Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Baptème des hérétiques

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 203-217).

BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES. - Peu après le milieu du iiie siècle, l’Eglise traversa une épreuve particulièrement douloureuse. Encore toute sanglante des exécutions de Dèce, déchirée par le schisme novatien, elle se vit de plus partagée en deux camps par une controverse qui, sur la question vitale du baptême, mit aux prises, non pas seulement des rivalités d’influence, mais des convictions très respectables et de très hautes vertus. Les origines du conflit remontent aux premières années du siècle, et il faut peut-être les chercher en Orient. Il arrivait que des hérétiques se présentaient pour entrer dans l’Eglise catholique, et voici la question qui, de bonne heure, s’était posée : accueillerait-on ces transfuges comme de vrais chrétiens, dûment baptisés dans l’hérésie, ou bien, considérant ce baptême comme nul, les obligerait-on à recevoir le baptême de l’Eglise ? La tradition romaine était ferme dans le premier sens ; sur d’autres points de la chrétienté, on hésitait, et nous voyons que, peu après le commencement du iiie siècle, l’Eglise d’Afrique astreignait à un nouveau baptême les hérétiques convertis. Tertullien avait défendu cette pratique dans un écrit en grec, dès avant l’époque où, probablement encore catholique, il en maintenait la nécessité dans son traité latin De baptismo. Son argumentation, très caractéristique, nous montre par quelle face les docteurs carthaginois abordaient cette question du baptême hérétique. « Nous n’avons, dit-il, qu’un baptême, selon l’Evangile du Seigneur, comme selon les Epîtres de l’Apôtre (Eph., iv, 5) ; il n’a, en effet, qu’un Dieu, qu’un baptême, qu’une Eglise dans le ciel. Mais le cas des hérétiques appelle une réserve ; car c’est à nous seuls que s’adressent les Ecritures. Les hérétiques n’ont nulle part à notre discipline, puisque l’Eglise les exclut de sa communion à titre d’étrangers. Je ne dois pas admettre, à leur sujet, la règle qui est faite pour moi, car eux et nous n’avons ni le même Dieu, ni le même Christ, ni le même baptême ; n’ayant pas notre baptême comme il le faut avoir, assurément ils ne l’ont pas du tout, et il n’y a pas lieu d’en tenir compte ; ils ne peuvent pas le recevoir, puisqu’ils ne l’ont pas chez eux » (De baptismo, 15). Vers le temps où Tertullien écrivait ces lignes, un concile de Carthage, présidé par l’évêque Agrippinus, se prononçait dans le même sens, et réalisait sur ce point l’unité de discipline parmi les évêques d’Afrique proconsulaire et de Numidie. Quelques années plus tard, une grande partie de l’Asie Mineure entrait dans le mouvement : les évêques de Cilicie, de Cappadoce, de Galatie et des contrées voisines rebaptisaient les transfuges de l’hérésie cataphryge, et cette pratique recevait une sanction officielle dans les conciles d’Iconium et de Synnade. Cependant Rome, avec d’autres Eglises, demeurait 3fl

BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES

392

fidèle à l’ancien usage de ne point rebaptiser les hérétiques, mais se contentait de les réconcilier par l’iniposilion des mains. Ces divergences persistantes devaient donner lieu, tôt ou tard, à des explications : les explications se produisirent au temps du pape saint Etienne.

Ce pasteur énergique, presque au début de son court pontificat (12 mai 254-2 août 25^), fut mis en demeure de se prononcer entre les deux usages. En maintenant résolument celui de son Eglise, il souleva la protestation unanime de l’épiscopat africain, que dominait la grande figiu’e de saint Cyprien. Cette rencontre entre deux hommes remarquables par leurs vertus comme par leur dévouement à l’Eglise a été racontée bien des fois, et souvent exploitée au détriment du dogme catholique. Il ne sera donc pas inutile d en rétablir l’histoire. Nous avons la bonne fortune de pouvoir no)s appuyer sur des travaux excellents, qui ont mis en lumière les principales diflicultés et en ont résolu quelques-unes définitivement (voir la bibliographie).

Nous procéderons comme il suit :

I. Inventaire des sources et chronologie ;

II. Histoire du conflit baptismal au temps de sai/it Cyprien ;

III. Conclusions intéressant Ihistoire du Dogme, et suite de la controverse.

Poiu’certains détails, nous renverrons à notre article de la Revue des questions historiques, avril 1907, t. LXXXI, p. 353-400, La question baptismale au temps de saint Cyprien.

I. Inventaire des sources et chronologie. — Les documents les plus abondants, comme les plus précieux, sont fournis par les œuvres de saint Cyprien’. Sa correspondance ne renferme pas moins de neuf pièces, datées du pontificat de saint Etienne ; il faut les caractériser une à une.

î » Epistula Lxvii. — Lettre d’un synode carthaginois de trente-sept évêques aux églises espagnoles de Legio Asturica et Emerita, pour appuyer la déposition des deux évêques libellatiques, Basilidc et Martial, et l’élection de l’évêque Sabinus. Renferme un blâme discret à l’adresse du pape Etienne, dont l’indulgence s’est laissé surprendre par les deux prélats indignes. — Appartient certainement aux premiers temps de ce pontificat. Vers janvier 255 ?

2" Epistula Lxviii. — Lettre de Cyprien au pape Etienne pour lui dénoncer l’attitude schismatique de Marcien, évêque d’Arles, passé ouvertement au camp novatien, et l’inviter à sévir sans retard. L’exemple des glorieux martyrs Corneille et Lucius, qui ont condamné Novatien, trace à leur successeur Etienne son devoir. Il est temps de pourvoir au siège d’Arles. — Cette lettre doit être à peu près contemporaine de la précédente ; elle reQète des préoccupations de même ordre, et la querelle baptismale ne s’annonce pas encore. L’absence de toute allusion à la récente élévation d’Etienne ne permet pas delà rapporter aux tout [)remiers mois de ce pontificat ; on la placera plus vraisemblablement vers janvier 2.55.

3° Epistula Lxix. — Première lettre sur la question baptismale. Consulté par un certain Magnus sur la validité du baptême conféré par les Novatiens, Cyprien répond sans hésiter qu’il faut rebaptiser les Novatiens à leur entrée dans l’Eglise catholique. — La question de Magnus ne concernait que le cas particulier des Novatiens, et Cyprien repousse la distinction que certains voulaient établir entre leur cas et celui des autres hérétiques. La controverse générale ne semble donc pas encore engagée. Premiers mois de 255 ?

4 » Epistula Lxx. — Lettre collective d’un synode de trente et un évêques, appartenant à l’Afrique proconsulaire, à un

1. Nous citerons saint Cyprien d’après l’édition de Harlel, Vienne, 1868-71, 3 vol. in-8°.

groupe de dix-huit évêques de Numidie, qui les ont consultés sur la validité du baptême conféré parles hérétiques ou schismatiques. — C’est ici proprement l’ouverture de la controverse : un synode numide en a saisi un synode carthaginois. Comme nous verrons encore deux synodes sur la même question, dont le second en septembre 256, il semble naturel de rapporter celui-ci à l’automne 255.

5° Epistula Lxxi. — Réponse de Cyprien à Quintus, qui l’a consulté, par l’intermédiaire du prêtre Lucien, sur le baptême des hérétiques et schismatiques. — Ce Quintus était, d’après Ep. lxxii, 1, un évêque de Maurétanie. Cyprien lui envoie (£/>. lxxi, 1) copie d’une lettre synodale, dans laquelle nous reconnaissons’Ep, lxx. Il se réfère (Ep. lxxi, 4) au précédent d’un concile d’Afrique et de Numidie sous l’évêque Agrippinus. Vers janvier 256.

6° Epistula LXXII. — Lettre synodale au pape Etienne. Les évêques d’Afrique proconsulaire et de Numidie, réunis à Carthage au nombre de soixante et onze (voir Ep. lxxiii, 1), adressent au pape l’exposé de leurs vues sur la question baptismale, avec copie des lettres lxxi et lxxii (Ep. lxxii, 1). Sans prétendre aucunement amener le pope à leur sentiment, les évê([ues se montrent très convaincus de leur autonomie, et déterminés à ne point céder (Ep. lxxii, 3). — Printemps 256 ?

7° Epistula LXXIII. — Réponse de Cyprien à Jubaïen, un évêque (de Maurétanie ?) qui l’a consulté par lettre. A cette réponse étaient jointes copies des lettres lxx, lxxi, lxxii, dont l’ordre clironologicjue est ici expressément indiqué (Ep. LXXIII, 1). Dans une lettre communiquée par Juba’ïen. et dont l’auteur n’est pas nommé, Cyprien a lu avec indignation qu’il ne faut pas s’inquiéter de la personne qui administre le baptême, parce que la foi du baptise importe seide (Ep. lxxii, 4). La même lettre parait avoir contenu, à l’adresse de Cyprien, des qualifications très sévères (Ep. lxxiii, 11). Cyprien développe longuement ses raisons ; dans la conclusion, il répète qu’il n’entend faire la loi à personne, mais bien garder, dans la question présente, la liberté de ses jugements et de ses actes. Il adresse à son correspondant le Libellus de bono patienliae, qu’il vient de composer (£/ ; . lxxiii, 26). — Eté 256.

8° Epistula Lxxiv. — A l’évêque Pompeius, qui a exprimé le désir de connaître la réponse faite par le pape Etienne à Cyprien. Cyprien, qui a déjà transmis à son correspondant d’autres lettres relatives à cette affaire, lui adresse le texte du rescrit pontifical. Le ton est bien changé depuis la lettre précédente : des récriminations amères conire l’erreur du pape se joignent à l’expression d’une résolution plus que jamais inébranlable. — Dans le destinataire de cette lettre, on reconnaît avec vraisemblance Pompeius, évêque de Sabrata dans lu Tripolitaine, qui, empêché d’assister au concile de septembre 256, s’y fera représenter par un collègue, Xalalis, évêque d’Œa. — Fin de l’été 256 ?

9° Epistula Lxxv. — Riiponse de Firmilien, évêque de Césarée, en Cappadoce, à Cyprien, qui, pour se concerter avec lui. a envoyé à Césarée le diacre Rogatien. Firmilien adhère aux idées de Cyprien sur le baptême des hérétiques, et invective violemment contre le pape, qui non seulement a refusé de recevoir les délégués du synode africain, mais a interdit aux frères résidant à Rome de leur donner l’hospitalité. Lui aussi commente certains termes du rescrit pontifical. — Cette lettre renferme des dtnnées chri nologiques très précises. Nous apprenons (Ep. lxxv, 5) que le voyage de Rogatien eut lieu en automne ; l’hiver pi’essait, Firmilien dut se hâter pour remettre sa réponse en temps utile au messager de Cyprien. L’évêque de Césaiée témoigne (7) qu’il a pris part au synode d’Iconium, où nombre d’évêques de Galatie, de Cilicie et des contrées voisines ont déclaré nul le baptême conféré par les hérétiques cataphryges.. ce propos, il raconte (10) l’histoire d’une certaine propliétesse, qui fit beaucoup de dupes en célébrant un simulacre d’eucharistie et administrant un baptême selon la formule reçue dans l’Eglise ; cela se passait après le règne de l’empereur Alexandre, il y a environ vingt-deux ans. Or, .lexandre Sévère fut assassiné au commencement de l’année 235 ; le terme de vingt-deux ans nous amène au commencement de 257. Firmilien a donc pu écrire soit à l’automne de 256, soit à unedateun peu postérieure, telleque l’automne de 257. Mais cette dernière supposition est inconciliable, soit avec la date connue de la mort de saint Etienne, 2 août 257, soit avec le langage de saint Denys d’.Vlexandrie, dans une lettre à Etienne, que nous signalerons tout à l’heure. Il 393

BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES

394

faut donc s’en tenir à la première date ; Firmilien écrivait en octobre "256.

Ce point fixe nous permettra d’en déterminer d’autres. Avant dépasser outre, constatons que l’ordre dans lequel ces lettres nous sont présentées parl’édition d’Oxford (1682), et que Hartel a suivi dans l’édition de Vienne (1871), est non seulement plausible, mais à peu près nécessaire. Ce groupe de neuf lettres se décompose en trois blocs, dont la succession s’impose. Le premier bloc, de trois lettres (Ep. LKVii-LXix’, précède l’ouverture de la controverse gé ; iéraletout au plus peut-on hésiter sur l’ordre dans lequel il convient de ranger ces trois pièces. Le second bloc, de quatre lettres (Ep. lxx-lxxiii), montre la question se posant de plus en plus aiguë, et Cyprien lui-même indique, avec toute la clarté possible (Ep. i.xxiii, 1. que ces pièces lurent i-crites précisément dans 1 ordre où nous les lisons. Le troisième bl ; ic, de deux lettres [Ep. lxxiv-lxxv), est postéi’ieur au rescril pontilical, dinic a fortiori aux lettres précédentes. Cette constatation nous a paru d autant plus nécessaire qu’en ces dernières années, Tordre traditionnel de Pearson et de Hartel a ététoi’turé à diverses reprises ; (voir RiTSCHL, Cyprian fon Kartlta^o iind die Verfassun ° ; der Kirclie, p. 112 et seq., 249 ; Nklke, Die Clironologie der Korrespondcnz Cyprians, p. 84 et seq. ; II. von" Soden, Z>jV Cyprianisrhc Briefsaminlung, Ge : .cltichte ilirer Entstehung und L’eherlieferung, Leipzig, 1904, p. 29-31) ; la critique plus conservatrice de BARDKMiE%YER et de Harnck V est revenue (0. Bardenhewer, Gesclàchte der altkirchlichen Litteratur^ t. II 1903, p. 400, 401, 437, 438, 680 ; A. Hariiack. Chronologie der nlicliristlichen Liiieratur his Eusebii/s, t. II, 1904, p, 356-361), et nous croyons qu’il faut absolument s’y tenir.

A la correspondance de saint Cyi)rien, on doit joindre le jugement du troisième concile réuni à Carthage au sujet du baptême des hérétiques.

