Deuxième Mémoire sur la bile

DEUXIÈME

MÉMOIRE SUR LA BILE ;

Par M. Thenard.
Lu à l’Institut le 25 août 1806.

Dans le premier Mémoire que j’ai eu l’honneur de lire à l’Institut, sur la bile, je ne me suis occupé que de l’examen des propriétés de la bile du bœuf. J’ai fait cet examen avec d’autant plus de soin qu’il devoit m’être d’un grand secours pour les recherches que je me proposois de faire sur la bile des autres animaux. Il est même évident que si je n’avois pas suivi cette marche, il m’eût été impossible d’entreprendre ces recherches avec succès ; car souvent j’ai été obligé d’opérer sur quelques grammes de bile : et comment alors aurois-je pu, je ne dirai pas en faire l’analyse exacte, mais en reconnoître les principes constituans. Qu’il me soit donc permis, avant d’entrer en matière, de rappeler les matériaux de la bile de bœuf, leurs proportions et les procédés d’analyse qu’on doit employer pour les séparer, puisque cette connoissance est si utile pour le nouveau travail que je soumets aujourd’hui à la classe (consultez à cet égard le Mémoire précédent).

Voyant, par ces résultats, que la bile de bœuf ne contenoit qu’une très-petite quantité de sels ; sachant d’ailleurs que ces sels ne pouvoient avoir que très-rarement part aux phénomènes qu’elle étoit susceptible d’offrir ; convaincu, par beaucoup d’expériences, que tous ces phénomènes dépendoient de la matière jaune, et sur-tout du composé formé par la résine, le picromel et la soude, je me suis beaucoup plus attaché, dans toutes les analyses de bile que j’ai faites, à rechercher ces quatre matières, que les sels de soude, le phosphate de chaux, l’oxide de fer, et autres substances analogues.

Cependant, pour rendre mon travail le plus complet possible, je n’ai pas négligé cette dernière recherche, lorsque j’ai eu assez de bile pour pouvoir la faire. Mon but, en multipliant ces analyses, a été non-seulement de voir quel, rapport les diverses biles des animaux ont ensemble, mais j’ai eu aussi pour objet de m’éclairer sur la nature et le mode de formation des calculs qu’on sait se former dans la vésicule du bœuf et de l’homme, et de prévoir en même tems la nature et le mode de formation de ceux qui probablement se forment dans la vésicule de beaucoup d’animaux où ils n’ont point encore été observés.

Ce Mémoire se divise donc naturellement en deux parties : dans la première, j’examine la nature de la bile de divers animaux ; et dans la seconde, je recherche la nature et le mode de formation des calculs qui se forment ou qui peuvent se former dans leur vésicule.


PREMIÈRE PARTIE.


De la nature de la bile de divers animaux.


La bile des quadrupèdes suivans, du chien, du mouton, du chat et du veau, ressemble entièrement à la bile de bœuf. Ainsi la couleur en est jaune-verdâtre, et la saveur en est amère. Soumises à l’action de la chaleur, ces quatre espèces de bile s’épaississent peu à peu et se transforment en un extrait légèrement déliquescent, soluble dans l’alcool, répandant d’épaisses vapeurs par la calcination, et offrant pour résidu de la soude, du phosphate de soude, du muriate et du sulfate de soude, du phosphate de chaux et de l’oxide de fer. D’une autre part, les acides n’y produisent qu’un léger précipité formé, sans doute, de matière jaune et de quelques traces de résine ; l’acétate de plomb avec un léger excès d’oxide en précipite au contraire une assez grande quantité de résine ; et alors, lorsqu’après avoir filtré la liqueur et en avoir séparé le plomb par l’hydrogène sulfuré, on l’évapore, on obtient pour résidu beaucoup de picromel mêlé avec une petite quantité d’acétate de soude.

