aspect plus particulier.

Voir : Agnosticisme, Révélation, Lmmaxence, Expérience RELIGIEUSE, PRAGMATISME.

L’étude dogmatique qui suit s’attachera à établir l’existence du dogme, son objet précis, la nature de son développement.