10" Seiitentiae episcoporum nutiiero LXXXVll de liaereticis baptizandis. — -Ceprécieuxdocument, la plus ancienne pièce conciliaire qui nous soit parvenue, demande à être examiné de près, si l’on veut marquer avec précision sa place dans la controverse baptismale. Le concile d’où il émane ne saurait êtrcconfondu ni avec le concile de trente et un évéques d’Afrique proconsuluire, dont il nous reste une lettre aux évéques de Numidie(^^. lxx), ni avec le concile de soixante et onze évéques d’Afrique proconsulaire et de Numidie, dont il nous reste une lettre au pape Etienne (Ep. Lxxiij. Cette fois, nous voyons quatre-vingt-septe vêques d’.frique i>roconsulaire, de Numidie et de Maurétanie, siéger ensemble, et se prononcer unanimement pour la nécessité de rebaptiser les hérétiques. Il porte la date du l"8eptenibre.0r, sous le pontificat d’Etienne, nous n’avons le choix qu’entre trois années, 254, 255 et 256. L’année254 doit être immédiatement écartée, car, selon toute apparence, la question baptismale ne se posait jkis encore au mois de septembre de cette année. L’année 255 a ses partisans (ainsi Nelke, p. 121 sqq.) ; mais cette solution se heurte à des diûicultés presque insurmontables : on ne trouve pas place, avant septembre 255, pour les deux autres conciles, que nous savons d’ailleurs avoir siégé à Carthage au sujet du baptême des hérétiques, sous le pontificat d’Etienne, et qui sont certainement antérieurs à celui-ci ; par contrr, il y a pénurie d’événements pour remplir les deux années qui séparent le mois de septembre 25Ô de la mort d’Etienne (2 août 257). Reste la date de septembre 256, qui résout toutes les difficultés. Les deux conciles précédents ont dû siéger l’un à l’automne 255, l’autre au |>i-intemps 256 ; comme la controverse baj)tisotiale |>reiiait sans cesse de plus grandes ])roportions, on s’explique que la Numidie, puis la Maurétanie, soient entrées successivement dans le concert, et que le nombre des évéques soit allé croissant. Une question plus délicate est celle des relations de ce synode avec le rescrit d’Etienne. Nous aurons J » la discuter ultérieurement. Disons tout de suite que nous sommes d’accord avec Nelke (p. 142 et seq.) et autres, pour |)lacer ce synode après le rescril pontifical clXEp. i.xxiv de Cyprien, qui nous fnit connaître ce rescrit.

11* De rebaplistiiule. — Ecrit anonyme, <]ui soutientd’unc manière étran.-e el un ])eu confuse la doctrine lomaine, contre (Cyprien. Les hypothèses émises sur le lieu d’orig’ine et lu date de cet opuscule n’ont engendré jusqu’ici aucune certitude. L’auteur est sûrement un évêquc [De rebapt., 4, 10) ; on ne peut guère se le figurer à Home et dans 1 entourage du pap^ émettant ces idées bizarres sur

la distinction entre le baptême d’eau et le baptême de l’Esprit (confirmation), et développant le parallèle, tout au désavantage du baptême d’eau. Avec plus de vraiseml )lance, M. J. Erxst voit dans l’auteur anonyme un de ces évéques maurétaniens qui représentaient, avec plus de zèle que d’éclat, la tradition primitive : on aurait dans ce libelle un monument de sa foi sincère et de son inexpérience théologique. Quelques passages visent clairement sainlCyprien [De rebaptismate. 1). et paraissent répondre à un stade assez avancé de la controverse ; il serait difficile de placer cet écrit avant l’i’yj.LXXii. On a encore signalé dans les dernières pièces de la correspondance de saint Cyprien sur le baptême des hérétiques (£"/>. lxxui-lxxiv), la trace du De rebapiismafe. IjCS rencontres d’idées sont indéniables ; mais il n’est pas sûr que le hasard ne suffise point à les expliquer. L’auteur du De rebaptismale n’a pas tiré de son fonds toutes les raisons qu’il oppose à la thèse de Cyprien ; la plupart de ces idées étaient dans l’air, et l’on peut s’attendre à les retrouver dans les écrits |)artis des deux camps ; on prouverait difficilement que (Jyprien et Firmilien réfutent le De rebaplismate. — Avec M. Ernst, qui a étudié de très près l’opuscule, nous en placeri ms la rédaction un peu avant septembre 256, et probablement en.Maurétanie. M. Koch abaisserait cette date de quelques mois, de septembre 256 au début de la persécution de Valérien, 257.

12° et 13’. — Avec VEp. lxxiii, Cyprien adressait à son correspondant Juba’i’en son traité De bono patientiae, qu’il venait de composer. Le traité De zelo et lifore répond au même état d’esprit, et probablement ne doit pas être séparé du précédent. On j)eut rapporter 1 un à l’été 256, l’autre aux derniers mois de la même année.

14°. —.u septième livre de son Histoire ecclésiastique, Eusèbe mentionne une correspondance très active de saint Denys, évêque d’Alexandrie, avec les chefs de l’Eglise romaine, sur le baptême des hérétiques, et donne des extraits de cinq de ces lettres (Eusèbe, llisl. eccl., VII, ii-ix). La première lettre est adressée au pape (//. E., VII, v) ; Denys le Grand montre la concorde rétablie parmi les Eglises d Orient, après un moment de trouble causé par le schisme novatien ; il conjure le pape de ne pas compromettre cette paix. Ce langage nous reporte à la fin du pontificat d’Etienne et probablement aux premiers mois de l’année 257. Une deuxième lettre (//. £’., VII, y. vi) est adressée à Xyste ou Sixte II, successeur d’Etienne (30 août 257-6 août 258) ; une troisième au prêtre romain Philémon (H. £’., V1I, vu) : une quatrième à Denys (H. E., VII, viii), lui aussi prêtre romain, et futur pape ; Cyprien, qui a déjà correspondu avec ces deux prêtres sous le pontificat d’Etienne, date ces deux nouvelles lettres du pontificat de Sixte. Une cinquième lettre (H. E., VII, ix) expose à Sixte les perplexités qu’éprouve lui-même 1 évêque d’Alexandrie. Une autre lettre fort longue (Sik jxyy.pv : , KZoSîi^soii), écrite sur la question baptismale à Sixte et à l’Eglise romaine par Denys et l’Eglise d Alexandrie, est perdue, ainsi qu’une lettre écrite par Denys à son homonyme romain, après l’élévation de celui-ci au pontificat.

Ces docuiuoiils composent pour nous le dossier primitif de la controverse baptismale. Quelques traits nouveaux sont fournis parle diacre Pontius, biogra])lie de saint Cyprien, par saint Jérôme, et par saint Augustin, qui, un siècle et demi plus tarii. lit prévaloir la doctrine romaine contre le donalisme. Iiérilier de la thèse anabaplisle. Nous résumerons ici notre enciuèle ehronologicpu", sous hénéliee des eonlirmations et précisions que la suite du développement apjtortera sur quelques points.

Vers janvier 205, L’/J. lxvii, i.xviii.

Premiers mois de 255, L^p. lxix.

Automne 255, i" synode, Ep. lxx.

Vers janvier 250, L’p. lxxi.

Printemps 256, 2’^ synode, Ep. i.xxii.

Eté 256. Anonynu>, I)e rebaptismate : Cyprien, De boiw patientiae : Ep. lxxiii, et (après l’arrivée du rescril ])onlilical) Lxxiv.

I- septembre 256. 3^’synode, Sentenllae episcoporum /..VA A Vif.

Octobre 256, Ep. i.xxv.

Tin 256’.' /)e zelo et lifore. 395

BAPTEME DES HÉRÉTIQUES

396

Premiers mois de 25 ;  ; , Lettre de Denys d’Alexandrie à Etienne.

Août 267 à août 258, Lettres de Denys d’Alexandrie à Sixte, Philémon et Denys de Rome.

II. Histoire du conflit baptismal au temps de saint Cyprien. — La consultation de Mafînus. au sujet des Novatiens qui deuiandaient à entrer dans lEglise, trouva Cyprien déjà ancré dans une pensée hostile au baptême conféré par les hérétiques. La résolution prise à cet égard, dans un concile de Car-Ihage, sous un de ses prédécesseurs, Agrippinus, avait à ses ^eux un caractère délinitif (Ep. lxx, lxxi. Lxxiii, 3) ; son zèle s’y appuyait d’autant plus volontiers que des circonstances récentes lui avaient fait toucher du doigt le péril créé par les faux pasteurs. C’était d’abord l’affaire des lapsi, où l’on n’avait vu que trop de prêtres et d’évêques, après une défection plus ou moins éclatante, demander à reprendre leur rang dans l’Eglise, et qui lui avait fourni à lui-même l’occasion de flétrir, comme non exempte de faiblesse, la naïve indulgence du pape Etienne envers les évêques libellatiques Basilide et Martial. C’était lenovalianisme lui-même, et tout particulièrement le cas de Marcien d’Arles, ce prélat schismatique dont il fallait à tout prix délivrer le peuple chrétien et au sujet duquel il avait adressé au pape une énergicpie mise en demeure. Etienne était homme d autorité ; ces deux rencontres, où Cyprien l’avait pris avec lui d’assez haut, ont pu contribuer à le mettre en garde contre une personnalité si envahissante ; quant au primat de Carthage^ il allait de l’avant avec une liberté tout apostolicjue, en homme pour qui les questions de personnes n’existent pas quand les principes sont engagés. Déjà, plusieurs années auparavant, il avait fait connaître sa pensée à l’égard du baptême des hérétiques : dans le IJe unitate Fcclesiae^, il déclarait que ce bain n’est pas une ablution, mais une souillure, que cette naissance ne donne pas d enfants à Dieu, mais au démon. La question du baptême novatien, qui lui fut soumise peut-être à titre officieux, car JMagnus n’était vraisemblablement pas évêque ni même clerc, ne le prit donc pas au dépourvu. Faisant sienne l’argumentation de TertuUien, il s’appuie sur l’Ecriture pour nier que les hérétiques ou schismatiques, quels qu’ils soient, puissent prétendre à aucun pouvoir ou droit dans l’Eglise : ce sont des adversaires du Seigneur, des antéchrists (Ep. lxix, 1). Il n’y a qu’un baptême, dans l’Eglise une (2). Novatien n’est pas dans l’Eglise (3), si l’Eglise est là où fut Corneille, légitime successeur de l’évêque Fabien, et martyr. Le schismatique est sans pouvoir, comme sans mission. Peu importe qu’il ait conservé le rite extérieur du baptême au nom de la Trinité, tel qu’il se pratique dans l’Eglise : l’Eglise est l’intermédiaire unique et indispensable pour la rémission des péchés. D’autant qu’elle seule possède le Saint-Esprit : le pseudo-baptême des hérétiques ne saurait conférer ni la rémission des péchés ni le don du Saint-Esprit (11). A cette affirmation catégorique de principes qu’il juge incontestables, Cyprien ajoute une déclaration conciliante : il n’entend restreindre la liberté de personne ; chaque chef d’Eglise demeure maître de ses jugements et de ses actes, sauf à en ren-Ire compte à Dieu (17).

Aux considérations développées dans cette lettre,

1. De unitate Ecclesiae, l : Quando aliud baptisma praeler unum esse non possit, baptizare se opinantur ; vitae fonte desprto, vitalis et saliitaris aquae gratiam poUicentur, Non alduuntur illic homines, sed potius sordidantur, nec purgantur delicta, sed inimo cunaulantnr. Non Dec nativitas illa, sed diabolo, filios générât. — Le De unitate Ecclesiae est de l’été 251.

la lettre synodale aux évêques de Numidie n’ajoute rien, sauf un appel à la coutume locale (Ep. lxx, i). Mais elle montre la controverse d’ensemble engagée^, car les Novatiens ne sont plus mis à part des autres sectes, et l’épiscopat s’émeut.

Tandis que la Numidie marchait, en somme, d’accord avec l’Afrique proconsulaire, la Jlaurétanie demeurait attachée à la tradition romaine. Elle entre en scène, avec l’évêque Quintus (Ep. lxxi, 1), dans la lettre suivante, où Cyprien éprouve le besoin de reprendre et de discuter plus à fond la question de coutume. Il commence par mettre hors de cause (2) les catholiques passés au schisme et venus ensuite à résipiscence : ceux-là ont reçu le baptême de l’EgUse, et il ne saurait être question de le leur réitérer. Tout autre est le cas de ceux qui viennent de l’hérésie à l’Eglise, comme à la source de toute grâce et de toute vérité : eux ne peuvent avoir reçu le baptême là ou le baptême n’existe pas, il faut donc de toute nécessité le leur conférer. Mais aux précédents invoqués par Cyprien, on opposait d’autres précédents. Aucun précédent, répond-il, ne saurait prescrire contre la raison (Ep. lxxi, 3) : Non est autem de consnetudine praescrihendum, sed ratione snncendum ; et ainsi le débat se trouve ramené sur le terrain des principes. Pierre ne s’est-il pas rendu aux raisons de Paul, c’est-à-dire à la vérité, donnant par là un grand exemple d’amour de la paix ? Il ne faut pas s’attacher opiniâtrement à son propre sens, mais considérer comme un gain la victoire d’un meilleur avis, surtout quand il y va de l’unité de l’Eglise, de la vérité de la foi et de l’espérance chrétienne. C’est ce que fit en son temps l’évêque Agrippinus (4), de bonne mémoire, avec ses collègues, les évêques d’Afrique et de- Numidie : Cyprien ne saurait, dans le cas présent, suivre un meillevir guide.

