Deux sonnets signés C.
Une troupe servile, inconstante, folâtre,
Au service d’autrui passe ses plus beaux jours,
Et croit avoir grand’part à la splendeur des cours,
Où l’on voit que le luxe a doré jusqu’au plâtre.
Mais la vertu n’est là que vertu de théâtre :
Le vice y tient l’empire et porte le velours ;
Les fourbes sont adroits ; les bons, des esprits lourds[1] ;
Enfin pour s’avancer il faut être idolâtre.
Pour moi, je m’en retire, instruit à mes dépens
Que de vivre en esclave est un malheur extrême
Qu’accompagnent toujours mille soucis flottants.
Aux autres j’ai vécu ; je veux vivre à moi-même,
Sans avoir de mes faits l’univers pour témoin :
Si j’ai moins de désirs, je n’ai pas tant de soin.
Que me sert qu’on m’écoute avec tant de transports ?
Bien loin de s’avancer, ma fortune recule,
Et si[2] d’aller plus outre on fait un tel scrupule
Qu’Apollon est le seul qui m’ouvre ses trésors.
Cependant mon esprit s’use ainsi que mon corps ;
En vain pour me flatter je me le dissimule :
Je deviendrai bientôt muet ou ridicule[3],
Et ma force s’épuise en continus efforts.
Pour tout fruit d’une vie en travail consumée,
Il ne me va rester qu’un peu de renommée,
Qu’un souvenir flatteur d’avoir fait quelque bruit.
Ô d’un métier si noble indignités étranges,
Qu’un siècle à nos labeurs prodigue de louanges
N’assure que du vent au repos qui les suit !
- ↑ L’édition originale porte sourds, au lieu de lourds.
- ↑ Si a ici le sens de pourtant ; il exprime une opposition et non un doute.
- ↑ Ces deux vers rappellent les suivants, qu’on lit dans la pièce intitulée : la Poésie à la Peinture (ci-dessus, p. 118, vers 41 et 42) :
Pour trop m’en plaindre en vain je deviens ridicule,
Et l’on ne m’entend pas, ou l’on le dissimule.