Dialogue (Corneille)

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Dialogue (Corneille)
Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 50-52).

XII

Dialogue.

Il faut se rappeler que Tirsis[1] est le nom que Corneille s’est choisi lorsqu’il a mis au théâtre l’aventure qui fait le sujet de Mélite. Il n’est peut-être pas trop hasardé de supposer qu’il a écrit ces vers lorsqu’il a obtenu de Mlle Milet l’aveu qu’il n’osait espérer. Ce dialogue n’a pu, comme le sonnet que nous avons vu plus haut (p. 44), entrer textuellement dans la comédie ; mais Corneille semble se l’être rappelé en écrivant la scène iv de l’acte V, où Tircis et Mélite s’entretiennent seuls ; on y retrouve (vers 1635) ces mots que le poëte tenait à conserver et qui font ici l’effet d’un refrain : « Tu t’en peux assurer. » Faut-il croire que ce soient là les propres paroles de Mlle Milet ?…


Tirsis, Caliste.


Tirsis.

Caliste, mon plus cher souci,
Prends pitié de l’ardeur qui me dévore l’âme.

Caliste.

Tirsis, ne vois-tu pas aussi
Que mon cœur embrasé brûle de même flamme ?

Tirsis.

Je n’ose l’espérer. 5

Caliste.

Tu t’en peux assurer.

Tirsis.

Mais mon peu de mérite
Défend un si haut point à ma présomption.
 

Caliste.

Mais cette récompense est plutôt trop petite
Pour tant d’affection. 10

Tirsis.

Je croirai, puisque tu le veux,
Que maintenant mon mal aucunement[2] te touche.

Caliste.

La mort seule éteindra mes feux,
Et j’en ai plus au cœur mille fois qu’en la bouche.

Tirsis.

Je n’ose l’espérer. 15

Caliste.

Tu t’en peux assurer.

Tirsis.

Hélas ! que ton courage
M’apprête de rigueurs à souffrir sous ta loi !

Caliste.

Ce que j’ai de rigueurs, j’en réserve l’usage
Pour tout autre que toi. 20

Tirsis.

Si quelqu’un plus riche ou plus beau,
Et mieux fourni d’appas, à te servir se range ?

Caliste.

J’élirois plutôt le tombeau,
Que ma volage humeur se dispensât[3] au change.

Tirsis.

Je n’ose l’espérer. 25

Caliste.

Tu t’en peux assurer.

Tirsis.

Mais pourrois-tu, ma belle,
Dédaigner un amant qui vaudroit mieux que moi ?

Caliste.

Pourrois-je préférer à ton amour fidèle
Une incertaine foi ? 30

Tirsis.

Si la rigueur de tes parents
À quelque autre parti plus sortable t’engage ?

Caliste.

Les saints devoirs que je leur rends
Jamais dessus ma foi n’auront cet avantage.

Tirsis.

Je n’ose l’espérer. 35

Caliste.

Tu t’en peux assurer.

Tirsis.

Quoi ? parents, ni richesses,
Ni grandeurs ne pourront ébranler tes esprits ?

Caliste.

Tout cela, mis auprès de tes chastes caresses,
Perd son lustre et son prix. 40


  1. Dans l’édition de 1632 ce nom est écrit par un c au troisième vers ; partout ailleurs, par une s.
  2. Aucunement, en quelque manière, jusqu’à un certain point. Voyez le Lexique.
  3. Voyez tome I, p. 208, note 2 ; tome II, p. 201, vers 1443 ; et le Lexique. — Se disposât, dans les Œuvres diverses, publiées par Granet, et dans toutes les éditions suivantes.