Quel fait avait donné lieu à cet échange de lettres entre un évêque de Maurétanie et le primat de Cartilage ? La réponse de Cyprien ne nous l’apprend pas. Mais à la relire attentivement, on se persuadera difficilement qu’il n’envisage rien de plus qu’une opposition constatée entre l’usage maurétanien et l’usage carthaginois. Ni son langage ni surtout ses réticences ne s’expliquent s’il ne considérait comme possible, et peut-être comme imminent, un conflit plus grave ; et sans doute c’était la pensée de Rome, bien plutôt que l’usage maurétanien, qu’avait mise en avant Quintus. Située à l’occident de l’Afrique latine, la Maurétanie avait résisté, plus que la Numidie, à l’influence qui rayonnait de Carthage ; rattachée par des liens directs à la capitale du monde romain, elle ne se croyait sans doute pas obligée de recourir à l’entremise de Carthage pour correspondre avec Rome, et le jour où une divergence apparut entre Césarée de Maurétanie et Carthage, c’est à Rome, non à Carthage, que Césarée dut demander un mot d’ordre. Le mot d’ordre, avec ses deux considérants : unité du baptême chrétien et coutume ancienne, répond exactement à la pensée que le pape manifestera un peu plus tard dans son rescrit à Cyprien ; on ne s’imagine guère la Maurétanie invoquant avec tant d’assurance l’ancienne coutume locale, car l’hérésie et le schisme n’avaient pas dû jeter de bien profondes racines dans ces chrétientés encore jeunes ; ces collègues que Cyprien ne nomme pas (Ep. lxxi, i), comme

1. Voici la forme la plus complète de l’argument théologique de Cyprien, fp. lxx, 3 : Si baptizare potuit (haereticus sive scliismaticus) potuit et Spiritum Sanctum dare. Si autem Sanctum Spiritum dare non potest, quia foris constitutus ciini Sancto Spiritu non est, nec baptizare venientem polist, quando et baptisma unum sit et Spiritus Sanctus unus et una Ecclesiaa Chrislo Domino nostro super Petrum origine unilatis et ratione fundata. 397

BAPTEME DES HÉRÉTIQUES

398

si leur nom lui causait quelque gêne, doivent sans cloute être cherchés hors d’Afrique, et d’abord à Rome. Puis cette allusion à Pierre (Ib., 3), s’inclinant devant les raisons victorieuses de Paul au sujet des ritesjudaïques, n’est-elle pas un moyen discret d’insinuer que le successeur de Pierre iieut avoir quelque chose à apprendre de ses collègues dans l'épiscopat ? Enfin d’où vient que Cj-prien décline cet argument d’autorité, qui, dans un débat de telle nature, se présentait comme la voie la plus prompte d’arriver à une solution universellement acceptée ? Rome n'était-elle plus lEglise maîtresse, à qui Carthage recourait en toute conjoncture déHcate ?(Tertullien. De praescriplio/ie^ 36 : Habes Romam, unde nobis quoque auctoritas praesto est.) Dans l’affaire des lapsi, obligé de tenir tête à un clergé divisé, Cyprien s'était empressé de chercher un appui à Rome. Si, dans le cas présent, il évite de le faire, c’est assurément qu’il sait à quoi s’en tenir sur la pensée de Rome ; s’il avait pu l’ignorer jusque là, Quintus venait de l’en instruire. Les considérations par lesquelles on s’efforce d'éhuler cette conclusion prouvent tout au plus qu'à la date de sa lettre à Quintus, Cyprien n’avait encore reçu de Rome aucune communication directe et officielle sur la question baptismale ; elles ne sauraient prouver que les évéques de Maurétanie n’en eussent pas reçu et que l'écho n’en fût pas parvenu aux évéques de Numidie et d’Afrique proconsulaire.

Il importait de faire cette constatation, pour saisir foute la portée de la lettre suivante, adressée directement au pape par les évéques réunis à Carthageau printemps de l’année 266. Une première fois, à l’automne précédent, on avait délibéré sur le baptême des hérétiques, et trente et un évéques de la Proconsulaire en avaient écrit à dix-huit évéques de Xuniidie. Aujourd’hui ce ne sont plus seulement les quarante-neuf évècpies signataires ou destinataires de la lettre lxx'. mais bien soixante et onze évéques de l’une et de l’aulre province, qui renouvellent plus solennellement la déclaration du dernier synode, ef jugent à propos de la notifier au pape : il est clair qu’un fait nouveau s'était pi*oduit.qui motivait cette notiûcation. Car ou n’avait pas contume d’entretenir le pape de toutes les affaires d’intérêt local qu’on avait pu traiter en synode : cette fois, la lettre spécifie (^p. Lxxii, 1) que d’autres questions encore viennent d'être agitées, cependant la question baptismale est la seule dont on écrive à Rome. On avait donc, pour le faire, une raison spéciale ; cette raison, où la chercher, sinon daus les nouvelles venues de Maurétanie, où des Eglises attachées à la tradition primitive avaient interrogé Rome et obtenu son approbation ? Nier cette approbation et dire que, si elle s'était produite sous une forme otUcielle, Cyprien n’avait plus qu'à s’incliner devant un acte du Saint-Siège, ef (ju’il se serait incliné cerfainenient ainsi (jue fout l’c'itiscopal africain, c’est oublier l’indépendance d’esprit dont Cyprien devait faire preuve au cours de cette controverse, in(l('pendance d’esprit rjui, loin de céder à la première summation, devait s’allirmer avec plus d'éclat après le rescrit pontifical, et finalement jeter tout l'épiscopat africain dans une inq)asse.

La lettre lxxii a manifestement pour but de revendi<iuer, contre certaines négations, la légitimité, disons mieux, la nécessité d’un usage dont on entend bien ne se point départir. Elle commence par poser {Ep. LXXII, i) le principe classique de l'école an.ibaptiste. L’ne Eglise, un baptême dans cette Eglise ; hors de là, point de sanctification plénière, point d’enfants de Dieu. On voit dans les Actes des Apôtres que, le Saint-Esi)rit étant descendu sur la maison du centurion Corneille et avant allumé dans les

âmes des gentils qui étaient présents la ferveur de la foi, l’apôtre saint Pierre exigea néanmoins que tous fussent baptisés, pour devenir chrétiens : telle est la nécessité de ce sacrement, que nulle investitiu-e de l’Esprit ne peut suppléer. Or, on ne saurait le trouver chez les hérétiques, chez les ennemis du Christ. Incidemment, le concile traite une question connexe à la précédente (2), celle de la réconciliation de clercs passés au schisme ou à l’hérésie, et de ceux qui ont exercé dans les sectes les fonctions cléricales : le même respect de l’Eglise, qui défend d’y recevoir des hérétiques, défend d’appeler des indignes à l’honneur du sacerdoce ; si de tels pénitents demandent à être réconciliés, on se gardera bien de leur rendre les prérogatives des clercs, il suffira de les admettre à la communion laïque. Les dernières lignes renferment, avec des paroles de paix et de charité, une leçon à peine déguisée à l’adresse du pape (3). Le synode espère qu’Etienne, dans sa religion et la vérité de sa foi, approuvera le langage de la religion et de la vérité. Il n’ignore pas que certains esprits ne veulent pas se défaire de leurs idées préconçues, qu’ils ne sauraient, sans une peine extrême, revenir sur une résolution, et, sans porter atteinte au lien de la paix et de la concorde entre collègues, demeurent inébranlablement attachés à leurs usages propres. Le synode ne veut faire violence ni donner de lois à personne, car dans l’administration de l’Eglise chaque évêque demeure maître de ses résolutions, sauf le compte qu’il doit à Dieu.

Il était difficile de marquer plus expressément que l’on entendait bien n'être pas inquiété dans la possession d’un usage légitime, et que, si l’on ne voulait pas répondre à une ingérence indiscrète par une semblable ingérence, on n’en avait pas moins ses idées faites sur le fond des choses. La notification dut paraître hautaine. C'était la troisième fois, en moins de deux ans, que le pape trouvait en face de lui le primat d’Afrique, fort de son zèle et de la droiture de ses intentions, mais beaucoup plus disposé à lui donner des leçons qu'à en recevoir : attitude imprévue, qui menaçait d’intervertir les rapports traditionnels entre Rome et Carthage. Cyprien était le premier personnage de l’Afrique romaine ; il devait à une culture supérieure et à la dignité reconnue de son caractère un ascendant exceptionnel sur l'épiscopat d’outre-mer : n’allait-il en user que poiu- détendre les liens qui rattachaient cet épiscopat à l’obédience romaine ? Le rôle glorieux joué dans la question des lapsi par les conciles de Carthage, sous la présidence de Cyprien, était pour aggraver ces craintes. Rome avait accepté de Carthage un mot d’ordre lors delà crise novafienne ; l’accepterait-elle toujours ? Les Xovatiens étaient, eux aussi, des anabaptistes décidés ; si, une fois de plus, on baissait pavillon devant les exigences de l’Afrique, et cela en présence du schisme, qui observait la même attitude dans la question baptismale, le centre de gravité de l’Eglise latine ne serait plus à Rome, mais à Carthage. Les considérations de prudence s’ajoutaient donc aux raisons doctrinales pour engager le pape à ne pas transiger, mais à repousser les accommodements qui, sur le terrain de la discipline, eussent été possibles en d’autres circonstances. Il faut envisager cette situation d’ensemble pour comprendre la réponse qui fut faite de Rome à la lettre synodale, et les autres événements que nous allons voir se dérouler.

L'été 206 se passa probablement dans l’attente du rescrit pontifical. Cependant les attaques et les ripostes se croisaient. A c « 4tte époque appartient probablement, comme nous l’avons dit, le traité anonyme De rehaptisinate, qui défend la doctrine romaine, mais Itai des arguments que Rome n’eût pas tous avoués. 399

BAPTEME DES HÉRÉTIQUES

400

Au début, l’auteur constate i’existencc d’une tradition très ancienne, contraire à la réitération du baptême ; tradition vénérable, garantie par l’autorité de toutes les Eglises : on aurait dû s’y tenir humblement, au lieu de se lancer dans les innovations téméraires {De rebaptismate, j) : NiiUa omnino potiiisset controversia aiit discepiatio eniergcre, si iiuusquisqiie nostrum contentus venerahiU Ecclesiarum omnium auctoritatc et necessaria humilitate nihil innovare gestiret, ciim locitm contradiclioni non quemlihet anima d’erteret. Il déplore l’influence néfaste exercée par un seul homme, dont quelques esprits légers glorifient inconsidérément la prudence et la fermeté, alors qu’aveuglé par un esprit hérétique il se plaît à en entraîner d’autres dans sa ruine, et qui pose, devant ses pareils, pour le redresseur de toutes les Eglises. Là-dessus il accumule les textes scripturaires pour montrer la <listinction entre le baptême d’eau et le baptême de l’Esprit, exalte celui-ci aux dépens de celui-là, et, en somme, fait bon marché du baptême d’eau, que supplée avantageusement, non seulement le baptême de sang (martyre), mais encore le baptême de l’Esprit, c’est-à-dire la confirmation (De rebaptismate, 18).

De son côté, Cyprien, très agité, essayait de se calmer lui-même en prêchant la patience. Il écrivait, Acrs la fin du De bono paiientiæ (20) : « C’est la patience qui nous gagne l’amitié de Dieu et nous la conserve… La patience est un ferme rempart aux fondements de notre foi, un principe sublime d’accroissement pour l’espérance, une règle pour l’action, qui maintient dans la voie du Christ les émules de ses souffrances, un gage de persévérance pour les enfants de Dieu, qui imitent la patience du Père. »

Le primat de Garthage devait être obsédé de lettres et de consultations. Les soixante et onze signataires de la dei’nière synodale avaient dû porter leurs convictions sur tous les points du territoire voisin de Cartilage ; mais l’opposition ne désarmait pas, du moins en Maurétanie. De cette province, un évêque nommé Jubaïen lui écrivait pour s'éclairer et lui communiquer un mystérieux document, dontCj’prien n’indique pas la provenance, mais qui dut lui causer de graves soucis, à en juger par le soin qu’il mit à le réfuter. La réponse à Jubaïen prend les proportions d’un véritable traité contre le baptême des hérétiques. Cyprien commence par s’appuyer sur la décision des soixante et onze évêques(/ij9. i.xxiii, i), puis il écarte une objection de son correspondant (Ib., 2) : que les schismatiques novatiens rebaptisent ceux qui Aiennent à eux, peu importe : il ne va pas chercher son inspiration chez les ennemis de l’Eglise. S’il leur plaît de singer le Arai christianisme, ce n’est pas une raison de l’abandonner. D’ailleurs, il ne fait que s’en tenir à la coutume déjà ancienne de son Eglise (3). Riais la lettre communiquée par Jubaïen renferme une assertion (4) qu’il a le devoir de relever : c’est qu’on n’a point à s’inquiéter de la personne qui baptise, la foi du baptisé important seule à la rémission des péchés. Cette assertion l’a ému d’autant plus A ivement qu’il a rencontré dans la même lettre le nom de l’hérétique Marcion et une approbation de son baptême. Si Marcion (5), qui ne croit pas à la Trinité, peut néanmoins l>aptiser validement au nom de la Trinité, pourquoi pas également les Patripassiens, les Anlhropiens, les Valentiniens, les Apelletiens, les Ophites, et autres pestes d’hérétiques ? Il n’en est pas ainsi (7) : Dieu n’a confié qu’aux mains des pasteurs établis dans son Eglise le pouvoir de remettre les péchés par le baptême, comme celui de donner le Saint-Esprit par l’imposition des mains. En défendant cette position (lo), Cj’prien a conscience de défendre l’unique et Aéritable Eglise. Pourquoi donc l’accuser (11) d’attentat à la A'érité,

de trahison euvcrs 1 unité? Si l’on reconnaît aux hérétiques le pouvoir de conférer le baptême (12). y a-t-il rien qu’on puisse leur refuser ? En A’ain en appellerait-on à la coutume (13) : comme si la coutume poiiA’ait préA’aloir sur la Aérité ! L’erreur peut avoir des titres à l’indulgence, l’opiniâtreté n’en a aucun. Ici la tradition apostolique est seule reccA^able : or les apôtres n’ont enseigné qu une Eglise et qu’un baptême (14-15) ; ils ont constamment exécré l’hérésie, fidèles à la parole du Christ qui a a’ouIu prémunir les siens (16) contre les faux prophètes et les faux Christs. Mais que penser de ceux qui déjà ont été admis dans l’Eglise (28), sans autre baptême que celui des hérétiques ? Si déjà ils se sont endormis dans la paix de l’Eglise, ])aix à leur mémoire : la miséricorde dÎA ine a pu suppléer le déficit du sacrement. Mais il ne faut pas s’autoriser des errements passés pour errer toujours à l’avenir. La lettre s’achèAe par les déclarations ordinaires (26) de tolérance et de respect à ladresse des évêques qui pensent différemment. Cyprien n’aime pas les disputes entre collègues, et s’efforce de sauA-egarder, en toute patience et douceur, la charité, l’honneur de son collège, le bien de la foi, la concorde du sacerdoce.

Telles sont les grandes lignes de ce graA’e document. Nous savons par un témoignage postérieur qp^ie Jubaïen se rendit aux raisons déA^elopi^ées par Cyprien (Sententiæ episcoporum, prooemium). Et maintenant renoncerons-nous à pénétrer l’anonymat de cette pièce que Cyprien discute si longuement, en ayant soin d'éAdter ces personnalités qui d’ordinaire abondent sous sa plume, et que, sans doute, il ne se serait pas interdites si l’auteur eût été un membre quelconque de l'épiscopat maurétanien ? Toutes les raisons qui déjà nous ont fait cntrevoir dans la lettre Lxxi une arrière-pensée de controvcrse avec Rome, se présentent ici aACc plus de force, pour nous montrer dans le document communique par Jubaïen une lettre du pape Etienne à lepiscopat de Maurétanie, lettre portée par Jubaïen à la connaissance du primat de Carthage^. Cette impression générale, qui se dégage de la lettre écrite par Cyprien, est fortifiée par dÎA’erses obserA’ations de détail. On a a’u l’assimilation établie, dans la lettre de Quintvis (Ep. lxxiii, 2), entre le zèle anabaptiste des schismatiques novatiens et celui que témoignaient les éA'êques d Afrique : d’où Amenait une telle idée, sinon de Rome, foyer du schisme novatien ? Nulle part ailleurs on ne dcvait être plus porté à confondre dans une réprobation commune les puritains de toute nuance. On a a’u encore que le document anonyme contenait une approbation du baptême marcionite 2 : or le nom de Marcion reparaîtra dans deux lettres postérieures, en tête d’une liste d hérétiques dont le pape ne songe pas à réprouA’cr le baptême (Ep. i.xxn-, 7 ; lxxa% 5). On se rappelle en outre les qualifications séA'ères appliquées par cette lettre à Cyprien (Ep. lxxiii, 11) :

1. Ainsi en ont jugé anciennement Baronius, Pamf.l, GousTANT, Launoy, Maran, etc., de nos jours : Nelke, p. 101. — Voir à rencontre Ernst, Papsl Steplian I urid dcr Ketzertaufstreit, p. 23 et seq.

