Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Louis-le-Grand (collége royal)


Louis-le-Grand (collége royal).

Situé dans la rue Saint-Jacques, no  123. — 12e arrondissement, quartier Saint-Jacques.

La société de Jésus fut approuvée en 1540 et 1549 par deux bulles de Paul III. Le fondateur, Ignace de Loyola, envoya sur-le-champ quelques uns de ses disciples à Paris. Plusieurs historiens ont prétendu qu’aussitôt après la publication de la première bulle, ces religieux se logèrent au collége des Trésoriers, puis vers 1542 au collége des Lombards, et en 1550 dans l’hôtel de Clermont qui appartenait au cardinal Duprat. Son éminence qui témoignait à ces pères le plus vif intérêt, leur concilia la protection du cardinal de Lorraine. Ils obtinrent en 1551, par les soins du chef de cette puissante maison, des lettres-patentes qui autorisèrent leur établissement, mais dans Paris seulement. Les oppositions de l’évêque, du parlement et de l’université suspendirent l’effet de cette faveur. Soutenus par les princes Lorrains qui régnaient sous le nom de François II, les Jésuites allaient triompher de tous les obstacles, lorsque la mort du jeune monarque vint leur susciter de nouveaux embarras. Malgré les lettres de jussion, adressées au parlement par Charles IX, les juges hostiles à la nouvelle société décidèrent que le droit d’approuver cette compagnie appartenait seul à l’assemblée générale du clergé, tenue à Poissy et présidée par le cardinal de Lorraine ; le colloque de Poissy admit l’institution des Jésuites en France à titre de société religieuse et de collége. Ce ne fut qu’en 1562 que le parlement consentit à l’enregistrement de cette décision. On doit donc fixer à cette époque l’établissement légal des Jésuites à Paris. Le cardinal Duprat leur avait fait en mourant plusieurs legs considérables pour les aider à fonder un collége. Les Jésuites, jaloux de remplir les dernières intentions de leur bienfaiteur, achetèrent un grand hôtel situé dans la rue Saint-Jacques. Cette maison avait appartenu à Bernard de la Tour, évêque de Langres. Le recteur de l’université accorda aux Jésuites la permission d’enseigner. Ces pères ouvrirent des cours et donnèrent à leur maison le nom de collége de Clermont de la société de Jésus. À peine avaient-ils commencé leurs leçons, qu’un nouveau recteur leur défendit l’exercice des classes. Alors s’élevèrent de nouvelles contestations. Heureusement pour eux, la cause fut appointée, et ces pères, en attendant la décision, se crurent autorisés à continuer les leçons publiques qu’ils avaient commencées. Le talent des professeurs qu’ils employaient attirèrent bientôt dans leur collége un si grand nombre d’écoliers, qu’il fallut penser à augmenter les bâtiments de cette maison. Les Jésuites achetèrent à cet effet plusieurs propriétés voisines en 1578 et 1582. Il firent dans le courant de cette dernière année construire une chapelle dont la première pierre fut posée par Henri III. Tous ces édifices furent reconstruits en 1698.

