Description du royaume Thai ou Siam/Tome 1/Chapitre 12

La mission de Siam (1p. 337-355).


CHAPITRE DOUZIÈME.

ARTS ET INDUSTRIE.



ASTRONOMIE ET ASTROLOGIE.

Les Siamois ont plusieurs livres, traduits du bali, qui traitent du cours du soleil et de la lune, des constellations du zodiaque, des planètes, et des présages qu’il faut tirer du cours des astres ; mais cette science n’est cultivée que par les brames, qui sont les devins du roi, et par un petit nombre d’érudits, qui ne s’y adonnent que pour exploiter la crédulité du peuple, ou pour se faire une réputation de savants. Du reste, ils n’emploient ni télescopes, ni aucun autre instrument astronomique, et toute leur science est fondée sur des calculs bizarres auxquels il est difficile d’ajouter foi. Aussi arrive-t-il que ces prétendus astronomes ou plutôt astrologues se trompent très-souvent dans leurs prédictions, ce qui leur attire de temps en temps des volées de coups de rotin, qui ne les rendent ni plus savants ni plus prudents.

MATHÉMATIQUES.

Les mathématiques sont aussi très-peu cultivées à Siam ; il y a cependant quelques bons livres de mathématiques qui enseignent l’arithmétique et l’art de résoudre, au moyen de calculs ingénieux, les problèmes les plus difficiles. Les secrétaires des mandarins et des ministres sont à peu près les seuls qui sont un peu versés dans cette science. À l’aide de l’abaque chinois, les négociants et leurs commis sont à même de faire, en quelques minutes, les calculs les plus compliqués.

HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE.

Les Thai n’ont point de cartes géographiques, même de leur propre royaume ; ils se contentent d’écrire, à la suite les uns des autres, les noms des villes et des villages de chaque province ; en indiquant leur distance approximative ; il n’y a qu’un petit nombre de princes ou de mandarins qui, après s’être procuré des atlas ou de cartes européennes, ont étudié un peu la position relative des principales contrées du gtobe. Quant à l’histoire, ils ne l’ont étudiée que dans leurs annales ou dans celles des Chinois et des Birmans.

MÉDECINE.

Il y a un mandarin chef de tous les médecins royaux ; ceux-ci sont divisés en plusieurs bandes, qui font le service à tour de rôle. Ils sont tenus à veiller au palais jour et nuit pour donner leurs soins aux malades de la cour, ils accompagnent l’armée, les princes et les mandarins dans leurs courses. Tous ces médecins reçoivent une solde du roi et leur dignité passe à leurs enfants. Ils sont divisés en deux classes, les médecins proprement dits, et les chirurgiens ; ou, pour parler !e langage des Siamois, ceux qui guérissent les maladies internes et ceux qui guérissent les blessures. Outre les médecins du roi, il y en a une infinité d’autres qui, sans études préalables, sans examen et sans diplôme, se constituent eux-mêmes docteurs ; il suffit pour cela de se procurer un livre de tamra ou recettes, une petite boîte à compartiments renfermant des petits sachets de pilules, des onguents, quelques fioles d’essences ou de poudres sternutatoires, de camphre, d’huile balsamique ; mais surtout il faut savoir assaisonner tout cela de verbiage et de charlatanisme. En général, tous ceux qui ne font que commencer à pratiquer cet art ne font rien qui vaille pendant les huit ou dix premières années ; mais après cela, l’expérience venant à leur aide, ils finissent par devenir de bons médecins. Le peuple, qui n’a pas plus de confiance qu’il ne faut à cette foule de charlatans, se garde bien de prendre et de payer leurs remèdes en aveugle. Un malade fait venir le médecin, lui expose son mal et puis lui demande s’il peut le guérir ; l’autre, après une mûre réflexion, et après s’être bien rendu compte des symptômes de la maladie, répond : Oui, je puis vous guérir. Le malade reprend : Eh bien ! quand vous m’aurez guéri, je vous donnerai tant. Si cela plaît au docteur, on passe un écrit, après quoi le docteur demande deux cierges pour adorer l’Esculape des Indiens, et la somme de six salûng (4 fr. 50 c.) pour achat de médecines. Après quelques essais, si le malade va mieux, le charlatan redouble d’efforts pour tâcher d’arriver à une parfaite guérison ; mais s’il n’y a pas de mieux, il plante là son malade et s’en va chercher fortune ailleurs.