2. Ep. LXXIII, 4 : Cum in eadem epistula animadverterim etiain Marcionis fieri menlionem, ut nec ab ipso venientes dicat baptizari oportcre. Ibid., 5 : De Marcione intérim solo, cujus mentio in epistula a te ad nos Iransmissa facta est. — Cette considération suffirait à faire écarter la thèse de Be.nson, qui croit reconnaître dans le De rebaptismate le document communiqué h Cyprien par Jubaïen : Cyprinn, lus life, his tirnes, kis (vor/., p. 398, 399. D’ailleurs j’admettrais volontiers que C. prien avait dès lors connaissance du De rebaptismate. Mais ce traité ne renferme pas le nom de Marcion, et la lettre de Cyprien ne peut le viser qu’incidemment. 401

BAPTEME DES HERETIQUES

402

Cur praevaricatores veviiatis, cur proditores utiiioiis existimiis ? qualifications que celui-ci eût pu dédaigner de la part d un collègue obscur : or des qualiiications semblables apparaissent dans la lettre de Firmilien, comme ayant été appliquées à Cyprien par Etienne lui-même (/.'p. lxxv, 26 : .ori pudet Stepliamtm… Cxprianum pseudochristum et pseudoapostolum et dolosum operariiim diccre). Tout concourt donc à prouver que 1 épiscopat maurétanien était, dans l'été 256, et peut-être depuis plusieurs mois, en possession d’un document pontifical sur le baptême des hérétiques, et que ce document arriva aux mains de Cyprien par 1 entremise de Juliaïen. Sans appuyer plus que de raison sur des conjectures destinées sans doute à ne jamais sortir du domaine de la possibilité, voici comment on peut, avec vraisemblance, restituer cette liistoirc.

A la suite du concile d’automne 255, où les évêques de la Proconsulaire avaient fait part aux évêques de Nuniidie de leur sentiment sur le baptême des hérétiques, l'épiscopat de Maurétanie s'émut de cette déclaration contraire à son propre usage, et consulta Rome. Etienne eut, par cette voie indirecte, connaissance du vote émis à Cartilage, et peut-être en témoigna-t-il dès lors son mécontentement à Cyprien ; mais, surtout, il se préoccupa d’enrayer la propagande, en adressant à l'épiscopat maurétanien une réponse motivée, que nous avons pu entrevoir à travers la lettre lxxi. Cyprien, qui ne s'était pas attendu à un blâme, crut nécessaire d'éclairer le pape, et réunit dans ce but le synode du printemps 256, où fut préparée la lettre lxxii. Si, par cette déclaration coUectiAC, il s'était flatté de modifler la pensée du pape, l'événement trompa complètement son attente. Loin de capituler devant cette intransigeance, Etienne aflirma énergiquement la doctrine catholique ; mais au lieu de parler directement à l'épiscopat africain, qui n'était guère préparé à l’entendre, il commença par s’adresser à l'épiscopat maurétanien, dans une lettre prol)ablement distincte de la précédente, et conçue en termes très sévères pour (Cyprien, îSous rapporterions au commencement de l'été 256 cette lettre pontificale, dont Cyprien connut la teneur par l’entremise de Jubaïen. Enfin, arriva de Rome à Cartilage même un rescrit pontifical. Etienne n’j- déguisait pas la vérité ; il réprouvait l’attitude des deux précédents synodes, et se montrait décidé à briser la résistance, fût-ce au prix d’une excommunication. Nous ne connaissons pas ce rescrit dans sa teneur complète ; mais des passages significatifs nous ont été conservés par Cyprien dans sa lettre à l'évêque Ponipciiis (Ep. Lxxiv), et par Firmilien de Césarée dans sa lettre à Cyprien (Ep. lxxv). Le pape repoussait les deux raisons invoquées par Cjprien, la raison théologique tirée de l’unité du baptême, et la raison d’aulorilé tirée (Us précédents africains. Sans entrer dans aucune discussion, il revendiquait les droits d’une tradition certaine, authentiquée par la pratique de l’iiérésie elle-même, car — les Novatiens exceptés — nulle secte ne rebaptisait. Telle était la portée de son dispositif : à l'égard de ceux qui viennent à vous, de quehpie hérésie que ce soit, ne rien innover, mais vous en tenir à la tradition, leur imposant les mains pour les recevoir à pénitence : d’autant que les fiérctiqucs entre eux ne confèrent pas un l)aptême spécial à ceux qui embrassent une nouvelle secte, mais les admettent simplement à la communion ^ Si

' l^P' i.xxiv, 1. — Cette formule n été souvent inallr.iduite. La force de l’ars-unient est dans le mot propric, iSioii. Do ce qu’on ne trouve pas dans les diverses sectes divers baptêmes, propres u chacune d’elles, mais un seul baptême qui leur est commun, Etienne conclut qu’elles ont gardé

(jiii ergo a quacumque haercsi s’enient ad vos. lùJiil innovetur nisi qiiod tradituni est, ut manus illis imponatiir in paenitentiani^ eu m ipsi liaeretici proprie alterutrum ad se venientes non baptizent^ scd communie eut tantum. Cet ordre exprès était appuyé d’une menace d’excommunication (f^p. Lxxrv, 8).

Cyprien fut moins surpris sans doute qu’il n’eût pu l'être sans la communication officieuse de Jubaïen. îVéanmoins, cette lettre portait un coup si rude à ses convictions les plus profondes qu’il en demeura consterné. Son désespoir s’exhale dans une lettre amère à l'évêque Pompeius, qui lui a demandé une direction sur la question baptismale (A'/>. lxxiv, i). En lisant le rescrit pontifical, Pompeius se convaincra de plus en plus de l’erreur d’Etienne, qui se fait contre les chrétiens et contre l’Eglise de Dieu l’avocat des liérétiques. Il appréciera sa hauteur, son impertinence, ses contradictions, sa maladresse, son imprévoyance. Approuver le baptême de tous les hérétiques (//>., 2), alors qu’il y a autant de baptêmes que d’hérésies, n’est-ce pas communier avec toutes les hérésies, et prendre sur soi tous les vices réunis ? Ne rien innover, mais s’en tenir à la tradition : mais d’où vient-elle, cette tradition ? Assurément ni du Seigneur ni des Apôtres. Le Seigneur a prescrit de baptiser les gentils, et rion pas de leur imposer les mains pour les recevoir à pénitence. Les Apôtres ont écrit avant l’apparition des modernes hérésies, deMarcion, voire même de son maître Cerdon : tant il est vrai que cette pratique ne peut se réclamer ni de l’Evangile ni des Epitres apostoliques. Quelle étrange obstination, ou quel aveuglement (3-/|), de préférer à l’institution divine une tradition humaine ; de vouloir ('j) que (lu baptême de Marcion, de Valentin, d’Apelle et autres blasphémateurs du Père, naissent des enfants de Dieu, et que les péchés soient remis au nom de Jésus-Christ, là où l’on blasphème Dieu et son (Tirist ! Voilà pourtant où mène l’entêtement et l’orgueil (10) : on aime mieux défendre opiniâtrement des vues personnelles et fausses que de se ranger au sentiment d’autrui et à la vérité. Saint Paul, écrivant à Timothée, entendait autrement le devoir des évêques. L’Eglise est une (11), comme l’Epouse du Cantique, comme l’arche de Noé. Plus que jamais (12) Cyprien demeure ferme dans sa résolution de n’admettre aucun des transfuges de l’hérésie, à moins qu’il n’ait reçu le baptême de l’Eglise.

Cette opposition directe entre deux hommes aussi convaincus deleurdeoir que l'étaient respectivement le pape Etienne et le primat de Carthage ne laissait aucun terrain d’entente. Ne sachant que résoudre, Cyprien s’avisa une seconde fois du moyen qui lui avait déjà si mal réussi. Il crut qu’une consultation solennelle de tout l'épiscopat africain obligerait le pape à réfléchir, et avait chance de lui ouvrir les yeux sur ce que lui-même considérait comme une irrcur évidente. Il résolut donc de poser à nouveau la question baptismale devant le synode de sepleni]>re, et cette convocation surpassa en éclat les précédentes, car non seulement l’Afrique proconsulaire et la Numidie, mais encore la Maurétanie fournit son contingent. Les cjuatre-vingt-sept évêques qui siégèrent eu personne ou jiar procuration — car aux quatre-vingtcinq Pères réunis à Carthage il faut ajouter deux

runicpie baptême chrétien. C’est la pensée que Firmilien répète ainsi, Ep. uxxv, 7 : Stepbanus in epistula sua dixit Iiaereticos quoque ipsos in baptismo conveniie eo quod altcrutrnm ad se vcnientcB non baptizont, sed coniniunicent tanliim, quasi et nos hoc faccie doheamus. — (J’ai l’crit eo (juod, ii lieu du ci quod, que portent les éditions. Lu correction, postulée à la fois par le sens et par la grammnii’e, est évidente, et l’on [)eut s'étonner qu’elle n’ait pas été faite plus tôt, dans un texte si connu.) 403

BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES

404

absents, représentés par Nalalis d"Œa — venaient témoigner, cliacun en son nom, de l’opinion alors eommiine dans les chrétientés latines d’Afrique. Pour qxi’une telle déclaration put être entendue du pape irrité, il fallait qu’elle fût spontanée de la part de tous ; il fallait de plus qu’elle fût respectueuse autant que ferme. Cette doul)le préoccupation se fait jour dans rallocution présidentielle de Cyprien : il tient à écarter tout soupçon d’une pression exercée sur ses collègues ; il ne tient pas moins à se garder de l’inconvenance qu’il y aurait à paraître délibérer siu" un acte du Saint-Siège ; c’est pourquoi il évite de prononcer le nom du pape. On commença par donner lecture de trois lettres : celle par laquelle.lubaïen avait consulté Cyprien, la réponse de Cj’prien, enûn une nouvelle lettre où Jubaïcnse déclarait convaincu. Puis Cyprien s’exprima en ces termes (Prooem. Sent, episcoporum) : « Vous avez entendu, mes chers collègues, ce que Jubaïen, notre coévêque, m’a écrit pour me consulter, malgré mon insuffisance, sur le baptême illicite et profane des hérétiques, et ce que je lui ai répondu, affirmant, comme nous l’avons affirmé maintes fois, que les hérétiques venant à l’Eglise doivent être baptisés et sanctifiés par le baptême de lEglise. On vous a lu pareillement une autre lettre de Jubaïen. écrite en réponse à la mienne : cet homme sincère et profondément pieux, non content de se rendre à mes raisons, s’est reconnu éclairé pour l’avenir, et m’a rendu grâces. Il nous reste à exprimer notre avis, un à un, seins prétendre juger personne ni excommunier ceux qui ne partageraient pas notre avis. Car nul d’entre nous ne se pose en évêque des évêques, nul ne tyrannise ses collègues ni ne les terrorise pour contraindre leur assentiment, vu que tout éA'êqne est libre d’exercer son pouvoir comme il l’entend, et ne peut pas plus être jugé par un autre que juger lui-même un autre. Mais nous devons tous attendre le jugement de Notre-SeigncTir Jésus-Christ, à qui seul il appartient de nous préposer au gouvernement de son Eglise et de juger notre conduite. »

Ces paroles étaient pesées avec soin ; malgré la vigueur du langage, on n’y saurait relever aucune insinuation blessante pour le pape. Celle qu’on a parfois signalée dans les mots : Neque enim quisqiiam nostnim episcopiim se episcoporum constituit aiit tyrannico terrore ad obsequenai necessifafem coUegcis suas adigit, ne repose, comme l’a très bien montré M. Ernst (Papst Stephan I und der Ketzertaiifstreit, p. 60), que sur une fausse interprétation. Les mots episcopus episcopoiiim ont paru viser le pontife romain' ; pour le prouver, on a fait appela un texte de TertuUien (De ptidicitia, i), ajoutant que cette appellation, pour designer le successeur de saint Pierre, était commune depuis le début du m" siècle. Mais ni le texte de TertuUien ne se prête à un tel commentaire, ni l’histoire ne vérifie les inductions qu’on a voulu en tirer. Quand TertuUien. dans le De pH(/ />/// « , applique aupape Calliste cette désignation, episcopus episcùporum, il le fait pour souligner l’ironie de son langage, car il est en pleine révolte contre Rome ; nulle part, dans ses écrits orthodoxes, on ne rencontre ce titre, et il ne reparaît pas dans la tradition du m' siècle. Le passage de saint Cyprien serait donc isolé ; avant de l’expliquer ainsi, il y a lieu d’essayer d’autres explications. La plus naturelle et la seule vraie nous est suggérée par une autre lettre, où l’on voit Cyprien se défendre contre les

1. Cette interprétation se trouve déjà chez Baromus, Annales, ad ann. 258, c. 42 ; elle a été rééditée par presque tous ceux qui se sont occupés de ce texte. Nous n’en croyons pas moins qu’elle est fausse, et que M. Ernst a donné la seule explication plausible.

attaques d’un de ses frères dans l'épiscopat : il lui reproche de se constituer évêque d’un évêque, et juge du juge institué par Dieu (Ep. lxvi, 3) : Tu qui te episcoputn episcopi et iudicem iudicis ad tempus a Deo dati constituis. Celui-là donc, selon Cyprien, se constitue évêque d’un évêque, qui s’arroge le droit de le censurer ou de lui dicter son devoir ; et telle est précisément l’accusation contre laquelle Cyprien a voulu se prémunir, devant le concile de Carthage : il importait cque les suffrages destinés à être mis sous les yeux du pape ne parussent pas extorqués par la violence ou par l’intimidation ; les mots suspects, au lieu de renfermer, comme on l’a cru, une leçon directe à l’adresse du iiontife roniain, sont donc bien plutôt une précaution oratoire de la part du président, qui tient à ne pas sortir de son rôle, mais veut laisser à l’assemblée l’entière responsabilité de son vote.

