Deuxième Mémoire sur les éthers

DEUXIÈME

MÉMOIRE SUR LES ÉTHERS ;

Par M. Thenard.
Lu à l’Institut le 25 août 1806.

De l’éther muriatique.


Après avoir examiné la plupart des phénomènes qui ont des rapports avec l’éther nitrique, et en avoir déduit les conséquences qui en découlent naturellement, je vais, ainsi que je l’ai annoncé dans mon premier Mémoire sur les éthers, examiner l’action de l’acide muriatique sur l’alcool. Moins de chimistes ont fait des recherches sur cet objet, que sur l’éther nitrique ; mais presque tous ceux qui s’en sont occupés, sont d’accord pour affirmer que, de quelque manière qu’on fasse agir ces deux corps l’un sur l’autre, ils ne forment point d’éther, et ne font jamais que se mêler. Macquer a professé hautement cette opinion dans son Dictionnaire de chimie ; Rouelle[1] l’a partagée, et plusieurs de leurs contemporains, en la consignant dans leurs écrits, l’ont appuyée de réflexions nouvelles. Beaumé[2] paroît être le premier qui en ait soutenu une contraire ; mais, de son aveu, on obtient si peu d’éther par ce moyen, que ce n’est que pour répondre à ceux qui lui nioient la possibilité du fait, qu’il a publié le procédé qui lui a réussi, et qui consiste à faire rencontrer dans un récipient, des vapeurs d’acide concentré et d’alcool rectifié. Beaumé n’a pourtant pas retiré de cette publication, ce qu’il espéroit ; tous ceux qui ne pensoient point comme lui, n’ont pas changé de manière de penser, et c’étoit le plus grand nombre. Quoiqu’il se soit déja écoulé bien des années depuis l’époque de cette discussion, on peut dire qu’elle n’est point terminée. Dans les ouvrages les plus récens, certains auteurs ont évité d’en parler ; ceux qui en parlent, ne savent quel parti prendre : et s’il est des chimistes pour qui il est démontré qu’on puisse former un véritable éther muriatique avec l’acide muriatique et l’alcool, du moins ils n’ont pas rendu leurs résultats publics.

Cependant, lorsqu’on considère que le muriate d’étain fumant, que le muriate de zinc, et que le muriate d’antimoine volatil, transforment l’alcool en éther ; lorsqu’on considère sur-tout que le muriate d’antimoine opère cette transformation d’autant plus facilement qu’il contient un plus grand excès d’acide, il doit rester peu de doute sur la puissance que peut avoir l’acide muriatique pour éthérifier l’alcool ; par conséquent on doit présumer que si Rouelle, Macquer, et tant d’autres savans respectables, n’ont point réussi à faire ainsi de l’éther, et que si Beaumé n’en a fait ainsi qu’avec peine, même de très-impur, c’est que l’opération se complique de causes inconnues qui en empêchent, qui en retardent ou qui en masquent la formation : il falloit donc pour éclaircir ce point encore obscur de la science, s’attacher à rechercher ces causes. C’est ce que je me suis efforcé de faire, et l’on va voir que mes efforts n’ont point été infructueux.

Ces causes sont de trois sortes. Les unes résident dans l’état sous lequel on présente réciproquement l’un à l’autre, l’alcool et l’acide muriatique ; les autres, dans la manière de diriger le feu ; et d’autres encore, dans l’état qu’est susceptible d’affecter l’éther muriatique.

1°. En effet, si l’on fait rencontrer l’alcool et l’acide muriatique sous la forme de gaz, ils ne font que se mêler, leur élasticité ne pouvant être vaincue par leur réaction. Aussi, par le procédé de Beaumé, qui est presque semblable à celui-ci, n’obtient-on jamais que des traces d’éther.

2°. Si au lieu de mettre ces corps en contact à l’état gazeux, on les mêle ensemble à l’état liquide, et qu’on en soumette le mélange à une chaleur vive, la prompte raréfaction qu’ils éprouvent, s’oppose encore aux nouvelles combinaisons qu’ils pourroient former ; et cependant, si au contraire le degré de chaleur auquel on les expose est foible, ils restent également mêlés sans s’éthérifier. Ce n’est qu’en gardant un juste milieu qu’on réussit dans cette opération.

