Description du royaume Thai ou Siam/Tome 2/Chapitre 19

La mission de Siam (2p. 58-74).


CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.

HISTOIRE DES THAI, ANCIENNEMENT APPELÉS SAJAM.





L’abrégé de l’histoire de Siam, qui fait la matière de ce chapitre, est tiré des annales de ce pays. Ces annales se divisent en deux parties ; la première partie, composée de trois volumesseulement, sous le titre de : Phongsavada-Mûangnûa, ou histoire du royaume du Nord, donne l’origine des Thai, et un abrégé de leur histoire jusqu’à la fondation de Juthia. Cette première partie est pleine de fables, et présente peu de faits historiques. La seconde partie, qui commence à la fondation de Juthia, forme quarante volumes, et donne l’histoire bien suivie de la nation thai jusqu’à nos jours.


PREMIÈRE PARTIE.

HISTOIRE DU ROYAUME DU NORD, JUSQU’A LA FONDATION DE JUTHIA.


Environ l’an cinq cent avant Jésus-Christ, il y avait deux frères de la caste des Brames, contemporains de Somana-Khôdom, qui tous deux embrassèrent la vie sainte des ermites. L’un s’appelait Saxanalai, et l’autre Sithimongkhon ; leurs fils et petits-fils habitaient dix villages, gouvernés par une sainte femme, mère de Sáribut qui était alors le premier disciple de Somana-Khôdom. Ces deux frères, parvenus à l’âge de cent cinquante ans, sentant leur fin approcher, rassemblèrent tous leurs descendants pour leur donner quelques instructions avant de quitter cette vie. Ils leur recommandèrent de vivre en paix, de garder soigneusement la religion de Bouddha, de bâtir une ville pour se mettre à l’abri de leurs ennemis, et de choisir le plus digne d’entre eux pour les gouverner. Après quoi, ces deux vieillards se retirèrent dans les hautes montagnes, appelées liant, où ils s’adonnèrent à la contemplation, et parvinrent à un haut degré de sainteté.

Alors, Bathamaràt, le plus considérable parmi les habitants de ces dix villages, en assembla tous les chefs, et il fut résolu qu’ils bâtiraient une ville. Hs mirent de suite la main à l’œuvre, et, dans l’espace de sept ans, ils bâtirent une cité, formant une enceinte de murailles de deux mille toises en longueur, et mille toises en largeur. Quand l’ouvrage fut fini, on construisit des pagodes pour les talapoins de Bouddha, ainsi que des temples dédiés à Siva et Vishnu. Tout étant terminé, les deux vieillards ermites vinrent visiter la nouvelle ville et lui donnèrent le nom de Savan-thevalôk et, par abrévation, Sangkhalôk. Ils établirent aussi pour roi leur petit-fils Bathamaràt, lequel prit pour reine Nang-Mokhalin, native d’un bourg appelé Haripunxai.

L’ermite Saxanalai déclara alors qu’il avait caché, sous un certain arbre, des reliques de Somana-Khôdom, consistant en un doigt de ce saint, qu’il lui avait coupé lui-même après sa mort, avec d’autres reliques du même, qui lui étaient échues en partage dans la distribution qui en fut faite à cette époque. Il recommanda donc à ses descendants d’aller chercher ces reliques pour les placer dans leur nouvelle ville. Après avoir donné ces dernières instructions, l’ermite fut porté dans les


Prang ou pyramide où sont renfermées des reliques de Bouddha, à Bangkok, 200 pieds de haut.
Prang ou pyramide où sont renfermées des reliques de Bouddha, à Bangkok, 200 pieds de haut.
Prang ou pyramide où sont renfermées des reliques
de Bouddha, à Bangkok, 200 pieds de haut.

airs, et alla mourir dans les montagnes dont nous

avons déjà parlé. En conséquence des ordres de l’ermite, Bathamaràt alla en grande pompe déterrer ces reliques, les plaça dans un vaisseau d’or qui flottait dans un grand bassin de la même matière. Le roi fit construire une pyramide, dans laquelle on les renferma avec le vaisseau d’or qui les contenait. Depuis ce moment, les prêtres de Bouddha se rassemblèrent chaque jour auprès de cette pyramide pour y prier et faire leurs adorations.

Bathamaràt bâtit encore trois autres villes où il établit rois ses trois fils. Le premier, appelé Sôkha-Kuman, régna à Haripunxai, qui devint une ville célèbre ; le second, appelé Thama-Kuman, fut installé dans la ville de Kamphôxanakhon ; le troisième, nommé Singha-Kuman, devint roi de Phetxabun. Ces quatre États vécurent en paix et en bonne harmonie. Cette dynastie fleurit pendant cinq cents ans, sans qu’il soit fait mention de troubles ni de guerres. Environ l’an neuf cent cinquante de l’ère de Phra-Khôdom, régnait, à Haripunxai, un roi nommé Aphajakha-Muni ; ce prince, qui était très-pieux, avait coutume de se retirer sur une grande montagne pour s’y livrer à la méditation. Un jour, il arriva que la reine des Naghas, étant venue sur la même montagne faire ses dévotions, fut attirée par les mérites du roi, et ils eurent commerce ensemble. Avant de se séparer, Aphajakha-Muni lui donna son manteau royal et son anneau ; la reine des Naghas s’en retourna enceinte dans sa région souterraine. Quand elle fut près d’accoucher, prévoyant qu’elle allait mettre au monde un être vivant et non pas un œuf, comme il arrive aux Naghas, elle vint enfanter au lieu même où elle avait eu commerce avec le roi. Elle y déposa son enfant avec le manteau et l’anneau qu’elle avait reçus, et s’en retourna dans son palais souterrain. Un chasseur, ayant rencontré, par hasard, le jeune prince, l’emporta avec le manteau et la bague, et le confia à sa femme pour le nourrir comme son propre enfant. Quelque temps après, le roi se faisant bâtir un palais, les habitants eurent ordre d’y venir travailler à tour de rôle. Le chasseur y vint aussi avec son petit fils adoptif. Comme il faisait très-chaud, il mit l’enfant à l’ombre dans le palais, qui se mit à trembler comme pour reconnaître la dignité du jeune prince. Le roi, surpris. d’un tel prodige, s’informa du chasseur de qui était cet enfant. Il répondit qu’il l’avait trouvé dans les forêts, et qu’il l’avait fait élever comme son fils adoptif. Le roi lui demanda s’il n’avait pas trouvé quelque chose avec cet enfant le chasseur déclara qu’il avait trouvé une bague et un manteau. Alors le roi ne douta plus que ce ne fût son fils, il donna une récompense au chasseur et prit l’enfant dans son palais, lui donna le nom de Arunnaràt, et le fit élever avec un autre de ses fils nommé Ritthi-Kuman.

