DEUX CHANCELIERS

VI.
DIX ANS D’ASSOCIATION.[1]

Le 9 janvier 1873, Napoléon III s’éteignait tristement sur la terre d’exil à Chislehurst, et peu de temps après, le 27 mars, Guillaume Ier entrait dans la soixante-seizième année d’une vie à laquelle n’ont point certes manqué les faveurs les plus extraordinaires de la fortune. L’Allemagne célébrait la fête de son nouvel empereur avec des transports de joie d’autant plus bruyans et sincères que le monarque avait attendu cet anniversaire pour ratifier une dernière convention avec le gouvernement de Versailles, convention qui assurable paiement anticipé du cinquième milliard de la rançon française et le retour très prochain des troupes d’occupation d’au-delà des Vosges. Les grands comptes avec l’ennemi héréditaire ainsi définitivement réglés, le vainqueur de Sedan songea de son côté à s’acquitter d’une petite dette de cœur : il résolut d’aller porter à l’empereur Alexandre II l’expression de sa vive gratitude pour le concours loyal qu’il lui avait prêté pendant une période mémorable d’épreuves et de combats. Longtemps prévu, tour à tour annoncé et différé, le voyage de Saint-Pétersbourg s’accomplit enfin à l’ouverture de la belle saison, et M. de Bismarck eut soin de préciser dans la circonstance la date aussi bien que le caractère de l’étroite association d’intérêts établie entre la Russie et la Prusse et devenue si fatale à l’Occident. « La communauté de vues, — ainsi s’exprimait l’organe officiel de la chancellerie allemande[2], — qui fit l’alliance de la Prusse et de la Russie en 1863, lors de l’insurrection polonaise, fut le point de départ de cette politique actuelle des deux états, qui, à l’occasion des grands événemens des dernières années, a affirmé sa puissance. Depuis l’attitude de la Russie dans la question du Slesvig-Holstein jusqu’aux preuves importantes de sympathie données à l’Allemagne par l’empereur Alexandre durant la dernière guerre, tout a concouru à rendre cette alliance plus solide encore. »

Par une sorte de fiction historique qui ne laisse pas de confondre quelque peu la raison, mais qu’une volonté souveraine sait imposer aux actes et jusqu’aux monumens publics de la Russie, la campagne de 1870 ne cesse d’être exaltée dans les sphères officielles de l’empire des tsars comme la continuation de l’œuvre de 1814, comme l’épisode final de « cette grande époque où les armées réunies de la Russie et de la Prusse combattaient pour une cause sacrée qui leur était commune[3]. » Au Kremlin, dans la splendide salle consacrée par l’empereur Nicolas aux gloires militaires de la patrie et qui est comme l’arc de l’Étoile de la sainte Russie, le touriste étranger est tout étonné de voir briller à l’heure qu’il est en lettres d’or sur le marbre les noms de Moltke, de Roon, et des autres capitaines de la Germanie qui se sont illustrés dans la dernière guerre contre la France[4]. Aussi le vainqueur de Sedan pouvait-il se faire l’illusion d’être toujours au milieu de ses sujets en traversant en 1873 les vastes plaines moscovites : de la frontière jusqu’au golfe de Finlande, le voyage ne fut qu’une suite non interrompue de triomphes et d’ovations. A chaque gare où s’arrêtait le train impérial attendait une garde d’honneur et retentissait l’hymne national allemand ; le tsar vint à la rencontre de son auguste hôte à la Gatchina, et le 27 avril les deux souverains faisaient leur entrée dans la capitale de Pierre le Grand. Le ciel était triste et froid, et le soleil refusait d’éclairer « la ville aux rues humides et aux cœurs secs, » comme l’a appelée un de ses poètes ; mais l’industrie humaine avait fait son possible pour suppléer la nature et réparer du climat l’irréparable outrage. « Toutes les serres de la capitale, sans en excepter celles des jardins impériaux, dit un témoin oculaire[5], furent littéralement dévastées pour improviser autour des portes et des fenêtres un printemps qui, dans notre nord attardé, n’arrive qu’avec l’été, » et les riches tapis suspendus aux rebords ou étendus le long des édifices donnaient par endroits à la cité boréale l’aspect joyeux de la ville des lagunes… « La perspective Izmaïlovsky, la perspective Voznessensky, la Grande-Morskaïa, formaient une espèce d’allée continue de drapeaux aux couleurs russes, allemandes et prussiennes. Sur un grand nombre de balcons, on remarquait au milieu de la verdure et des fleurs les bustes des deux monarques couronnés de laurier. La façade du grand manège Préobrajensky était ornée d’un faisceau d’étendards entourant une croix colossale de cet ordre militaire de Saint-George dont sa majesté l’empereur Guillaume est le plus ancien chevalier et le seul grand-cordon. » La foule se pressait sur le passage des hôtes venus de Berlin ; l’expansif prince de Bismarck et le taciturne comte de Moltke avaient surtout le don de fasciner les regards.

