Devant l’ennemi. — Les fils des Huns. — A l’Allemagne

Devant l’ennemi. — Les fils des Huns. — A l’Allemagne
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 89 (p. 559-562).


DEVANT L’ENNEMI


LES FILS DES HUNS


Ce sont bien eux toujours, avec leurs mains avares,
Leurs yeux rusés, leurs instrumens de feu,
Toujours des ravageurs farouches, des barbares
Frappant partout gens et choses de Dieu.

Strasbourg a beau crier : — Laissez sortir les femmes,
Les petits cœurs, les vieux au corps ployé,
Tout ce qui ne peut pas vous renvoyer vos flammes ! —
Ils restent sourds sans honte, sans pitié.

Un saint évêque dit : — Épargnez les malades,
Les murs gardiens des merveilles de l’art,
Ma vieille cathédrale aux sublimes arcades,
Et dont la flèche émeut tant le regard ! —

Et le cruel Werder répond à sa demande
Ces mots affreux : — Point, c’est par la terreur
Que j’espère bientôt que le soldat se rende
Et sous mes pieds abaisse sa valeur ! —

Et le mortier reprend sa manœuvre infernale,
La bombe en feu plane sur les abris,
Et tout, bibliothèque, hospice, cathédrale,
Jonche le sol de chauds et noirs débris.

Le sang coule à torrent, et si la noble place
N’est secourue, hélas ! c’est un tombeau
Autour duquel longtemps les filles de l’Alsace
Des gens du nord maudiront le fléau.


Horreur ! et voilà bien des siècles qu’on dépense
Esprit et cœur pour en arriver là,
Pour voir recommencer avec plus de science
L’œuvre sans nom des hordes d’Attila !


AUX ALLEMANDS.


Qu’as-tu fait, Allemagne ? En ce conflit nouveau,
Tu t’es mise à la suite
D’un féroce ministre et de son roi dévot,
Bombardeur hypocrite !
Toi que l’on estimait parfum d’honnêteté
Et fleur de poésie,
Tu n’avais dans le cœur, sous masque de bonté,
Que basse jalousie !
Servante du Prussien, tu lui prêtas tes bras
Quand sa troupe sauvage,
S’épandant sur nos champs, y porta le trépas,
La flamme et le ravage ;
Tu mêlas ton épée aux glaives assassins
De ces hardis Vandales,
Et pris secrète part à tous les noirs desseins
Des bandes féodales !
Et pourquoi ? Dans l’espoir qu’au vil démembrement
De la France éventrée
Tes petits rois vautours seraient tous amplement
Admis à la curée !
Tes républicains même, ivres de la beauté
De cette boucherie,
Muets presque tous, ont à peine protesté
Contre la barbarie !
Ah ! que le temps s’écoule, il n’effacera pas
Cette action coupable ;
Elle marque ton front entre tous les états
D’une tache effroyable.
Pour des siècles sans nombre elle nous laisse au cœur
Une peine infinie
Dont nulle douce paix n’amoindrira l’ardeur,
Perfide Germanie !

Mais va, ton châtiment s’avance, car après
Cette horrible campagne
Le venin de la Prusse en toi reste à jamais,
Et morte est l’Allemagne.


MACTE ANIMO…


Tomber en luttant n’est pas honte,
Surtout luttant un contre trois ;
Relevons-nous ! Canons de fonte,
Défendez nos champs et nos toits !

Non, il ne se peut que la France
Voie un plus long temps son terrain
Souillé, sali par la présence
Des envahisseurs d’outre-Rhin !

Impossible que la Lorraine,
Brillant cadeau des jours anciens,
Terre de Jeanne, toujours vaine
De ce grand nom, soit aux Prussiens !

Impossible que notre Alsace,
Sœur par un amour incessant,
Échappe à ton bras qui l’enlace,
O France ! et quitte ton beau flanc !

Impossible que la grand’ville,
Paris, merveille des cités,
Devienne la litière vile
D’un tas de houlans en gaîtés !

Non, non, la France notre mère
Ne subira point ces affronts,
Elle qui coucha sur la terre
Tant de fois l’orgueil des Teutons.

Le vieux sceptre de Charlemagne
N’est pas encore à vous, Germains,
Et vos coups, dans cette campagne,
Ne l’ôteront pas de nos mains !


Valmy, Mayence, faits d’histoire
Pour nous si beaux, si glorieux,
Revenez à notre mémoire,
Ranimez nos fronts valeureux !

Songeons que chacun de nos frères
Fauchés par le plomb ravageur
Au jour a fermé ses paupières
Dans l’espérance d’un vengeur.

Donnons à ces héros des larmes,
Puis, debout, l’esprit raffermi,
Jeunes, vieux, tous, prenons les armes,
Et feu sans fin sur l’ennemi !

Feu de partout, du mont superbe,
Des champs, des bois et des cités,
Que partout poussent comme l’herbe
Des braves aux cœurs indomptés !

Des hommes, des hommes en masse !
Et le Teuton présomptueux,
Du sol souillé par son audace,
S’enfuira comme un loup honteux ;

Et le loup gagnant sa tanière
Se dira : Plus d’illusions !
Entamer la France est chimère ;
Elle a pour enfans des lions.

Et les lions, hors des batailles,
Montreront ce qu’ils sont vraiment,
Des êtres fiers, mais pleins d’entrailles,
Amis de tous et n’estimant

Que les biens de la paix féconde,
Et ne voulant sur leur terrain
Que vivre en paix avec le monde
Au pur soleil républicain.


Auguste Barbier.