Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Panthéon (le)


Panthéon (le).

Situé sur la place de ce nom. — 12e arrondissement, quartier Saint-Jacques.

Nous avons rappelé à l’article du collége Henri IV, qui occupe une grande partie de l’emplacement de l’ancienne église Sainte Geneviève, l’origine de l’abbaye célèbre qui portait également le nom de la douce et miraculeuse patronne de Paris. Les lettres-patentes qui suivent indiquent les motifs de la suppression des anciens bâtiments et les causes qui ont déterminé l’érection d’une seconde église dédiée à Sainte-Geneviève et dont le monument est transformé aujourd’hui en Panthéon Français.

« Louis, etc… Ayant été instruit par nos chers et bien amés les abbé, prieur et chanoines réguliers de notre abbaye de Sainte-Geneviève-du-Mont de Paris, que les bâtiments de leur église étaient dans un tel état de ruines que la réédification en était devenue indispensable, et que les fidèles qui la fréquentaient ne cessaient de former des vœux pour sa reconstruction ; ce qui ne pouvait s’exécuter sans nos lettres-patentes duement vérifiées ; les dits prieur, abbé chanoines réguliers nous ayant en même temps représenté l’impossibilité où ils étaient, par la médiocrité de leurs revenus, de fournir à une dépense aussi considérable, nous avons cru devoir employer notre autorité pour la conservation d’une église précieuse aux habitants de notre bonne ville de Paris, par la juste confiance qu’ils ont eue dans tous les temps en la patronne de cette capitale, en procurant aux dits abbé, prieur et chanoines réguliers les sommes nécessaires pour un objet si digne de notre piété ; et ayant voulu examiner par nous-même les différents projets qui ont été présentés tant pour construire la d. église avec la majesté et la décence convenables, que pour en rendre l’accès plus facile qu’il n’a été jusqu’à présent, nous avons fait choix de celui qui a paru remplir plus parfaitement toutes ces vues ; mais comme pour accomplir un dessein qui mérite autant notre protection, il est nécessaire de démolir plusieurs maisons appartenant aux dits abbé, prieur et chanoines réguliers, et d’acquérir des maisons appartenant à divers particuliers ou communautés, en indemnisant les propriétaires ; qu’il est juste d’ailleurs de procurer aux dits abbé, prieur et chanoines réguliers les moyens de réparer, autant qu’il est possible, les sacrifices qu’ils font des bâtiments et emplacement qu’ils abandonnent pour la nouvelle construction de la dite église ; nous avons cru convenable d’y pourvoir par notre autorité. À ces causes, à ce nous mouvant, de l’avis de notre conseil et de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, nous avons statué et ordonné, statuons et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui suit. — Article 1er. Qu’il soit incessamment procédé aux ouvrages nécessaires, tant pour la reconstruction de la nouvelle église de Sainte-Geneviève-du-Mont, que pour procurer tout ce qui pourra en faciliter les abords ; le tout suivant le plan attaché sous le contre-scel des présentes. — Art. 2e. Que les maisons et bâtiments appartenant aux dits abbé, prieur et chanoines réguliers, étant sur le terrain sur lequel la dite église doit être reconstruite, soient démolis, après néanmoins que les dits maisons et bâtiments auront été prisés et estimés par un expert qui sera nommé par notre cour de parlement, etc… — Art. 6e. Ne pourront les ouvrages des bâtiments de la dite église être adjugés et faits que sur les devis dressés par le sieur Soufflot, architecte, par nous commis pour la conduite des dits travaux et ouvrages, et signés tant de lui que des dits abbé, prieur et chanoines réguliers, etc… — Art. 10e. Ne pourra la démolition de l’ancienne église être faite qu’après l’entière reconstruction de la dite nouvelle église et la translation de la châsse de Sainte-Geneviève, etc. Donné à Versailles au mois de mars l’an de grâce 1757, et de notre règne le 42e. Signé Louis. » (Archives du royaume, section administrative, série E, no 3,443.)