Pendant douze jours, ce fut une succession sans relâche de revues, de parades, de retraites, d’illuminations, de bals, de raouts, de banquets, de concerts et de représentations de gala. Parmi ces dernières, les chroniqueurs signalent les deux splendides ballets du Roi Candaule et de Don Quichotte. Le populaire eut aussi sa part dans les réjouissances, notamment le soir du 29 avril, lors du festival gigantesque de la place du Palais. Les deux souverains assistaient au concert monstre du-balcon surmontant le perron du château. « A leur arrivée, cinq soleils électriques éclairèrent tout à coup la place avec une telle intensité que l’on pouvait distinguer les traits de tous les assistans, et l’orchestre entonna l’hymne national prussien. Le nombre total des musiciens était de 1,550, plus 600 trompettes et 350 tambours. Après l’hymne retentit la Marche du roi Frédéric-Guillaume III ; puis vint toute une série de marches militaires, la Marche de Steinmetz, la Wacht am Rhein, la Marche de la garde de 1808, au son de laquelle les régimens russes retournèrent à Saint-Pétersbourg après la campagne d’Eylau, et la Marche de Paris, qu’entendirent jadis les aimées alliées lors de leur entrée triomphale dans la capitale de la France. La prière militaire : que Dieu est grand à Sion, produisit, elle aussi, un effet immense. » On ne sait trop s’expliquer comment, au milieu d’une musique toute consacrée aux dieux Mars et Vulcain, put s’égarer la douce romance de Weber intitulée l’Éloge des Larmes (Lob der Thränen), à moins que ce ne fût là un hommage discret rendu à la sensibilité bien connue du vieux Hohenzollern, et dont maints discours, lettres ou télégrammes portent dans l’histoire la trace authentique. Ce caractère facilement impressionnable du souverain d’Allemagne ne se démentit point, tant s’en faut, à Saint-Pétersbourg ; il éclata surtout au moment où les deux monarques se firent leurs adieux dans les salons impériaux de la gare de la Gatchina. Pour ne pas succomber à l’émotion, Guillaume Ier dut quitter brusquement le salon ; « la tête inclinée, les traits contractés, il sortit à pas précipités et gagna le wagon sans se retourner. »

Du reste, si pendant ce séjour des hôtes prussiens sur les bords de la Neva tous les honneurs furent pour l’oncle du tsar, la curiosité du public, haletante et presque fiévreuse, se reportait de préférence, on s’en doute bien, sur le ministre extraordinaire dont l’uniforme de cuirassier blanc faisait partout ressortir encore la stature imposante, sur ce chancelier d’Allemagne qui, dans le court espace d’un lustre, a su fonder un empire sur la ruine de deux autres. On n’avait pas eu le temps d’oublier à Saint-Pétersbourg le diplomate frondeur qui, de 1859 à 1862, étonnait et amusait la société russe par ses médisances contre sa propre cour, par ses plaisanteries sur les « perruques de Potsdam » et les « philistins de la Sprée, » et à qui il arriva parfois de répéter alors le mot fameux de M. Prudhomme, le mot : si j’étais le gouvernement !… quitte à en rire tout le premier. Il était le gouvernement à cette heure, il était même le maître de l’Europe, et son astre avait fait pâlir l’étoile d’un Habsbourg et d’un Napoléon ! Le sujet prêtait à plus d’un rapprochement saisissant, à mainte réminiscence piquante, et il y eut place aussi pour les remarques futiles, pour le plerisque vana mirantibus dont parle l’immortel historien en présence de tout changement prodigieux de fortune. En présence de l’homme aux cinq milliards, les grandes dames, au Palais d’hiver, se rappelaient certaine ambassadrice d’il y a dix ans, qui un jour déclarait hardiment ne pouvoir payer 40 roubles d’argent une primeur d’asperges, qui un autre jour avouait en toute candeur ne devoir ses nouvelles boucles d’oreilles en diamant qu’à l’échange d’une tabatière de prix, ancien cadeau du prince de Darmstadt[6]. L’ambassadrice, c’était la femme de M. de Bismarck, baron alors, prince aujourd’hui, bon prince avec tout cela et n’ayant rien perdu de son affabilité d’autrefois. Il était facile, enjoué, empressé comme du temps de sa mission en Russie ; il s’enquérait des amis, des connaissances, des gens petits ou grands qu’il y avait entrevus jadis, et semblait renouer des relations et des conversations interrompues seulement d’hier. L’homme d’état se dérobait entièrement pour ne laisser voir que l’homme de cour et l’homme du monde, et il n’est pas jusque dans ses rapports avec le prince Gortchakof, nous affirme un observateur sagace, qu’il n’ait tenu à dépouiller le ministre étranger et à ne paraître que comme le compagnon, presque le compatriote. Il lui témoignait la déférence d’un ami affectueux envers son aîné, — d’un disciple envers le maître, disaient les flatteurs sans penser à mal, sans penser surtout au discipulus supra magistrum auquel Alexandre Mikhaïlovitch, bon latiniste lui, songeait peut-être.

