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FAMINE. — Quand on examine avec attention l’histoire des famines qui ont affligé diverses parties de l’Europe dans le cours de plusieurs siècles, histoire dont toutes les particularités sont bien connues, on voit clairement qu’aucune de ces famines n’a été le résultat des combinaisons du commerce des grains, et que toutes doivent être attribuées à leur disette, produite tantôt par les dévastations de la guerre, tantôt, et dans le plus grand nombre de cas, par l’intempérie des saisons. Comment ce fait n’a-t-il pas été remarque ? et s’il l’a été, comment n’a-t-il pas éclairé le pouvoir sur les mesures convenables dans des circonstances si déplorables ? Comment ne s’est-il pas aperçu que celles qu’il adoptait, non-seulement ne pouvaient produire aucun bien, mais devaient aggraver le mal auquel il devait remédier ?

Si, en effet la famine ou la cherté des grains résulte, comme l’histoire le prouve, des mauvaises récoltes, il n’y a que deux moyens d’atténuer les calamités qu’un pays doit en ressentir :

L’une est de favoriser l’importation des grains, et l’autre de réduire la consommation à l’état de l’approvisionnement.

C’est là tout ce qu’on peut faire. Toute autre mesure est fausse et illusoire. Il ne faut pas même fonder de grandes espérances sur celles qui méritent la préférence ; mais il faut bien s’en contenter puisqu’il n’y en a pas de meilleures.

L’importation n’offre que des ressources très-bornées. L’Angleterre, avec les plus grands moyens qui existent en ce genre, n’a, pendant les plus grandes disettes, pu importer au delà de 600,000 quarters de grains, environ 1700,000 hectolitres, ce qui ne donne pas le 18e de la consommation ordinaire de sa population, et ne fournirait pas le 60e de celle de la population de la France. On ne peut donc se flatter raisonnablement de suppléer par l’importation à l’insuffisance des récoltes indigènes, ni d’échapper par leurs secours aux souffrances de la famine, ou aux misères de la cherté des grains. Il ne faut pas cependant la négliger, mais il ne faut pas ignorer qu’elle ne produira aucun résultat sensible et efficace.

La réduction de la consommation dans la proportion de l’approvisionnement offre les seuls avantages qu’on puisse se promettre dans une situation aussi difficile. La disette occasionée par l’intempérie des saisons, n’est jamais assez grande pour produire la famine. Quand les mauvaises récoltes sont consommées avec économie et frugalité, elles suffisent pour faire subsister pendant une année le même nombre de personnes qui, dans les années ordinaires, vivent dans l’abondance. Toute la difficulté consiste à distribuer, le plus également possible, l’approvisionnement existant sur la durée du temps qu’on a à parcourir, difficulté qui, au premier aspect, parait insurmontable, mais qui s’évanouit par la libre fixation du prix des grains. Comme il est toujours déterminé par les proportions des besoins de la consommation et des ressources de l’approvisionnement, il règle nécessairement la portion qui peut être prise sur l’approvisionnement ; plus le prix hausse, plus la consommation doit diminuer ; et plus elle diminue, plus elle se rapproche de l’approvisionnement ; alors la souffrance est plus ou moins grande, mais on échappe au fléau de la famine.

Cette théorie, enseignée par tous les bons écrivains, n’a cependant été accueillie et pratiquée par aucun gouvernement. Ont-ils donc appris par l’expérience qu’elle est erronée ou illusoire ? Non. On serait bien plus fondé à croire qu’ils n’ont pas eu le courage de la faire exécuter ; du moins est-il certain que les mesures qu’ils lui ont préférée allaient contre leur but.

On a toujours supposé que la cherté et la famine étaient occasionées par le haut prix des grains, que l’avidité des commerçans y avait la plus grande part, et qu’on ne pouvait en préserver les peuples que par la prohibition de ce commerce, ou par des entraves qui le rendissent à peu près impossible. C’est dans cette pensée et dans ce-sens qu’on a conçu la législation des grains et les mesures des gouvernemens dans les temps de disette.