Il y a deux systèmes de médecine très en vogue à Siam, le système chinois et le système indien. Les médecins chinois sont forts pour tâter le pouls, il leur faut près d’un quart d’heure pour cette opération, et ils croient découvrir dans le battement des artères l’état intérieur du malade et tous les symptômes possibles du mal. Après vous avoir tâté le pouls, ils vous prescrivent une décoction de tels ou tels paquets de médecines chinoises qui ressemblent aux paquets de thé et contiennent une foule de drogues, parmi lesquelles on distingue des écorces, des racines, du bois, des feuilles sèches, des os, des insectes et même des mille-pieds desséchés. Vous voilà donc condamné à boire pendant quinze jours, un mois, de cet abominable thé qui revient à quinze sous le paquet.

Les médicaments siamois consistent surtout en poudres ou en pilules, ils sont composés de simples, de fleurs, de racines et de bois odoriférants ; on délaie les poudres ou les pilules dans une petite tasse d’eau tiède, qui se boit avec la plus grande facilité. Ces remèdes ne guérissent pas toujours, mais ne peuvent jamais faire de mal. Parmi les innombrables recettes, il en est qui contiennent plusieurs substances auxquelles le charlatanisme attribue de grandes vertus, comme on peut en juger par la recette suivante « Formule médicinale contre la chaleur qui provient d’une affection morbifique : prenez de la corne de rhinocéros, une partie ; dent d’éléphant, une partie ; dent de tigre, une partie ; dent de crocodile, une partie ; dent d’ours, une partie ; os de vautour, de corbeau et d’oie, une partie ; corne de bison, une partie ; corne de cerf, une partie ; bois de sandal, une partie ; frottez ces substances sur une pierre avec de l’eau pour véhicule, buvez-en la moitié et frottez-vous avec l’autre moitié ; la chaleur morbifique s’en ira. »

Les Thai possèdent plusieurs bons livres de médecine traduits du bali ; les uns traitent des vertus et des propriétés des substances végétales et minérales, les autres traitent de l’anatomie du corps humain, des veines et des artères ; il y en a qui décrivent les symptômes des maladies et des fièvres ; enfin, les autres ne contiennent que des formules ou recettes qui, en général, sont très-bonnes, et confirmées comme telles par l’expérience de plusieurs siècles.

Le régime qu’on fait suivre aux malades est bien différent de celui qu’on suit en Europe ; on ne leur donne à manger que du potage de riz très-liquide avec un peu de poisson séché au soleil ; on leur fait prendre des hains, ou plutôt opn leur administre des douches trois à quatre fois par jour ; le garde-malade prend une bonne gorgée d’eau dans laquelle on a fait infuser des plantes médicinales, et il la souffle sur le malade avec une telle violence que l’eau lui arrive sur le corps à l’état de vapeur ; opération qu’il repète pendant près d’un quart d’heure. Il est indispensable aussi de se faire masser ; une personne habile dans cet art presse et masse tous les membres du malade, surtout les bras, le ventre et les cuisses ; d’autres fois le médecin monte sur les genoux du malade et, se tenant debout, il se met à lui fouler le corps ; ils prétendent par là remettre les nerfs dans leur état naturel.

Les principales maladies qui régnent à Siam sont pour les enfants, les vers, la rougeole et la petite vérole ; on a commencé à introduire la vaccine dans le pays, ce qui n’empêche pas que la petite vérole emporte quelquefois le tiers des enfants. Les grandes personnes sont sujettes à la dyssenterie dont on guérit le plus souvent. Les fièvres intermittentes sont assez ordinaires, sans être dangereuses mais les fièvres malignes, qu’ils appellent fièvres des bois, sont presque toujours mortelles heureusement qu’elles sont rares. Depuis une trentaine d’années le choléra asiatique sévit de temps en temps avec plus ou moins d’intensité. Les Siamois prétendent que toutes leurs maladies viennent du vent ; pour dire que quelqu’un a eu une attaque, ils disent que le vent l’a pris ; aussi font-ils grand usage du camphre, de l’ammoniaque, poivre, gingembre et autres excitants pour chasser le mauvais vent du corps des malades. Il paraît que le mal vénérien est assez répandu dans la classe des riches, ce qui est une juste punition de la polygamie et de leurs débauches. Il y a quelques lépreux, et plus encore de gens couverts de dartres incurables. Quant aux autres plaies, les médecins ont des onguents ou des emplâtres très-efficaces pour les guérir.