J’espérois encore, mais en vain, rencontrer dans la bile de porc les mêmes principes que dans la bile de bœuf, et particulièrement du picromel. Cette sorte de bile n’est véritablement qu’un savon ; on n’y trouve ni matière albumineuse, ni matière animale, ni picromel ; elle ne contint que de la résine en très-grande quantité, de la soude et quelques sels dont je n’ai point cru devoir rechercher la nature : aussi est-elle subitement et entièrement décomposée par les acides et même par le vinaigre.

Quoique la hile des oiseaux ait une grande analogie avec la bile des quadrupèdes, cependant elle en diffère essentiellement sous les rapports suivans : 1°. elle contient une grande quantité de matière albumineuse ; 2°. le picromel qu’on en retire n’est pas sensiblement sucré, et est au contraire très-âcre et amer ; 3°. on n’y trouve que des arômes de soude ; 4°. l’acétate de plomb du commerce n’en précipite point la résine : du moins telles sont les propriétés que m’ont offertes les biles de poulet, de chapon, de dindon et de canard.

C’est ce qui fait que pour l’analyser, il faut la traiter comme il suit :.

A. On la fait évaporer jusqu’à siccité ; on traite le résidu par l’eau, on le filtre et on le lave ; sur le filtre reste l’albumine coagulée et contenant un peu de matière résineuse qui la colore en vert et dont on peut, jusqu’à un certain point, la séparer par l’alcool. À travers le filtre passe une liqueur plus ou moins verte, très-amère, que l’ébullition ne trouble plus, et que les acides ainsi que l’acétate de plomb du commerce ne troublent que légèrement.

B. On verse dans cette liqueur de l’acétate de plomb du commerce, dans lequel on a fait dissoudre le quart de son poids d’oxide et on en précipite ainsi toute la résine combinée avec l’oxide de plomb sous la forme de flocons blancs, quelquefois jaunâtres et quelquefois verdâtres ; on la sépare en traitant ces flocons à la température ordinaire, par de l’acide nitrique foible : mais comme, dans cet état, on peut craindre qu’elle ne contienne un peu d’oxide de plomb, ce n’est que quand on l’a purifiée par l’alcool qu’on doit la regarder, comme parfaitement pure (ce que je dis de cette résine, il faut le dire de la résine de toutes les autres biles). Cette résine est très-amère, tantôt verte, tantôt jaunâtre, selon qu’elle a été plus ou moins chauffée ; car la chaleur en change, comme celle de bœuf, très-facilement la couleur : elle est très-soluble dans l’alcool, dont on la précipite par l’eau, et elle se dissout très-abondamment dans les alcalis : lorsqu’on en fait bouillir dans l’eau, même en petite quantité, celle-ci reste toujours opaque ; si on y ajoute un peu de picromel, elle devient au contraire tout de suite limpide.

C. Lorsque la résine est précipitée par l’acétate de plomb, comme on vient de le dire (B), on trouve le picromel dans la liqueur filtrée, si toutefois on n’a point trop employé d’acétate pour cette précipitation (B) ; car ce sel est susceptible d’opérer la précipitation du picromel, après avoir opéré celle de la résine. Pour prévenir cet inconvénient, il faut absolument ne verser l’acétate que peu à peu dans la liqueur (B), et essayer de tems en tems les dépôts : tant qu’ils ne se dissoudront pas entièrement dans l’acide nitrique, c’est une preuve que toute la résine ne sera pas séparée ; mais quand le contraire aura lieu, on sera certain qu’elle le sera toute entière, et que déja même on commencera à précipiter du picromel. Dans tous ces essais, les dépôts doivent être bien lavés, puisque sans cela, étant imprégnés de picromel, lorsqu’on les traiteroit par l’acide nitrique, la résine pourroit se dissoudre au moins en partie, et qu’elle s’y dissoudroit en totalité, si on ne les séparoit pas des liquides dans lesquels on les a formés.

Tout cela étant fait, il ne s’agit plus que de faire passer de l’hydrogène sulfuré à travers la liqueur pour décomposer l’acétate acide de plomb qui s’y trouve, de la filtrer et de la faire évaporer pour obtenir le picromel pur.

