Description du département de l’Oise/Saint-Just

P. Didot l’ainé (1p. 261-269).

SAINT-JUST.


Le canton de Saint-Just est situé sur une plateforme, coupée au centre par une vallée qui commence au-dessus de Plainval.

Les fontaines de Saint-Just donnent naissance à un ruisseau, nommé d’Arré ; il arrose et fertilise une riche prairie.

Le bourg de Saint-Just est situé à l’ouest, et sur la pente de la vallée, en face d’une montagne nommée Mirmont ; il avoit autrefois, dit la tradition, le titre de ville sous le nom d’Arré. On trouve encore quelques vestiges de ses fossés et de ses murs ; ils démontrent que l’étendue de cette ville étoit infiniment plus grande qu’elle ne l’est actuellement : des tombeaux, des médailles gauloises et romaines qu’on y découvre fréquemment confirment ce que nous avons dit de son ancienneté. Elle a été détruite à diverses époques par les Normands et par les Bourguignons.

Cette commune est traversée par la grande route de Paris à Calais, et par une ancienne chaussée qui mené de Beauvais à Noyon.

Le pays de S.-Just est un pays de grande culture ; on y trouve cependant quelques clos de vignes : son sol, naturellement froid, oblige à de très grandes préparations ; on l’ameublit difficilement ; il exige beaucoup d’engrais[1]. On n’y peut employer qu’une charrue garnie d’un soc étroit, effleurant pour ainsi dire la terre végétale, et ne traçant qu’un léger sillon ; elle est tirée par quatre chevaux. Les meilleures terres sont louées de 15 à 18 liv. l’arpent. La charrue plus grande et plus large des départements de la Seine et de Seine-et-Marne ne pourroit servir ici. On y cultive quelques prairies artificielles, trefles, luzernes, sainfoins : les bleds y sont de bonne qualité ; l’orge y réussit peu ; les légumes n’y sont pas abondants ; ici la pomme-de-terre est sans saveur.

On n’y boit en général que du cidre et du vin du pays.

Il y avoit à S.-Just un couvent de prémontrés ; un couvent de cordelieres, détruit il y a près de trente ans : ces religieuses étoient au nombre de six, quand on les réunit au couvent d’Amon-teelve ; la plus jeune avoit soixante-quinze ans, et la plus âgée quatre-vingt-dix-sept.

Le citoyen Dauchy, préfet de l’Aisne, a le premier mis en vogue les prairies artificielles, et les moutons de race espagnole ; mais il a peu d’imitateurs.

Il y a fort peu de bois dans le canton de S. Just. Les eaux y sont très rares ; les puits ont jusqu’à cent cinquante pieds de profondeur, les mares se dessechent communément en été.

Les goitres y sont communs.

La seule pierre de ce canton est une espece de craie tendre. On n’y trouve ni briqueteries, ni tuileries, ni fours à chaux, ni plâtres ; on est forcé d’aller à deux lieues chercher du sable.

Les hommes y sont sains, d’un tempérament vigoureux. La maladie la plus commune est la dyssenterie. On passe rarement l’âge de soixante-dix à soixante-quinze ans[2].

À la naissance d’un enfant les femmes font de longues dissertations sur ses ancêtres, citent des anecdotes merveilleuses, consultent le sort sur son état futur, et, comme les fées du temps passé, prédisent quelles doivent être ses qualités physiques et morales.

Le mariage est aussi l’occasion d’une réunion d’amis et de parents : l’épouse, conduite par son parrain, est ordinairement vêtue de noir ; après la cérémonie la mariée reste au pied de l’autel, jusqu’au moment où le plus proche parent de son époux la prend pour la conduire au lit nuptial.

Autrefois on fabriquoit beaucoup de toiles à Saint-Just ; on en fait encore quelques pieces à la maniere de Bulles : la bonneterie obtient depuis quelques temps la préférence. On y fait de superbes bas de coton de fil, et des pantalons superfins, qui ne craignent point la concurrence des Anglais. On doit au citoyen Valentin Le-grand, natif de Saint-Just, cet établissement perfectionné[3] ; il fut guidé par Jean-François Legrand, fabricant de bas, qui vit encore. On fait des toiles à Nourard, au Plessis-Saint-Just : Plainval, Montigny et Ravenel donnent des tisserands et des maçons.

La commune de Montigny possede une superbe plantation de pommiers : son produit administré avec économie est appliqué au paiement des charges locales.

On se plaint à Saint-Just du partage des biens communaux dont ce bourg jouissoit de temps immémorial.

S.-Just est sur le passage d’Amiens, de Calais. On y compte jusqu’à trente auberges : de petits marchands drapiers, des épiciers des petites communes s’y approvisionnent.

Trémonvillers est la plus grosse ferme des environs : on y voit les traces d’une ancienne abbaye qu’on dit avoir appartenu aux templiers. D’une piece de terre de Trémonvillers, nommée l’Hirondelle, on découvre une trentaine de moulins : on voit à l’est nord-est les châteaux de la Taule et de Séchelles, les montagnes de Montrenault, ou la chartreuse pres de Noyon ; vers le nord Quincam-poix, la ferme de Lamorliere, Maignelay, Fer-rieres, Coivrel, Tricot, la Neuville – le – Roi, et Pronleroy ; vers le midi Argent-Lieu, la Folie, Clerinont qui termine le tableau. Les milieux de ces vastes encadrements offrent des vues tres variées, mais un peu dépouillées de bois.

À l’ouest de S.-Just, à une demi-lieue de cette commune, on visite la trouée de Nourard, chemin large comme une porte cochere, à travers lequel on distingue les clochers de Laon à vingt-cinq lieues de distance, et les tours de Coucy-le-Château dans le département de l’Aisne.