MUSIQUE.

Les Thai, étant un peuple ami de la gaieté et des fêtes, cultivent beaucoup la musique ; il n’y a pas de village qui n’ait son orchestre ; tous les princes et les mandarins ont leur troupe de musiciens ; vous ne pouvez aller nulle part sans entendre jouer des instruments. Leur musique ne comporte pas les accords, des tierces, quintes, etc. mais seulement l’accord de l’octave, de sorte qu’elle est toujours à l’unisson, et, ce qui fait l’agrément de leur musique, c’est la variété des instruments et la volubilité de l’exécution. Leurs principaux instruments de musique sont : le khong-vong, le rands ou harmonica, la guitare, le violon, la flûte, le haut-bois, le thakè, les cymbales, les trompettes, la conque, l’orgue lao et les tambours. Dans les comédies, toutes les fois que les acteurs chantent des couplets, ils s’accompagnent avec les castagnettes pour marquer la mesure, et le bruit de ces bois sonores n’est pas sans agrément. J’ai déjà parlé ailleurs de l’orgue lao dont les Siamois ne font presque jamais usage, mais le khong-vong est d’un magnifique effet ; c’est un instrument composé d’une série semi-circulaire de timbres suspendus sur des ficelles, et sur lesquels le musicien frappe avec deux petits marteaux de bois qu’il tient à chaque main. Quand les timbres sont bien justes, et que le joueur est habile, les sons de cet instrument sont très-harmonieux, et cependant si forts qu’on les entend d’un quart de lieue et plus. L’harmonica dont ils se servent est tantôt en plaques de bois sonore, tantôt en plaques d’airain. Ils ont plusieurs espèces de violons dont le plus petit est formé d’une moitié de coco fermée par de la peau de boa ; il rend des sons criards et très-aigus. Leur guitare est presque aussi agréable que celle d’Europe. Ils ont plusieurs sortes de flûtes, une entre autres dans laquelle on souffle par le nez. Outre les grandes cymbales, ils en ont encore une petite espèce dont le son aigu et perçant est d’un très-bon effet ; leurs tambours sont faits de peau de bœuf, ils en ont cinq espèces dont quelques-uns ressemblent à un cône allongé, et ne se frappe que d’un côté. Dans leurs cérémonies funèbres, ils se servent d’une sorte de clarinette criarde dont le son est vraiment très-lugubre. Le taché est un instrument très-curieux ; c’est comme une longue guitare à cordes métalliques ; elle est posée à terre, et les dames des princes dont la main est munie de grands ongles postiches, en tirent des sons assez forts et agréables.

Le caractère de la musique des Siamois est la volubilité jointe à l’expression ; néanmoins, quelqu’un qui l’entendrait pour la première fois, n’y verrait peut-être que ce que nous appelons en France des roulades et des ritournelles, car, en effet, ils répètent souvent et presque à satiété certaines phrases musicales ; mais ce n’est pas sans motif ; c’est pour impressionner plus vivement les auditeurs. Les chansons des Thai sont de deux sortes : les unes célèbrent les exploits des anciens héros ; les autres sont des couplets amoureux qui sous un voile allégorique et honnête en apparence, recèlent un sens lascif et impudique.

PEINTURE ET DESSIN.

Les Thai ont pris les Chinois pour modèles dans l’art de la peinture et du dessin, et jusqu’à présent ils sont restés encore bien au dessous de leurs maîtres ; leurs dessins sont grossiers, ils ont un cachet grotesque et qui n’imite jamais la nature ; ils dessinent des paysages sur des paravents, sur les murs intérieurs des maisons ; mais c’est surtout dans les palais et les pagodes qu’ils déploient avec un grand luxe toute leur science en peinture. C’est là que l’or est mêlé avec profusion aux plus riches couleurs, et ces images, toutes bizarres qu’elles sont, ne laissent pas que d’exciter l’admiration des Européens qui les ont visitées. Il y a, à Siam, une classe d’hommes appelés alak, qui soignent bien l’écriture ; c’est ordinairement avec de la gomme-gutte détrempéequ’ils écrivent en beaux caractères jaunes sur une longne feuille de papier noir, qui est pliée de manière à former de soixante à quatre-vingts pages. Ils écrivent aussi avec l’encre de Chine sur de longues feuilles de papier gris, fait avec l’écorce d’un arbre appelé koi. On dit qu’il y a dans le palais une compagnie de dames très-habiles à graver, avec le stylet, des caractères et des figures sur les feuilles de palmier ; elles n’ont pas d’autre métier, et le roi les loue pour faire des ouvrages de ce genre à l’usage des pagodes.