La naissance du prince Arunnaràt avait été prédite par Somana-Khôdom, dans une circonstance que voici un jour, Bouddha, étant à prendre son repas, près du viiiage qui devint depuis la ville d’Haripunxai, manquait d’eau ; alors un Nagha fit jaillir une source afin que Bouddha pût se désaltérer et se baigner. C’est pourquoi Bouddha lui prédit, qu’en récompense de cette charitable action, au bout de mille ans il détruirait l’ère bouddhiste et en établirait une autre ; que son empire embrasserait toute la contrée arrosée par la rivière qu’il venait de faire jaillir, et que les rois du Xomphuthavib lui rendraient hommage.

Le prince Arunnaràt était né l’an neuf cent cinquante de l’ère de Bouddha. Son père, qui l’aimait beaucoup, lui fit épouser l’unique princesse qui régnait à Saxanalai ou Sangkhalôk ; il devint donc roi de ce pays sous le nom de Phra-Rúang. Il fit bâtir un grand nombre de pagodes et de pyramides magnifiques.

En ce temps-là, le pays des Sajám était sous la domination du roi de Kamphôxa-Nakhon, et lui payait tribut. On rapporte que Phra-Rúang lui-même alla présenter ses hommages et porter des présents au roi de ce pays. Parmi les choses qu’il lui offrit, il y avait un panier plein d’eau, laquelle ne coulait pas par les fentes. Le roi de Kamphôxa-Nakhon ou de Camboge, surpris d’un tel prodige, songea à faire massacrer Phra-Rúang, prévoyant que, s’il le laissait vivre, il ne tarderait pas à s’élever par son mérite au dessus de tous les autres rois. Mais au moment où les soldats allaient se jeter sur Phra-Rúang pour le tuer, ce prince, doué de la faculté des Naghas, se plongea dans la terre et disparut ; quelques jours après il était de retour dans son royaume. Dès ce moment, Phra-Rúang non seulement ne paya plus de tribut au roi de Kamphôxa, mais, au contraire, força celui-ci à reconnaire sa domination. Ce fut à cette époque que les Sajám prirent le nom de Thai qui signifie libre.

Quand Phra-Rúang eut atteint sa cinquantième année, par l’effet de ses grands mérites, il trouva un éléphant blanc à dents noires. Le premier jour du sixième mois de l’année de la Chèvre, il fit assembler cinq cents des principaux talapoins pour célébrer l’établissement d’une ère nouvelle ; à cette grande réunion se trouvèrent des rois Lao, Mon, Chin, Phama, Langkha-Phram. Ce fut alors que Phra-Rúang inventa l’alphabet thai, et modifia l’alphabet camhogien ou khom, qui ne fut employé dans la suite que pour écrire les livres de religion.

Le roi de la Chine, appelé alors roi de Maghata, ne s’étant pas rendu à la grande assemblée pour l’établissement de l’ère nouvelle, Phra-Rúang résolut d’en tirer vengeance. En conséquence, il fit voile pour la Chine avec son frère, le prince Ritti-Kuman, et, favorisé par les anges, dans un mois il arriva heureusement en Chine. En ce moment, il se répandit des brouillards si épais qu’on ne pouvait voir ni le soleil ni la lune. Toute la Chine fut troublée à la vue de ce prodige ; le roi de Maghata assembla son conseil de mandarins pour voir ce qu’il y avait à faire. Il envoya ses officiers visiter les côtes, pour voir si des ennemis ne viendraient pas de ce côté-là. Après avoir bien examiné sur toute la côte, on ne put rien voir autre chose qu’un navire de dix toises de long, monté par des Thai. Les officiers se hâtèrent de faire leur rapport au roi, qui se rappela alors une prophétie annonçant que deux princes de la nation des Thai passeraient la mer pour chercher une reine, que l’un d’eux deviendrait le souverain de tout le continent, et qu’il établirait une ère nouvelle à la place de celle de Bouddha. Convaincu qu’il serait inutile de leur résister, il donna immédiatement des ordres pour les recevoir avec tous les honneurs convenables. Il fit placer Phra-Rúang sur son propre trône, lui rendit ses hommages et lui offrit sa fille en mariage ; après quoi, il fit équiper un grand navire, qu’il chargea de présents, et après la célébration du mariage, Phra-Rúang s’embarqua avec la princesse son épouse et cinq cents Chinois, que le roi donna pour cortége à sa fille. Le voyage fut heureux, et après un mois de navigation, le navire parvint jusqu’à Saxanalai ; car, en ce temps~à, la marée remontait jusqu’à cette ville. C’est depuis cette époque que les jonques chinoises viennent faire le commerce à Siam, et y apportent tous les ans une grande quantité de vases de porcelaine.

En ce temps-là, le roi de Xieng-mai mourut, ne laissant qu’une fille pour héritière. Les nobles du royaume adressèrent une requête à Phra-Ruàng, le priant de lui accorder son frère Ritthi-Kuman pour en faire leur roi ; il y consentit volontiers et alla lui-même installer son frère roi de cette contrée. De retour dans sa capitale, il continua de régner avec gloire et prospérité. Il ne tenait pas aux honneurs ; on le voyait souvent sortir sans aucun cortége ; il s’amusait au cerf-volant et à d’autres jeux, et cependant il était très-versé dans toutes les sciences.