Mais on a de la peine à comprendre comment on a pu tomber dans une erreur aussi palpable, comment on n’a pas vu que 1| haut prix des grains n’est pas la cause mais l’effet de leur disette. Prétendre baisser les prix sans faire cesser la disette, c’est aller contre la nature des choses, c’est vouloir que ce qui doit être cher soit à bon marché, c’est vouloir rendre les prix indépendans de la rareté ou de l’abondance, c’est vouloir l’absurde.

Si, ce qui est heureusement impossible, on parvenait à faire vendre les grains au-dessous de leur prix vénal, on aggraverait le mal auquel on prétend remédier. La baisse du prix occasionerait une plus grande consommation que celle que permet l’approvisionnement, et la famine, qu’on aurait pu éviter par le haut prix, serait rendue inévitable par le bas prix : on ferait donc évidemment le contraire de ce qu’on devrait faire, et les peuples auraient plus à souffrir de l’impéritie des gouvernemens que dés calamités des saisons. Heureusement les mesures des gouvernemens contre le commerce des grains sont impuissantes pour en faire baisser le prix vénal ; on n’en a rien à craindre à cet égard ; mais elles n’en sont pas moins malfaisantes sous d’autres rapports.

Ces mesures éloignent de ce commerce les négocians probes et éclairés dont le principal objet eût été d’égaliser les approvisionnemens sur tous les points du pays, et de rendre les souffrances partout supportables par le nivellement des privations. Ce soulagement ne peut plus avoir lieu dès que les gênes imposées au commerce forcent les commerçans d’y renoncer. Alors ce commerce tombe dans les mains des revendeurs, des meuniers, des boulangers et des petits spéculateurs qui, à raison de la modicité de leurs capitaux et du peu d’étendue de leur crédit, de leur inexpérience et de leur peu de lumières, ne peuvent que porter leurs soins sur des points peu éloignés, ne s’occupent que de leurs localités, et sont incapables d’embrasser l’ensemble du pays. Alors chaque province, chaque canton, chaque commune s’isole, ne donne ni ne reçoit de secours, n’attend et n’obtient de soulagement de personne. Malheur à ceux que le fléau a frappé ! le pouvoir est aussi inexorable pour eux que la nature. Je sais que la théorie des livres perd de sa force et de son évidence quand le moment du danger arrive. Alors on n’ose faire connaître à une population souffrante et misérable sa véritable situation ; on croit qu’il vaut mieux la flatter par des espérances, qu’on n’a pas, que de la réduire au désespoir par l’aspect des privations, qu’elle doit s’imposer ; peut-être même n’a-t-on pas des notions exactes du mal, et alors il ne faut pas s’étonner si l’on se contente du palliatif ; mais du moins le pouvoir ne doit-il pas ignorer que, quand la disette est réelle, il n’y a d’autre moyen d’y remédier, ou plutôt d’en atténuer les calamités, qu’en réduisant la consommation dans la proportion de l’approvisionnement, et qu’en laissant un libre cours au prix des grains, en facilitant leur circulation, et en la favorisant par toutes les ressources de la puissance et des lumières.


FERMAGE. — C’est le prix que celui qui veut cultiver une terre à son profit paie à celui qui en est propriétaire.

Ce prix forme. La rente de la terre, une des sources du revenu d’un pays ; et c’est à ce mot rente qu’il faut se reporter si l’on veut se former des notions exactes du sujet.


FINANCES. — C’est l’art de déterminer les besoins de l’État politique et social, ou, ce qui est la même chose, de fixer les dépenses publiques, De les imposer de la manière la moins onéreuse sur les facultés individuelles, ou, en d’autres termes, d’extraire le revenu public de l’état, du revenu général du pays ;

De percevoir le revenu public avec le plus d’économie pour le trésor, et le moins de dommages pour le contribuable ;

De faire l’emploi du revenu public conformément à sa destination, et d’établir le mode de comptabilité qui offre le plus de garantie dé la fidélité des comptables du trésor public.

Ainsi la finance se compose de cinq parties distinctes qui sont :

La fixation des dépenses publiques,

La formation du revenu public,

Sa perception,

Son emploi,

Et sa comptabilité.

Dans ce court exposé on aperçoit toute l’étendue du sujet, et l’on comprendra facilement que si je ne me bornais pas à l’indiquer, je franchirais les bornes que je me suis prescrites dans l’intérêt même de l’économie politique.

