Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Hôtel-de-Ville (place de l’)


Hôtel de Ville (place de l’).

Située entre les quais Le Peletier et de la Grève, les rues du Mouton et de la Tixéranderie. Le dernier impair est 39 ; pas de numéro pair, ce côté est bordé par l’Hôtel-de-Ville. — Les numéros impairs sont du 7e arrondissement, quartier des Arcis. L’Hôtel-de-Ville est du 9e arrondissement.

Au commencement du XIIe siècle, un marché public existait sur cette place, qui portait, en raison de sa proximité du fleuve, la nom de place de Grève. Une charte de 1141, donnée par Louis-le-Jeune sur la demande des bourgeois de la Grève et du Monceau, supprima ce marché moyennant 70 livres une fois payées au trésor royal. — La place de Grève fut élargie vers 1770, en vertu des lettres-patentes du 22 avril 1769. — Une décision ministérielle du 20 septembre 1817 a fixé la largeur de cette voie publique à 67 m. Pour les propriétés de 1 à 7, le retranchement varie de 1 m. 30 c. à 4 m. 70 c., les autres constructions devront subir un reculement considérable ou être supprimées entièrement. — Égout. — Conduite d’eau. — Éclairage au gaz (compes Française et Lacarrière).

On ignore à quelle époque la place de Grève servit pour la première fois de lieu patibulaire. Une hérétique appelée Marguerite Porette y fut brûlée en 1310. À cette malheureuse commence la nomenclature des exécutions de la justice.

Chaque année, la veille de la fête de Saint-Jean, une cérémonie bizarre avait lieu sur cette place ; les magistrats de la ville faisaient entasser des fagots au milieu desquels était planté un arbre de 30 m. de hauteur, orné de bouquets, de couronnes et de guirlandes de roses. On attachait à l’arbre un panier qui contenait deux douzaines de chats et un renard. Aussitôt que les trompettes annonçaient l’arrivée du roi, le prévôt des marchands et les échevins, portant des torches de cire jaune, s’avançaient vers l’arbre et présentaient au monarque une torche de cire blanche, garnie de deux poignées de velours rouge, et sa majesté venait allumer le feu. Les chats brûlés vifs au milieu des acclamations de la multitude, le roi montait à l’Hôtel-de-Ville où il trouvait une collation composée de dragées musquées, de confitures sèches, de massepins, etc… — Dans un compte de la ville, à la date de 1573, nous lisons à l’article concernant cette cérémonie. « À Lucas Pommereux, l’un des commissaires des quais de la ville, cents sols parisis, pour avoir fourni durant trois années tous les chats qu’il falloit au dit feu, comme de coutume même pour avoir fourni il y a un an où le roi assista, un renard pour donner plaisir à sa majesté, et pour avoir fourni un grand sac de toile où étoient les dits chats. »

Nous avons rappelé à l’article de l’Hôtel-de-Ville les principaux événements dont cet édifice fut le théâtre. Plusieurs de ces drames lugubres ont commencé dans les salons de l’hôtel ; mais la foule qui se trouvait sur la place, intervenait quelquefois au dénouement.

« Là, dit Mercier (l’auteur du Tableau de Paris), sont venus tous ceux qui se flattaient de l’impunité : un Cartouche, un Ravaillac, un Nivet, un Damiens ; et plus scélérat qu’eux tous un Desrues. Il y montra la froide intrépidité et le courage tranquille de l’hypocrisie ; je l’ai vu et entendu au Châtelet, car il se trouvait alors dans la même prison avec l’auteur de la philosophie de la nature, quand j’allais visiter l’écrivain, etc…

» Nos femmes, dont l’âme est si sensible, le genre nerveux si délicat, qui s’évanouissent devant une araignée, ont assisté à l’exécution de Damiens, etc… Des lunettes d’approche entre leurs mains amenaient, sous leurs regards, les bourreaux et les angoisses du supplicié. Leurs yeux ne se détournèrent pas de cet amas de tourments recherchés ; la pitié et la commisération s’étaient envolées de la place où le criminel expiait son forfait par le plus long et le plus cruel des supplices. Il fut tel que la postérité frémira ! »