Voilà pourquoi on ne forme que très-peu d’éther, soit en faisant bouillir brusquement la liqueur, soit en faisant passer du gaz acide muriatique à travers l’alcool le plus concentré.

Mais ce qui a le plus retardé la découverte de l’éther muriatique, c’est que ce corps est le plus souvent à l’état de fluide élastique, et que personne, pas même ceux qui sembloient être sûrs de son existence, n’ont supposé que cela fût, en telle sorte que dans tous leurs essais sur sa formation, ils ont pu perdre, sans s’en appercevoir, la majeure partie de celui qui s’y est réellement produit. Il résulte de ces observations, que pour se procurer l’éther muriatique, il faut opérer comme il suit.

On met dans une cornue capable seulement de contenir le mélange dans sa panse, partie égale en volume d’acide muriatique et d’alcool le plus concentrés possible ; on les agite bien pour mettre en contact toutes leurs molécules : cela fait, on jette dans la cornue tout au plus 3 à 4 grains de sable pour éviter les soubresauts qui, sans cette précaution, pourroient avoir lieu dans le cours de l’opération ; puis on la place à feu nu sur un fourneau ordinaire au moyen d’un grillage de fil de fer, et on y adapte un tube de Welter qui va se rendre dans un flacon à trois tubulures, double en capacité de la cornue qu’on emploie et à moitié rempli d’eau, à 20 ou 25°, de manière que le tube pénètre dans l’eau à la profondeur de 7 à 8 centimètres ; ensuite on introduit dans la seconde tubulure un tube droit de sûreté, et dans la troisième on en introduit un recourbé qui va s’engager sous des flacons pleins d’eau, au même degré que la précédente. Lorsque l’appareil est ainsi disposé, on chauffe peu à peu la cornue ; et 20 à 25 minutes après que le feu est appliqué, on voit des bulles s’élever de la partie inférieure du liquide, et sur-tout de la surface des grains de sable. Ces bulles ne tardent point à se multiplier, et bientôt alors on obtient du gaz éthéré. Il passe en même tems de l’acide, de l’alcool et de l’eau, mais qui restent dans le premier flacon. De 500 grammes d’acide concentré, et d’un volume d’alcool égal à celui de ces 500 grammes d’acide, on peut retirer jusqu’à 20 et quelques litres de gaz éthéré parfaitement pur, et même jusqu’à 30 : mais on en retirera davantage si, lorsque le dégagement du gaz commence à se ralentir, on mêle de nouvel alcool avec le résidu, c’est-à-dire, avec la liqueur très-fortement acide qui reste dans la cornue, et dont le volume équivaut alors au moins aux deux cinquièmes du mélange d’où elle provient. Je crois même que si, par le moyen d’un tube droit plongeant au fond de la cornue et long au moins de six à sept décimètres, on versoit de tems en tems de l’alcool chaud dans celle-ci, la formation du gaz éthéré seroit encore bien plus abondante ; car on conçoit qu’il se volatilise à chaque instant plus d’alcool que d’acide muriatique, et qu’ainsi on rétabliroit entre ces deux corps les proportions primitives qui conviennent plus que toute autre pour le succès de l’opération.

Ce gaz est absolument incolore ; l’odeur en est fortement éthérée, et la saveur sensiblement sucrée. Il n’a aucune espèce d’action ni sur la teinture de tournesol ; ni sur le sirop de violette, ni sur l’eau de chaux. Sa pesanteur spécifique, comparée à celle de l’air, est de 2.219 à 18° du thermomètre centigrade, et à 0m,75 de pression. À cette même température et à cette même pression, l’eau en dissout son volume. À cette même pression encore, mais à + 11° de température, le gaz éthéré devient liquide. On peut s’en procurer une grande quantité à cet état en se servant d’un appareil semblable à celui qui a été précédemment décrit. Seulement au lieu d’engager le dernier tube sous un flacon plein d’eau, il faut le faire plonger dans une éprouvette longue, étroite, bien sèche et entourée de glace qu’on renouvelle à mesure qu’elle fond.

