Librairie Hachette (p. 151-155).


XVII

L’offrande des pauvres.


Le lendemain, un vieillard, suivi du plus grand nombre des habitants de Morancé, arriva au château. La marquise, levée, quoique très-fatiguée, les reçut dans son salon, à demi étendue sur une chaise longue ; elle avait le front bandé, mais le visage souriant.

« Madame la marquise, dit le vieillard en tournant son chapeau dans ses mains avec embarras, il est arrivé hier un grand malheur, et il aurait pu en arriver un bien plus grand encore, si le bon Dieu ne vous avait protégée ; nous l’avons bien remercié aussi, et puis nous avons pensé que ces pauvres petits enfants que vous soutenez, que vous aimez, sont maintenant sans asile et très-pauvres. Nous nous sommes tous réunis, madame la marquise, pour avoir une petite part dans vos bonnes actions ; les riches ont donné plus, les moins riches ont donné moins ; chacun a apporté ce qu’il pouvait ; ce n’est pas beaucoup, madame, mais, si vous vouliez bien l’accepter, ce serait un commencement pour rebâtir leur maison. »

Et le vieillard, qui s’était incliné, tendait à la marquise une lourde bourse de cuir.

Elle se leva alors, les larmes dans les yeux : ce don des pauvres, pour secourir de plus pauvres qu’eux, toucha vivement son cœur.

« Merci, mes amis, dit-elle, tendant sa main au vieillard, qui la baisa respectueusement ; merci ! Oui, je prends cet argent offert à mes protégés ; oui, je l’accepte et je vous en suis reconnaissante, et le bon Dieu, qui vous voit, vous en remercie avant moi, car ces petits sont ses enfants : vous l’avez secouru en les secourant. »

Elle posa alors la bourse sur une table et se rassit.

« Nous allons commencer par le plus pressé, continua-t-elle, et, avant de rebâtir une maison, en chercher une provisoire toute bâtie.

— Madame la marquise, j’en ai une.

— Et moi ! et moi ! crièrent plusieurs voix.

— J’irai les voir, et je choisirai la plus commode pour eux ; nous les y installerons de notre mieux, jusqu’à ce qu’on ait refait leur asile. Pour aujourd’hui et demain, je prie ceux qui ont recueilli ces chers petits enfants de ne pas les abandonner.

— Oh ! madame, nous les garderions bien toujours, » répondit-on dans la foule.

Elle les remercia encore, et toute cette rustique députation s’en alla silencieusement, le cœur joyeux d’avoir bien agi et d’avoir encore à bien faire.

Quand la marquise eut choisi dans toutes les maisons du village un petit bâtiment propre et commode, attenant à la ferme d’un paysan aisé, celui-ci ne voulut jamais consentir à ce qu’elle payât le loyer.

« Non, madame, répétait ce brave homme, Madame ne peut pas admettre que je me laisse payer un loyer qui sortira de sa bourse : je veux prendre ma part de la bonne action. Je prête une bâtisse qui ne me sert pas à grand’chose, ce n’est pas bien difficile ; Madame a déjà bien assez à faire pour le reste, sans que j’accepte un sou pour le logis. Non, not’dame, oh ! non, jamais. »

L’exemple de cette charité infatigable, la plus sainte vertu de Béatrice, avait éveillé chez les plus intéressés une pitié jusqu’alors inconnue qui tirait de la poche la mieux fermée l’argent qu’on y gardait.

L’héroïque dévouement de Béatrice dans l’incendie la faisait regarder non plus comme une bienfaitrice, mais comme un ange ; on voulait à l’envi mériter un de ses regards ou un de ces merci qu’elle disait si bien.

Les dons arrivaient de toutes parts sans qu’elle eût rien demandé pour ses enfants de l’asile ; c’étaient des couvertures, des vêtements, des sacs de farine, du vin.

« Mon Dieu ! s’écria-t-elle un jour en revenant de la maison provisoire de ses enfants, ne me laissera-t-on plus faire la charité dans ce pays ? »

On sourit autour d’elle ; on n’ignorait pas au château qu’une robe de point d’Alençon avait été rejoindre les diamants, pour subvenir aux frais d’installation du nouvel asile de ses jeunes protégés.