FONDS. — Dans la langue vulgaire ce mot ne désigne que la terre et par analogie la dette publique. On dit donc des fonds de terre et des fonds publics. Là finit toute l’acception du mot Fonds.

Mais dans la langue économique, son acception est beaucoup plus étendue. Elle embrasse tout avoir, toute propriété, toute faculté, toute disponibilité. On dit également qu’on a des fonds soit qu’ils consistent en terres, en capitaux, en créances, en valeurs et même en facultés ; et si l’on veut spécifier chaque sorte de fonds, il faut employer le mot qui lui est assigné.

C’est pour n’avoir pas fait attention à cette importante distinction, que plusieurs écrits d’économie politique donnent de fausses notions des choses, et entraînent dans des erreurs qu’il eût été si facile et si important d’éviter.

FRAIS. — Dans la langue économique on entend par ce mot tout ce qu’il en coûte pour la production, pour approprier ses produits à la consommation, pour les livrer au consommateur.

Les frais sont un poids mort sur la production ; plus ils sont considérables, moins il y a de produits disponibles pour le producteur, moins de ressources pour l’état, moins de richesse, d’opulence, et de puissance pour le pays. Tellement que si les frais absorbaient toute la production, s’il n’y avait point de surplus, il n’y aurait point de richesse, elle serait impossible. (Voyez Richesse et Travail.)

Quelque évidente que soit cette doctrine, elle compte cependant de nombreux et d’illustres contradicteurs. On prétend que la richesse d’un pays se compose du produit total de son travail, et que les frais que nécessitent ces produits, depuis leur production jusqu’à leur consommation, sont une partie de la richesse, puisqu’ils font partie de la production totale.

Mais il suffit d’arrêter un instant son attention sur la répartition du produit total pour se convaincre qu’il n’y a que ce qui reste après tous les prélèvemens, le surplus en un mot, qui peut être regardé comme richesse, qui concourt à sa formation et la constitué.

Supposons en effet que la production totale de la France soit de 7 milliards, supposition qui n’est pas fort éloignée de la vérité, comment s’en fait la répartition ?

Il faut prélever sur les 7 milliards le salaire du travail qui est au moins la moitié de la production totale, ci 3,500,000,000.

Si, comme cela est possible, et même très-vraisemblable, le salaire n’est que ce qui est strictement nécessaire aux besoins de l’ouvrier et à ceux de sa famille, qui doivent le remplacer quand il ne pourra plus travailler ou quand il ne sera plus, il est évident que le salaire absorbe la moitié de la production, la détruit et la réduit au même état que si elle n’avait pas existé. La portion de la production prélevée pour le salaire a si peu le caractère de richesse, qu’il est du quoiqu’il n’ait rien produit, qu’il est le même, soit que la production soit faible ou considérable, et qu’il n’ajoute rien, ni à sa quotité ni à sa valeur. Avant sa consommation le salaire n’offre ni disponibilité, ni surplus ; après la consommation il ne laisse aucune trace, de son existence ; comment donc pourrait-il faire partie de la richesse.

Serait-ce parce qu’il entretient les nombreuses classes laborieuses qui font une partie si considérable et si intéressante de la population ?

Mais ces classes réduites au strict besoin n’ont point de surplus, et par conséquent ne contribuent point à la richesse.

D’ailleurs, inséparables du travail auquel elles se consacrent, elles n’ajoutent rien à la force et à la puissance du pays.

Il est donc rigoureusement vrai que le salaire et le salarié, quelque précieux qu’ils soient pour la confection de la richesse, n’en sont que les instrumens et n’en font pas partie.

Après le prélèvement du salaire dû travail sûr la production il faut en faire un second pour la partie du capital qui n’est pas comprise dans les salaires et pour les profits de tout le capital. On peut évaluer ce prélèvement à 25 pour o/o de la production totale, et par conséquent à 1,750,000,000

Le capital entre dans cette somme pour celle de 1,200,000,000

Ce prélèvement est de la même nature que le salaire, on ne peut en retrancher aucune partie sans porter atteinte à la production ; et tant qu’il conserve sa destination, il perd sa qualité de richesse parce qu’il est indisponible et n’offre aucun surplus, caractère distinctif de la richesse.