Les Jésuites suivirent le parti de la ligue, et montrèrent du zèle pour la cause catholique. Tout en paraissant très échauffés, ils firent en sorte cependant de ne point compromettre leurs intérêts de fortune. Le 15 juin 1590, on avait tenu au palais une assemblée où l’on avait arrêté : « que les communautés religieuses seraient obligées de nourrir les pauvres, et qu’il serait fait en conséquence une visite dans les couvents pour constater la quantité de denrées qu’ils renfermaient. » Les Jésuites redoutaient grandement cette visite. Tyrius, recteur du collége de Clermont, accompagné du père Bellarmin, vint supplier le légat d’en exempter leur maison. Le prévôt des marchands, Michel Marteau, sieur de la Chapelle, indigné de cette demande, dit tout haut : « Monsieur le recteur, votre requête n’est civile ni chrétienne. Tous ceux qui avaient du blé ont été forcés de l’exposer en vente pour subvenir aux besoins, publics, pourquoi seriez-vous exempts de cette visite ? Votre vie est-elle de plus grand prix que la nôtre ? » La visite eut lieu ! « On y trouva, dit l’Estoile, quantité de blé et de biscuit pour les nourrir pendant plus d’un an, quantité de chair salée, de légumes, de foin, et en plus grande quantité qu’aux quatre meilleures maisons de la ville. » Trois mois après, le 10 septembre, les Jésuites se conduisirent plus noblement dans une attaque nocturne dirigée contre la porte Saint-Jacques, par les troupes de Henri IV, qui assiéraient Paris. Les ennemis ayant commencé par donner une fausse alerte, les bourgeois s’étaient retirés. Quelques Jésuites seuls étaient restés sur le rempart. Ils aperçurent dans l’obscurité les assiégeants qui étaient revenus sous les murs, et dressaient plusieurs échelles pour les escalader, quelques uns même étaient déjà dans la ville ! Ces pères accoururent, les combattirent vaillamment, les tinrent en échec jusqu’à l’arrivée des troupes de la Ligue. Henri IV étant monté sur le trône, la réaction qui s’opéra contre la Ligue fut également funeste aux Jésuites. Le parlement voulut les faire sortir du royaume. Henri IV suspendit l’arrêt de bannissement. Peu de temps après eut lieu la tentative de meurtre commise par Jean Chastel sur la personne du roi. L’assassin subit le dernier supplice, et par arrêt du 28 décembre 1594, tous les prestres et escholiers du collége de Clermont et tous autres soy disants de la société de Jésus, furent condamnés comme corrupteurs de la jeunesse, perturbateurs du repos public, ennemis du roi et de l’état, à sortir dans trois jours de Paris et dans quinze du royaume. Les Jésuites plièrent devant l’orage, mais ne se découragèrent pas. Ils eurent, suivant leur habitude, recours à l’adresse ; ce genre d’habileté mielleuse leur valut le surnom bien mérité de Pères de la Ruse. À force de patience et de persévérance, ils obtinrent de Henri IV la permission de rentrer en France. Après huit années d’exil, ils revinrent le 25 septembre 1603, mais ce ne fut qu’après la mort du roi qu’ils obtinrent la faveur de tenir un collége et d’instruire la jeunesse. Cette permission leur fut accordée vers 1618. La Sorbonne et l’Université leur suscitèrent de nouveaux embarras qu’ils parvinrent à étouffer. Sous le règne de Louis XIV, les Jésuites prirent un immense ascendant. Le roi leur donna 53,000 livres. Cet argent les aida à acquérir plusieurs maisons ainsi que les bâtiments des colléges de Marmoutiers et du Mans. Ces pères invitérent Louis XIV à assister à une tragédie représentée par leurs élèves. Le roi fut satisfait de la pièce, et dit à un seigneur qui lui parlait du succès de cette représentation : « Faut-il s’en étonner, c’est mon collége ! » Le recteur attentif à ces paroles du monarque saisit avec habileté l’occasion de flatter sa royale vanité. Après le départ de Louis XIV, il fit enlever l’ancienne inscription : collegium Claramontanum, societatis Jesu, et pendant toute la nuit, des ouvriers furent employés à graver sur une table de marbre noir, ces mots en grandes lettres d’or : Collegium Ludovici Magni. Un élève de ce collége, âgé, dit-on, de seize ans, composa également dans la nuit, pendant que les ouvriers travaillaient, le distique suivant :

Substulit hinc Jesum, posuitque insignia regis,
Impia gens alium nescit habere Deum.

« Tu ôtes le nom de Jésus pour y substituer les armes et le nom de Louis : tu ne connais, ô race impie, d’autre divinité que ce roi. » — Une traduction en vers courut également dans tout Paris, la voici :

» La croix fait place au lis et Jésus-Christ au roi ;
» Louis, ô race impie, est le seul dieu chez toi.

L’ordre des Jésuites fut supprimé en 1762. Ces pères furent chassés pour la seconde fois de Paris et de la France en 1763 ; alors on transféra dans leur collége celui de Lisieux. L’université y tint aussi quelque temps ses séances. En 1792, organisé sous une forme nouvelle, il reçut le nom de Collége de l’Égalité ; en 1800 celui de Prytanée. En 1805 on l’appela Lycée Impérial. On lui rendit, en 1814, le nom de Collége royal Louis-le-Grand.