C’est dans cette éprouvette que le gaz éthéré seul arrive et se liquéfie entièrement ; car une fois que les vaisseaux ne contiennent plus d’air, on peut, sans le moindre danger, en supprimer la communication avec l’atmosphère.

Ainsi liquéfié, cet éther est d’une limpidité remarquable : il est comme à l’état de gaz, sans couleur, sans action sur la teinture de tournesol et sur le sirop de violette : comme à l’état de gaz encore, il a une odeur très-prononcée et une saveur très-distincte qui a quelque chose d’analogue à celle du sucre, et qui est sur-tout remarquable dans l’eau qui en est saturée. Versé sur, la main, il entre subitement en ébullition, et y produit un froid considérable. À + 50° de température (th. cent.) il pèse 874, l’eau pesant 1000. Ainsi, quoiqu’il soit bien plus volatil que l’éther sulfurique, et à plus forte raison que l’alcool, non-seulement il est plus lourd que le premier de ces deux corps, mais même un peu plus que le second. Enfin il ne se congèle point à une température de — 29° (th. cent.).

Jusqu’à présent nous ne voyons dans cet éther, rien qui ne soit parfaitement d’accord avec ce que nous présentent les autres corps ; ce n’est pour nous qu’un être curieux par sa nouveauté, et sur-tout par la facilité avec laquelle on le gazéifie et on le liquéfie. Étudions-le davantage, et il va nous apparoître comme l’un des composés les plus singuliers qu’on puisse créer… Il ne rougit point la teinture de tournesol la plus affoiblie. À la température ordinaire et dans l’espace de quelques minutes, les alcalis les plus forts n’ont point d’action sur lui ; la dissolution d’argent ne le trouble nullement ; et tout cela, soit qu’on l’emploie à l’état gazeux ou à l’état liquide, ou dissous dans l’eau ; rien, en un mot, ne peut y démontrer la présence d’un acide. Qu’on l’enflamme, et tout-à-coup il s’y développe une si grande quantité d’acide muriatique, que cet acide précipite en masse le nitrate d’argent concentré, qu’il suffoque ceux qui le respirent, et qu’il paroît même dans l’air environnant sous la forme de vapeurs.

L’acide muriatique se forme-t-il dans cette inflammation, comme on est tenté de le croire, ou n’est-il que mis en liberté, ce qui peut être ? Voilà la question qu’il faut essayer de résoudre.

Si l’acide muriatique se forme dans la combustion du gaz éthéré, le radical de cet acide doit exister dans ce gaz, et ce radical provient nécessairement de l’alcool ou de l’acide muriatique lui-même, décomposé par l’alcool, ou, ce qui n’est pas probable, mais ce qui n’est pas impossible, de l’un et de l’autre. Dans le premier cas, on doit, en distillant un mélange d’alcool et d’acide muriatique, retrouver, après la distillation, tout l’acide muriatique qu’on a employé, plus celui qui apparoît dans la combustion du gaz formé.

Dans le second cas, une grande quantité d’acide doit, au contraire, disparoître dans cette distillation ; mais en tenant compte de celui qui se développe dans la combustion du gaz formé, cette quantité d’acide et seulement cette quantité, doit reparoître toute entière. Dans le troisième cas, de cette distillation doit aussi résulter une perte d’acide ; mais cette perte doit être plus que compensée par la quantité d’acide que la combustion du gaz formé doit produire. Ainsi, comme de cette distillation dépend la valeur de ces trois hypothèses, on prévoit par cela même que j’ai dû redoubler de soins en la faisant, pour ne pas commettre d’erreur.

Voici d’abord les données de celle que j’ai exécutée ; je parlerai ensuite des résultats que j’ai obtenus.

J’opérai sur 450 gr. 937 d’acide, et sur un volume d’alcool égal à celui de ces 450,937 d’acide. La pesanteur spécifique de cet acide étoit de 11,349, et celle de l’alcool 819 à 5° de température therm. cent. Toutes ces pesanteurs spécifiques, et celles que j’ai déja rapportées, ont été prises à Arcueil avec le plus grand soin, par M. Berthollet le fils.