L’emplacement que devait occuper l’édifice fut béni par l’abbé de Sainte-Geneviève, le 1er août 1758, mais le peu de solidité du terrain fit retarder la construction de l’église. On avait trouvé un grand nombre de puits, parmi lesquels on en compta sept ou huit qui avaient plus de 26 m. de profondeur. Ces puits comblés, les travaux marchèrent sans interruption, et l’église souterraine fut achevée en 1763. L’église supérieure était déjà élevée à une certaine hauteur, lorsque le roi Louis XV vint solennellement, le 6 septembre 1764, poser la première pierre du dôme. Le plan de ce monument présente une croix grecque. L’édifice a 100 m. de longueur, en y comprenant le péristyle ; sa largeur est de 81 m. 70 c. Au centre s’élève un dôme de 20 m. 35 c. Les quatre nefs formant les branches de la croix viennent se réunir à un point central sur lequel le dôme est assis. Il est composé de trois coupoles concentriques, dont la troisième forme la calotte extérieure ; et la première est percée à jour de manière à laisser, de l’intérieur de l’église, voir la seconde sur laquelle le célèbre Gros a peint l’apothéose de sainte Geneviève. La façade principale pour laquelle on a prodigué toutes les richesses de l’architecture, se compose d’un perron élevé sur onze marches et d’un porche en péristyle imité du Panthéon de Rome. Elle présente six colonnes de face et en a vingt-deux dans son ensemble, dont dix-huit sont isolées et les autres engagées. Toutes ces colonnes sont cannelées et d’ordre corinthien. Les feuilles d’acanthe des chapiteaux sont d’une délicatesse remarquable. Soufflot, bravant la routine, voulut donner dans cette composition, le premier exemple à Paris d’un portail formé d’un seul ordre et d’une hauteur qui indiquât celle du temple. Si l’on ne peut refuser des louanges au génie de l’architecte, la critique doit aussi faire ressortir quelques défauts. Soufflot, en voulant rappeler le portique du Panthéon à Rome, est tombé dans des erreurs qui ont altéré l’admirable proportion de l’édifice. On est d’abord choqué de la maigreur des entre-colonnements, et l’on s’aperçoit aussitôt que ces défauts n’existeraient pas si l’artiste eût placé deux colonnes de plus sous le fronton, au lieu de les reléguer en arrière-corps aux angles du péristyle ; groupées dans ce petit espace, ces colonnes ont, en outre, l’inconvénient de produire des ressauts et des profils multipliés qui nuisent à la grandeur du monument. Néanmoins, lorsque les échafauds qui avaient masqué toutes les voûtes disparurent et permirent à l’édifice de se développer dans toute son imposante majesté, un cri général d’admiration retentit !

La joie fut de courte durée, des fractures multipliées sillonnèrent les quatre piliers du dôme et annoncèrent que le poids de cette masse suspendue sur de faibles soutiens menaçait d’écraser tout l’édifice. Il fallut donc, et sans perdre un moment, renoncer à la jouissance que procurait ce beau spectacle d’architecture, et entourer d’échafauds, soutenir par des étais, un monument que l’on avait pu croire achevé après un travail de plus de trente années et une dépense excédant quinze millions. Heureusement l’accident fut jugé moins grave qu’on ne l’avait craint d’abord : les fondations furent trouvées bonnes. On s’assura qu’elles n’avaient point fléchi d’une manière sensible, que l’église souterraine dont le sol est à 5 m. 85 c. au-dessous de celui de la nef supérieure, était bâtie de manière à résister à la masse qu’elle supportait ; que le dôme et les trois coupoles offraient la même solidité ; en un mot la construction vicieuse des piliers intermédiaires au dôme et à l’église indiqua qu’il ne fallait pas rechercher ailleurs la cause du mal. La direction des travaux de réparations fut confiée à M. Rondelet, architecte, qui parvint à consolider l’édifice, sans en altérer la décoration primitive.

Décret relatif au lieu destiné à recevoir les cendres des grands hommes.

« Du 4 avril 1791. L’Assemblée Nationale, après avoir ouï son arrêté de constitution, décrète ce qui suit : Article 1er. Le nouvel édifice de Sainte-Geneviève sera destiné à recevoir les cendres des grands hommes à dater de l’époque de la liberté Française. — Art. 2e. Le corps législatif décidera seul à quels hommes ces honneurs seront décernés. — Art. 3e. Honoré-Riquetti Mirabeau est jugé digne de recevoir cet honneur. — Art. 4e. La législature ne pourra pas décerner cet honneur à un de ses membres venant à décéder : il ne pourra être décerné que par la législature suivante. — Art. 5e. Les exceptions qui pourront avoir lieu pour quelques grands hommes morts avant la révolution, ne pourront être faites que par le corps législatif. — Art. 6e. Le directoire du département de Paris sera chargé de mettre promptement l’édifice de Sainte-Geneviève en état de remplir sa nouvelle destination, et fera graver au-dessus du portique, ces mots : Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante. — Art. 7e. En attendant que le nouvel édifice de Sainte-Geneviève soit achevé, le corps de Riquetti Mirabeau sera déposé à côté de Descartes, dans le caveau de l’ancienne église de Sainte-Geneviève. » — Ce décret a été sanctionné le 10 du même mois. Voltaire et Jean-Jacques Rousseau obtinrent également les honneurs du Panthéon, les 11 juillet et 16 octobre de la même année.