Un jour que Phra-Rúang avait lancé son cerf-volant, la corde cassa, et le cerf-volant, emporté par les vents, alla s’accrocher à la flèche du palais du roi de Tong-u, dans le Pégu. Phra-Ruàng, s’étant mis à la poursuite de son cerf-volant jusqu’à la ville de Tong-u, fit appeler le roi et lui ordonna de l’aider à le rattrapper. À cet effet, il lui monta sur les épaules, et comme il ne pouvait pas encore y atteindre, il lui monta sur la tête. Après avoir recouvré son cerf-volant il revint dans ses États et, ayant appelé son fils Sucha-Kuman, il lui dit : Mon fils ! je vais prendre un bain dans le fleuve, je ne reviendrai plus ici ; prenez le gouvernement du royaume. Le prince prit les paroles de son père pour une plaisanterie ; mais Phra-Ruàng, s’étant jeté dans l’eau, plongea et disparut pour toujours. Comme il était fils d’une Nagha, on prétend qu’il alla régner le reste de sa vie dans le royaume souterrain de sa mère.

Phaja-Sucharàt monta donc sur le trône ; craignant que les troubles et la guerre ne vinssent succéder à la prospérité du règne de son père, il fit fortifier sa capitale ; il fit construire des forts qu’il garnit de canons ; il entoura de murailles cinq villes du premier ordre et huit du second ordre ; ensuite il envoya une ambassade à son grand-père en Chine, pour lui demander au moins dix ouvriers capables de fondre des canons. Le roi de Chine reçut favorablement les envoyés de son petit-fils et lui procura les ouvriers qu’il demandait. Par leur secours, Phaja-Sucharàt fondit cent vingt gros canons et cinq cents petits. C’est depuis cette époque qu’il y a à Siam des fondeurs de samrit, de bronze et de thomphat ou tombac (alliage d’une partie d’or sur deux de cuivre). Les boulets étaient alors de terre cuite.

Tout était prêt pour la guerre ; un roi Lao, nommé Thama-Trai-Pidok, prépara de son côté une grande armée. Sucharàt ayant appris ces préparatifs, envoya un message à son oncle Rithiràt, roi de Xieng-mai ; mais celui-ci venait de mourir, et son fils Phromavadi régnait à sa place. Chacun de ces princes se hâta de rassembler dans sa capitale tous les soldats qu’il put et se tint prêt à tout événement.

Cependant Thama-Trai-Pidok, s’étant mis à la tête de ses troupes, s’avança vers Saxanalai et l’assiégea. Les deux rois se livrèrent de furieux combats sous les murs de la ville ; il y eut beaucoup de monde de tué de part et d’autre. Les choses en étaient là lorsqu’un fameux chef de tatapoins, nommé Phra-Putha-Kôsá, supplia les deux rois de suspendre les hostilités et d’entrer en pourparlers afin de faire la paix. Le roi Sucharàt, sachant que son adversaire venait lui faire la guerre pour avoir sa fille en mariage, la lui accorda ; après quoi Thama-Trai-Pidok s’en retourna à Xieng-sën avec la princesse, dont il eut deux enfants, l’un appelé Kraisón et l’autre Xàt~Sákhon. Le roi Thama-Trai-Pidok bâtit la ville de Phitsanulôk, où il fit construire trois temples célèbres et fit fondre trois grandes idoles d’airain, en l’honneur de Bouddha. Il établit roi de Lophaburi son fils Chào-Kraisón, et roi de Xieng-rai, son autre fils Xàt-Sákhon, après quoi il mourut à l’âge de cent cinquante ans. Xàt-Sákhon vint célébrer les funérailles de son père, et régna à sa place dans le royaume de Xieng-sën. Alors commencèrent des guerres interminables entre les différents États Thai et Lao, pendant l’espace de sept générations, au point que l’ancienne dynastie fut presque anéantie.

Dans les siècles passés, Somana-Khôdom étant venu un jour recevoir des aumônes dans la capitale du Camboge, appelée Mùan-Inthapat, un mendiant lépreux vint offrir à Bouddha un peu de riz dans son coco, et, en versant le riz dans la marmite du saint, la secousse qu’il donna fit tomber son petit doigt avec le riz, ce qui n’empêcha pas Phra-Khôdom de manger son riz en écartant toutefois le doigt du mendiant, et après son repas, il prophétisa qu’en récompense de son aumône, ce mendiant régnerait un jour dans cette capitale. Dans la suite, vers l’an mil six cents de l’ère de Bouddha, un prince nommé Khôta-Thevaràt régnait dans cette capitale du Camboge qui était bien déchue de sa première grandeur ; aussi tout le monde était dans l’attente d’un roi plein de mérite et puissant, qui ferait refleurir le royaume. En ce temps-là, il y avait un pauvre mendiant paralytique et difforme qui, ayant entendu dire que l’homme de mécite allait venir, se traînait sur la route pour avoir le plaisir de le voir. Alors, Indra apparut, monté sur un cheval magnifique ; il demanda au mendiant pourquoi il se traînait ainsi sur la route ; celui-ci lui répondit que c’était par le désir de voir l’homme de mérite. Indra, mettant pied à terre, le pria de prendre soin de son cheval et des effets qu’il portait, tandis qu’il s’absenterait un moment. Le mendiant lui dit : Seigneur ! ne soyez pas trop long. Indra répliqua : Si je tarde trop, le cheval et tout ce qu’il porte sont à vous. Le mendiant, curieux de savoir ce que contenait le paquet qu’on lui avait confié, l’ouvrit et y trouva une fiole d’huile de vertu divine. Il eut l’idée de s’en frotter les jambes et se sentit bientôt guéri de sa paralysie. Enchanté des merveilleux effets de cette huile, il s’en frotta tout le corps et dans quelques instants il devint le plus beau des hommes. Alors, ne doutant plus du bonheur qui lui était réservé, il se dit à lui-même : Sans doute c’est moi qui suis l’homme de mérite qu’on attend. Il quitta immédiatement ses haillons, se revêtit des habits célestes que lui avait laissés Indra, mit la couronne sur sa tête, prit le sceptre dans sa main et monta le cheval du dieu, lequel s’éleva dans les airs, dirigeant son vol rapide vers la capitale. Le roi Khota-Thevaràt, l’ayant aperçu venir ainsi dans les airs, se hâta de prendre la fuite avec la reine, sa famille, ses principaux officiers et environ cent mille hommes du peuple. Quant au mendiant transformé en roi, il monta sur le trône d’Inthapat-Nakhon, sous le nom de Phaja-Krek. Il prit pour reine une des princesses de la famille de Khota-Thevaràt. On prétend qu’il institua au aussi une nouvelle ère qui, à ce qu’il paraît, n’a pas été adoptée ni suivie après sa mort. Pour en revenir au roi Khota-Thevaràt, il est rapporté qu’il se dirigea à l’Occident et, après quinze jours démarche, il s’arrêta, avec le peuple qui l’accompagnait, à la branche orientale du Më-nam, où il bâtit une ville dont le nom s’est perdu dans l’oubli ; on sait seulement que son fils Phaja-Khôtabong, d’autres disent Phaja-Mûlek, est le fondateur de deux villes qui existent encore aujourd’hui, savoir : Phichit et Phixai, situées aussi sur la branche orientale du Më-nam.