L’appareil dont je me suis servi étoit semblable à celui dont il a déja été question plusieurs fois ; ainsi un tube de sûreté partoit de la cornue où étoit le mélange, et plongeoit dans l’eau que contenoit un flacon à plusieurs tubulures ; et de ce flacon partoit un autre tube de sûreté qui s’engageoit dans une terrine sous des goulots renversés, et soutenus par un têt troué dans son milieu. Les tubes étoient tellement adaptés aux bouchons, et les bouchons l’étoient tellement aux tubulures des vases, qu’on auroit pu se passer de lut ; cependant, pour plus de sûreté, on les en recouvrit. La température fut maintenue constamment à + 21° pendant toute la durée de l’expérience ; et pendant tout ce tems, le baromètre n’éprouva que de légères variations, et se soutint à 0m,745. On recueillit tous les gaz, même l’air des vaisseaux dont on tint compte, et on se servit toujours pour les recueillir, de la même eau, dont le volume pouvoit être égal à deux litres. Cette expérience, qui dura plus de sept heures, étant terminée, on trouva, 1°. que l’eau du premier flacon contenoit tout l’acide qui s’étoit volatilisé, et qu’elle ne contenoit point de gaz éthéré, et que celle de la terrine étoit saturée de gaz et n’offroit aucune trace d’acide ; 2°. qu’y compris le gaz que cette eau avoit pu dissoudre, et qu’on estima en l’en dégageant par l’ébullition et en le recevant dans d’autre eau très-chaude, il s’en étoit produit 23 litres ; 3°. que sur les 450 gr. 957 d’acide employé, 122,288 d’acide avoient disparu, puisque ce qui s’en trouvoit tant dans la cornue que dans le flacon tubulé, dans les tubes et dans les bouchons, ne neutralisoit que la quantité d’alcali qui pouvoit être rendue neutre par 328,649 d’un acide en tout semblable à celui sur lequel on avoit opéré. Par conséquent notre première hypothèse est fausse, puisqu’il est démontré que, quand bien même le radical de l’acide muriatique existeroit dans le gaz éthéré, ce radical proviendroit, non point uniquement de l’alcool, mais bien ou de l’acide muriatique seul, ou de l’acide muriatique et de l’alcool. Voyons s’il provient de l’acide muriatique seul, ainsi que nous l’avons supposé dans notre seconde hypothèse ; mais alors il y a deux manières de concevoir le phénomène : ou l’acide muriatique aura été décomposé par l’alcool, de manière que son radical, sans son autre principe, se trouve dans le gaz éthéré ; ou cette décomposition aura été telle, que tous les principes de l’acide muriatique se trouveront dans le gaz éthéré, non point réunis, non point formant de l’acide muriatique, mais combinés avec les principes de l’alcool, mais dans le même état où se trouvent l’hydrogène, l’oxigène, le carbone et l’azote dans les matières végétales et animales. Or si le radical de l’acide muriatique existe seul, sans l’autre principe de l’acide muriatique dans le gaz éthéré, on doit, en décomposant le gaz dans un tube rouge de feu et privé du contact de l’air, ne point obtenir d’acide, ou en obtenir moins qu’il n’en a disparu dans l’expérience qui l’a produit ; et si ce gaz contient non-seulement le radical de l’acide muriatique, mais encore son autre principe, comme les principes de cet acide, quels qu’ils soient, ont une grande tendance à se combiner, on conçoit qu’en détruisant le gaz éthéré par le feu sans le contact de l’air, on obtiendra probablement toute la quantité d’acide muriatique qui aura disparu dans l’expérience d’où on l’aura retiré. Il étoit donc de la plus grande importance d’opérer cette décomposition en vaisseaux clos. Après plusieurs essais, voici comme je m’y suis pris pour la faire. Je pris un tube de verre de près de deux centimètres de diamètre, de 7 à 8 décimètres de longueur, courbé à angle droit à ses deux bouts, et luté presque jusqu’à ses courbures. Je le fis passer à travers un fourneau d’environ 4 décimètres de diamètre, dont j’avois relevé la grille de manière qu’il y avoit à peine 25 millimètres entre cette grille et une barre plate de fer qui soutenoit le tube, pour qu’il ne s’affaissât point dans le cours de l’opération. J’adaptai la branche la plus courte de ce tube à l’une des tubulures d’un flacon d’une capacité de trois litres au moins, dans lequel je mis environ 1500 grammes d’eau ; à la seconde tubulure, j’ajustai un tube droit de sûreté, et à la troisième, un tube à boule ou de Welter plongeant, par l’une de ses branches, dans l’eau du flacon, et communiquant par l’autre avec une cornue tubulée d’environ deux litres, bien assise à feu nu sur un petit fourneau par le moyen de gros fil de fer ; d’une autre part, je fis rendre l’autre branche du tube luté au fond d’un flacon aussi grand, et contenant à-peu-près la même quantité d’eau que le premier. Ce flacon étoit suivi d’un autre contenant une quantité donnée de dissolution de potasse dans laquelle plongeoit le plus possible le tube qui les réunissoit, et de celui-ci partoit le tube qui s’engageoit dans une terrine sous des flacons renversés. Je n’ai pas besoin de dire que toutes les précautions étoient prises pour que l’appareil ne perdît pas. Lorsqu’il fut dans cet état, je chassai l’air des vaisseaux au moyen d’un courant d’acide carbonique que j’y portai par la tubulure de la cornue, et que je produisis par la réaction de l’acide nitrique sur le marbre. Sans cela il y auroit eu au commencement de l’expérience une fore détonation qui auroit brisé le tube, ainsi que les vases qui le précédoient. Ensuite j’introduisis dans la cornue, par la tubulure, avec quelques grains, de sel, 900 grammes d’acide concentré, bien mêlé d’avance avec son volume d’alcool rectifié. Je lavai bien avec l’alcool les parois du flacon qui contenoit le mélange, et je réunis cet alcool au mélange lui-même. Enfin après avoir bouché exactement cette tubulure, et en avoir assujetti le bouchon avec du lut et du parchemin, je mis le feu sous la cornue et autour du tube. Ce tube étoit tellement chauffé, que la partie inférieure et les parties latérales seules n’étoient rouges ; de cette manière il a parfaitement résisté pendant toute l’opération, qui a été de neuf heures. Pendant tout ce tems, la liqueur du premier flacon s’est accrue de l’eau, de l’acide et de l’alcool qui se volatilisoient ; du gaz éthéré arrivoit dans le tube rouge, mais constamment je n’ai recueilli à l’extrémité de l’appareil qu’un gaz fétide assez abondant, brûlant difficilement avec une flamme blanche et comme huileuse, et ne déposant dans sa combustion aucune trace d’acide muriatique ; donc tout le gaz éthéré étoit complettement décomposé : c’étoit ce que j’avois prévu et ce que je desirois.