Quant à la soude, on la retire comme celle de la bile de bœuf, par la calcination ; mais quoique la bile de bœuf n’en contienne que très-peu, elle en contient pourtant beaucoup plus encore que celle des oiseaux.

Il entroit aussi dans mon plan de recherches, d’analyser la bile de quelques poissons et de quelques reptiles ; mais jusqu’à présent je n’ai point encore pu terminer cette partie de mon travail. Je sais seulement que la bile de raie et celle de saumon, sont d’un blanc-jaunâtre ; qu’elles donnent, par l’évaporation, une matière très-sucrée et légèrement âcre, et qu’elles ne paroissent point contenir de résine ; que celle de carpe et d’anguille est très-verte, très-amère, non ou peu albumineuse, et qu’on peut en retirer de la soude, de la résine et une matière sucrée et âcre, semblable à celle qui forme la bile de raie et de saumon. Cette matière âcre et sucrée est-elle véritablement du picromel ? c’est très-probable, et c’est ce que j’examinerai dans un autre Mémoire, où je présenterai de nouvelles analyses de bile, et particulièrement de biles de poissons et de reptiles.

Après avoir ainsi étudié la bile de quelques animaux appartenant à la classe des poissons, des oiseaux et des quadrupèdes, je me suis proposé d’étudier celle de l’homme. Déja plusieurs observations ne me permettoient guères de douter qu’elle n’en différoit sous beaucoup de rapports : et en effet, je me convainquis bientôt qu’elle jouissoit de propriétés physiques et chimiques qui lui sont propres. J’aurois bien voulu pouvoir faire mes expériences sur de la bile provenant d’individus vivans (il est, comme on le sait, des personnes qui en rendent de tems en tems sans le secours d’aucun vomitif, des quantités considérables) ; et pourtant quelque chose que j’aie faite, il m’a été impossible d’en rencontrer. Je n’ai donc analysé que de la bile de cadavre ; mais comme, d’une part, ces cadavres étaient frais, et que de l’autre, j’ai toujours obtenu, d’analyses très-multipliées, des résultats identiques, je pense avoir une connoissance tout aussi exacte de la bile humaine, que de la bile de bœuf même, qui est celle que j’ai le plus étudiée.

La bile humaine varie en couleur ; tantôt elle est verte, presque toujours brune-jaunâtre, quelquefois presque sans couleur. La saveur n’en est pas très-amère. Il est rare que, dans la vésicule, elle soit d’une limpidité parfaite ; elle contient souvent, comme celle de bœuf, une certaine quantité de matière jaune en suspension ; par fois, cette matière est en assez grande quantité pour rendre la bile comme grumeleuse. Filtrée et soumise à l’ébullition, elle se trouble fortement et répand l’odeur de blanc d’œuf. Si on l’évapore jusqu’à siccité, il en résulte un extrait brun égal en poids à la 11e. partie de la bile employée. En calcinant 100 parties de cet extrait, on en retire tous les sels qu’on trouve dans la bile de bœuf ; savoir, de la soude, du muriate, du sulfate, du phosphate de soude, du phosphate de chaux et de l’oxide de fer, et on en détermine la quantité comme il a été dit en parlant de ceux de la bile de bœuf.

Tous les acides décomposent la bile humaine et y déterminent un précipité abondant d’albumine et de résine qu’on sépare l’une de l’autre par l’alcool. Il ne faut qu’un gramme d’acide nitrique à 25° pour en saturer 100 de bile.

Enfin, lorsqu’on verse de l’acétate de plomb du commerce dans la bile humaine, on la transforme en une liqueur légèrement jaune, dans laquelle on ne trouve point de picromel, et qui ne contient que de l’acétate de soude et quelques traces de matière animale que je n’ai pu reconnoître. Ces expériences, et d’autres que je ne rapporte pas, me prouvant que la bile humaine ne contient, outre les différens sels dont il vient d’être question, que de la matière jaune, de l’albumine et de la résine, j’ai cru devoir, pour déterminer les proportions de ces trois substances, suivre la marche analytique que je vais décrire.