Cela dit pour rétablir le véritable caractère du discours présidentiel, nous indiquerons brièvement les points saillants de cette collection de suffrages. Tous, sans exception, affirment la nécessité de rebaptiser les hérétiques à leur entrée dans l’Eglise. Presque tous sont motivés : le motif qui revient le plus souvent est la considération de l’unité du baptême, telle qu’on la trouve formulée dans saint Paul (Eph., ix, 5) : Una fîdes, una spes. u/iuin baptisma (Sent., i, 5, 14 » 46, 55, 67, 68, etc.). Quelques-uns réfutent l’argument fondé sur la coutume d’autres Eglises, et le fait mérite d'être relevé, comme une reconnaissance implicite de la tradition (Sent., 28, 30, 63, 7' ;). Un seul prononce le nom d Etienne, et mentionne la lettre qui lui fut adressée par Cyprien — c’est-à-dire vraisemblablement la lettre du précédent synode, Jîp. lxxii, — mais un plus grand nombre stigmatise, parfois en termes énergiques, les partisans de l’opinion adverse, ces fauteurs d hérétiques (Sent., 21, 47)1 annoncés par l’Apôtre (Rom.. 111, 3), ces prêtres de Dieu qui ne rougissent pas d’approuver le baptême de Marcion (Sent., 02), ces évêques qui trouvent naturel de se soumettre à deshérétiques(.SVn/., 59). Un des Pères rappelle l’exemple d’humilité donné par Pierre dans sa dispute avec Paul (Sent., 56). Un autre raille ces avocats de l’hérésie (Sent., 58), qui font des hérétiques chrétiens et des chrétiens liérétiques. Un autre encore compare à Judas (Sent., 61)celui qui, en transigeant au sujet du baptême, livre aux héréticfues l’Eglise, épouse du Christ. La discrétion dont le président avait usé dans son discours d’ouverture n’a donc pas été imitée de tous ceux qui furent appelés à formuler leur suffrage. Tous, à vrai dire, n’avaient point les mêmes raisons. Mais la rareté des allusions manifestes à Rome ne saurait être invoquée pour établir cpie la tenue du concile précéda l’arrivée du rescrit pontifical *.

Tout d’abord, il est certain que nos Actes ne disent pas tout : nous en avons la ijreuve dans ce même suffrage qui mentionne la lecture, faite au synode, de la lettre adressée par Cyprien au pape : cette lecture n"a pas laissé de trace dans le début du procès-verbal, où il n’est question que delà lecture des lettres échangées entre Jubaïen et Cyprien. On a donc élagué ce trait, on a dû élaguer pareillement tous ceux qui visaient trop directement Rome, et en particulier

1. La priorité du concile, par rapport au resciit pontifical, a été soutenue parMATTES, Peters, Grisar, Ritschl, etc. ; Erxst la tientpouv certaine ; Bardenhewer, pour très vraisemblable. La thèse contraire, admise déjà par Baromus, et presque incontestée durant trois siècles, demeure néanmoins plus commune, et je ne vois pas de raison de l’abandonner. Parmi ceux qui l’ont défendue en ces derniers temps, nommons : Fechtrup, Bexson, Monceaux, Nelke, Harnack, Chronologie der ACL, t. II, p. 359. 405

BAPTEME DES HERETIQUES

406

toutes les allusions au i-escrit pontifical. Mais la distraction qui a laissé subsister, dans un passage unique, le souvenir des relations directes entre Cyprien et Etienne, au sujet du baptême des hérétiques, ne permet pas de supposer qu’au moment où on délibérait ainsi à Carthage, on n’y connaissait pas encore officiellement la pensée du pape. C’est, au contraire, parce qu’on la connaissait très bien, qu’on en lait si soi'^-neuse abstraction dans un document destiné à Rome, et la rareté des allusions au Saint-Siège est la meilleure preuve que nos Actes ne reproduisent pas sans réticences tout ce qui s’est dit dans cette délibération synodale. Cyprien parla le dernier de tous {Sent., 87). Ce fut pour rappeler les idées contenues dans son épître à Jubaïen, et les condenser en cette courte formule : Les hérétiques, appelés par l’Evangile et par les apôtres adversaires du Christ et anléchrists, doivent, lorsqu’ils viennent à l’Eglise, recevoir le baptême de l’Eglise, pour devenir d’adversaires amis, et d’antéchrists chrétiens.

L’unanimité de ce synode et des précédents sur la question baptismale ne permet pas de croire que les évêques attachés à 1 usage romain fussent bien nombreux sur la terre d’Afrique. Peut-être en majorité dans le seul épiscopat de Maurélanie', ils étaient certainement, quant à l’ensemble de l'épiscopat de Maurétanie, de Numidie et de Proconsulaire, en très petite minorité. Encore cette minorité demeure-t-ellc anonyme : pas un prélat connu, que l’on puisse mettre en regard des quatre-vingt-sept noms fournis par les Actes synodaux de septembre 256. Le fait a son importance, pour qui apprécie l'œuvre de ce synode. Si l’on n’avait comme contradicteiu-s qu’un petit nombre de collègues obscurs, ce n'était guère la peine de revenir trois fois en deux ans sur la question baptismale, et d'émettre des jugements si graves, pour déclarer en lin de compte que Ton ne prétendait imposer à personne sa manière de voir ! Il est manifeste que ces professions de- libéralisme, que nous avons rencontrées à la fin de plusieurs lettres de Cyprien, avaient pour but, non de mettre à l’aise des collègues dont l’avis importait peu, mais de se mettre en garde contre les collègues dont l’avis importait beaucoup ; ces collègues dissidents, dont il est question à diverses reprises dans les sull’rages du concile (ainsi Sent., ou : Quidam ; 5g : Quidam de colleg s), n'étaient donc pas les premiers Aenus, ce n'étaient point tels et tels évêques obscurs de Maurétanie ; bien pltitôt les faut-il chercher en Italie et d’abord à Rome ; la controverse ouvei’te avec Rome était la véritable raison d'être de tout ce mouvement conciliaire, qui tient de là toute sa signification.

Le nom de concile d’opposition contre Home, donné parfois à l’assemblée du i<"' scptendjre, est donc justifié, au moins dans une certaine mesure. Gardonsnous seulement d’exagérer le caractère et la portée de cette opposition. Dans la pensée de Cyprien et de ceux qui l’ont suivi, il ne s’agissait en aucune façon de provocpier Rome, et s’il n’est pas permis de voir dans cette délibération unenuinifestation|)latoni([uc, encore moins y peut-on voir une déclaration de guerre. On adiruiait à nom eau sa conviction, parce que l’on n’en comprenait pas d’autre, et parce que l’on croyait à un malentendu qui ne pouvait pas durer ; quant à l’hypothèse d’une rupture, on ne l’envisageait sans doute qu’avec angoisse, espérant de la Providence la solution d’un conflit qui pouvait sembler hunuiinement sans issue.

1. Benson, qui a « Hudii avec beaucoup de soin les listes f'-piscopiiles renfermées dans les écrits de saint Cyprien, ne trouve que doux ou trois |)rélals de Maurétanie au synode carthaginois de septembre 256. — Cyprian, etc., |>. 365, 607.

Cependant l’activité de Cyprien ne se renfermait pas dans l’enceinte d’un synode. En même temps qu’il travaillait, contre toute espérance, à jeter les bases d’une entente directe avec Rome, il tournait les yeux vers l’Orient, pour y trouver des auxiliaires. Denys d’Alexandrie prenait bien froidement, à sou gré, la querelle baptismale ; si, comme on peut croire, quelque échange de vues se produisit alors entre Carthageet Alexandrie, il ne s’ensuivit pas d’alliance elïective. L’Asie Mineure offrait à Cyprien un point d’appui plus ferme. Il ne pouvait ignorer que, depuis longtemps déjà, en Cilicie, en Cappadoce, en Galatie, et ailleurs, nombre d’Eglises rebaptisaient les hérétiques ; à Rome, certainement, on ne l’ignorait pas, et, nous le verrons, le j^ape se préoccupait de ce mouvement qui enti-aînait hors des voies traditionnelles l’Asie avec l’Afrique. Au premier rang des évêques notoirement hostiles au baptême des hérétiques, se distinguait Firmilien de Césarée. Elevé depuis un quart de siècle sur le premier siège de Cappadoce (Eusèbe, Hist. Eccl., VI, xxvi, xxvii ; VII, v), disciple enthousiaste d’Origène qu’il avait visité en Palestine et attiré à Césarée, théologien de marque, écrivain fécond, homme d’entreprise et d’autorité, Firmilien était, comme dit l’archevêque Rexson (Cyprian, his life, liis finies liis work, p. 3^5), l’esprit « le plus choragique h des Eglises orientales. Après avoir été l'àme de la résistance au schisme novatien, il allait se trouver, dans les synodes d’Antioche, le juge le plus qualifié de Paul de Samosate. S’il existait au monde une influence capable d’amener le pape à (onq)ter avec le parti anabaptiste, c'était celle de Firmilien. Mais les communications avec la Cappadoce offraient de grandes diflicullés. Avant de recourir à ce moyen extrême, Cyprien attendit probablement l’issue de la légation qui devait présenter au pape la délibération du i '" septembre 256. L’issue ayant ruiné toutes ses espérances, il n hésita plus, et fit partir pour l’Orient le diacre Rogatien, porteur de lettres pressantes pour l'évêque de Césarée.

Nous sonmies mal renseignés sur l’accueil fait par le pape à la légation du troisième concile baptismal ; mais il ne^^t guère douteux qu’il ne faille rapporter à cette circonstance les faits consignés dans la lettre de Firmilien. Non content de refuser sa porte aux délégués, le pape aurait interdit aux fidèles résidant à Ronu^ de les recevoir dans leurs maisons. Une telle rigueur ne peut se comprendre qu’après une résistance prolongée, de la part d’un supérieur qui attend une soiunission pure et simple. Si pareille chose se fût produite à 1 occasion du concile précédent, et à la réception de la lettre lxxii, les relations entre Rome et Cartilage auraient été d’ores et déjà rompues, et on ne s’expliquerait plus le cours ultérieur des événements ' ; aussi avons-nous cru devoir placer après l'échec de la légation le départ du diacre Rogatien.

1. Reconnaissons que tout le monde n’est pas de cet avis. De Smedt, Dissertaiianes in primant aetatem iiistoriæ ecrlesiasticae, p. 232 et seq., après Makan et Pagi, a admis que la légation africaine éconduile par Etienne était charg.'ç de VEp. LXXii ; mais il confond le premier et le second synode baptismal. Bensok, op. cit., p. 352 et seq., a repris cette opinion, avec quelques retouches. — Nelke, qui I apporte au l" septembre 2ô6 le synode des quatrevingt-sept évoques, imagine, p. 105 et seq., un synode intermédiaire entre notre second et notre troisième synode : la légation aurait porti- à Rome les résolutions de ce synode iritoiinédiaire. Mais, outre que la date assignée est invraisemblable, le texte sur lequel il s’appuie (5f « /. episcop.. proocin. : Censens quod scriiel ait/uc ilerum et sæpc censiiimus) ne désigne pas nécessairement des décisions synodales, et rien n’autorise à multiplier ainsi les synodes. 407

BAPTEME DES HÉRÉTIQUES

408

La principale objection à cette manière de voir réside dans la brièveté du temps où il nous faut enfermer ces deux voyages : aller et retour des délégués à Rome, aller et retour du courrier de Césarée, Il est sur que le fidèle messager dut faire diligence pour atteindre son but et être de retour à Carthage avant l’hiver ; mais. Firmilien nous en est témoin (£ ». Lxxv. 5), Rogatien ne perdit pas son temps en Cappadoce ; les dillicultés, bien que réelles, ne semblent pas insurmontables pour un homme déterminé. La délibération synodale avait eu lieu le i" septembre ; quinze jours sont beaucoup plus qu’il ne fallait pour un double voyage de Carthage à Rome et de Rome à Carthage ; donc, plusieurs jours avant la mi-septembre, Cyprien pomait être fixé sur l’insuccès de sa démarche. De là jusqu’au 1 1 novembre, date normale où cessait le transit maritime, il y a deux mois entiers : n’est-ce pas assez pour aller et revenir de Cappadoce ? M. Ernst a pris la peine d’interroger IWlessus M. Friedlæxder, dont l’autorité pour tout ce qui se rapporte à la vie romaine est assez connue, et a obtenu du savant professeur une réponse très précise (Erxst, Papst Stephan I und der Ketzertauf.streit, p. 7^, 70). Au jugement de M. Friedlacnder, vingt-cinq jours suffisaient, à la rigueur, pour le vojage de Carthage à Césarée ; si par ailleurs on tient compte de ce fait, admis par le même savant, que le terme du 1 1 novembre n’avait rien d’absolu, et que dans les cas d’urgence on pouvait fort bien le dépasser, on voit que la prétendue impossibilité, objectée au voyage de Rogatien après le retour de la légation synodale, n’existe pas.

Suivons donc Rogatien en Cappadoce, où il put arriver avant la mi-octobre. Il y trouva les esprits fort excités, car déjà l’ardeur réformatrice du pape Etienne avait soulevé des questions irritantes, et les Eglises anabaptistes d’Asie étaient elles-mêmes sous la menace d’une excommunication. Firmilien entra d’emblée dans les vues de Cyprien, ou plutôt déclara n’en avoir jamais eu d’autres. Sa longue réponse, qui nous est parvenue dans une ancienne traduction latine, d’une langue très semblable à celle de Cyprien, réédite en somme les arguments contenus dans les lettres que Rogatien lui avait communiquées ; sa véritable originalité consiste principalement dans la violence du langage à l’égard du pape, et c’est l’aspect auquel nous nous attacherons. Firmilien remercie Cyprien (Ep. lxxv, i) de lui avoir écrit en termes si fraternels ; volontiers il rendrait grâces à Etienne, dont les mauvais procédés lui ont valu, de la part du primat de Carthage, cette marque de foi et de sagesse. Etienne n’en a pas moins, par son audace et son insolence (3), encouru le jugement divin contre ceux qui compromettent l’vxnité de l’Eglise. Il a fait cause commune avec les hérétiques (5), en approuvant leur baptême ; il est devenu l’un d’eux. Jusqu’ici l’Eglise de Rome (G), et d’autres encore, ont observé notamment au sujet delà Pàque, des usages particuliers, sans détriment de la paix et de l’unité catholique, Etienne a le premier violé cette paix, faisant affront aux bienheureux apôtres Pierre et Paul, qui, à l’en croire, auraient inauguré cette tradition favorable aux hérétiques. La seule unité à laquelle puissent prétendre les hérétiques, c’est l’unité dans le blasphème (7). Comme ils n’ont pas la foi, ils n’ont pas non plus le baptême ni aucun sacrement : ainsi l’ont affirmé depuis longtemps, à l’occasion de certains doutes, les évêques de Cappadoce, de Galatie, de Cilicie et des contrées limitrophes, assemblés à Iconium de Phrygie. Etienne croit trouver dans les synagogues des hérétiques la rémission des péchés (8-16) : insensé, qui se glorifie de succéder à l’épiscopat de Pierre (17), fondement de l’Eglise, et qui

cependant multiplie inconsidérément les pierres et les églises ! Traître et déserteur de l’unité, il est tombé au-dessous des Juifs, qui, du moins, au témoignage du Sauveur, avaient le zèle de Dieu ; au-dessous de tous les hérétiques (23). Auteur responsable de tous ces déchirements (s/J), il ne voit partout que schismes, et c’est lui-même qui s’est constitué en état de schisme, apostat de l’unité ecclésiastique. Il prodigue les excommunications, et c’est lui-même qui s’excommunie au regard de tous. On a vu la mesure de sa patience (-25) dans les querelles qu’il a cherchées aux évêques de tout l’univers, rompant tantôt avec rOrient, tantôt avec le Midi, lorsqu’il refusa aux évêques d’Afrique, non seulement une audience, mais le bienfait de l’hospitalité chrétienne. Voilà l’homme qui traite Cyprien de faux Christ, de faux apôtre, d’ouvricr déloyal : comme si un secret reaiords le poussait à charger autrui de toutes les flétrissures dont lui-même s’est rendu digne !