Ils paraissaient ainsi souvent en public, aux nombreuses fêtes et réceptions, l’un à côté de l’autre, l’un dominant la foule de sa tête fortement burinée, l’autre bien reconnaissable aussi à ses traits en taille-douce, fins, spirituels, et quelque peu narquois. D’après cette ingénieuse étiquette de cour dont le bon Homère a donné le premier précepte en faisant échanger à Diomède et Glaucos leurs brillantes armures, le ministre russe portait les insignes de l’Aigle noire de Prusse et le ministre prussien les insignes de Saint-André de Russie, — et cette promiscuité de cordons rappelait involontairement la communauté des liens qui unissaient depuis si longtemps ces diplomates illustres. Phénomène assurément rare qu’une pareille entente si cordiale, si inaltérable, entre deux hommes d’état dirigeant deux différens empires, bien fait pour arrêter la pensée et qui, pendant les pompeuses solennités de Saint-Pétersbourg, ne cessait en effet de préoccuper les esprits réfléchis. Ils cherchaient en vain dans le passé l’exemple d’une harmonie d’action aussi constante et éclatante : certaines intimités politiques demeurées célèbres dans l’histoire, celles entre autres de Choiseul et Kaunitz, de Dubois et Stanhope, ou bien encore de Mazarin et Cromwell, ne furent un instant évoquées que pour être aussitôt reconnues des souvenirs trompeurs, des analogies seulement apparentes. Personne d’ailleurs ne méconnaissait l’influence considérable, décisive, que l’accord entre les deux chanceliers a elle sur les destinées récentes de l’Europe ; personne non plus ne mettait en doute le parti prodigieux que M. de Bismarck a su tirer de cette conjoncture dans ses téméraires entreprises : les avis ne commençaient à différer qu’alors qu’il s’agissait d’établir les comptes de la Russie, de bien préciser les profits apportés à l’empire des tsars par cette association de dix ans, les dix années les plus agitées qu’ait connues le continent depuis le jour de Waterloo.

Au sentiment des uns, tout était avantage et gain pour le peuple de Rourik, dans la situation créée par les faits immenses de Sadowa et de Sedan. Ils montraient l’humiliant traité de 1856 déchiré, l’Autriche punie de sa « trahison » lors de la guerre de Crimée, la France déchue et amoindrie, l’Angleterre spectatrice résignée des progrès du général Kaufman à Bokhara, et la Russie recouvrant son prestige d’autrefois, savourant en toute quiétude la vengeance, ce plaisir des dieux et des grands favoris des dieux. comme Alexandre Mikhaïlovitch. N’y a-t-il pas en effet, disait-on, une fortune merveilleuse, une unité imposante dans la carrière de ce ministre, qui, dès les conférences de Vienne, s’était juré de prendre la revanche de l’abaissement de sa patrie et qui a su si bien tenir son serment ? N’y a-t-il pas comme une Némésis grandiose dans le châtiment successif de ces « alliés » superbes qui, en 1853, avaient pris la défense du croissant contre la croix de Saint-André, qui, dix ans plus tard, avaient osé soulever la question de Pologne ? A l’heure qu’il est, l’Autriche et la France rivalisent de procédés flatteurs, obséquieux, auprès du « barbare du nord » tant décrié, l’Angleterre sollicite de lui un modus vivendi dans l’Asie centrale, et cette position enviable et glorieuse, la Russie l’a obtenue sans combat, sans sacrifices, rien qu’en se recueillant, en développant sa prospérité intérieure et en laissant seulement faire le voisin, un ami séculaire, éprouvé, et dont le dévoûment ne s’est jamais démenti. Il n’est que juste que la Prusse ait récolté les fruits de sa valeur et de sa fidélité, et les sentimens bien connus de l’empereur Guillaume envers le tsar, les liens de famille qui unissent depuis si. longtemps les deux cours, enfin les destinées si distinctes en même temps que si conformes des deux états sont les gages certains d’une entente future, permanente et inébranlable, La Prusse n’a pas d’intérêt propre dans la question orientale, que de fois n’en a-t-elle fait la déclaration solennelle ! Le jour où s’ouvrira la succession de l’Osmanli ; le Hohenzollern saura prouver sa reconnaissance envers le Romanof. Les petites jalousies et les petites rivalités ont fait leur temps comme les petits états et les petits artifices d’influence et de balance des forces : l’avenir est à une politique rationnelle basée sur la nature des choses, la réalité de la géographie, l’homogénéité des races, et cette politique assigne à la Russie et à l’Allemagne leurs rôles respectifs et corollaires. Au point de vue des principes généraux, on ne peut que se féliciter que le sceptre de l’Occident ait échappé à une nation turbulente, volcanique, faisant de la propagande tantôt jacobine, tantôt ultramontaine, mais toujours révolutionnaire, pour passer aux mains d’un état bien ordonné, hiérarchique et discipliné s’il en fut. Enfin, et dernière considération, Sadowa et Sedan ont été des victoires protestantes sur les deux premières puissances catholiques, et la lutte que vient d’engager M. de Bismarck contre la curie romaine n’est que la conséquence logique de ce grand fait d’histoire ; or, sans même partager certaines idées bien répandues pourtant sur une fusion possible un jour des croyances protestante et orthodoxe, ce n’est pas à l’église de Photius en tout cas de prendre ombrage du coup mortel porté au Vatican.