Après trois générations, la postérité de Phaja-Krëk tomba en décadence ; il n’en resta plus qu’une princesse, qui devint la souveraine du Camboge. Les grands du royaume, ayant tenu conseil, élurent pour roi le fils d’un richard appeté Xôdok, et lui firent épouser la princesse cambogienne. Le nouveau roi, nommé Phra-Chào-Uthong, régna sept ans à Inthapat-Nakhon ; mais la contrée ayant été ravagée par une peste terrible, Phaja-Uthong, avec tout son peuple, abandonna le pays et, s’étant dirigé vers le sud-ouest, après vingt jours de marche, il arriva au bord d’un grand fleuve où il trouva une île d’une forme ronde. Il passa la rivière pour visiter cette île, et il y trouva un ermite qui lui dit que dans les siècles passés Somana-Khôdom était venu là et avait prédit que dans la suite on y bâtirait une grande ville. Phaja-Uthong fut charmé d’apprendre cette nouvelle et résolut de fixer sa résidence dans cette île. Il fit construire des murailles, s’y bâtit un palais, s’y établit avec tout son peuple, et donna à sa nouvelle ville le nom de Krung-Thèp-Mahá-Nakhon-Si-Ajuthaja qui devint par la suite fort célèbre sous le nom de Juthia.

Il existe une autre version touchant la fondation de Juthia ; on lit dans certains exemplaires des Annales qu’un roi de la nation Thai, ayant fondé la ville de Kamphëng-Phet, eut un fils de beaucoup de mérite au moment de sa naissance, Indra lui fit cadeau d’un berceau d’or ; c’est pour cela qu’il fut nommé Uthong. Ce prince ayant succédé à son père, envoya ses officiers reconnaître le pays qui est au midi. Ceux-ci, à leur retour, annoncèrent au roi qu’ils avaient trouvé une contrée très-fertile et abondante en poissons. Alors Phaja-Uthong émigra avec tout son peuple et vint bâtir Juthia dans l’île dont nous avons parlé. Cette seconde version me paraît plus vraisemblable que la première ; car si l’on adoptait la première, il s’ensuivrait que les Thai actuels ne sont plus de race Thai, mais de race Cambogienne hypothèse qui est tout à fait inadmissible, vu la grande différence qui existe entre ces deux races.

DEUXIÈME PARTIE.

DEPUIS LA FONDATION DE JUTHIA, JUSQU’À NOS JOURS.