A. La matière jaune étant insoluble par elle-même, et nageant dans la bile qu’elle trouble, je l’en séparai en étendant la bile d’eau et la décantant, lorsqu’elle fut éclaircie. Il est probable qu’il n’existe seulement que des atomes de matière jaune dans la bile elle-même, puisque le précipité qu’y forment les acides n’est que résineux et albumineux.

B. La bile ayant été séparée de la matière jaune, je la fis évaporer jusqu’à siccité ; je traitai le résidu par l’eau, et j’obtins, sur le filtre, l’albumine coagulée et colorée par une petite quantité de résine qu’on peut en partie dissoudre au moyen d’alcool.

C. Je versai dans la liqueur précédente filtrée, de l’acétate de plomb du commerce, je précipitai ainsi toute la résine, et je l’obtins en traitant à froid le précipité par l’acide nitrique foible : pour l’avoir pure, je la dissolvis dans l’alcool, et j’évaporai la dissolution alcoolique.

De toutes ces expériences, il résulte que 1100 parties de bile humaine sont composées d’environ :

Eau 1000.
Matière jaune insoluble et nageant dans la bile, quantité très-variable, de 2 à 10.
Matière jaune dissoute dans la bile, probablement quelques traces.
Albumine 42.
Résine 41.
Soude 5,6.
Phosphate de soude, sulfate, muriate de soude, phosphate de chaux et oxide de fer en somme 4,5.

Maintenant, de tous ces corps, examinons seulement la matière jaune et la substance résineuse ; d’une part, parce que ce sont les seuls parmi les principes constituans de la bile humaine, dont les propriétés ne soient pas bien connues ; et de l’autre, parce que ce sont les seuls aussi dont la connoissance nous importe pour le sujet que nous devons traiter dans notre seconde partie.

La matière jaune est insoluble dans l’eau, dans les huiles et dans l’alcool, soluble dans les alcalis dont elle est précipitée en flocons bruns-verdâtres par les acides ; l’acide muriatique ne l’attaque qu’avec peine ; il ne la dissout point, ou il en dissout très-peu, mais il la rend brune-verte : elle est donc entièrement semblable à la matière jaune de la bile de bœuf.

La substance résineuse est jauntre, très-fusible, très-amère, mais moins que celle de bœuf, très-soluble dans l’alcool dont elle est précipitée par l’eau, très-soluble dans les alcalis dont elle est précipitée par les acides ; insoluble, pour ainsi dire, dans l’eau, et pourtant s’y dissolvant en quantité suffisante pour que les acides sulfurique, nitrique, y fassent un précipité.

La bile humaine n’est pas sans doute dans toutes les circonstances de la vie, composée comme je viens de le dire. Les maladies du foie doivent sur-tout avoir sur sa nature, la plus grande influence : ainsi quand cet organe passe au gras, la bile qu’il secrète m’a paru être moins résineuse que dans l’état sain ; et quand l’affection est tellement avancée, que le foie contient les de son poids de graisse, alors elle n’est réellement la plupart du tems qu’albumineuse : telle est au moins le résultat de six analyses de bile de foies presqu’entièrement gras ; l’une de ces biles seulement contenoit encore un peu de résine, et par conséquent étoit encore très-sensiblement amère.


SECONDE PARTIE.


De la nature et de la formation des calculs de la vésicule du bœuf et de l’homme.


Les calculs de la vésicule du bœuf passent en général pour être formés de bile épaissie, encore bien qu’ils en contiennent à peine un centième qui même est évidemment étranger à leur formation. On ne peut expliquer cette erreur qu’en admettant que l’analyse de ces sortes de concrétions n’a jamais été tentée, et que pour en juger la nature, on n’aura consulté que la saveur qui, par son amertume légère, pouvoit en imposer.