Quant aux profits du capital, qu’on peut évaluer à environ 750,000,000 ils ne sont pas richesse dans leur totalité ; il faut en distraire la portion assignée à l’entretien des capitalistes et de leur famille, si, comme on peut le supposer, elle est de la moitié des profits ou de 675,000,000

Il ne reste de véritablement disponible, de surplus et par conséquent de richesse, que pour 375,000,000

Enfin, la rente du propriétaire comprend tout ce qui reste de la production après la défalcation du salaire du capital et de ses profits ; elle se monte par conséquent à la somme d’environ 1,750,000,000

Mais il faut encore subdiviser cette dernière réparation de la production en deux parties :

L’une pour l’entretien dû propriétaire et de sa famille ; elle peut être évaluée aux deux tiers de la rente, ou à 1,166,666,666

L’autre formant un véritable surplus est de 583,333,334

Somme pareille 1,750,000,000

Ainsi, sur une production de 7 milliards, il n’y a de véritable richesse que les profits du capital 375,000,000

Et la partie disponible de la rente de la terre. 583,335,354

Total 958,335,334

C’est à peu près le septième.

Les six autres septièmes de la production ne peuvent pas être comptés comme richesse, puisqu’ils ont Une destination spéciale qu’on ne peut pas changer, puisque cette destination est étrangère aux services qu’on attend de la richesse et qu’on a droit de lui demander.

Il y a cependant entre le prélèvement pour le salaire du travail, et ceux pour les profits du capital et la rente de la terré, une différence essentielle qu’il importe de faire remarquer.

Le salaire du travail et le capital ne contribuent à la richesse que par la production qu’ils effectuent au delà de la consommation de l’ouvrier et du capitaliste ; tandis que les profits du capital et la rente de la terre non-seulement concourent à la richesse du pays jusqu’à concurrence de leur surplus, mais mettent à son service la plus grande partie de la population qu’elles entretiennent, de sorte que les profits du capital et la rente de la terre sont à la fois les élémens de la richesse, de la force et de la puissance des peuples et des empires.

La conséquence ultérieure de ces réflexions est donc que toute réduction des frais en question est un accroissement des profits du capital, de la rente de la terre, et par conséquent de la masse des richesses.

Cette réduction augmente directement la richesse, parce que tout ce qu’elle retranche au salaire et même au capital passe dans les profits du capital et à la rente de la terre qui, comme on vient de le voir, sont en très-grande partie disponibles pour l’état, et contribuent seuls à sa fortune, à sa gloire et à son illustration.

La réduction des frais augmente encore indirectement la richesse d’un pays, parce qu’elle lui assure la supériorité sur ses concurrens dans, les marchés de l’étranger, et lui fait réaliser des bénéfices qui le font prospérer au dedans, le rendent redoutable au dehors et lui ouvrent toutes les carrières de l’opulence et de la splendeur.

La réduction des frais dans toutes les branches du travail doit donc être l’objet des efforts de toutes les classes éclairées, et d*s sollicitudes des gouvernement.

Et qu’on ne s’inquiète pas du sort des classes laborieuses dont cette réduction semble menacer le bien-être et même l’aisance. Cette réduction n’est qu’une économie qui permet d’entreprendre d’autres travaux, qui assurent de plus grands salaires et augmentent la production générale. Depuis un demi-siècle tous tes produits du travail ont considérablement diminué de valeur, ce qui n’a pu résulter que de la diminution des frais du travail ; et cependant jamais le salaire ne fut plus élevé, jamais les classes laborieuses n’ont joui d’une plus grande aisance, jamais la population ne fit plus de progrès. Ce phénomène s’explique par le perfectionnement de toutes les branches du travail, par la liberté de l’ouvrier, par la facilité de la circulation des produits du travail, par les prodiges du travail, par la protection générale des gouvernemens, par l’attrait des richesses et par le sentiment de l’égalité, ce puissant aiguillon de toutes les facultés humaines et sociales, de tous les progrès généraux et particuliers, et de toute civilisation.

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