A de semblables apologies, auxquelles ne manquaient ni les argumens captieux ni les traits acérés, les dissidens opposaient des objections inspirées par un patriotisme également sincère, mais beaucoup moins optimiste. D’accord pour admirer la facilité et la promptitude avec laquelle la Russie a su se relever de son désastre de Crimée, ils prétendaient seulement que ce grand résultat avait été obtenu bien avant l’avènement de M. de Bismarck, bien avant toute association avec lui, et que dès l’année 1860 l’empire de Rourik avait repris la grande position qui lui est due en Europe, alors que les souverains d’Autriche, de Prusse et tant de princes d’Allemagne étaient venus saluer le tsar à Varsovie, reconnaître sa suprématie morale, et que Napoléon III de son côté recherchait son amitié et acceptait son arbitrage. L’habileté extrême avec laquelle le prince Gortchakof a su user de la « cordialité française » pour le bien de la Russie sans livrer aucun des intérêts essentiels et sans rien compromettre des principes conservateurs et traditionnels de son gouvernement demeurera toujours un de ses plus beaux titres à la reconnaissance de sa patrie, et il eût été à désirer qu’il eût gardé la même mesure, la même réserve plus tard dans cette intimité avec la Prusse qui, à l’occasion de l’insurrection polonaise, était venue remplacer l’ancienne entente avec les Tuileries. Le successeur de Nesselrode s’est exagéré sans contredit la portée et le danger des fameuses remontrances au sujet de la Pologne, ainsi que la nature des services, bien intéressés en somme, que lui rendit alors l’ami de Berlin ; ce n’était pas là une raison dans tous les cas de bouder l’Europe après que l’incident fut vidé à l’avantage éclatant du gouvernement russe, de la bouder pendant de longues années, de ne plus vouloir d’autre alliée que la Prusse, et de s’en tenir à l’égard de cette dernière puissance au système constant de laisser-aller, de laisser-faire et de se laisser-prendre.

Ç’a été en général le profond malheur des quinze ou vingt dernières années, — pensaient ces patriotes éclairés, — que la rancune, la mauvaise humeur, aient joué un si grand rôle dans les graves affaires du monde : tristes sentimens à coup sûr, et dont le chancelier actuel d’Allemagne a seul su se préserver ! C’est par rancune de la conduite du cabinet de Saint-Pétersbourg dans la question italienne que l’Autriche avait pris sous sa protection les insurgés de la Pologne, c’est par mauvaise humeur contre l’Angleterre dans la question du congrès que Napoléon III avait abandonné la cause du Danemark, et Alexandre Mikhaïlovitch a cédé à de pareils mobiles plus que tout autre, il a même été le premier à pratiquer cette « politique de dépit » avec ses griefs imaginaires contre l’Autriche dans la guerre d’Orient, comme il n’a pas été non plus le dernier à caresser certaine « politique de pourboire » avec sa ligue des neutres, qui a empêché tout concert des puissances. Que d’opportunités heureuses pour le salut de l’Europe, pour la gloire de sa nation et la splendeur de son auguste maître le chancelier russe n’a-t-il pas laissées échapper par amour de la Prusse : au printemps 1867, alors que la France et l’Autriche lui offraient des concessions si larges en Orient, à l’automne 1870, alors que l’Angleterre et l’Autriche le sollicitaient de prendre l’initiative dans l’œuvre de la paix ! Que d’illusions aussi dans cette croyance, que le prince Gortchakof n’a rien sacrifié pendant ces dix années d’association avec son redoutable collègue ! N’est-ce donc rien que ce port de Kiel, la clé de la Baltique, livré aux mains des Allemands ? n’est-ce rien que le démembrement de la monarchie danoise, la patrie de la tsarevna ? n’est-ce rien que le vasselage de la reine Olga, le renversement et la spoliation de tant de familles régnantes alliées par le sang à la maison de Romanof, la perte de l’indépendance de ces états secondaires de tout temps si dévoués et si fidèles à la Russie ? n’est-ce rien enfin que tout ce profond bouleversement de l’ancien équilibre européen, et l’agrandissement démesuré, gigantesque, d’une puissance limitrophe ?