Quoi qu’il en soit, voici la propriété dont ils jouissent. Privés par l’eau des traces de bile interposée entre leurs molécules, ils sont absolument sans saveur et sans odeur ; toujours la couleur en est jaune, depuis le centre jusqu’à la circonférence, et même assez pur et assez riche pour être recherchée par quelques peintres, quoiqu’elle ne soit pas solide. Desséchés autant que possible et soumis à l’action de la chaleur, ils n’éprouvent de changement ou d’altération que lorsque le vase distillatoire commence à rougir. Alors ils se boursoufflent dans quelques-uns de leurs points, et bientôt donnent, en répandant d’épaisses vapeurs, de l’eau, de l’huile, des fluides élastiques, du carbonate d’ammoniaque, et un charbon assez compacte, dont on ne retire néanmoins par une incinération complette, qu’un seizième d’une matière blanche, qui n’est autre chose que du phosphate de chaux.

Exposés à l’air et à la lumière, ils passent peu à peu au brun : cette altération se remarque sur-tout dans quelques peintures où on les a employés.

Quoique l’eau froide ou chaude dans laquelle on a laissé séjourner ces calculs, se teigne en jaune, elle ne donne pas par l’évaporation un résidu égal à la 300e. partie de son poids. Il en est de même de l’alcool et des huiles. Les alcalis caustiques les dissolvent, mais avec peine ; il en résulte une dissolution jaune, qui est précipitée en flocons verts par les acides.

L’acide muriatique bouillant n’en dissout que très-peu et les rend verts : ainsi la substance qui forme les calculs de la vésicule du bœuf, est homogène et jouit de propriétés qui lui sont particulières ; elle est absolument la même que la matière jaune qui se trouve dans la bile du bœuf et dans la bile de l’homme.


Des calculs de la vésicule humaine.


Les calculs de la vésicule humaine ont été beaucoup plus examinés que les calculs de la vésicule du bœuf. Il n’est presque point d’anatomiste qui n’en ait fait le sujet d’observations physiques ; plusieurs même les ont soumis à des épreuves chimiques, et nous ont appris qu’ils entroient en fusion à une basse température, et que les alcalis, les huiles fixes et les huiles essentielles, en opéroient la dissolution. Néanmoins avant Poulletier de la Salle, on ne connoissoit point l’un de leurs caractères les plus distinctifs, qui est de se dissoudre très-abondamment dans l’alcool bouillant, et de s’en précipiter par le refroidissement sous la forme de paillettes brillantes. Mais Poulletier n’ayant donné que peu de suite à la découverte de ce fait important, il restoit encore beaucoup à faire pour éclaircir l’histoire des calculs de la vésicule humaine. Il falloit voir s’ils étoient tous identiques, par conséquent s’ils étoient tous solubles dans l’esprit-de-vin bouillant, et s’ils pouvoient tous se convertir en paillettes par le refroidissement de la liqueur ; il falloit s’assurer sur-tout de quelle nature étoient ces paillettes : c’est le travail que M. Fourcroy fit en 1785, avec tous les soins et toute l’étendue possibles, travail auquel il ne tarda point à ajouter un nouveau degré d’intérêt en découvrant, en 1789, que les matières animales passées au gras par la putréfaction, n’étoient presqu’entièrement composées que d’une matière qui avoit une grande analogie avec celle dont ces calculs eux-mêmes sont formés.