Nous rapportons les détails de cette exécution :

Le supplice commença vers 5 heures. La main droite du patient qui tenait un couteau, fut brûlée lentement ; les atteintes de la flamme lui arrachèrent un cri horrible. Dans cet instant le greffier s’approcha du condamné, et le somma de nouveau de désigner ses complices ; il protesta qu’il n’en avait pas : « Au même instant le dit condamné a été tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, et sur les dits endroits a été jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante de la poix brûlante, de la cire et du soufre fondus ensemble, pendant lequel supplice le condamné s’est écrié à plusieurs fois : Mon Dieu, la force, la force !… Seigneur mon Dieu, ayez pitié de moi !… Seigneur mon Dieu, que je souffre !… Seigneur mon Dieu, donnez moi la patience !… À chaque tenaillement, on l’entendait crier douloureusement ; mais de même qu’il avait fait lorsque sa main avait été brûlée, il regarda chaque plaie, et ses cris cessaient aussitôt que le tenaillement était fini. Enfin on procéda aux ligatures des bras, des jambes et des cuisses pour opérer l’écartèlement. Cette préparation fut très longue et très douloureuse. Les cordes étroitement liées, portant sur les plaies si récentes, cela arracha de nouveaux cris au patient, mais ne l’empêcha pas de se considérer avec une curiosité singulière. Les chevaux ayant été attachés, les tirades furent réitérées longtemps avec des cris affreux de la part du supplicié. L’extension des membres fut incroyable ; mais rien n’annonçait le démembrement. Malgré les efforts des chevaux qui étaient jeunes, peut-être trop, cette dernière partie du supplice durait depuis plus d’une heure sans qu’on pût en prévoir la fin. Les médecins et chirurgiens attestèrent aux commissaires, qu’il était presqu’impossible d’opérer le démembrement, si l’on ne facilitait l’action des chevaux, en coupant les nerfs principaux qui pouvaient bien s’allonger prodigieusement, mais non pas être séparés sans une amputation. Sur ce témoignage, les commissaires firent donner ordre à l’exécuteur de faire cette amputation, d’autant plus que la nuit approchait et qu’il leur parut convenable que le supplice fut terminé auparavant. En conséquence de cet ordre, aux jointures des bras et des cuisses, on coupa les nerfs au patient, on fit alors tirer les chevaux. Après plusieurs secousses, on vit se détacher une cuisse et un bras. Le supplicié regarda encore cette douloureuse séparation ; il parut conserver la connaissance après les deux cuisses et un bras séparés du tronc, et ce ne fut qu’au dernier bras qu’il expira ! » — Les membres et le corps furent brûlés sur un bûcher. — Cet épouvantable supplice de Damiens eut lieu sur la place de Grève, le 28 mars 1757. — Le soir, les courtisans racontaient avec complaisance dans les salons de Versailles, tous les détails de cette longue torture. Une jeune duchesse se fit remarquer par la grâce et la vérité avec laquelle elle retraçait les moindres phases de l’agonie de Damiens.

Le 19 février 1789, la foule accourait de nouveau sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Cette fois elle était encore plus avide, plus joyeuse qu’au supplice de Damiens, on allait pendre un marquis !

Le condamné descendit du Châtelet et s’avança entre deux haies de soldats. Sa démarche et son maintien témoignaient de la distinction de son rang ; il paraissait âgé de quarante-cinq ans. C’était Thomas Mahi, marquis de Favras, que la chambre du conseil du Châtelet de Paris avait condamné à être amené et conduit dans un tombereau, après amende honorable, à la place de Grève pour y être pendu et étranglé.