« La grandeur est une chose relative, et un pays peut être diminué, tout en restant le même, lorsque de nouvelles forces s’accumulent autour de lui[7]. » Ce mot qu’entendit Napoléon III au lendemain de Sadowa, la Russie peut bien se l’appliquer, elle aussi, depuis le jour de Sedan, car personne assurément ne voudra prétendre que l’abolition de l’article 3 du traité de Paris soit l’équivalent des forces accumulées par la Prusse au centre de l’Europe. Quant aux espérances en Orient, elles sont bien aléatoires, comme toute spéculation d’héritage : le malade a tant de fois déjà trompé l’attente de ses médecins, on n’est plus à compter les crises mortelles qui devaient l’emporter, et peut-être n’est-ce point précisément à la Russie de se plaindre de ce prolongement d’agonie. C’est là encore une question en effet si la Russie est ores et déjà en état de se charger de la succession, si elle est suffisamment outillée pour un si vaste établissement, si elle a en un mot toutes les forces militaires et financières, ainsi que tout le personnel administratif indispensables pour utilement occuper des domaines aussi divers qu’étendus.. On ne prend pas possession de provinces européennes comme de telles contrées le long de l’Amour et du Syr-Daria ; on risque de trouver plus d’une Pologne ingouvernable parmi ces peuples du Danube et du Balkan, et l’unité de la loi, l’uniformité du svod, ne sera pas si facile à établir dans des pays où florissaient côte à côte les institutions les plus disparates, depuis le régime du cimeterre jusqu’au régime parlementaire. La transformation de la Turquie ne transformera-t-elle pas au surplus le peuple moscovite à son tour, et l’histoire ne tiendra-t-elle pas à répéter à cette occasion la grande et pathétique leçon de Grœcia capta ? La Russie sera-t-elle encore la Russie le jour où elle dominera la péninsule orientale, et un empire baigné par les flots azurés du Bosphore pourra-t-il conserver sa capitale sur les bords glacés de la Finlande ? Graves et obscurs problèmes devant lesquels il est permis de s’arrêter, de concevoir des appréhensions et des doutes. Ce qui n’est pas douteux par contre, c’est qu’à l’heure du destin la Prusse posera ses conditions et stipulera ses compensations. Ce n’est pas une dette de reconnaissance dont elle songera à s’acquitter alors, c’est un nouveau marché qu’elle entendra établir. Mettra-t-elle pour prix de son consentement la Hollande, le Jutland ou les territoires allemands de l’Autriche ? la frontière de la Vistule ou les provinces de la Baltique ?

Qui sait d’ailleurs si ce drame prolongé de la décadence turque n’est pas encore destiné à recevoir un dénoûment peu ou point entrevu jusque-là, bien original pourtant et rien moins qu’illogique ? Ce n’est pas d’aujourd’hui que les publicistes et les patriotes de Berlin parlent de la mission de l’Autriche dans les pays du Danube et du Bosphore, qu’ils la disent appelée par la Providence à fortifier dans ces contrées les intérêts tudesques, à y « porter la culture allemande. » Depuis le grand jour de Sedan surtout, les exhortations, les sommations ne manquent pas à cette puissance « de chercher son centre de gravité ailleurs qu’à Vienne, » de justifier enfin son nom séculaire de Ost-reich et de devenir un empire de l’est dans le sens véritable du mot. Une monarchie constamment menacée de la perte prochaine de ses possessions germaniques sur la Leitha pourra bien à la longue être amenée à tenter l’aventure, alors surtout qu’on prendra le soin de lui présenter cette aventure comme une nécessité et comme une vertu ; un état qui n’a jamais été fortement centralisé, et qui a toujours oscillé entre le dualisme et un système fédéral plus ou moins défini, aura même grande chance d’apparaître à l’Europe comme le cadre le plus propre pour cette bigarrure de races, de religions et d’institutions qui s’étend des Portes de Fer jusqu’à la Corne-d’or. Un empire de l’est aux traditions et aux influences germaniques sur le Bosphore, plus au sud Un royaume de Grèce agrandi de la Thessalie et de l’Épire, enfin au nord une Allemagne complétée dans son unité par les provinces cisleithanes, — il y aura là de quoi contenter bien du monde, sans en excepter l’Angleterre. C’est, on l’avouera, une solution comme une autre de la redoutable question ottomane, et toute hypothèse, toute fantaisie a le droit de se produire dès que l’on touche à ce monde fantastique de l’Orient, et à ce monde non moins mystérieux et terrible que porte dans sa tête le grand solitaire de Varzin…