Si j’ai repris ce travail, c’étoit moins dans l’espérance de faire quelque remarque nouvelle, que parce qu’étant lié essentiellement à mon sujet, il étoit nécessaire que j’en visse par cela même tous les détails pour ma propre instruction. Je cherchai donc à me procurer des calculs de la vésicule humain, et bientôt M. Dupuytren, par zèle pour la science, et par amitié pour moi, en mit à ma disposition plus de trois cents. Parmi ces trois cents, dont les uns ont eu pour siége la vésicule, d’autres les canaux chargés de verser la bile dans le duodenum, et d’autres le foie, un petit nombre étoit formé de lames blanches, brillantes et cristallines entièrement adipocireuses ; beaucoup formés de lames jaunes, contenoient depuis 88 jusqu’à 94 cent. d’adipocire, et 12 à 6 de la substance, qui les coloroit ; quelques-uns verdis extérieurement par un peu de bile, étoient du reste jaunes dans l’intérieur et semblables aux précédens ; plusieurs recouverts en grande partie, au moins, d’une croûte brune-noirâtre, dans laquelle on ne trouvoit que peu d’adipocire, étoient intérieurement encore dans le même cas que ceux-ci ; quelquefois c’étoit la matière noire qui étoit au centre, et la matière jaune lamelleuse à la partie supérieure ; deux ou trois enfin étoient depuis le centre jusqu’à la circonférence, bruns-noirs, sans aucun point brillant ou cristallin et presque sans adipocire. Il faut ajouter que dans tous, excepté dans ceux qui étoient blancs, il y avoit quelques traces de bile qu’on pouvoit en séparer par l’eau.

Les calculs, qu’on trouve quelquefois dans les intestins de l’homme sont encore semblables à ceux de la vésicule : du moins j’en ai analysé deux qui n’en différoient en rien. Tous deux contenoient beaucoup d’adipocire en lames grises et jaunes ; l’un de ces calcul m’avoit été confié par M. Geoffroy, médecin, et je devois l’autre à M. Canuette, qui l’avoit extrait lui-même d’une femme de 40 ans, de l’extrémité du rectum, qu’il osbtruoit complettement.

Concluons donc, avec Fourcroy, qu’il existe des calculs de la vésicule humaine entièrement adipocireux, et que dans presque tous il se trouve une certaine quantité d’adipocire ; mais observons en même tems que presque tous aussi contiennent une certaine quantité d’une matière qui les colore et qui est tantôt jaune, tantôt brune-noirâtre, que quelques-uns même en sont presqu’entièrement formés.

Maintenant, disons un mot de cette matière, et recherchons ensuite comment on peut concevoir la formation de ces calculs ainsi que de ceux du bœuf.

Lorsque cette matière est jaune, elle ne paroit différer en rien de celle qui forme les calculs du bœuf ; lorsqu’elle est brune-noirâtre, elle n’est encore autre que celle-ci, mais altérée et dans laquelle le carbone est prédominant : du moins est-ce ce qu’il y a de plus probable, puisque les calculs de bœuf nous offrent une altération de ce genre ; car ils brunissent avec le tems, et donnent alors, par la calcination, plus de charbon et moins d’eau, d’huile, etc. que dans l’état ordinaire.


De la formation des calculs de la vésicule du bœuf et de l’homme.


Lorsqu’on examine intérieurement les calculs de la vésicule du bœuf, on voit qu’ils sont composés de couches homogènes souvent très-nombreuses, au centre desquelles se trouve pour noyau un petit corps rond et toujours de la même nature que les couches elles-mêmes : ainsi ces calculs sont donc le produit de dépôts qui ont lieu à différentes époques. Mais comme il est évident, d’après leur nature, qu’ils ne sont formés que par le seul principe de la bile que nous avons désigné sous le nom de matière jaune, il faut donc en conclure ; 1°. qu’il est des circonstances dans lesquelles cette matière jaune peut se précipiter de la bile ; 2°. qu’il n’en est point dans lesquelles la bile peut en abandonner d’autres. En effet, on sait que la matière jaune est insoluble par elle-même, et que dans la bile, elle est tenue en dissolution par la soude, pour laquelle elle n’a pas une grande affinité ; et si on fait attention que la bile ne contient que très-peu de soude, dont la majeure partie est même unie avec le picromel et l’huile ; si, de plus, on remarque qu’elle contient une quantité variable de matière jaune, on concevra aisément que celle-ci pourra quelquefois, par rapport à son dissolvant, s’y trouver en excès et s’y déposer. Enfin, si on observe que dans la bile, outre la matière jaune, il n’y a que la résine qui soit insoluble dans l’eau, et qui partant puisse contribuer à la formation des calculs ; mais que d’une part, cette résine y est tellement combinée avec le picromel et la soude, que les acides même les plus forts ne peuvent l’en séparer, et que de l’autre ces deux derniers corps s’y trouvent dans de tels rapports qu’ils sont loin d’en être saturés, il ne restera plus aucune espèce de doute sur l’exactitude, des conséquences précédentes : la formation des calculs biliaires de bœuf est donc très-facile à expliquer.