Le ton de cette lettre n’était pas d’un homme disposé à se rendre aux sommations venues de Rome, et, de fait, Firmilien ne se rendit pas. Cyprien, moins virulent dans son langage, n’était pas moins ferme dans ses résolutions, et, si nous ignorons quelle conduite il tint durant la dernière phase du conflit baptismal, nous sommes pourtant sûrs qu’il ne transigea point. Les mois qui suivent le retour de Rogatien nous échappent entièrement ; le seul fait qui se détache sur cette pénombre est la médiation généreuse de l’évêque d’Alexandrie. Trop dévoué à l’Eglise pour ne pas gémir profondément de ses divisions, d’ailleurs sans conA’iction personnelle au sujet du l)aptême des dissidents, il avait seulement hérité de son prédécesseur Héracias(Eusèbe, H. E., VII, vu) la règle d’excomnninier les chrétiens qui, après leur baptême, s’étaient compromis avec une secte : donnaient-ils des gages sérieux de pénitence, il les recevait sans noiiveau baptême. Cette pratique n’avait rien de contraire aux principes de Cyprien. Dans le cas d’unbaptênie très suspect (Eusèbe, H. £"., VII, ix), administré par on ne sait q-aels dissidents, nous vojons Denys hésiter et recourir à Rome. On peut au moins conclure de ses paroles que la coutume de rebaptiser les hérétiques n’était pas en vigueur à Alexandrie.

La lettre qu’il écrivit au pape (Eusèbe, //. E., VII, v) rappelait le schisme de Novatien et ses ravages dans les Eglises d’Orient : la concorde, à peine rétablie, allait-elle être de nouveau troublée ? « Sachez, Frère, que toutes les Eglises d’Orient et d’au delà, déchirées par le schisme, sont revenues à l’unité ; tous leurs chefs, animés des mêmes sentiments, éprouvent une joie extrême de cette paix inespérée : Démétrien à Antioche, Théoctiste à Césarée, Mazzabane àiîîlia. Marin à Tjr depuis la mort d’Alexandre, Héliodore à Laodicée depuis la mort de Thélymidre, Hélénos à Tarse, et toutes les Eglises de Cilicie, Firmilien et toute la Cappadoce — je n’ai nommé que les évêques les plus illustres, de peur de rendre ma lettre troi) longue et ma parole importune. Toutes les provinces de Syrie et l’Arabie, que vous assistez régulièrement et qui ont reçu de vos lettres, la Mésopotamie, le Pont, la Bithynie, en un mot toutes ces contrées se réjouissent universellement et ])énissent Dieu de cette concorde et de cette charité fraternelle. » Le spectacle de cette concorde était bien le plaidoyer le plus éloquent en faveur de la paix : Etienne dut en être touché. Mais l’inflexibilité dont il s’était fait un devoir ne se démentit point. La crise douloureuse, qui scindait l’Eglise en deux camps, n’entra qu’après sa mort dans une voie d’apaisement.

On a beaucoup discuté pour savoir si réellement Cyprien et ses adhérents furent atteints par une 409

BAPTEME DES HERETIQUES

410

sentence d’excommunication*, et encore aujourd’hui l’on soutient avec une égale conviction le pour et le contre. Peut-être la divergence serait-elle moindre entre les avis opposés, si l’on tenait compte des temps et de la discipline alors en vigueur. Disons simplement ce qui ressort des documents anciens, laissant à d’autres le soin de trouver la formule la plus juste pour caractériser une situation qui n’a peut-être de parallèle exact à aucune époque de l’Eglise.

Que le pape Etienne ait enjoint aux évêques d’Afrique et d’Asie de renoncer à leur usage, et cela sous peine d’excommunication, c’est très sûr, car nous le lisons dans les lettres de Cyprien et de Firmilien. (Cyprien, Ep. lxxiv, 8 : Bat kunorem Deo qui, hæreticoruni uniicus et iriiiniciis chri.stmnoruni, saceidotes Dei veritaiem Chrisii et Ecclesiæ unitateni tuentes abstinendos piitat ? — Firmilien, Ep. lxxv, 24 : Peccatuni i-ero quam magnum tibi exaggei asti, quando te a tôt gregibus scidisti ? Excidisti enim te ipsum, noli fallere, siquidem ille est vere schismaticus qui se a communione ecclesiasticæ unitatis apostatam fecerit. Dum enim putas omnes a te abstineri posse, soluni te ab omnibus abslinuisti.)lln’est pas moins sûr que ni les uns ni les autres ne se départirent d’un usage qu’ils regardaient comme seid légitime ; mais qu’en agissant ainsi, ces évêques n’entendaient pas, il s’en faut bien, rompre avec l’unité de lEglise. A ce moment, la rupture était, de la part d’Etienne, virtuellement consommée ; de la part del’épiscopat africain et asiatique, elle ne l’était pas. Y eut-il un pas de plus fait dans la voie de la séparation ? Oui, si nous prenons à la lettre certaines expressions de Firmilien, qui semble considérer cette séparation comme un fait accompli, et en prendre son parti sans trop de peine, considérant qu’Etienne, en croyant mettre ses contradicteurs hors de l’Eglise catholique, s’y est mis lui-même tout le premier. Mais ce sont là des formules oratoires qui, dans un morceau passionné tel que la lettre de Firmilien, doivent être commentées avec prudence. Le jour où Etienne ferma sa porte aux délégués du synode africain et les exclut de l’hospitalité chrétienne, il les traita en excommuniés ; néanmoins, on ne saurait conclure de ce fait que, dans la pensée du pape, l’épiscopat africain fût dès lors séparé de l’Eglise. Tout n’était pas nécessairement consommé par ce premier mouvement : le temps, la réflexion, la droiture nuinifeste de ses adversaires, la gravité des conséquences pour l’Eglise, la médiation opportune de l’évêque d’Alexandrie, qui sans doute dit à Etienne ce qu’il devait redire à son successeur : Considérez la grandeur des intérêts engagés, ^/.o’-nu ri }i.i-/=Jj-^ : , rcû ~pc/.yy.y-oç, toutes ces circonstances réunies ont pu prolonger la période d’hésitation, et empèciicr Etienne de fulminer la sentence qu’il tenait suspendue sur la tête des rebelles. D’autant qu’une sentence d’excomuiunication, au sens canonique attaché à ce mot par l’usage postérieur, constituerait, au milieu du m" siècle, un anaclironismc : il ne saurait être question, à cette date, que d’une rupture ollicielle de relations, et il demeure

1. Voir J. Er>st dans Zeiixclirifl ꝟ. kalh. Théologie. 18’J’t, p. 47j-’199 : Wàr der heiligc Cyprian excominunicirt ?

— Déjà Baro.nius croyait à roxcoinmunication ; hi même opinion se rolrouve, avec des nuances, chez FF.ciiTHur’, Der heiligc Cyprian, p.’l. et seq. ; Nelki : , Chronologie drr Korrespoiidenz. ^. 10’. », 120, 12’J et seq. ; Hahnack, Chronologie der ACL, 11, p. lO.i, affirme rexconununicatioii de Firmilien. Nous ne citons que des auteurs récents.

— Au CdfUraiie, nient rcxcuinmuriicalion : Guisar, Opposihonshonzil gcgen l’apst SIephanu.i, dans Zdchr. /’. kath. Theol., 1881, p. 19 ; { et seq. ; Bknson, Ci/prian, p. 3.i’i et seq. ; Bardicniikwkr, Gcschichie der ÀKL, 11, p. 401 ; Eknst, l’apH Slcphan I und der Ketzertaufstrcit, p. 80 cl seq. /. 1

douteux qu’après les menaces que nous avons rapportées, cette rupture ait été notiliée derechef. Les documents du iii siècle ne le disent pas, et la tradition postérieure donne une autre impression.

Si la rupture avait été effective et officielle sous le pontificat d’Etienne, il aurait fallu renouer officiellement sous le pontificat suivant. Or, nous voyons au contraire les relations se rétablir sans secousse, comme après un malentendu, au contentement des deux parties. Ecrivant au pape Sixte siu- la question baptismale, Denys d’Alexandrie dit que les évêques orientaux avaient reçu d’Etienne une menace d excommunication, motivée par leur coutume de rebaptiser les hérétiques ; il ne les montre pas en état de schisme (Eusèbe, //. E., VII, v) : ’Ez--Tâ^v’.£i ph r.lrj

TlpOTSpOV /Mi TZipl’E/î'vOJ zat Ttipl ^ip>xÙ.l(X.WJ VdvTOiV T£ TÎiv

TtdvT&JV Tûv iK’f, i ôpopvyjT’jiv kOycùv, Oi ; oi/Stv îxîrj^i^ zstvwv/.T&iv Six T/, y « ùtï ; v TKUzriV airtcf.v, èTîîtS/j T5Ù ; oûpsTixoiJi, fr, ^iv. àva-Q’xr-i ^’jU71. Les paroles véhémentes que nous avons relevées chez Firmilien ne représentent que le relief un peu fort de cette même épître comminatoire. La correspondance de Denys n’avait rien offert de plus décisif à Eusèbe, qui résume la situation (//. is’., VII, m), en disant qu’Etienne voyait avec impatience les pratiques anabaptistes des Eglises africaines, « ri Toi/Tw Stv/avcoîTct. Et saint Augustin, évoquant le souvenir de la querelle baptismale devant une chrétienté qui ne se souvenait pas d’avoir été schismatique, dit expressément que Cyprien ne se sépara point de l’unité catholique (De baptismo contra Dunatistas, I, XVIII, 28, PL., XLIII, 124 : At » /j se illetamen a ceteris di’ersa sentientibus separata communione disiunxit ; V, xxv, 36, PL., XLIII, 194 : Stephanus auteni etiam abstinendos putaverat qui de suscipiendis hæreticis priscam consuetudinem convellere conarentur ; iste autem quæstionis ipsius difficultate permotus et sanctis caritatis visceribus largissime præditus, in unitate cum eis manendum qui dii’ersa sentirent. Ita quamvis commotius, sed tanien fraterne. indignaretur, vicit tanien pax Christi in cordibus eorum, ut in tali disceptatione nuUum inter eos malum schismatis orirettir). Quand donc Fechtrup nous assure (Kirchenle.rikon, art. Ketzerlaufstreil, p. 4 16) que lEglise de Rome cessa de mêler à ses prières officielles le nom du primat de Garthage, nous réclamons des preuves qu’il ne saurait produire, et quand il ajoute (jne le nom du pape Etienne fut effacé des diptyques de Carthage, nous n’hésitons pas à croire qu’il se tronq)e, car, si la rupture fut quelque temps effective, Cyprien du moins ne s’y résigna jamais’.

¥ai voilà plus qu’il n’en faut peut-être pour écarter l’idée d’une sentence pontificale retranchant de la communion romaine. l’Afrique et une partie de l’Asie, constituant les évêques de ces contrées en état de schisme et leurs diocèses en interdit. Contre une telle exagération l’hisloirc proteste, car c’eût été là un événement bien autrement grave « lue le schisme

1. Je ne yeux pas insinuer que Firmilien s’j résigna, car les mêmes raisons qui empêchent de croire à un scliisme africain cmpoclieiil de croire à un schisme asiatique. M. IIahnac.k aflîrme l’excommunicatiDn de Firmilien, non celle de Cyprien ; M. Eknst semble croire que Firmilien, par son intransi^fcance, rendit etlcctive lu sentence portée roiulilionnellemeiit contre lui. Ces distinctions lue paraissent [)eu fondées en histoire. Cyprien et Firmilien didéraient par le caractère, non par l’attachement à l’Eglise, et dans cette querelle baptismale, ils ne cessèrent de faire cause commune. —.Sur l’iiagiographic de Firmilien, voir li. Bossvk, De S. t’irmiliano episcopo confcssore Cæsarræ in Cappadocia commciitarius historiens ; dans.icta Sanctorum octobris, t. XII, 1867, p. 470510.

411

BAPTEME DES HÉRÉTIQUES

412

novatien, et l’on devrait en retrouver la trace. Puisque cette trace nest nulle part, concluons que la question baptismale n’avait point fait un pas depuis le jour où le pape Etienne éconduisit les délégués africains jusqu’à celui où la situation, plus que jamais tendue, fut dénouée providentiellement par la mort de ce pontife’.

lU. Conclusions intéi*essant le dogme, et suite de la contl’overse. — L’impression de scandale qui se dégage de cet épisode, et les ombres qu’il a paru projeter soit sur l’orthodoxie de saint Cyprien, soit sur le caractère du pape saint Etienne, ont fait reculer les premiers éditeurs devant la pul)lication intégrale de pièces aussi compromettantes. L"épîlre de Firmilien surtout resta, durant près d’un siècle, frappée d’ostracisme. Absente de l’édition princeps de saint Cyprien, par J. Andréas (Rome, 1471)> ^^ des diverses éditions données par Erasme, elle apparaît pour la première fois dans l’édition de Morel (Paris, 1564). Les assauts de la critique, au xviii* et au xix’siècle, n’ont servi qu’à mettre hors de doute l’intégrité substantielle de cette correspondance- ; sans nous attarder à des discussions qui n’offrent plus qu’un intérêt rétrospectif, nous essaierons, dans un dernier regard sur la controverse baptismale, d’en tirer quelques conclusions équitables. Une louable sollicitude pour la mémoire de saint Cyprien a quelquefois inspii-é des atténuations plus généreuses que fondées en histoire ; il suflit, croyons-nous, de laisser parler les faits pour reconnaître chez le primat de Carthage l’alliance d’intentions excellentes avec une théologie erronée sur quelques points. Cette théologie devait l’engager dans des luttes aussi périlleuses pour l’Eglise qu’angoissantes pour sa propre conscience.