AGRICULTURE.

De temps immémorial les Thai se sont adonnés à l’agriculture de préférence aux autres arts. Au mois de mai, ils vont sarcler les champs et, au moyen de la herse, ils purgent la terre de toutes les herbes ; ensuite ils labourent avec une petite charrue qui peut avoir la largeur de la main. Dès que la première pluie est tombée, ils sèment le riz qui, arrosé par de nouvelles pluies, s’élève rapidement. La récolte n’a lieu qu’au mois de janvier. Le riz est battu sur les lieux mêmes, on brûle la paille et les racines pour bonifier le terrain.

Les jardins de Siam sont de deux sortes : les uns ne sont plantés que d’arbres fruitiers, et les autres de légumes. Pour les premiers, tout le travail des jardiniers consiste à entretenir les petits canaux où l’eau du fleuve monte tous les jours, à se prémunir contre les écureuils, les corbeaux et les chauves-souris, et à recueillir les fruits des arbres dans le temps favorable. Quant à ceux qui plantent des légumes, il leur faut faire des provisions d’urine putréfiée et de poisson pourri, qu’ils mêlent à une grande quantité d’eau ordinaire, afin d’obtenir des légumes superbes et abondants. Quant aux planteurs de cannes à sucre, poivre, tabac, etc., leur travail est très-pénible, mais aussi très-lucratif.

Du temps de Louis XIV, le roi de Siam, appelé Phra-Narai, envoya un de ses navires en France, avec trois ambassadeurs ; mais arrivé aux environs du cap de Bonne-Espérance, il périt par un terrible naufrage. C’est là la plus grande navigation qu’aient jamais faite les Siamois ; depuis lors, ils n’ont pas dépassé Ceylan et Calcutta. Tous les ans, ils naviguent en Chine, à Syngapore et à Java. Ils n’ont que quatre ou cinq capitaines capables de conduire un navire par le moyen des instruments nautiques ; tous les autres, ignorant l’art de la navigation, conduisent leur bâtiment par routine, en suivant les côtes et pour ainsi dire à tâtons. La navigation à l’extérieur occupe annuellement une centaine de gros bâtiments ; mais le commerce intérieur ou du littoral emploie plus de mille barques jaugeant de dix à soixante tonneaux. Les Thai sont très-habiles dans la construction des barques de toutes dimensions ; ils sont aidés en cela par une troupe d’ouvriers birmans, par les Chinois et les Annamites chrétiens. Quand on construit un navire, le ministre invita toujours quelque Européen à venir surveiller les travaux.

PÊCHE ET CHASSE.

Quoique la pêche et la chasse soient défendues par la religion, les Siamois ne laissent pas de s’y livrer sur tous les points du royaume ; leurs chasseurs sont hardis, agiles, très-adroits. Il y en a parmi eux qui vont à la recherche des tigres, et qui tuent tous les ans une vingtaine de ces animaux féroces. Ils passent la nuit sur un arbre auprès de la fontaine où le tigre et le cerf viennent se désaltérer, et à chaque fois ils abattent plusieurs pièces de gibier. Le port d’armes est permis partout ; il n’y a pas de village où il n’y ait quelques chasseurs. Les peaux des bêtes se vendent aux Chinois, et leur viande, séchée au soleil, est une grande ressource pour les habitants.

Il serait difficile d’énumerer tous les instrumehts de pêche employés à Siam. Hors de la capitale, tout le monde pêche avec la ligne, la trouble, l’épervier, la senne, le harpon, la nasse, l’étiquet, les claies, etc., etc. À l’époque où le fleuve débordé rentre dans son lit, les rivières, les canaux et les étangs fourmillent de poissons ; c’est alors que chacun fait sa provision pour toute l’année. On écaille le poisson, on le laisse tremper dans l’eau salée pendant une nuit ; le lendemain, on le lave à la rivière, puis on l’expose au soleil sur des claies de bambous ; après trois ou quatre jours, il est parfaitement sec et se conserve bien en vieillissant, ce poisson acquiert un goût de jambon ; c’est une nourriture très-saine, que plusieurs personnes préfèrent à la viande et au poisson frais.