L’opération une fois terminée, je m’empressai de déluter l’appareil, et voici ce que j’observai : non-seulement la liqueur du premier flacon étoit très-acide, mais celle du second l’étoit aussi très-fortement. Il étoit même arrivé de l’acide jusque dans le troisième flacon, car la potasse qu’il contenoit étoit en partie saturée ; l’eau de la terrine n’en contenoit point. Il ne s’agissoit plus alors que de savoir si l’acide qui avoit disparu dans la cornue par la formation du gaz éthéré se retrouvoit dans le second et le troisième flacon par l’effet de la décomposition que ce gaz avoit éprouvée dans le tube rouge. Pour cela, on réunit la liqueur de la cornue à celle du premier et du deuxième flacon, on lava avec un soin scrupuleux tous les vases et tous les tubes, on ajouta toutes ces eaux de lavage à la liqueur précédente, et on y jetta aussi tous les bouchons qui pouvoient être légèrement acides. Alors on commença à neutraliser ce mélange en y versant la potasse du troisième flacon, et on acheva de le porter à l’état neutre par une quantité d’ammoniaque déterminée. Cela fait, on prit rigoureusement la même quantité de potasse et d’ammoniaque employées dans cette neutralisation, on les mêla, et la liqueur alcaline qui en résulta ne put être neutralisée que par 896 grammes d’acide, c’est-à-dire qu’elle exigea pour cela sensiblement la même quantité d’acide que celle que nous avions mêlée dans la cornue avec l’alcool : bien entendu que des deux côtés les alcalis et les acides étoient complettement identiques ; et même pour éviter toute erreur, aussitôt que l’un étoit mesuré, tout de suite on mesuroit l’autre.