Ce qui, dans tous les cas, n’est point du domaine de l’hypothèse et de la fantaisie, ce qui malheureusement n’est qu’une réalité trop évidente et palpable, c’est qu’à la place de cette « combinaison purement et exclusivement défensive, » comme le prince Gortchakof avait un jour si justement appelé l’ancien Bund, — à la place d’une ligue d’états pacifiques, tous amis obligés de la Russie et lui formant comme une suite continue de remparts, — l’empire d’Alexandre II voit maintenant en face de lui, pesamment couchée tout le long de sa frontière, une puissance formidable, la puissance la plus forte du continent, ambitieuse, avide, entreprenante et ayant désormais la mission inéluctable de défendre contre lui ce qu’on est convenu d’appeler les intérêts de l’Occident. Il n’est pas jusqu’à la question polonaise que cette puissance ne pourrait soulever, le cas échéant, au gré de ses besoins, et tout autrement que ne l’avaient fait les cabinets de Paris et de Londres : la thèse d’un tel « coup au cœur » n’a-t-elle pas été très chaleureusement soutenue en 1871 par certains hommes d’état hongrois fort avant dans les confidences du ministre prussien ? La conduite du gouvernement de Berlin lors de la dernière insurrection de Varsovie ne préjudicie en rien l’avenir : les discours passionnés de M. de Bismarck en 1849 contre la révolte des Magyars ne l’ont point empêché d’armer bien des années plus tard les légions du général Klapka. On ne niera pas du moins les visées prussiennes en 1863 sur la rive gauche de la Vistule, « la frontière naturelle ; » à l’heure qu’il est encore, les amis de Berlin n’insinuent-ils pas par momens que ce serait là peut-être le moyen le plus efficace d’en finir avec l’esprit du polonisme ? On ne parle pas des provinces de la Baltique, comme avant Sadowa on répudiait toute pensée de vouloir jamais franchir le Mein ; mais l’effervescence tudesque de la Courlande et de la Livonie va en croissant, et à quels douloureux sacrifices le Hohenzollern ne sait-il pas se résigner alors qu’il croit entendre la voix d’en haut, la voix des « frères allemands ? » Certes on aurait fait frémir le prince-régent en 1858, si on lui avait parlé alors d’une guerre contre un Habsbourg et d’un compagnon d’armes du nom de Garibaldi ; il a fini cependant par accepter la dure nécessité, et il a donné le signal d’une lutte fratricide, la douleur dans l’âme et les larmes aux yeux. N’est-il point puéril du reste de mesurer les destinées des nations par la vie plus ou moins longue de tel ou tel souverain ? Il peut venir en Allemagne un empereur qui n’ait ni l’affection ni le souvenir d’Alexandre II, il peut s’élever « un pharaon qui ne connut point Joseph, » pour parler avec les saintes Écritures, et puis il y a quelque chose de plus fort au monde que tsar et empereur : la nécessité de l’histoire, la fatalité de la race…

Race redoutable que celle de ces vainqueurs de Sadowa et de Sedan, et dont l’esprit envahisseur et conquérant dès l’origine a su survivre à toutes les transformations et s’accommoder de tous les déguisemens ! Humbles à la fois et présomptueux, sobres et prolifiques, expansifs et tenaces, pratiquant avec persistance leur ancien proverbe : ubi bene, ibi patria, et gardant néanmoins toujours un âpre attachement à la mère-patrie, les Allemands s’infiltrent en tout pays, pénètrent dans toutes les régions, ne dédaignent aucun coin de la terre habitable. Ils ont leurs familiers et consanguins sur tous les trônes et dans tous les comptoirs du monde ; ils peuplent les centres industriels de l’Europe et les solitudes du far-west ; ils décident les élections présidentielles dans les États-Unis, ils fournissent le contingent le plus fort du haut personnel administratif dans l’empire des tsars, et le souvenir est encore récent de cette statistique de l’armée russe, qui, sur 100 officiers supérieurs, en relevait 80 d’origine germanique[8]. Tel apparaissait déjà l’Allemand avant les grands coups de fortune de 1866 et de 1870, avant l’ère de fer et de sang, avant que M. de Bismarck ne lui eût révélé le secret de sa force, ne lui eût dit le mot magique : tu regere imperio populos ! Faut-il rappeler maintenant la haine que les Germains ont de tout temps portée au nom slave, l’extermination à laquelle ils l’ont jadis voué sur l’Elbe et l’Oder, et la pensée ne recule-t-elle pas épouvantée devant un nouveau choc de deux races, aujourd’hui plus que jamais probable ? Il est de mise, il est vrai, de traiter toutes ces appréhensions de rêves d’écoliers, de songes creux de littérateurs et de professeurs ; mais les importans, les hommes sérieux, les augures et les aruspices de la politique, ont-ils de nos jours traité autrement maint problème formidable ? N’ont-ils pas tenu le même langage au sujet de la question du Slesvig-Holstein et des prétentions allemandes sur l’Alsace, à l’égard de l’unité de l’Italie et des programmes du National-Verein ? Ce serait un curieux chapitre de l’histoire contemporaine à écrire que celui de Diplomates et professeurs, et qui pourrait bien démontrer que de ces deux corps respectables, le plus pédant et le plus idéologue n’est pas précisément celui qu’un vain peuple pense.