ParA’enu à la foi dans la maturité de l’âge, Cjprien avait fait sienne une idée qui eut cours en Afrique dès le commencement du iii^ siècle, celle d’une connexion nécessaire entre les œuvres du ministère chrétien et la sainteté personnelle du ministi-e. Cette idée, à laquelle Terlullien avait donné sa forme la plus concrète, procédait en dernièi-e analjse de l’illuminisme phrygien ; elle devait enfanter les doctrines anabaptistes contre lesquelles le pape Etienne se vit obligé de réagir, et sans doute ce n’est pas pur hasard si les anabaptistes apparurent simultanément en Asie Mineure et en Afrique, précisément dans les deux contrées qui avaient été, durant le demi-siècle précédent, les foyers les plus actifs de l’hérésie cataphryge. Au paroxysme de sa révolte contre Rome, Tertullien

1. Etienne I" finit-il ses jours par le martyre ? Oui, si l’on s’en rapporte au martyrologe biéronjmien (2 août). Mais cette donnée est suspecte à plus d’un titre. Les tables philocaniennes mentionnent la depositio d’Etienne parmi celles des simples évoques. Pontius, le biographe de Cyprien, parle du pape Sixte en termes qui paraissent exclure le martyre de son prédécesseur (Vita Cypriani, 14 : Jam de Xysto bono et pacifico sacerdole ac piopterea beatissimo martyre ;. Saint Augustin ignore également le martyre d’Etienne. La ressemblance de sa notice, dans le martyrologe biéronymien, avec celle de Sixte, donne à penser que le compilateur de ce martyrologe a confondu le souvenir des deux pontifes. Voir Duchesne. Liber pontificalis, t. I, p. 154.

2. Elle a été attaquée surtout par R. Missokus, Venise, 1733 ; Fr. M. Molkenblub, Binæ dlsseitationes de S. Firmiliano, WolfenbUttel, 179Û (dans Migne, P. L.. III, 13571418) ; TizzAMi, La célébra conlesa f’ra san Stefanoe san Cypriano, Rome, 1762. — Ritscul, Cyprian i-on Karthago, p. 126--134, a dénoncé des interpolations dans la lettre de Firmilien. Mais ces prétendues interpolations renferment des héllénismes qui garantissent l’authenticité. Voir la réponse victorieuse de Ernst. Ztschr. ꝟ. kath. Theoloo^ie 1894, ^ p. 209-259 ; 1896, p. 364-367 ; Benso.n, op. cit., p. 377-378.

déniait au corps épiscopal le pouvoir de remettre les péchés’ ; il revendiquait ce pouvoir pour l’homme spirituel, désigné par une effusion spéciale du Paraclet. En se dégageant des étreintes du montanisme, l’Afrique chrétienne n’avait pas achevé d’en répudier l’héritage, et, dans la théologie com*ante, les charismes personnels usurpaient encore quelquefois la place qui revient au principe d’autorité. On s’imaginait que, pour faire descendre la grâce dans les âmes, l’évêque devait, de nécessité absolue, en être lui-même pourvu surabondamment. Une théorie si simple et si profondément morale devait sourire au zèle ardent et pratique de Cyprien : il l’adopta sans resti’iction, comme l’héritage intangible de ses prédécesseurs, identique dans sa pensée au dépôt même de la foi. Mais il y avait au fond de cette théorie, en apparence iuolFensive, un vieux reste de levain montaniste, principe d’erreurs dont il ne prit jamais conscience, mais qui affectent gravement sa conception du gouei-nement ecclésiastique et sa théologie sacranienlaii’e.

Cyprien tenait par toutes les fibres de son âme à l’unité de l’Eglise. Quand, en présence du schisme de Novatien, il écrivit son traité De unitate Ecclesiae, il y mit tout sou cœur, et nous n’avons aucune raison de suspecter l’hommage qu’il y rend à la chaii^e de Pierre, source de l’unité, fondement de toute l’Eglise. Mais il n’avait de cette unité, ainsi que des prérogatives du successeur de Pierre, qu’une idée assez flottante. Le pouvoir épiscopal se présente à son esprit comme une masse indivise à laquelle chaque évêque participe selon ses besoins, et non précisément comme l’apanage d’un corps fortement hiérarchisé {De catholicæ Ecclesiæ unitate, 4’Episcopatus uniis est, ciiiiis a singiilis in solidum pars tenetur). Cette conception se remarque jusque dans le très intéressant fragment qui n’a pas trouvé place dans la vulgate de Cyprien, mais nous a été conservé par un manuscrit du VIII" s., et qui, selon une opinion plausible, serait une retouche apportée par Cyprien lui-même au texte primitif de son traité, en vue de la polémique avec les Novatiens 2. L’auteur y réitère avec plus d’insistance sa profession de foi à la primauté de Pierre ; mais après avoir montré dans l’Eglise un seul troupeau, qvie font paître d’un commun accord tous les pasteurs, il ne songe pas à définir les conditions de cette unité, comptant pour la réaliser sur l’accord spontané de toutes les volontés en vue de l’œuvre commune, plutôt que sur l’action centrale d’un gouvernement fort. La nécessité d’un pareil gouverne 1. Tertullien, De pudicltia, 21, fin : Ecclesia quidem delicta donabit, sed Ecclesia Spiritus per spiritalem hominem, non Ecclesia numerus episcoporum. — Sans doute ce n’est pas non plus pur hasard si l’on relève d’étranges concessions à ces doctrines dans le langage de Firmilien. Ep. Lxxv, 4 : IVecessario apudnosfitut per singulos annos seniores et præpositi in unum conveniamus ad disponenda ea quæ ciiræ nostræ commissa sunt, ut si qua graviora sunt communi consilio dirigantur, lapsis quoque fratribus et post lavacrum salutare a diabolo vulneratis per pænitentiani medella quæratur, non tjiiasi a nabis reniisxionem peccutorum consequantur, sed ut per nos ad intellegentiam delictorum suorumconverlanturetDominoplenius satislacere cogantur.

2. De catholicæ Ecclesiæ iinilaie, 4, d’après le cod. Monacensis, 208, texte reproduit en note dans l’édition Hartel, p. 212 : Et quanii’is aposlolis omnibus parem iribuatpotestateni, unam tamen catliedram constituit et unitatis origineni atque oralionis suæ auctoritate disposuit. Hoc erant utique et ceteri quod Petrus, sed primatus Petro datur ut una Ecclesia et cathedra una monstretur. Etpastores sunt onines, sed grex unus ostenditur, qui ab apostoUs omnibus unanimi consensione pascatur… — Voir sur ce fragment Dom CuAP.MA ?.-, Revue bénédictine’, 1902-1903, et Journal of Uieological Studies, V, 20, july 1904, p. 634-636. 413

BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES

414

ment, poui- maintenu" Tunité de foi et de discipline, lui échappe ; il semble même ignorer la frontière entre les pures questions de discipline et les questions de foi. De là ces déclarations qui terminent plusieurs de ses lettres baptismales, et où il revendique pour chaque évéque, dans sa sphère, une liberté illimitée de penser et d’agir, sauf le conqjte qu’il doit à Dieu (Ep. Lxix, 17 ; lxxii, 3 ; lxxiii, 26). A vrai dire, ce libéralisme se dément quelquefois : nous en avons rencontré des exemples éclatants dans le cas de Marcien, l’évêque d’Arles, que Cyprien dénonçait au Saint-Siège comme fauteur de schisme, et dans le cas des évéques libellatiques Basilide et Martial, qu’il persistait à déclarer déchus, même après que le Saint-Siège les eut absous. Il admettait donc des limites à cette irresponsabilité des évéques devant les hommes, qu’il a parfois si énergiquement proclamée. Mais en pratique, il borne la responsabilité aux cas de prévarication évidente, comi)ortant une déchéance ipso facto. A moins d’avoir encouru cette déchéance, l’évêque n’est responsable que devant Dieu. Tel est bien le sens de la lettre lxvi, adressée à Florentins Puppianus, un évêque qui s’autorise de sa qualité de confesseur pour censurer la conduite de Cyprien. Cyprien lui demande raison de ses paroles avec une liberté toute fraternelle ; le ton n’est pas d’un supérieur hiérarchique, mais il n’est pas davantage d’un évéque disposé à subir des observations touchant les actes de son ministère pastoral. Ainsi en usait-il à l’égard de ses collègues d’Afrique ; ainsi entendait-il en user, sauf une nuance de respect en plus, à l’égard du pontife romain. Pour être le successeur de Pierre, Corneille, Lucius ou Etienne n’en est pas moins un évêque comme lui. Ici les détails de style ont leur intérêt. Les lettres de Cjprien au pape portent cette simple suscription : Crprianns Cornelio fratri (Ep. xliv, XLv, XLVii, XLViii, Li, LU, Lix, Lx), Cyprlunus cuin lollegis Liicio fratri (Ep. Lxi), Cyprianus Stephano fratri (Ep. lxviii, lxxii). Au contraire dans les lettres venues de Rome, on rencontre parfois une appellation plus solennelle : Cypriano Papæ preshyteri et diaconi Roinæ consistentes (Ep. xxx), Cypriano Paputi presbyteri et diacones Roinæ consistentes {Ep. xxxvi). Accoutumé à traiter avec le pape sur un pied d’égalité respectueuse, Cyprien trouva étrange la mise en demeure qui un jour lui vint de Rome au sujet du baptême des hérétiques ; de là ces fonnules aussi fermes que polies, par lesquelles il maintint l’indépendance de son ministère. Toujours hanté par le souvenir de Paul tenant tête à Pierre (Ep. lxxi, 3 ; cf. Sent., 56), il aurait cru trahir l’Eglise en abandonnant la position qu’il avait prise dans une question vitale. Une fausse conception de son devoir, jointe à un zèle inflexible, fut le principe de sa résistance.

L’efficacité du sacrement peut-elle bien être indépendante de la sainteté personnelle du ministre ? Sur ce point fondamental, la réponse de Cyprien devait être négative. Car avec sa manière concrète d’entendre toutes choses, il considérait la personne du ministre un peu comme le vaisseau d’où la grâce doit s’épancher sur les âmes. Dès lors, comment imaginer que la grâce découle d’une âme qu’elle n’a pas remplie ? Sa sévérité pour les ministres indignes des sacrements, quels qu’ils fussent, est une conséquence logique de ce principe ; aussi avons-nous vu la question des clercs indignes intervenir épisodiquement dans la controverse baptismale. Il restait à élaborer toute une métapliysitpie du sacrement, qui, en montrant dans le rite de l’Eglise une action accomplie au nom du Christ, élèvera l’eflicacité du ministère au-dessus des accidents de personnes. Celle élaboration sera en grande partie l’œuvre de saint

Augustin. Chez saint Cyprien, la théologie sacramentaire n’est pas encore sortie de l’enfance.

Il n’est pas sans intérêt de noter que Cyprien attache au rite pénitentiel de l’imposition des mains un sens différent de celui qu’y attachait dès lors l’Eglise romaine et qui se précisera dans des documents postérieurs. A ses yeux, le baptême est le rite qui remet les péchés, l’imposition des mains est le rite qui confère le Saint-Esprit (Ep. Lxxui, t) : Quod si secundum pravam tidem baplizari aliquis foris et remissam peccatorum coiisequi poluit, secundum eandem fidem consequi et Spiritum Sanctum potuit, et non est necesse ei venienti manum imponi ut Spiritum Sanctum consequatur et signetur. Cf. Ep. Lxxn, 5 ; Lxxv, 12, lS) ; il ne songe pas à distinguer l’imposition des mains usitée pour la réconciliation des pécheurs, d une autre imposilioii des mains qui était alors inséparable du baptême et qui s’est conservée dans le sacrement de confirmation. La meilleure preuve que l’Eglise 1 en distingua, c’est que nous voyons cette imposition des mains usitée dans la réconciliation des clercs. Voir Canon 8 de Nicée. — M. labbé Saltkt, dans son étude sur Les Réordinations, Paris. 1907, croit néanmoins reconnaître la confirmation proprement dite, soit dans le rite réconciliateur des laïques hérétiques, soit dans le rite reconciliateur des clercs ordonnés dans l’hérésie (p. 21 sqq. ; 3tJsqq. ; p. 402 sqq.). Cette identification procède de vues systématiques : en réalité, 1 identité matérielle du rite n’enlraine pas l’identité de signification. Etienne parle seulement d imposition des mains pénitentielle, Ep. Lxxiv, 1 : Ci manus illi imponatur in pænitentiani. Il serait excessif de vouloir faire rentrer ces rites primitifs dans les cadres théologiques d’un autre âge. Constatons du moins la distinction très nette d’avec la confirmation dans un texte du pape Vigile (vi" siècle), Ad Euilierium Ep., 3, P. L., LXIX, 18 : Non per illam imposilionem manus quæ per invocationem Sancti Spiritus fit, ! ed per illam qua pænitentiæ fiuctiis acquiritur et sanctæ communionis restitutio perficitur). Des clercs novatiens. qui reveuaientou simplement qui ^eIlaient à l’Eglise catholique, furent réconciliés par elle et introduits dans sa hiérarchie par le rite de l’imposition des mains. Au reste, la confusion que nous signalons, entre l’imposition des mains baptismale et l’imposition des mains pénitentielle, se retrouve, aggravée, chez l’auteur du De rebaptismaie, avocat de la tradition romaine [De rehaptismate ^ 2, 3, 4, 5, G) ; on n’y saurait donc voir un trait particulier à Cyprien.

Il eut du moins le mérite de reconnaître le rite essentiel du baptême chrétien dans le baptême par afl’usion. conféré alors exceptionnellement à quelques malades. Ces chrétiens improvisés n’avaient-ils rien à envier à ceux qui avaient passé par le rite solennel de l’immersion.’La chose ne semblait pas claire, et certains cas, n’-els ou supposés, de possession diabolique après ce baptême des cliniques, faisaient révoquer en doute la pleine cflficacité du sacrement. Répondant sur ce point encore à Magnus (Ep. LXix, 1216), Cyprien déclaie, sauf meilleur avis, que rien ne manque à ces cliniques pour être de vrais chrétiens {ib., 12 : Aeslimamus in nuUo mutilari et debililari posse bénéficia divina nec minus aliquid illic posse conlingere, ubi plena et tota fide et daiitis et sumeutis accipitur quod de divinis muneribus haurilur) ; que si la foi du ministre et celle du baptisé sont entières, on n’a rien à craindre pour le don divin ; que l’on a vu tel cliréfien, après ce baptême in extremis, mener une vie sans reproche, tel autre au contraire, après le baptême solennel, retomber sous l’empire du démon, parce qu’il s’était montré infidèle à la grâce baptismale ; qu’enfin il serait scandaleux de fermer les yeux sur toutes les tares du baptême hérétique, pour méconnaître outra^’cusement, chez les cliniques, le vrai baptême de l’Eglise ^16).