Le matin, après la lecture de l’arrêt, le marquis de Favras avait remis lui-même au greffier sa croix de Saint-Louis. La foule, en apercevant le condamné, battit des mains ; ces applaudissements devinrent plus frénétiques lorsque le marquis vint faire amende honorable sur le Parvis-Notre-Dame. Cette joie du peuple ne sembla ni l’affliger ni l’irriter. Le greffier lut alors la sentence. Favras était convaincu : « D’avoir tenté de mettre à exécution un projet de contre-révolution, qui devait avoir lieu en rassemblant les mécontents des différentes provinces, en donnant entrée dans le royaume à des troupes étrangères, en gagnant une partie des ci-devant gardes-françaises, en mettant la division dans la garde nationale, en attentant à la vie de trois des principaux chefs de l’administration, en enlevant le roi et la famille royale pour les mener à Péronne, en dissolvant l’Assemblée Nationale, et en marchant en force vers la ville de Paris, ou en lui coupant les vivres pour la réduire. »

Conduit à la Grève, Favras monta à l’Hôtel-de-Ville, et fit son testament.

« La nuit étant venue, dit un historien contemporain, on a distribué des lampions sur la place de Grève, et on en a mis jusque sur la potence. Il est descendu de l’Hôtel-de-Ville, marchant d’un pas assuré. Au pied du gibet, il a élevé la voix en disant : « Citoyens, je meurs innocent, priez Dieu pour moi ! » Vers le second échelon, il a dit d’un ton aussi élevé ; « Citoyens, je vous demande le secours de vos prières, je meurs innocent ! » Au dernier échelon il a dit : « Citoyens, je meurs innocent, priez Dieu pour moi ! » Puis s’adressant au bourreau : « Et toi, fais ton devoir. »

D’autres victimes montèrent bientôt sur l’échafaud, et le marquis de Favras fut oublié. — L’hôtel-de-Ville devint le palais de la révolution. Là trônait la Commune de Paris. Sur la place de Grève, le désordre, le pillage et le meurtre préparaient leurs moyens de destruction.

Un arrêté du conseil général de la commune, à la date du 13 août 1793, porte ce qui suit :

« Il sera brûlé publiquement sur la place de Grève les drapeaux souillés des signes de la féodalité, les titres de noblesse, les brevets et décorations des chevaliers de Saint-Louis. »

Cette voie publique prit une nouvelle physionomie sous l’empire. Lors du sacre de Napoléon, la ville voulut aussi donner sa fête, l’hôtel de la préfecture apparaissait radieux de lumières. Une ligne de feu s’étendait le long des quais jusqu’au palais des Tuileries, et de vastes trépieds antiques supportaient des gerbes de flammes. Tout Paris a gardé la mémoire de ce magnifique feu d’artifice représentant le Mont-Saint-Bernard. Pendant que nos soldats gravissaient ces montagnes étincelantes, on voyait se détacher au sommet une figure bien connue ; sur le fleuve, une flotille pavoisée de reflets lumineux répondait par de continuelles éruptions à la mousqueterie et aux canons qui tonnaient sur la cime. C’était de l’histoire écrite en caractères de flammes.

Vingt-six années se sont écoulées, l’empire n’existe plus et la restauration va finir. Sur la place de Grève se livre un combat terrible, les traces en sont partout. Tant que le drapeau tricolore ne flotta pas sur l’Hôtel-de-Ville, rien ne fut décidé.

Pour les combattants, le palais de la bourgeoisie était plus précieux que les Tuileries et le Louvre.

Après la lutte, on comprit que le sang des criminels ne devait pas souiller plus longtemps les pavés de cette place, et l’on porta au loin l’instrument du supplice.

Aujourd’hui cette voie publique a pris un nouveau nom, mais elle est toujours le vaste caravansérail d’une grande partie de la classe laborieuse. Les ouvriers employés aux constructions s’y réunissent : faire Grève, est une expression consacrée pour peindre la situation d’un ouvrier sans travail. Ainsi sur cette même place, où il y vint si vaillamment combattre pour la liberté, le peuple vient encore demander et chercher de l’ouvrage.