N’y a-t-il pas, — poursuivaient les mêmes personnes, plus soucieuses des intérêts du présent et de l’avenir que des réminiscences intempestives du passé, — n’y a-t-il pas force idéologie par exemple dans la manière d’assimiler les deux époques de 1814 et de 1870, et de saluer dans le feld-maréchal Moltke le continuateur de l’œuvre de Koutouzof ? Lors de la guerre mémorable dont l’incendie de Moscou avait donné le signal héroïque, c’était toute l’Europe qui se levait contre un maître insolent, et apportait la délivrance à des états foulés et broyés par une domination universelle. En fut-il de même dans la dernière conflagration, et ne pourrait-on pas dire plutôt que c’était la France au contraire qui combattait à ce moment pour l’équilibre du monde et l’indépendance des royaumes, en essayant de réparer par un effort tardif et mal conçu une série d’erreurs coupables, mais dont elle n’était pas la seule à souffrir ? Différentes dans leurs mobiles, les deux époques ne se ressemblent guère, non plus quant aux voies et moyens. C’est « une guerre à coups de révolutions » que le ministre prussien avait de bonne heure annoncée à M. Benedetti, et il a tenu parole ; il eut des égards, des atténuations, des compréhensions pour la commune difficiles à justifier ; à l’heure qu’il est, il protège ouvertement le régime républicain en France contre tout essai de restauration, sacrifiant ainsi le principe monarchique et les considérations les plus élevées d’ordre européen à un calcul purement égoïste et vindicatif. Ce n’était pas là l’esprit qui animait jadis les alliés de 1814 ; le magnanime Alexandre Ier surtout comprenait autrement les devoirs des souverains et la solidarité des intérêts conservateurs. Et quel jugement sévère l’empereur Nicolas n’eût-il pas porté, lui, sur tout l’ensemble de la politique de Berlin, sur cette régénération de l’Allemagne, qui n’a cessé d’être la révolution par en haut, depuis l’exécution fédérale dans le Holstein jusqu’à l’arrêt des syndics de la couronne, depuis la destruction du Bund jusqu’au renversement de la dynastie des Guelfes, depuis la formation des légions hongroises et les relations nouées avec Mazzini jusqu’au Kulturkampf contre l’église catholique !

Que l’on ne s’y trompe pas en effet, disait-on encore, c’est la révolution seule qui trouve son profit à la guerre faite aujourd’hui en Allemagne au catholicisme, et bien grande, bien naïve est l’illusion de ceux qui se flattent de voir les idées protestantes ou orthodoxes, l’esprit religieux en général, bénéficier des pertes qu’y ferait la papauté. Il suffit de jeter un regard sur les gros bataillons du Kulturkampf pour reconnaître leur dieu ; ils portent sur leurs bannières bien clairement le signe au nom duquel ils entendent vaincre. Sont-ce les protestans sincères, les évangéliques pour lesquels l’Évangile est une vérité, qui montent les premiers à l’assaut ou qui seulement le suivent de leurs vœux et de leurs prières ? Non assurément ; tous ceux qui de la réforme ont encore gardé non point le vain nom, mais la forte doctrine, répudient ouvertement cette lutte et en gémissent dans leur âme. Ils ont le sentiment juste que dans notre époque si bouleversée, si profondément travaillée par le génie de la négation, les intérêts religieux sont solidaires entre eux tout aussi bien que les intérêts conservateurs. Les ardens au combat, les zélateurs « remplis de l’esprit divin » sont précisément ceux qui n’admettent ni divinité ni esprit, qui n’ont d’autre religion positive que le positivisme, et ce n’est pas en eux certes que voudrait reconnaître ses enfans Luther ressuscité. Le grand adversaire de Rome au XVIe siècle tenait à la révélation, il tenait à sa Bible, à son dogme de la grâce : ne sont-ce pas là toutes choses bien « perruques » et bien risibles aux yeux des disciples de Strauss et de Darwin ? L’apôtre de Wittemberg croyait à la justification par la foi ; les apôtres de Berlin ne croient qu’à la justification par le succès.

C’est une chose grave, — concluaient enfin ces hommes alarmés dans leur patriotisme et dans leurs sentimens conservateurs, — une chose extrêmement périlleuse pour un grand état que d’abandonner, dans ses relations avec les puissances, certaines maximes établies, certaines règles de conduite éprouvées par une longue expérience, devenues en quelque sorte des arcana imperii, et Napoléon III vient de payer bien chèrement une pareille rupture avec les anciennes traditions dans la politique extérieure de la France. La Russie avait également, par rapport à l’Europe, des traditions consacrées et qui ont fait la grandeur et la force des règnes précédens ; sous ces règnes, on était jaloux de défendre la liberté de la Baltique, on veillait au maintien de l’équilibre des forces entre l’Autriche et la Prusse, on appréciait l’amitié et le dévoûment des états secondaires de l’Allemagne, et l’on faisait respecter partout le principe monarchique en face de la révolution. Puisse la Russie n’avoir jamais à se repentir de s’être détournée des voies creusées pendant un siècle par le char triomphal de Pierre le Grand, de Catherine II, d’Alexandre Ier et de Nicolas !