Ère de Siam. Ère chrét.
712 Phaja-Uthong, après avoir fondé Juthia, prit le titre de Phra-Rama-Thibodi ; il établit son fils Phra-Rame-Suén roi de Lophaburi. Voici la liste des États qui étaient alors sous sa domination : 1. Malaka. 2. Xa-Va. 3. Tanaosi (Ténasserin). 4. Nakhon-sí-Thamarát (Ligor). 5. Thavai. 6. Mo-Ta-Ma (Martaban). 7. Mo-Lamlóng (Molmein). 8. Sóng-Khlá. 9. Chanthabun. 10. Phitsannulôk. 11. Sukkhôthai. 12. Phixai. 13. Savankha-Lok. 14. Phichit. 15. Kamphëngphet. 16. Nakhon-Saván. Il ne se passa rien de remarquable sous son règne, si ce n’est qu’il porta la guerre dans le Camboge d’où il amena un grand nombre de captifs. 1350
731 Phra-Rame-Suén succéda à son père et mourut une année après. 1369
732 Phra-Borom-Raxa, frère du précèdent, monta sur le trône et régna douze ans. 1370
744 Phra-Chào-Tong-Lan fut tué par son frère Phra-Rame-Suén, après avoir régné trois jours seulement. Rame-Suén s’empara de Xieng-Mai et en amena captifs plusieurs milliers de Lao.  
747 Il prit aussi la capitale du Camboge, et n’y laissa que cinq mille âmes. En 749 il bâtit une pagode célèbre appelée la Montagne d’Or. Son fils Phaja-Ram lui succéda et régna quatorze ans. 1385
763 Un parent du roi appelé Intharaxa s’empara du trône et envoya ses trois fils gouvèrner les provinces du nord, et mourut l’an 780. À la nouvelle de sa mort, deux de ses fils, Chào-Ai et Chào-Ji, accoururent à Juthia pour s’emparer du trône ; ces deux princes, montés sur des éléphants, se rencontrèrent au milieu d’un pont ; armés tous deux d’un sabre à long manche, ils se précipitèrent l’un sur l’autre avec une telle fureur qu’ils se coupèrent mutuellement la tête. Chào-Sám, leur frère, devint paisible héritier de la couronne sous le nom de Borom-Raxa-Thiràt. 1401
792 Il alla faire la guerre à Xieng-Mai, d’où il ramena douze mille captifs Lao. Il mourut l’an 796, et son fils Boroma-Trai-Lôkhanàt lui succéda.  
805 Sous son règne, il y eut une grande famine ; la quantité de riz contenue dans une mesure de coco se vendait un fuàng. 1443
834 Le roi étant mort, son fils Phra-Thibodi occupa le trône pendant trente-six ans. Il fit fondre en airain, avec alliage d’or et d’argent, une statue de Bouddha assis, haute de cinquante coudées. Phra-Borom-Raxa succéda à son père et ne régna que quatre ans. 1472
875 Raxa-Kuman ne garda le trône qu’un an ; son fils Xaja-Raxa-Thiràt lui succéda en 876. Dans l’année 887 Juthia fut presque entièrement consumée par un incendie épouvantable qui dura trois jours ; il est rapporté dans les Annales que cent mille maisons devinrent la proie des flammes. 1513
899 Le roi, en mourant, ne laissa qu’un fils âgé de onze ans, appelé Phra-Jot-Fa. Sa mère, Si-Suda-Chan, devint régente du royaume. Peu après elle contracta des liaisons criminelles avec un Phaja avec qui elle finit par vivre publiquement dans le palais ; elle parvint même à le faire proclamer roi ; après quoi, cette mère dénaturée fit massacrer son propre fils. Mais bientôt les grands du royaume, révoltés d’une conduite si abominable, tramèrent une conjuration, et, un jour que la reine avec l’usurpateur allaient visiter une pagode, tous deux étant assis dans le même ballon, un mandarin, qui montait une des barques du cortége, accosta le ballon royal, et l’épée à la main, il se précipita sur le roi et la reine qui poussaient des cris d’effroi, et les perça tous deux de son glaive avant que personne pût venir à leur ecours. Après cela les grands du royaume allèrent offrir la couronne à un oncle du roi défunt qui était alors retiré dans une pagode ;  
891 il monta sur le trône sous le nom de Mahá-Cha-kraphot-Raxa-Thiràt. 1529
894 Il prit la capitale du Camboge qui s’appelait alors Lavëk ; le roi vaincu lui livra ses fils en otage ; le vainqueur en choisit un qu’il établit roi de Sangkhalôk. 1532
905 En ce temps-là le roi du Pégu, dont la capitale s’appelait alors Hóngsávadi, leva une armée de trois cent mille hommes avec une troupe de sept cents éléphants de guerre, et vint, comme un torrent qui inonde le pays, établir son camp dans la plaine de Juthia. Le roi de Siam alla à sa rencontre avec les troupes qu’il put rassembler, et engagea un combat singulier avec le roi du Pégu. Mais l’éléphant que montait le roi de Siam ayant pris la fuite, la reine Surijô-Thai, qui était habillée en guerrier, combattit courageusement à la place de son époux, jusqu’à ce qu’ayant eu l’épaule coupée, elle expira sur son éléphant. Se deux fils soutinrent le choc de l’ennemi pendant qu’on transportait leur mère dans la ville. Le roi du Pégu assiégea Juthia pendant quelques mois ; mais la disette de vivres l’obligea à lever le siège, et à s’en retourner dans son pays.  
909 Le royaume de Siam devenait florissant ; les marchands de diverses nations y affluaient de toutes parts le roi possédait sept éléphants blancs, ce qui lui fit donner le nom de Phra-Chào-Xang-phûòk. Le roi du Pégu, ayant appris cela, en devint jaloux ; il envoya une ambassade pour demander deux éléphants blancs ; mais le roi de Siam les lui ayant refusés, il entra dans une grande colère, leva une armée de neuf cent mille hommes, avec sept mille éléphants, quinze mille chevaux, et mit le siège devant Juthia. Cependant les deux rois, s’étant abouchés, celui de Juthia consentit à livrer quatre éléphants blancs, et un de ses fils en otages, après quoi le roi du Pégus s’en retourna par le chemin de Phittanulôk.  
914 Le roi de Siam établit son fils Mahinthara-Thiràt à sa place, et se fit talapoin ; mais, l’année suivante, il quitta l’habit jaune, et reprit les rênes du gouvernement. 1552
917 Le roi du Pégu revint encore avec une armée plus formidable qu’auparavant ; il tint Juthia assiégée pendant neuf mois. Phra-Cháo-Xang-phûòk mourut pendant le siège, et son fils, tout adonné aux plaisirs, ne s’occupait point de la défense de la ville. Par surcroît de malheur, un des premiers mandarins se mit en rapport avec l’ennemi, et lui livra la ville qui fut pillée et saccagée. Le roi du Pégu en emporta des richesses immenses, et en emmena presque tous les habitants en captivité, n’y laissant que mille hommes, sous le commandement de Thamma-Raxa-Thiràt, qui était auparavant roi de Phittanulôk. Quant au roi de Siam, que le prince Pégu emmenait captif pour le faire servir à son triomphe, il tomba malade en route. Dix médecins reçurent l’ordre de lui rendre la santé ; mais comme, malgré tous leurs soins, ils ne purent le sauver de la mort, le tyran, leur maître, les fit tous massacrer.  
919 Le roi de Lavëk, qui avait conçu une haine implacable contre Siam, profita de l’état d’abaissement où il était réduit pour venir assiéger aussi Juthia. De son côté Thamma-Raxa-Thiràt s’était hâté de réparer les brèches faites à sa capitale, et y avait rassemblé un peuple nombreux, de sorte que le roi du Camboge voyant qu’il ne lui serait pas aussi facile qu’il l’avait cru de s’en emparer, se contenta de piller, saccager et faire des captifs tout le long de sa route, jusqu’à ce qu’il fût de retour chez lui. 1557
920 Thamma-Raxa-Thiràt établit roi de Phittanulôk son fils Phra-Narèt, qui n’avait encore que seize ans. Pendant plusieurs années de suite, le roi du Camboge venait faire des incursions et des tentatives pour prendre Juthia, et à chaque fois, repoussé de la capitale, il allait dévaster les provinces.  