Celle des calculs de l’homme présente quelques incertitudes ; car dans ceux-ci on rencontre le plus souvent deux matières, la matière jaune et l’adipocire. Or, on conçoit très-bien, à la vérité, le dépôt de la matière jaune dans la bile humaine, puisque cette matière s’y trouve placée dans les mêmes circonstances, et seulement en moindre quantité que dans la bile de bœuf : mais comment concevoir le dépôt d’adipocire ? si l’adipocire étoit un des principes constituans de la bile de l’homme, toute espèce de difficultés seroit levée ; mais on n’y en trouve point, pas même dans celle où se sont formés beaucoup de calculs. Il faut donc admettre ou que l’adipocire se forme dans le foie, et qu’elle se dépose aussitôt ou presque aussitôt sa formation, ou que la résine de la bile humaine peut passer dans quelques circonstances, à l’état d’adipocire. Dans l’un et l’autre de ces cas également possibles, on ne sauroit douter que le noyau de tous les calculs ne prenne naissance dans les canaux biliaires et ne soit ensuite entraîné par la bile, quelquefois dans les intestins et le plus souvent dans la vésicule où ils continuent à s’accroître : c’est ce qu’attestent le grand nombre qu’en contient celle-ci, et ceux qu’on rencontre dans les canaux du foie.

Un de mes grands desirs étoit aussi de soumettre à l’analyse des calculs biliaires de quelques autres animaux, et je regrette bien, faute d’en avoir pu trouver, de ne pouvoir présenter que des conjectures sur leur nature : toutefois ces conjectures acquerront un grand degré de probabilité, si on observe qu’elles reposent sur la connoissance exacte des principes constituans de la bile au sein de laquelle ces calculs peuvent prendre naissance. Je dirai donc que s’il existe des calculs biliaires dans le chien, dans le chat, dans le mouton, etc. ainsi que dans la plupart des quadrupèdes, il est probable qu’ils sont tous de la nature des calculs du bœuf, puisque la bile de tous ces animaux se ressemble ; que pourtant celle du cochon doit faire exception, et j’ajouterai que dans tous les cas, les calculs qui peuvent se former dans la bile des divers animaux, ne doivent ressembler aux calculs adipocireux de l’homme, si ce n’est peut-être ceux des oiseaux, à cause de la petite quantité de soude qu’on reconnoît dans leur bile.

Qu’on réfléchisse maintenant sur ce qu’on a dit de la dissolution des calculs dans la vésicule, et l’on avouera, je pense, qu’on regarde comme bien positif ce qui n’est qu’incertain. Comment croire, en effet, que les calculs de la vésicule du bœuf disparoissent au printems, lorsque ces animaux se nourrissent d’herbes fraîches ? on pouvoit admettre cette opinion, lorsqu’on supposoit que ces calculs n’étoient que de la bile épaissie, et encore ne voit-on pas pourquoi ils ne se seroient pas dissous en hiver dans l’eau de la bile : mais maintenant qu’on sait qu’ils sont formés d’une matière insoluble dans l’eau, et qui résiste pendant longtems à l’action des réactifs les plus forts, si on ne la rejette point, du moins, est-il bien permis de la mettre au nombre de celles qui sont peu fondées ; car on ne peut la soutenir qu’en l’appuyant de l’observation faite par les bouchers, savoir, de l’absence en été, et de la présence en hiver du calculs dans la vésicule du bœuf. Or, doit-on avoir une grande confiance dans cette observation ? j’en fais plus que douter ; 1°. parce que les bouchers, pour la plupart au moins, ont l’habitude de ne jamais tâter les vésicules des bœufs, en été ; 2°. parce que, de leur aveu, ces calculs sont très-rares en hiver ; et enfin, parce qu’il m’est arrivé d’en trouver deux en été dans deux vésicules différentes. Il me semble donc que tout ce qu’on peut dire de plus raisonnable à cet égard, c’est qu’il s’en forme peut-être moins en été qu’en hiver.