Ainsi parlaient les esprits indépendans sur les bords de la Neva pendant que le monde officiel y déployait toutes les magnificences polaires en l’honneur de Guillaume le Conquérant : ils ne faisaient du reste que prêter un langage raisonné et saisissant à un sentiment vague, mais intense et profond, qui agitait l’âme même de la Russie. Avec cette habitude d’obéissance et de discipline qu’on peut souvent taxer d’instinct servile, mais qui chez ce peuple est parfois aussi un grand et admirable instinct patriotique, les enfans de Rourik se gardèrent bien de contrarier le gouvernement dans la brillante réception qu’il faisait au Prussien ; ils se bornèrent à rester témoins impassibles d’un spectacle qui ne parlait point à leur sens intime. La presse se montra sobre de descriptions, plus sobre encore de réflexions pendant ces jours de fêtes et de festivals : les officieux de Berlin ne lui firent d’autre éloge que d’avoir gardé un ton convenable. Tel fut aussi le ton de la société russe prise dans son ensemble ; les belles perspectives de la résidence faisaient image au moral comme au physique : des fleurs de serres chaudes au premier plan, et pour fond de tableau la glace ! Les hôtes ne furent pas les derniers à s’apercevoir du contraste : avec les parfums exquis des plantes exotiques, il leur arrivait d’aspirer de temps en temps l’air vif du pays, l’âpre brise du nord, et il n’est pas jusqu’à M. de Bismarck lui-même qui ne parût se ressentir de l’atmosphère ambiante. On lui trouva plus de vivacité et d’enjouement que d’élan et de chaleur ; sa parole gardait une mesure qui ne lui était pas ordinaire, et semblait éviter à dessein tout éclat et tout éclair. Chose curieuse, pendant ce séjour de deux semaines dans la capitale de la Russie, l’ancien diplomate frondeur n’a laissé échapper aucune de ces saillies et de ces boutades dont il est généralement si prodigue, aucune de ces indiscrétions étourdissantes qui sont à la fois l’amusement et l’effroi des salons et des chancelleries. On ne recueillit qu’un seul mot à sensation tombé de ces lèvres qui si souvent ont prononcé l’arrêt du destin, le mot « qu’il ne pouvait même admettre la pensée d’être jamais hostile à la Russie. » La déclaration parut explicite et rassurante et comme une réponse discrète aux appréhensions qui n’osaient point se faire jour. Les âmes incrédules ou chagrines ne purent pourtant pas s’empêcher d’observer qu’il y avait seulement dix ans une telle assurance donnée à l’empire des tsars par un ministre de la Prusse eût paru bien superflue, eût même provoqué des sourires… Ici finit la tâche qu’on s’était imposée en entreprenant cette étude. La rencontre des deux chanceliers dans la capitale de Pierre le Grand au printemps de 1873 fut comme l’épilogue d’une action commune qui a duré dix ans et qui a tant contribué à changer la face du monde. Depuis cette époque, l’Europe n’a plus connu de tempête, bien que des nuages parfois menaçans et grondans n’aient cessé de traverser son horizon toujours obscurci. Il y eut même des lueurs et comme des indices que l’ancien et fatal accord entre les cabinets de Berlin et de Saint-Pétersbourg n’était plus aussi absolu que par le passé, qu’il admettait certaines intermittences ou du moins certaines divergences d’opinions et d’appréciations. C’est ainsi que le gouvernement du tsar s’était refusé à suivre le chancelier d’Allemagne dans sa campagne espagnole, dans sa fiévreuse adhésion à la présidence du maréchal Serrano, et il ne paraît pas douteux que l’intervention personnelle de l’empereur Alexandre II, fortement appuyé par l’Angleterre, n’ait, l’an passé, détourné de la France une agression inique et une effroyable calamité. Depuis cette époque aussi, l’adjonction de l’Autriche à la politique officielle des deux états du nord, est venue, on ne saurait trop dire, compléter ou compliquer une association à laquelle il devient difficile de découvrir des intérêts communs quelconques et qui, jusqu’à ce jour du moins, n’a trouvé son harmonie que dans le silence. L’avenir seul pourra dévoiler la portée et la vertu de cette alliance des trois empires tant prônée et aussi mal connue que mal conçue peut-être ; mais on ne se trompera guère en supposant dès aujourd’hui que, dans ce ménage double et trouble, c’est M. de Bismarck qui peut s’estimer le plus heureux des trois.


JULIAN KLACZKO.

  1. Voyez la Revue du 15 juin, du 1er juillet, du 15 août, du 15 septembre et du 15 novembre 1875.
  2. Correspondance provinciale du 1er mai 1873.
  3. Télégramme du tsar au roi Guillaume Ier du 9 décembre 1869. — Tout récemment, au dernier banquet de Saint-George, l’empereur Alexandre II disait encore : « Je suis heureux de pouvoir constater que l’alliance intime entre nos trois empires et nos trois armées, fondée par nos augustes prédécesseurs pour la défense de la même cause, existe intacte à l’heure qu’il est. » Journal officiel de l’empire russe du 12 décembre 1875.
  4. Comte Tarnowski, Une Visite à Moscou, — Revue de Cracovie, novembre 1875.
  5. Aus der Petersburger Gesellschaft. Les autres descriptions sont empruntées au Journal de Saint-Pétersbourg et à l’Invalide russe de l’époque.
  6. Aus der Petersburger Gesellschaft, t. II, p. 89.
  7. Note confidentielle de M. Magne, 20 juillet 1866. — Papiers et correspondance de la famille impériale, I, p. 241.
  8. C’est le Golos qui, il y a quelques années, dressait cette statistique curieuse, dont l’effet fut profond dans le temps. — Le nom de Kozlof eut un moment de célébrité en Russie : en l’entendant prononcer à la suite d’une longue énumération de noms purement tudesques, lors d’une présentation des officiers d’un grand corps d’armée, le tsarévitch s’était écrié : « Enfin ! Dieu merci. » Fr.-J. Celestin, Russland seit Aufhebung der Leibeigenschaft, Laibach 1875, p. 334.