926 Cependant le jeune prince Phra-Narèt, obligé de prêter ses service au roi du Pégu, comme étant son vassal, montra en plusieurs occasions une bravoure et une habileté extraordinaires. Le roi du Pégu en ayant été informé, craignit que dans la suite ce prince ne tournât ses armes contre lui, c’est pourquoi il lui envoya ordre de venir le trouver avec l’élite de ses guerriers, sous prétexte de lui confier une expédition militaire de haute importance. Phra-Narèt se mit donc en route avec dix mille hommes de troupes choisies. Quand il fut arrivé aux confins du Pégu, il alla faire ses dévotions dans une pagode célèbre. Là, un vieux talapoin le prit à part et lui dit : Prince, j’ai un secret à vous confier ; j’ai appris d’une manière certaine que le roi de Hongsavadi vous fait venir pour se défaire de vous, tenez-vous sur vos gardes. Phra-Narèt remercia le talapoin de son bon avis, et, indigné de la fourberie de son suzerain, il jura de devenir son ennemi mortel. Il attaqua les Péguans, fit dix mille captifs, et rentra sur le territoire de Siam. La nouvelle en ayant été portée au roi du Pégu, il expédia de suite une nombreuse armée qui se mit à la poursuite de Phra-Narèt. La rencontre eut lieu sur les bords de la rivière du Suphan, au moment où le prince venait d’exécuter le passage de la rivière avec ses captifs. Loin de s’effrayer, Phra-Narèt commença l’attaque, et du premier coup de mousquet, il abattit de dessus son éléphant le vice-roi qui commandait l’armée ennemie. Les Pégouans n’ayant plus de chef, prirent l’épouvante, et s’en retournèrent chez eux.  
929 Après cela Phra-Narèt s’empara de plusieurs États du nord et en amena quantité de captifs pour repeupler Juthia ; il répara aussi les murailles et fortifications de cette ville de manière à la rendre imprenable. 1567
930 Ensuite il s’empara de Xieng-Mai et de tous les États Lao. Plusieurs fois le roi de Hongsavadi vint inonder le territoire de Siam de ses nombreuses armées ; mais Phra-Narèt fut toujours vainqueur et le repoussa constammentjusqu’au cœur de son royaume. 1568
945 Depuis longtemps le roi de Juthia avait fait le serment de se laver les pieds dans le sang du perfide roi de Camboge. Dès qu’il fut délivré de ses autres ennemis, il alla assiéger Lavëk ; les Cambogiens se battirent en désespérés ; le siège dura plusieurs mois ; mais enfin Lavëk fut prise d’assaut et le roi du Camboge, chargé de chaînes, fut amené aux pieds de son vainqueur. Phra Narèt, du haut de son trône, annonça lui-même la sentence au roi vaincu : Souviens toi, lui dit-il, comme tu nous insultais dans nos malheurs ; souviens-toi de tous les maux que tu as faits à la nation des Thai ; il y a longtemps que j’ai juré de laver mes pieds dans ton sang ; sois un homme de cœur, ne regrette pas la vie et meurs courageusement. Alors retentirent les cymbales, les tambours et autres instruments de musique pendant qu’on égorgeait le pauvre monarque dans une tente voisine. Son sang encore tout chaud fut apporté dans un grand bassin d’or devant Phra-Narèt, qui eut le courage barbare de s’y laver les pieds au son des cymbales et autres instruments.  
949 Ensuite l’infatigable Phra-Narèt tourna les armes contre le Pégu. Après s’être emparé de Motama (Martaban), il alla attaquer Hongsavadi qui tomba aussi en son pouvoir, et il établit des gouverneurs Thai dans ces deux villes. En 955 il leva encore une armée formidable pour aller prendre Ava ; mais il mourut en route, et son frère Eka-Thotsarot régna à sa place. Ce nouveau roi, n’ayant pas l’esprit guerrier, renonça à l’expédition que Phra-Narèt avait commencée et revint à Juthia avec toute l’armée.  
963 Eka-Thotsarot étant mort après un règne paisible de six ans seulement, son fils Chào-Fa, le Borgne, lui succéda ; mais, l’année suivante, il périt victime d’une conjuration ourdie contre lui. Son oncle Phra-Si-Sin fut élu roi sous le nom de Phra-Chào-Song-Tham. Ce fut sous son règne qu’on découvrit le célèbre vestige de Bouddha au pied d’une belle montagne à l’est de Juthia. 1601
989 Ce prince fut massacré par un mandarin nommé Phaja-Surivong, lequel s’empara du trône et régna sous le nom de Phra-Chào-Prasat-Thong. Il eut un fils qu’il nomma Phra-Narai, parce que, quand il vint au monde, il parut avoir quatre bras.  
1017 Phra-Chào-Prasat-Thông en mourant laissa sa couronne à un de ses fils nommé Chào-Fa-xai, qui fut tué peu après par Phra-Narai et son oncle Sutham-Raxa. Cet oncle régna quelques mois seulement ; car ayant tenté de violer la sœur de Phra-Narai, celui-ci se révolta, le battit et le fit mourir. 1655
1018 Phra-Narai, devenu roi sous le nom de Phra-Chào-Xamphuôk, fit mourir ses deux frères qui méditaient une révolte. 1656
1019 Constantin Falcon arriva cette année-là à Juthia ; il entra en faveur dans l’esprit du roi qui le fit mandarin. Ce fut à son instigation que le roi de Siam envoya des ambassadeurs en France ; mais arrivé aux environs du cap de Bonne-Espérance, le navire qui les portait fit un triste naufrage, et les ambassadeurs ne parvinrent pas en France. Phra-Narai envoya une armée assiéger Ava ; mais voyant qu’il ne pouvait pas s’en rendre maître, il attaqua et prit Xiang-Mai. Quelque temps après, Constantin Falcon fut élevé à la dignité de premier ministre ; mais par sa haute position et sa conduite imprudente il excita la jalousie des mandarins contre lui. Plusieurs fois ils cherchèrent à le perdre dans l’esprit du roi, qui ne prêta jamais l’oreille à leurs insinuations malveillantes. Constantin rendit de grands services à Siam ; il y attira quantité de négociants hollandais, français, anglais et portugais ; chaque nation y avait sa factorerie, et le commerce y devint très-florissant. Il persuada au roi d’envoyer en France de nouveaux ambassadeurs, lesquels parvinrent heureusement à leur destination. Il s’est trouvé plusieurs historiens français qui ont prétendu que l’ambassade de Siam à Louis XIV était une fiction ; mais c’est à tort, puisqu’il y a dans les Annales de Siam un volume tout entier qui rapporte ce fait avec des circonstances fort curieuses. Il y est dit, par exemple, qu’à chaque fois que les ambassadeurs siamois étaient admis à l’audience de Louis XIV, ils avaient vu le prince, le trône et la salle d’audience briller de pierreries différentes. Un jour c’étaient des rubis, un autre jour des émeraudes ou des saphirs, etc. On rapporte aussi dans ces Annales que le roi de France les ayant invités à une grand revue où l’on fit exécuter aux soldats français toutes sortes d’évolutions militaires, le roi leur demanda si dans leur pays les soldats pouvaient en faire autant : Sire, répondit le premier ambassadeur, nos soldats s’exercent d’une autre manière, et je prie Votre Majesté de faire l’épreuve avec ceux qui m’ont accompagné. Je vais placer mes cent soldats de front, Votre Majesté ordonnera à cent de ses soldats de tirer sur les miens à la distance de trente ou quarante pas, et vous verrez que toutes les balles tomberont aplaties à leurs pieds sans qu’aucun d’eux reçoive la moindre blessure. L’expérience eut lieu et tout le monde admira la faculté prodigieuse qu’avaient les soldats siamois de se rendre invulnérables.