M. Antoine Quatremere fut chargé de la direction des changements à opérer. Pour imprimer à l’édifice un nouveau caractère, il fallut modifier ou changer beaucoup, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monument. Au lieu d’un fronton sur le tympan duquel on voyait une croix de Coustou, entourée de rayons divergents et d’anges qui priaient, le sculpteur Moitte représenta la Patrie, les bras étendus, et portant des couronnes de chêne qu’elle présentait à l’émulation des citoyens.

L’édifice avait à peine subi cette transformation, lorsque la Convention Nationale rendit le décret suivant : « Séance du 5 frimaire an II (25 novembre 1793). — La Convention Nationale, après avoir entendu le rapport de son comité d’instruction publique, considérant qu’il n’est point de grand homme sans vertu, décrète : Article 1er. Le corps d’Honoré-Gabriel-Riquetti Mirabeau sera retiré du Panthéon Français. — Art. 2e. Le même jour que le corps de Mirabeau sera retiré du Panthéon Français, celui de Marat y sera transféré. — Art. 3e. La Convention Nationale, le conseil exécutif provisoire, les autorités constituées de Paris et les sociétés populaires assisteront en corps à cette cérémonie. » — Mais cet édifice devait encore éprouver de nouveaux changements. Un décret du 20 février 1806 rendit le Panthéon au culte catholique ; l’inscription du portail et les figures allégoriques furent détruites à leur tour.

Sous la restauration, la seconde coupole de l’église fut décorée par Gros, qui représenta, comme nous l’avons dit, l’apothéose de sainte Geneviève. Cette composition est la plus vaste et la plus belle, dit-on, des peintures à fresque de France et même d’Italie. Cet immense ouvrage se divise en quatre grands tableaux. Le premier représente la fondation de la monarchie, par Clovis ; le second le triomphe de Charlemagne ; le troisième le règne de saint Louis ; et le quatrième la Restauration que personnifie le roi Louis XVIII ; cette figure est portée sur un nuage entre deux anges qui répandent des fleurs. Au-dessus de Clovis, de Charlemagne, saint Louis et Louis XVIII, plane le génie de la France.

Le 20 février 1829, un juste hommage a été rendu à l’illustre architecte de Sainte-Geneviève ; les restes de Jacques-Germain Soufflot, décédé le 29 août 1780, à l’âge de 67 ans, ont été transférés dans la chapelle basse de cette magnifique église, qui redevint dix-sept mois après le Panthéon Français.

« Ordonnance royale du 26 août 1830. — Louis-Philippe, roi des Français, etc… Vu les lois des 4 et 10 avril 1791. Vu le décret du 20 février 1806, et l’ordonnance du 12 décembre 1821. Notre conseil d’état entendu. Considérant qu’il est de la justice nationale et de l’honneur de la France que les grands hommes qui ont bien mérité de la Patrie en contribuant à son honneur ou à sa gloire, reçoivent après leur mort un témoignage éclatant de l’estime et de la reconnaissance publique. Considérant que pour atteindre ce but, les lois qui avaient affecté le Panthéon à une semblable destination, doivent être remises en vigueur. Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit : Article 1er. Le Panthéon sera rendu à sa destination primitive et légale ; l’inscription : Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante, sera rétablie sur le fronton. Les restes des grands hommes qui auront bien mérité de la Patrie y seront déposés. — Art. 2e. Il sera pris des mesures pour déterminer à quelles conditions et dans quelles formes ce témoignage de la reconnaissance nationale sera décerné au nom de la Patrie, etc. — Art. 3e . Le décret du 20 février 1806 et l’ordonnance du 12 décembre 1821 sont rapportés. Paris, le 26 août 1830. Signé Louis-Philippe. »