Sur un point du moins, Cyprien et Fnmilien parlent plus correctement qie leur contradicteur, l’auteur annnyme du De rebaptismaie. Dans son zèle à exalter le baptême de l’Esprit, ce dernier avait rabaisse le baptême d’eau pres(iue an nive.ui des ablutions juives (De rebaptismaie, 18, fin : Fide cmundari cordif. Spiritu autcmablui animas, ])orro autcm per aquam lavari corpora) ; et l’assimilait complètement au baptême de Jean ('/>., 2) ; cette assimilation, qui ap[)urail déjà chez Tertullien, et qui, chez notre anonyme, est peut-être un trait de doctrine africaine, ne se retrouve pas, mal^Te certaines apparences contraires, chez Cyprien (Ep. lxix, 11) ni chez Firmilien, 415

BAPTEME DES HERETIQUES

qui maintiennent ferme tnent la différence des deux baptêmes {Ep. Lxxiii, 21 ; Lxxv, 8).

A défaut dune tliéologie déjà formée, le pape Etienne avait le sens de la tradition catholique sur le baptême. Le sacrement de l’initiation chrétienne, à raison même de sa nécessité poui’le salut, devait être plus que tout autre indépendant des contingences humaines. Ainsi l’entendait le pape avec l’Eglise. A cet égard, nos documents lui rendent pleine justice, et Cyprien n a trouvé à lui opposer que de mauvaises raisons. Pour prouver que les Apôtres n’avaient pu sanctionner cette prostitution du baptême, il argumentait ainsi (Ep. lxxiv, a : de même Firmilien, Ep. LXXV, 5) : les Apôtres sont morts avant l’apparition des hérétiques modernes, Apelle, Valentin, Marcion, Cerdon même ; donc ils n’ont pu approuver le baptême conféré par ces hérétiques. Le vice de ce raisonnement saute aux yeux : il ne s’agit pas en eftet de savoir si les Apôtres ont connu tel et tel hérétique, mais s’ils ont posé le principe d’où découle la validité du baptême par lui conféré. Sur ce point de fait, le témoignage de l’Eglise romaine et de bien d’autres était formel ; les arguments des anabaptistes ne 1 ont pas infirmé ; Cyprien lui-même s’avoue vaincu sur le terrain de la tradition, quand il se replie siu’celui de la raison théologique : Non est autem de consuetudine præscribendum, aed ratione vincendiun (Ep. Lxxi, 3 ; cf. Sent, episcop., 28, So, 63, ’^j ; Firmilien, ^"/ ?. LXXV, 19 : AdversusStephanumvosdicere Afripotestis cognila Aeritate errorem vos consuetudinis reliquisse). Le reproche qu’il adressait à Etienne, de préférer une tradition humaine à la règle posée par Dieu, retombe donc sur lui de tout son poids, et l’auteur du De rebaptisniute, qui en appelle à l’autorité de toutes les Eglises (De rebaptismate, i : Venerabili ecclesiarum omnium auctoritate. — Cf. Eusèbe, //. E.,

VII, III : Ila/atsO /£ 7Ct /.îxpc/~r, >’.6T01 éÔS’j ; i~i zôiv TOtoÙTwv /iovr, xpf, ^60Li Tf, oicf. /^l’-p’^ sntôinui’"/f ?)) peut se prévaloir des multiples aveux échappés à ses adversaires.

Mais parmi les griefs que Cyprien opposait à la doctrine romaine, il en est un qui trouve souvent crédit : Etienne aurait montré à l’égard du rite baptismal une extrême insouciance. On croit lire chez Cyprien qu’Etienne faisait bon marché de 1 invocation de la Trinité, qu’il se contentait d’un baptême quelconque au nom du Christ, abandonnant ainsi le rite essentiel du baptême chrétien. Telle est l’opinion mise en avant au xvi= siècle par des protestants ; au XVII* siècle par des théologiens gallicans ; de nos jours, tel auteur catholique interprète dans le même sens le De rebaptismate. (Ainsi Schwane, Bogmengeschichte, I", 534 ; Fechtrup, Ber heilige Cyprian, p. 221 et seq.) Les raisons nous semblent peu convaincantes, et M. Eknst, après bien d’autres, y a largement répondu {Zeitschrift ꝟ. kath. Théologie, 1896, p. 199 et seq. ; Papst Stephan I and der Ketzertaufstreit, p. 93 et seq.) Il montre par des textes fort clairs que le baptême au nom du Christ n’était sous la plume de Cyprien et de Firmilien, comme sous la plume de leurs adversaires, qu une formule abrégée pour désigner le baptême chrétien, le seul qui fût en cause, c’est-à-dire le baptême conféré au nom de la Trinité.

Yoici qnelques-uns des textes que l’on allègue pour prouver que 1 invocation de la Trinité n’était pas considérée, à Rome, comme rigoureusement nécessaire. Cyprien, Ep. LXXIV, 5 : Aut si efl’ectum baptismi maieslati nominis tribuuut, ut qui in nomine Jesu ubicumque et quomodocumque baptizantur innovati et sanclificati iudicentur… Firmilien, Ep. lxxv, 9 : Dicunt eum qui quomodocumque foris baptizatur, mente et fide sua baptismi gratiam consequi posse. De rebaptismate, 6, tin : Multum inlerest utrum in totum quis non sit baptizatus in nomine Domini Nostri

416

lesu Christi. — Mais aucun de ces textes n’exclut, dans la pensée de l’auteur, l’invocation de la Tr, ’nitt’. Voir Cyprien Ep. i.xix, 7 (au sujet des Novatiens) ; lxxiii, 5, 18 (au sujet des Marcionites) ; Firmilien, Ep. lxxv, 11 (au sujet du baptême de certaine proi)héte^se) : Nisi si et dæmonem in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti gratiam baptismi dédisse contendunt, qui hæreticorum baptismata adserunt ; De retapt., 7, début.

Il s’est trouvé sans doute des hérétiques poiu* altérer la formule essentielle du baptême : ceux-là étaient hors de cause, et l’on ne saurait prouver qu’Etienne se soit constitué leur défenseur. Toute la controverse portait sur le baptême conféré, selon le rite chrétien, au nom de la Trinité ; Cyprien requérait, pour sa validité, l’orthodoxie du ministre, le pape repoussait cette nécessité : tel était le point précis du débat, et c’est là-dessus qu’éclata la tempête.

Le principe rappelé par Etienne restait d’un maniement délicat, et il fallut des siècles pour en régler l’application. De son vivant même, ses conseillers ordinaires, les prêtres Denys et Philémon, paraissent avoir été impressionnés par les représentations de l’évêque d Alexandrie (voir Denys, ap. Eusèbe, //. E., Vil, v). Le même infatigable négociateur renouvela ses instances près du successeur d Etienne (Denys, ibid.), le pape Sixte, qui cessa d’urger lexécution du rescrit baptismal. Sous ce pontificat, les relations se renouèrent spontanément entre Rome et les Eglises d’Afrique et d’Asie (voir la lettre où Cyprien annonce à son peuple le martyre de Sixte, Ep. lxxx, i ; Pontius, Vita Cypriani, 14)- Après le martyre de Sixte et de Cyprien (2 août et 14 septembre 258), les préoccupations des pasteurs et des fidèles ayant pris un autre cours, le souvenir des anciennes dissensions se trouvait bien affaibli. Si 1 on en croit saint Jérôme (Adv. LuciferiaTios, 23, P. L., XXIII, 178), les évêques africains seraient dès lors revenus, par un décret conciliaire, sur leurs précédentes décisions. Cette assertion, que nul indice ne corrobore, n a peut-être que la valeur d’une conjecture ; quoi qu’il en soit, la doctrine romaine gagnait du terrain. Elle fut aflirmée solennellement en 314 au concile d’Arles’, où l’épiscopat d’Afrique était fortement représenté. Dès lors on songeait à se prémunir contre les interprétations abusives, et le concile prescrivait d’interroger les hérétiques convertis, pour s’assurer ([u iJs avaient bien reçu le baptême au nom de la Trinité. Le concile de Nicée renouvela cette recommandation, et tandis qu’il admettait les clercs novatiens dans les rangs de la hiérarchie catholique après réconciliation par la simple imposition des mains 2, ordonna de rebaptiser les Paulianistes, qui avaient faussé, sinon la formule du baptême, du moins la foi dans la Trinité. {Concilium Nicænum, can. 19 ; Mansi, t. II, p. 696 ; Denzinger, 56 (19). — Cf. saint Athanase, Or. II c. Arianos, 43, P. G., XXVI, 237 ; saint Augustin, Hær., 44, P- L., X.A, 34.) La thèse de Cyprien venait d’être reprise en Afrique par le schisme donatiste : contre ces sectaires, qui exploitaient la mémoire de l’illustre martyr, saint Augustin produisit des arguments décifs {De baptismo contra Donatistas libri VII ; Contra Cresconium. Voir P. L., XLIII). La querelle anabaptiste eut un épilogue plus complexe en Orient. Saint Athanase (Or. II, 43), rejette le baptême des Manichéens, des Cataphryges et des Samosatéens comme vicié par une intention hérétique, malgré la correction de la formule ; saint Cyrille de Jérusalem (Præfatio in Catéchèses) rejette en bloc tous les baptêmes

1. Concilium Arelatense I, can. 8 ; Denzinger, 53 (16), Mansi, t. II, p. 472.

2. Concilium jXicænum, can. 8 ; Mansi, t. 11, p. 672 ; Denzinger, 55 (19). hérétiques ; la même doctrine se retrouve dans les Canons apostoliques (46. l-), 63) et les Constitutions apostoliques (vi, 15). Saint Basile (Ep. ad Amphilochiiuii canonica, i, 2 ; P. G., XXXII, 668 et seq.) rejette le baptême des Pépuziens (Montanistes), et prend ouvertement parti pour Firmilien contre Denys d’Alexandrie. Rome maintint, en l’expliquant, la règle posée par Etienne I". Les papes Libère et Sirice défendirent de réitérer le baptême des Ariens (Denzinger, 88 (21)) ; Innocent I" motiva la difterence de traitement admise à Nicée pom* les Novatiens qui étaient baptisés et les Paulianistes qui ne l’étaient pas (Denzing-er. 97 (63)). Une réponse de Nicolas P"" aux Bulgares (Denzinger, 335 (264) — Responsa, c. io4) va plus loin, en ratifiant le baptême administré par un juif et, chose plus extraordinaire, le baptême conféré au nom du Christ sans invocation de la Trinité. Cette dernière concession ne reparait pas dans les décrets du quatrième concile de Latran ( 1 2 1 5), qui définit contre les Cathares la validité du baptême conféré au nom de la Trinité, quel que soit le ministre (Denzinger, 430 (35^)). Le concile de Trente réitère la définition, en spécifiant la nécessité de l’intention, laissée indécise par saint Augustin (sess. 7, can. 4, Denzinger, 860 (741))’Dans sa rencontre avec le pape saint Etienne, saint Cyprien avait montré une droiture et un zèle digues d’une meilleure cause. La crise qui nous révèle, avec la noblesse de son caractère, les hésitations de la théologie au 111= siècle, fut pour l’Eglise une crise de croissance : l’unité de doctrine, que Cyprien avait cherchée dans une voie fausse, allait se faire après lui.

Bibliographie. — Outre les Dissertatiuns de Thomassin, de Constant, etc., et VAfrica cliristiana de Morcelli, citées au tome III de la Patrologie latine, voir : Baronius, Annales, ad ann. 258 ; Tillemont, Mémoires, a. 42-52 et notes 42-44 ; L. Roche, De la contros’erse entre saint Etienne et saint Cyprien au sujet du baptême des hérétiques, l’siris, 1858 ; J.-B. Thibaud, Questions du baptême des hérétiques, discutée entre le pape saint Etienne I" et saint Cyprien de Carthage, Paris, 1863 ; Freppel, Saint Cyprien et l’Eglise d’Afrique au III’siècle. Paris, 1865 ; J. Peters, Ber heilige Cvpriam on Carthago, la.liiihonne, 1877 ; B. Fechtrup, Der heilige Cyprian, sein Leben und seine Lehre dargestellt, Miinster, 187"^ ; H. Grisar. Cyprin ns « Oppositionskonzil » gegen Papst Stephan, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, 1881, p. 198-281 ; O. Ritschl, Cyprianvon Carthago und die Verfassung der Kirche, Gôttingen, 1885 ; Fechtrup, arliclc Ketzertaufstreit, dans le Kirchenlexicon, 1897 ; E. W. Benson, Cyprian, his life, his ttmes, his work, London, 1897 ; J. Ernst, série d’articles dans Zeitschrift fiir katholische Théologie, années 1893, 1894, iSgS, 1896, 1900, 1905, 1906, 1907 ; et Die Ketzertaufangelegenheit in der altchristUcheu Kirche nach Cyprian, Mainz, iqoi ; L. Nelke, Die Chronologie der CorrespondeitzCyprians und der pseudocyprianischen Schriften ad Novatianum und Liber île rebaptismate, Thorn, 1902 ; P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, t. II, Saint Cyprien et son temps, Paris, 1902 ; G. Barcilie, Baptême des hérétiques, dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. II, col. 21g233, Paris, 1908 ; J. Ernst, Papst Stephan I und der Ketzerlaufstreit, Mainz, igoS (Réponse à Nelke) ; Mgr Ducliesne, Histoire ancienne de l’Eglise, t. I, eh. XX, Paris, 1906 ; II. Koeli, Zeit und Heimat des Liber de rebaptismate, dans Zeitschrift fiir die Neutestamentliche U’issenschaft, 1907, 8 ; Die Tauflehre des Liber de rebaptismate, Braunsberg, igo6 ; d’Aies, Revue des questions historiques, avril 1907-J. Ernst, Zeit und Heimat des Liber de rebaptismate, dans Theologische Quartalschrift, 1908, 4 et 1909, 1 ; de la Brière, Saint Cyprien et la Papauté, dans Etudes, t. CXVII, 5 nov !  ! 1908.

A. d’Alès.