ARCHITECTURE.

L’architecture est un art qui a toujours été bien cultivé à Siam ; il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les gravures jointes à cet ouvrage pour se convaincre de l’habileté des Siamois à bâtir des édifices, des palais et des pagodes qui seraient dignes des nations civilisées. Leur architecture est un mélange des genres indien, chinois et européen. Ils ne bâtissent pas en pierres, mais toujours en briques ; leur ciment est composé de chaux et de sable, à quoi ils ajoutent de la mélasse et de l’eau dans laquelle ils ont laissé tremper longtemps de la peau de buffle et certaines écorces d’arbres. Le fait est que leurs constructions sont très-solides, en voici la preuve : quand on voulut bâtir les murailles de Bangkok, plusieurs mandarins vinrent chercher des briques aux ruines de Juthia ; mais tours gens avaient tant de peine à détacher les briques du ciment, qu’ils furent obligés de renoncer à leur entreprise.

ARTS DIVERS.

Les Thai honorent beaucoup la sculpture ; presque toujours l’avant et l’arrière de leurs barques sont sculptés. Dans toutes les maisons, mais surtout dans toutes les pagodes, il y a toujours quelque ouvrage orné de sculptures plus ou moins délicates ; il est vrai qu’ils ont des bois très-propres à ce genre de travail. Ils font aussi des ouvrages de marqueterie et incrustations, soit en nacre de perle, soit en petits carrés de verre de différentes couleurs. Le gouvernement a une petite fabrique de verre où l’on souffle des petites bouteilles, et surtout des boules d’un verre mince qu’ils savent étamer avec certaines compositions métalliques de manière à leur donner des reflets de couleur très-vive. Ils fabriquent donc du verre à couleurs rouge, bleue, jaune et verte. Ces verres étamés sont employés en incrustations dans le bois ou dans les murs et surtout pour l’ornement des pagodes. Il y a au palais des batteurs d’or qui sont très-habiles, car avec un tical d’or ils parviennent à faire mille feuilles de onze centimètres de longueur sur sept centimètres de largeur. C’est avec ces feuilles qu’ils font de si belles dorures au moyen du rak ou laque liquide, dont j’ai parlé ailleurs. Avec un petit fourneau et un soufflet à deux vents, les fondeurs en cuivre sont capables de faire des choses prodigieuses, par exemple de fondre une statue colossale de cinquante pieds de haut. Quand le moule de l’idole a été chauffé, les fondeurs s’établissent tout autour avec leurs petits fourneaux, chacun fond une centaine de livres de métal, et, au signal donné, deux hommes robustes montent en haut du moule avec leurs creusets pleins de métal fondu qu’ils versent par l’ouverture supérieure à peine ont-ils fini, que deux autres en versent autant, et ainsi de suite, sans interruption, jusqu’à ce que le moule soit plein. Les orfèvres font des ouvrages très-délicats ; ils savent incruster l’or dans l’argent de manière à former des dessins fort élégants.

Les Siamois et les Chinois sont habiles à travailler les métaux ; mais ils sont fort peu avancés dans l’art de fondre le minerai, excepté cependant le minerai de fer, que les Chinois savent traiter d’une manière avantageuse. À Siam, grand nombre de personnes s’occupent d’alchimie, il y a même des princes et des mandarins qui se sont ruinés à force d’essais pour faire de l’or ou de l’argent. Il n’y a qu’un ou deux horlogers dans tout le pays ; quelques armuriers et un seul lapidaire qui travaillent pour le roi. Les métiers les plus nombreux sont les potiers (qui, du reste, ne font que des vases grossiers non vernissés), les menuisiers, les charpentiers, les maçons, les tanneurs, les teinturiers, les pâtissiers et les cordiers. Ce sont les femmes qui font les nattes et qui exercent le métier de tisserand. Les principaux établissements qui peuvent meriter le nom de fabrique sont : les sucreries et les distilleries d’arak, les fours a chaux, les tuileries, les fonderies de canons et de poêles ou marmites de fer.