Quelque temps après, M. David fut chargé de sculpter de nouveau le fronton ; Gérard orna les pendentifs du dôme de peintures dont le magnifique ouvrage de Gros ne dépare pas le mérite. Sur le fronton, le célèbre sculpteur a représenté la Patrie, le front ceint d’un diadème étoilé, distribuant des couronnes à ceux qui l’ont noblement servie par leur courage ou leurs talents. Aux pieds de la déesse sont d’un côté, la Liberté, et de l’autre l’Histoire, qui écrit sur ses tablettes les noms de Hoche, de Bonaparte, de Kléber, tandis que Mirabeau, La Fayette et plusieurs autres reçoivent des couronnes des mains de la Liberté. À droite, l’artiste a placé des groupes de militaires et l’on remarque Napoléon qui s’élance le premier pour saisir la palme ; là, on aperçoit aussi, représentée par un grenadier épuisé de fatigue, mais toujours résolu, la trente-deuxième demi-brigade si célèbre dans nos annales républicaines ; à côté, se trouve le tambour Jean Ritielle, qui battait la charge au plus épais de la mitraille, lors du passage du pont d’Arcole. À gauche sont rangés les représentants des sciences et des arts ; dans le premier groupe figurent Malesherbes, Mirabeau, Monge, Fénélon ; dans le second, Manuel, Carnot, Bertholet et Laplace ; le peintre David, Cuvier et La Fayette composent le troisième ; puis Voltaire et Jean-Jacques Rousseau auprès d’un autel ombragé de palmes ; près de l’auteur d’Émile, un jeune homme mourant dépose sur l’autel de la Patrie le Traité de la vie et de la mort ; c’est Bichat. À l’extrême droite du fronton sont placés des jeunes gens en costume militaire, qui se livrent à l’étude ; entre eux et le vieux grenadier de la trente-deuxième demi-brigade, on aperçoit un élève blessé mortellement ; un des jeunes gens le regarde et semble dire que lui aussi saura mourir pour sa patrie.

Dans la partie souterraine de l’édifice étaient déposés les restes de ceux qu’on jugeait dignes des honneurs du Panthéon. Cette crypte est à 6 m. au-dessous du sol de la nef supérieure. Après avoir traversé une voûte très spacieuse, on arrive, en montant quelques marches, jusque sous le porche ; là, dans une ouverture où le jour ne pénètre jamais, on trouve une statue de Voltaire, ouvrage très estimé de Houdon. À droite et à gauche du passage sont rangés des caveaux qui recèlent les cercueils de quelques hommes célèbres et d’un grand nombre de hauts dignitaires de l’empire, parmi lesquels on distingue ceux du maréchal Lannes, de Bougainville et de Lagrange. Sur le cercueil de Voltaire ont été gravés ces mots : Poète, historien, philosophe, il agrandit l’esprit humain et lui apprit qu’il devait être libre. Il défendit Calas, Sirven, de la Barre et Montbailly ; combattit les athées et les fanatiques ; il inspira la tolérance ; il réclama les droits de l’homme contre la servitude de la féodalité.

Sur le cercueil de Rousseau est écrit : Ici repose l’homme de la nature et de la vérité.

Autour de ce beau monument on a placé une grille magnifique ornée de deux vastes trépieds en bronze qui servent aux illuminations lors des fêtes publiques. À l’intérieur de l’édifice ont été fixées contre les parois de la nef des tables de marbre noir, sur lesquelles sont gravés en lettres d’or, les noms des citoyens morts dans les journées de juillet 1830.

Il était question depuis longtemps d’améliorer les abords du Panthéon ; l’administration municipale, de concert avec le gouvernement, vient d’arrêter un projet qui recevra sous peu son exécution.

L’État doit prendre à sa charge : 1o la cession gratuite à la voie publique de tous les terrains nécessaires à l’achèvement des abords du Panthéon, moins ceux du prolongement de la rue Soufflot ; 2o l’acquisition des terrains à retrancher à cet effet des propriétés particulières ; 3o les travaux de nivellement et du pavage de la place du Panthéon ; 4o l’obligation de construire sur la partie non retranchable du bâtiment de l’ancien collége de Montaigu, un nouvel édifice destiné à la bibliothèque de Sainte-Geneviève ; 5o la cession gratuite à la ville de Paris du local actuel de cette bibliothèque pour être réuni au collége Henri IV, et enfin la cession gratuite à la ville de Paris des terrains domaniaux situés à l’angle de la rue Clotaire et de la place du Panthéon.

Les opérations à la charge de la ville seront : 1o l’acquisition de la maison rue des Fossés-Saint-Jacques, no 13, pour la réunir aux terrains bordant la rue Clotaire et la place du Panthéon, et y construire la mairie du 12e arrondissement ; 2o la construction du bâtiment de la mairie, avec façade symétrique à celle de l’École-de-Droit ; 3o le prolongement de la rue Soufflot jusqu’au jardin du Luxembourg, qui devra être exécuté dans le délai de quatre années à partir de la promulgation de la loi.