Description du département de l’Oise/Tricot

P. Didot l’ainé (1p. 254-259).

TRICOT.


Coivrel est situé sur la côte d’une montagne opposée au couchant. Sur cette montagne sont plusieurs sources. Ce village ne contient que cent et quelques maisons. Le peu de commerce qui s’y fait consiste en bled, en œufs, en volaille, etc. : les femmes sont employées par les habitants de Tricot à filer de la laine.

Le sol est un mélange de terres caillouteuses et de petites pierres de grès.

La montagne est remplie de coquillages fossiles réunis par un sable très dur.

On a de Coivrel une vue très étendue sur tous les points de l’horizon.

Le canton de Tricot est situé dans une plaine, appartenant au nord et au levant au département de la Somme, au midi au canton de Léglantier, au couchant au canton de Maignelay.

Les terres des sept communes dépendantes du canton de Tricot sont d’un assez bon rapport, excepté cependant celles de Coivrel : les cultivateurs aisés la mélangent de marne, qu’ils puisent à trente ou quarante pieds de profondeur. Sous la couche de terre labourable, qui n’a que sept à huit pouces d’épaisseur, est une argile qui ne peut se mélanger avec la bonne terre sans la détériorer entièrement.

Les habitants prétendent que leurs essais pour se procurer des prairies artificielles n’ont pas réussi, que les herbes mangent la luzerne la seconde année, et que la main-d’œuvre est trop chere pour qu’on les fasse arracher. Les grandes sécheresses tuent les trefles, et dans les années pluvieuses la pâture n’en vaut rien. En l’an g plusieurs vaches périrent pour avoir mangé de ce trefle de mauvaise qualité.

Ils ont quelques pommiers, et ne cultivent de vignes qu’à Vaux, où l’on ne fait année commune qu’environ cent pieces de vin.

Les habitants sont naturellement gais et laborieux.

Le climat est bon ; point de maladies épidémi-ques ni épizootiques : l’on y vit jusqu’à quatre-vingts et quatre-vingt-dix ans.

Les incendies sont très fréquents dans le pays. Le vrai moyen de les prévenir, disoit un particulier, ne seroit pas ici d’avoir des pompes et des crocs, mais de graver dans le cœur de l’homme cette sentence si belle : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qui fût fait à vous-même.

Tricot est situé dans une plaine. Sa manufacture d’étoffes, qui porte son nom, occupé à la filature toutes les filles et femmes du canton. Le tricot est une étoffe dont on se sert pour l’habillement des soldats et des habitants de la campagne.

La femme la plus habile ne gagne que 6 sous dans sa journée.

Il n’y a que douze ou quinze laboureurs dans cette commune.

On y compte quarante puits, et souvent on y manque d’eau.

Les pierres viennent de Mony ; elles sont tendres : celles de Mortemer sont plus dures.

On fabriquoit autrefois des battoirs à Tricot, qui se vendoient à Paris : six maisons s’occupoient à ce travail ; elles sont réduites à deux, qui font aussi des raquettes.

L’établissement dé la manufacture d’étoffes à Tricot se perd dans la nuit des temps. On y compte à présent de soixante à soixante-dix fabricants ; il y en avoit beaucoup plus il y a cent ou cent cinquante ans. La laine brute leur vient de la Neu-ville-le-Roi, de Warnonviller, d’Estrées-S.-Denis, de S.-Remy, de Montigny, de Ravenel. Chaque fabricant emploie trois cents toisons, ce qui fait environ vingt mille pour la totalité des fabriques.

Courcelles, Ploiron, Tronquoy, toutes communes situées dans la même plaine, n’offrent rien de particulier : presque tous les habitants de ces villages sont employés à la culture des terres, ou dans la manufacture de Tricot. Le village de Vaux est situé dans une vallée étroite et seche : nous avons dit qu’on y cultivoit quelques vignes.

Il n’y a dans les sept communes du canton de Tricot ni carrieres, ni briqueteries, ni fours à chaux. Sans sables, sans argiles, les habitants sont très embarrassés quand ils font bâtir leurs maisons. Un usage très singulier subsiste encore dans ce pays : si quelque fille fait un enfant et qu’un homme marié en soit le pere, les garçons s’assemblent avec des cornets, des poêles, des grelots, et font un terrible charivari à la porte de l’homme et de la fille ; quinze jours après ils somment les habitants des villages voisins de se trouver tel jour, au lieu qu’on leur indique : la justice des fous s’assemble ; deux mannequins, représentant l’homme et la fille, sont juridiquement condamnés à être brûlés par le maître des hautes-œuvres, ce qui s’exécute avec un bruit horrible ; tout le cortege et la justice qui l’accompagne passe dans les rues du village, et devant la porte des coupables.

J’ai retrouvé dans ces contrées les restes d’un usage qui étoit établi dans les Gaules, et dont on voit encore des traces dans les états vénitiens : il tenoit aux mysteres de la religion druidique ; mais ce n’est plus qu’un jeu dans cette partie de la Picardie ; on le nomme soul ou choules : le dernier marié de l’année est obligé de fournir une grosse boule de cuir remplie de son : on établit un but auquel on doit faire toucher la boule ; pour y parvenir on la lance dans l’air : les spectateurs se précipitent pour la saisir ; on se l’arrache, on la jette dans l’eau, on y tombe avec elle ; apres des batailles souvent dangereuses, le vainqueur la fait toucher au but désigné : il est maître alors des violons, et fait danser les filles et le femmes le reste du jour et toute la nuit.

J’ai fait connoître, dans le voyage du Finistere, l’origine et le sens de cette fête dégénérée, qui rappelle à la marche des mondes, à l’œuf des druides, à la prudence ordinatrice de l’univers, comme le menuet, danse jadis sacrée, représentoit les positions du soleil et de la lune.

On ne sait au premier aspect comment ces rapports peuvent avoir quelques fondements vraisemblables ; mais de telles métamorphoses, de pareilles chûtes, ne peuvent surprendre ceux qui, familiers avec l’histoire des dieux, voient le dominateur des mondes, l’être dont le sourcil en mouvement ébranle l’univers, devenir un taureau pour enlever Europe, un cygne pour caresser Léda, une pluie d’or pour pénétrer dans la tour qui renfermoit Danaé ; ceux qui voient Vichenou, une des puissances de l’univers, se métamorphoser en singe, en tortue, en linguam.

L’histoire de l’esprit humain, l’activité des charlatans, la stupidité des êtres toujours la dupe de leurs sens, réalisant, déshonorant les plus heureux emblèmes, auroient dû familiariser tellement avec ces chûtes et ces métamorphoses, quelles n’eussent plus rien de surprenant pour nous.

Les prêtres catholiques avilirent les fêtes de la soûl en l’appliquant au mardi-gras.