Cependant Phra-Narai tomba dangereusement malade dans son palais de Lophaburi ; Chào-Dûa, son fils naturel, et Phra-Phet-Raxa, conspirèrent contre le monarque tout en lui témoignant de grands signes extérieurs de respect. Un jour, ils vinrent tous les deux à l’audience, et se prosternèrent avec les autres. Phra-Narai, qui savait leur complot, ne put contenir son indignation ; tout malade qu’il était, il se leva l’épée à la main, en disant : Traîtres que vous êtes, vous avez encore l’audace de vous présenter devant moi ! Que n’ai-je ma première vigueur pour vous percer de cette épée ! Entendant ces mots, les deux conspirateurs s’esquivèrent ; mais le roi qui se précipitait vers eux tomba de faiblesse, et cette chute aggrava tellement son mal, qu’il mourut quelques jours après. Chào-Dûa et Phra-Phet-Raxa se saisirent par surprise du premier ministre Constantin, et le firent massacrer dans les bois de Lophaburi.

 
1050 Phra-Phet-Raxa étouffa tous les germes de civilisation introduits à Siam par son prédécesseur ; cependant, il est fait mention dans les Annales d’une ambassade qu’il envoya au roi de France. 1688
1059 À la mort de Phra-Phet-Raxa, Chào-Dûa monta sur le trône. Contrairement au précepte des bouddhistes, il était adonné à la chasse et à la pêche ; il était cruel, barbare et débauché au suprême degré.  
1068 Chào-Dûa étant mort, son fils (qu’on ne nomme pas) lui succéda. Il ne fit rien de remarquable, si ce n’est qu’il chassa les Annamites du Camboge qu’il rendit tributaire. À sa mort, il s’éleva une guerre civile ; le vice-roi fit massacrer la famille royale et s’empara du trône. Ce fut sous le règne de cet usurpateur qu’on découvrit les mines d’or de Bang-Taphan. 1706
1120 Après lui, son fils Chào-Dok-Ma-Dûa ne régna qu’un an, remit la couronne à son frère et se fit talapoin. En ce temps-là, le roi d’Ava vint assiéger Juthia ; mais, étant tombé malade, il leva le siège et mourut en route. 1758
1128 Son successeur, à la tête d’une armée nombreuse de Birmans, vint ravager toute la plaine de Siam ; il tint Juthia assiégée pendant deux ans, et finit par s’emparer de cette capitale qu’il réduisit en cendres. Le roi de Juthia parvint à s’échapper, et, abandonné de tous, il erra quelque temps dans les bois, où il mourut de faim et de misère.  
1129 Pendant que les Birmans assiégeaient Juthia, il se trouva un homme courageux, fils d’un Chinois et d’une Siamoise, appelé Phaja-Tak, gouverneur d’une province du nord cet homme, prévoyant la ruine de la capitale, rassembla environ mille soldats, hardis et déterminés, avec lesquels il se retira dans les montagnes de Makhon-Najok. Plusieurs fois les Birmans vinrent attaquer cette petite troupe de braves guerriers mais ils furent toujours repoussés et mis en déroute. Phaja-Tak se dirigea ensuite vers Bang-la-Soi qui le reconnut pour roi ; de là, il se rendit à Rajong, augmenta sa troupe en appelant auprès de lui tous les hommes de bonne volonté. Le gouverneur de Chanthabun ayant refusé de reconnaître son autorité, il se mit en marche pour aller attaquer cette ville. Quand il fut arrivé près des murailles, il fit briser tous les vases de cuisine, en disant à ses soldats : Mes amis, il faut que nous allions prendre notre repas dans la ville, et il ordonna l’assaut à l’instant même. Malgré le feu des assiégés, et une grêle de pierres qu’ils faisaient pleuvoir sur les assaillants ; Phaja-Tak, monté sur son éléphant, s’avança à la tête de ses troupes qui le suivirent avec ardeur. Il enfonça une des portes, et bientôt la ville fut en son pouvoir. Il fit construire, à la hâte, cent barques de guerre, et, quand elle furent équipées, il alla prendre Phuthaimàt ou Kankao, sur les confins de la Cochinchine, puis il soumit le Camboge à son autorité ; enfin, il revint auprès des ruines encore fumantes de Juthia, exterminant tous les corps de troupes des Birmans qui étaient restés dans le pays. Dès qu’il fut délivré de ses ennemis, il vint établir sa résidence à Bangkok, qu’il appela Thanaburi. Il régnait alors une grande famine dans le pays Phaja-Tak envoya ses navires acheter du riz dans les États voisins, et le distribua libéralement au peuple.  
1131 Guerrier infatigable, Phaja-Tak n’habitait presque jamais dans son palais ; il était toujours dans les camps et à la tête de son armée ; il reprit Ligor, Phittanulôk et Xieng-Mai, où il établit un nouveau roi. Chaque année les Birmans venaient faire des irruptions ; Phaja-Tak les faisait cerner par ses troupes jusqu’à ce qu’ils mourussent de faim ou qu’ils se rendissent à discrétion. 1769
1139 Il entreprit aussi une expédition contre le royaume Lao de Vieng-Chan ; s’étant emparé de la capitale, il en rapporta la fameuse idole d’émeraude, appelée Phra-Këo. 1177
1142 Phaja-Tak se montra constamment très-ami du peuple et des pauvres, aussi était-il très-libéral ; ses soldats recevaient une solde trois ou quatre fois plus forte que sous les règnes précédents. Mais, d’autre part, il était rude, sévère, et trop exigeant à l’égard des riches et des mandarins ; c’est ce qui fut la cause de sa perte. On dit que les mandarins lui firent prendre certaines drogues qui le rendirent fou il s’imagina qu’il devenait semblable à Bouddha, et il voulut qu’on lui fit des sacrifices et des offrandes comme on en faisait aux idoles ; il se mit à exiger des sommes d’argent des mandarins, et à faire battre du rotin ceux qui ne lui en donnaient pas. Le peuple, animé par les grands, se révolta et vint attaquer le roi jusque dans son palais. Le roi tremblant, s’enfuit dans une pagode, et se fit talapoin.  
1144 Peu de temps après, le premier ministre s’étant emparé du trône, fit tirer Phaja-Tak de la pagode et le fit massacrer, sous prétexte qu’il pourrait exciter des troubles dans la suite. Le nouveau roi, qui prit le nom de Phra-Phuti-Chào-Luáng, transporta la cité et le palais de la rive occidentale à la rive orientale. Sous son règne, les Birmans firent encore plusieurs irruptions sur le territoire de Siam ; mais ils furent toujours repoussés et battus.  
1173 Ce monarque, qui est le premier roi de la dynastieactuelle,régna vingt-neuf ans. Après sa mort, son fils (qu’on appelle ordinairement Phën-din-Klang), gouverna paisiblement pendant quatorze ans. 1811
1187 Quand il mourut, son fils Chào-Fa-Mongkut n’avait guère que vingt ans ; en sa qualité de fils aîné de la reine, le trône lui appartenait ; mais un de ses frères, fils d’une concubine, et plus âgé que lui, s’empara du pouvoir, en disant au prince : Tu es encore trop jeune, laisse-moi régner quelques années, et, plus tard, je te remettrai la couronne. Il se fit donc proclamer roi, sous le nom de Phra-Chào-Prasat-Thong. Une fois assis sur le trône, il paraît que l’usurpateur, s’y trouvant bien, ne songea plus à remplir sa promesse. Cependant le prince Chào-Fa, craignant que s’il acceptait quelque charge dans le gouvernement, tôt ou tard, et sous quelque spécieux prétexte, son frère ne vînt attenter à sa vie, se réfugia prudemment dans une pagode, et se fit talapoin.  
1191 Il se passa deux événements mémorables sous le règne de Phra-Châo-Prasat-Thong ; le premier, fut la guerre contre le roi Lao de HeM~-C/MM, qui eut lieu en 1829 ; ce monarque, fait captif, fut amené à Bangkok, mis dans une cage de fer, exposé aux insultes de la populace, et ne tarda pas à succomber aux mauvais traitements qu’il endurait. 1829
1196 Le second, fut une expédition dirigée contre les Cochinchinois, et par terre et par mer, laquelle n’a pas eu d’autre résultat que de procurer à Siam quelques milliers de captifs.