Ainsi, de toutes les hypothèses que nous avons faites jusqu’ici, il n’en est qu’une admisible ; c’est celle dans laquelle on conçoit que les élémens de l’acide muriatique existent dans le gaz éthéré, combinés avec ceux de l’alcool, de la même manière que les élémens de l’eau, de l’acide carbonique et de l’ammoniaque, etc., existent dans les matières végétales et animales.

Mais si maintenant nous supposons que l’acide muriatique soit un être simple, ou si en admettant qu’il soit composé, nous supposons qu’il n’éprouve aucune espèce de décomposition dans la formation de l’éther muriatique, alors il faut nécessairement regarder le gaz éthéré comme formé d’acide muriatique et d’alcool, ou d’un corps provenant de la décomposition de l’alcool (car l’alcool est peut-être décomposé lorsqu’on le distille avec l’acide muriatique ; au reste c’est ce que nous verrons facilement plus tard).

Dans tous les cas, la question est donc ramenée à choisir entre ces trois hypothèses ; discutons-en la valeur autant qu’il nous sera possible.

Les deux dernières nous présentent des phénomènes très-difficiles à expliquer. En effet, il faudroit supposer que l’alcool ou le corps qui le représente, agit sur l’acide muriatique avec bien plus d’énergie que l’alcali le plus fort, puisque cet alcali ne peut pas le lui enlever, et que, comme je le démontrerai par la suite, le muriate de potasse contient bien moins d’acide que le gaz éthéré.

Dans la première, tout se trouve au contraire naturellement expliqué ; on conçoit comment le gaz éthéré ne rougit point la teinture de tournesol, comment les alcalis ne l’altèrent pas, comment le nitrate d’argent n’y produit aucun précipité, comment en l’enflammant il s’y produit une si grande quantité d’acide muriatique que cet acide paroît dans l’air environnant sous la forme de vapeurs ; tout se concilie en un mot avec ce que nous présentent les autres corps.

Quoi qu’il en soit, je suis loin d’admettre absolument l’une et de rejetter absolument les autres ; toutes méritent d’être suivies. Il faut, en marchant dans celles-ci, chercher à extraire, par tous les moyens possibles, l’acide muriatique du gaz éthéré, et il faut, en marchant dans celle-là, tâcher de détruire le gaz éthéré et de le convertir, sans former d’acide muriatique, en des composés dont la nature soit bien connue. Si on parvient à prouver que l’acide muriatique existe tout formé dans le gaz éthéré, nous aurons créé un composé dont la théorie étoit loin de prévoir l’existence ; peut-être en rencontrerons-nous de semblables dans la nature ; et lorsque l’acide muriatique ou d’autres acides se rencontreront dans nos recherches là où rien ne pouvoit nous les faire soupçonner, nous nous garderons d’en conclure que les corps d’où nous les retirons ne les contenoient pas. Si, au contraire, on prouve que l’acide muriatique n’existe pas tout formé dans le gaz éthéré, il sera démontré que l’acide muriatique est un être composé ; nous serons sur la voie qui nous conduira à la découverte de ses principes ; nous ne tarderons probablement pas à la faire : alors quelle lumière n’en jaillira-t-il pas pour expliquer la formation, et peut-être pour opérer la décomposition de cette grande quantité de sel qu’on rencontre, soit dans la terre, soit dans les eaux !

Quelque chose qui arrive, les résultats ne peuvent donc être que très-importans. Aussi vais-je me livrer à ces recherches avec une nouvelle ardeur.

Je déterminerai la nature du corps qui, par son union avec l’acide muriatique ou ses élémens, constitue le gaz éthéré. J’essaierai sur ce gaz l’action d’un grand nombre de corps, et sur-tout des plus actifs, et j’espère que bientôt j’aurai l’honneur de pouvoir offrir à l’Institut de nouvelles observations qui ne seront point indignes de son attention.


  1. Dictionnaire de chimie, de Macquer, art. Éther marin.
  2. Dissertation sur les éthers, par Beaumé.