La dissolution des calculs dans la vésicule humaine par l’éther uni à l’huile essentielle de thérébentine ne doit pas paroître plus vraisemblable que celle des calculs du bœuf qu’on nourrit d’herbes fraiches, si on considère qu’à la température de 32°, l’éther doit se séparer en grande partie de l’huile essentielle et se volatiliser ; que d’ailleurs on ne peut prendre cette mixtion qu’en petite quantité, et que quand bien même on la prendroit à forte dose, il ne sauroit en arriver jusqu’à la vésicule, ou qu’il en arriveroit si peu que l’action dissolvante seroit nulle. Cependant il paroît, d’après l’observation de M. Guyton, que l’huile de thérébentine éthérée plus d’une fois a fait disparoître tous ceux qui se trouvoient dans ce viscère ; mais n’est-ce point en favorisant le transport de la pierre dans les intestins ? Ce qui tend à le faire croire, c’est que M. Guyton a remarqué que deux malades guéris par ce remède, avoient rendu de véritables calculs par le bas, quelque tems après en avoir fait usage.

Telles sont les observations que j’ai cru devoir rassembler dans ce Mémoire ; il en résulte.

1°. Que les diverses biles de quadrupèdes que j’ai examinées, celle de porc excepté, sont absolument identiques et formées de dix substances, parmi lesquelles on remarque sur-tout beaucoup de picromel, moins d’huile que de picromel, peu de matière jaune et peu de soude ;

2°. Que la bile de porc n’est autre chose qu’un véritable savon ;

3°. Que la bile des oiseaux est formée de beaucoup d’albumine, d’une très-petite quantité de soude, de résine et de picromel qui est âcre, amer et non sucré ;

4°. Que la bile de raie et de saumon, ne contient qu’une matière sucrée et âcre ;

5°. Que celle de carpe et d’anguille contient aussi une matière sucrée et âcre, et de plus, de la résine, de la soude ;

6°. Que cette matière sucrée et âcre est probablement du picromel ;

7°. Que la bile humaine, qui ne ressemble à aucune des précédentes, est composée d’une assez grande quantité d’albumine, de résine, d’une petite quantité de matière jaune, de soude, de phosphate, sulfate, muriate de soude, de phosphate de chaux et d’oxide de fer ;

8°. Que néanmoins lorsque le foie qui secrète la bile humaine est presqu’entièrement gras, elle change de nature et n’est plus alors, la plupart du tems au moins, qu’albumineuse ;

9°. Que les calculs de la vésicule du bœuf sont tous homogènes et produits par le dépôt successif de matière jaune ;

10°. Qu’il en est de même probablement des calculs de beaucoup d’autres animaux dont la bile ressemble à celle du bœuf ;

11°. Que les calculs biliaires de l’homme sont formés quelquefois d’adipocire pure, souvent de beaucoup d’adipocire, et de peu de matière jaune, rarement de cette matière jaune pure ;

12°. Qu’il n’est pas probable que les calculs de la vésicule du bœuf se fondent lorsque ces animaux, au printems, se nourrissent, d’herbes fraîches ;

13°. Enfin, qu’il n’est pas plus probable qu’un mélange d’huile essentielle de thérébentine et d’éther fonde ceux de la vésicule humaine, et que si ce médicament les fait disparoître de la vésicule, c’est sans doute en en favorisant la sortie, et non point en les dissolvant.