Au commencement de 1851, le roi étant tombé très-malade, rassembla son conseil, et proposa un de ses fils pour successeur. On lui répondit : Sire, le royaume a déjà son maître. Atterré par cette réponse, le monarque rentra dans son palais et ne voulut plus reparaître en public ; le chagrin et la maladie le minèrent bien vite, et il expira le 3 avril 1851. Ce jour-là même, malgré les complots des fils du roi défunt, que le premier ministre sut habilement comprimer, le prince Chào-Fa quitta ses habits jaunes, et fut intronisé sous le nom de Somdet-Phra-Paramander-Mahá-Mongkut, etc. Sa Majesté le roi, qui porte la grande couronne. (Je m’abstiens de citer les autres titres qui rempliraient une page entière.) Pendant vingt-cinq ans, le souverain actuel de la nation Thai s’est adonné patiemment à l’étude du sanscrit, du bali, de l’histoire, de la religion, de la géographie, de la physique et de la chimie, de l’astronomie, et enfin de la langue anglaise. Dès son avènement au trône, Sa Majesté s’est occupée de faire exercer ses troupes à l’européenne, de creuser des canaux, faire des routes, bâtir des forteresses, construire des navires, faire des commandes de bateaux à vapeur, favoriser les arts, l’industrie et le commerce ; elle a établi une imprimerie royale ; elle accorde la liberté de l’enseignement religieux aux diverses nations qui composent la population du royaume ; en un mot, tout présage que son règne deviendra une époque remarquable dans l’histoire de la nation des Thai.