Il y a quelques vignes au Plessis-Saint-Just. Ses terres sont blanches et légeres, d’un assez bon rapport ; les meilleures se louent 15 liv. l’arpent. Les terrains exposés au nord sont rouges, argil-leux, et mêlés de cailloux. Les mares se dessechent à la S.-Jean, et les puits, qui communément ont deux cents pieds de profondeur, fort souvent ne donnent plus d’eau à cette époque.

Le château de Lescalopier, auquel tient une grosse ferme de deux cent cinquante arpents, ap-partenoit à la maison de Courtenay.

De la chaussée de Lieuvillers on voit la Taule, Clermont, la forêt de la Neuville-en-Hez, et toute la vallée de Saint-Just. On fabrique au Plessis-Saint-Just des toiles de lin dites demi-hollandes : toutes les femmes y travaillent l’hiver et l’été ; des marchands de Pronleroy les achetent, ou les fabricants eux-mêmes vont les vendre à Paris. Le nombre de ces fabricants est d’une vingtaine.

Les terres de Ravenei sont à-peu-pres semblables à celles de Saint-Just. Une partie des habitants, maçons, couvreurs en tuile, travaille dans les environs.

Il y a quelques carrieres assez bonnes à Ravenei.

Les femmes y filent du chanvre, qu’elles vendent au marché de Maignelay.

Ce pays est peu riche ; les terres y sont passables.

Les puits ont cent cinquante pieds de profondeur. Point de fontaines.

Ravenei est assis sur un pays plat, au sommet d’une montagne. Les meilleures terres s’y louent r8 liv, l’arpent.

Les fievres putrides et malignes sont les maladies les plus communes de ce pays.

Il existe à Proudeguerman un château, rebâti il y a trente ans, dont les alentours sont ornés des plus belles plantations d’aliziers et dormeaux du département. La ferme qui tient à ce château est de cinq charrues.

À Montigny la plupart des habitants sont maçons ou tailleurs de pierre. Ce village est rempli de carrieres d’une pierre tendre et blanche ; elles ont communément de soixante à quatre-vingts pieds de profondeur.

Voici l’ordre des matieres trouvées en creusant un puits de cent vingt pieds ; terre végétale, deux pieds ; tuf, trois pieds ; craon, six pieds ; moellons, dix pieds ; masse de pierres de taille, jusqu’à l’eau. Les femmes filent du chanvre et de la laine, qu’elles portent à Tricot. Les terres au midi, et dans une partie du nord et du couchant, sont bonnes ; elles sont mauvaises au levant, mêlées de craon, de pierrailles et de cailloux. Leurs vignobles produisent environ huit cents pieces de vin.

À Montigny les plantations de pommiers sont réputées biens communaux.

On y voit un beau fort, qui pouvoit contenir dix mille hommes ; on le nomme fort Philippe : il fut bâti par Philippe-le-Bel, dans le temps de ses guerres avec le duc de Bourgogne, alors maître de Mont-Didier. Dans l’enceinte de ce fort étoit jadis une tour, à la place de laquelle on cultive, ainsi que dans les fossés qui l’entouroient, de belles plantations de pommiers. Dans ces vieilles constructions l’on n’avoit employé que des pierres de taille de couleur jaune ; on les tiroit d’une carriere présentement abandonnée, nommée Blanc-Fossé, au levant de Montigny.

La terre de Montigny apparlenoît à M. de Lian-court. Plainval est à mi-côte. Autrefois la riviere d’Arré prenoit sa source au bois de Cannate, dans la terre de la Fosse-Thibaut ; elle sort à présent de S.-Just. Cinquante maisons sont occupées par des fabricants de toile ; le reste des habitants est maçons, charpentiers, couvreurs en chaume, charretiers, batteurs en grange. On y voit un petit château, appartenant jadis au marquis de la Vieu-ville, auquel tenait un très beau parc.

La ferme de la Fosse-Thibaut est de sept charrues ; on y remarque une fort belle grange couverte en tuiles.

Les habitants de Plainval sont très laborieux et très économes : ils vivent mal, et gardent leur argent pour acquérir les terres voisines de leurs héritages.

Il n’y a point de pauvres dans cette commune. Les hommes y sont grands et forts.

Nourard-le-Franc est ainsi nommé, dit-on, parce qu’il appartenoit à un grand seigneur qui le fit affranchir. On y fabrique environ deux cents pieces de demi-hollande par an ; elles se vendent depuis 50 liv. jusqu’à 50 écus la piece : on en faisoit jusqu’à mille avant la révolution.

Les meilleures terres au couchant se louent 10 liv. l’arpent, les autres 6 liv.

Les puits ont environ trois cents pieds de profondeur.

Un vieux livre porte qu’il y a une mine de charbon de terre à Nourard, au couchant, près du cimetiere.

On y voit un ancien château appartenant à madame de Lescalopier ; il est entouré de très grands fossés. Placé sur une montagne plus élevée que Clermont, au bout de la rue Neuve, on distingue de Nourard la cathédrale de Beauvais, la forêt de la Neuville, Bresles, etc.

Quand on fouille ou que la terre s’affaisse dans les environs du château de Nourard, on découvre beaucoup de caves très anciennes.

En allant de Trémonvillers à Clermont, du hameau d’Argent-Lieu on voit Mont-Didier à six lieues, Beauvais à sept, Clermont à deux ; la montagne de Creil, les bois de Chantilly, Saint-Christophe aupres de Senlis, les environs de Pont, les bois de Roleau ; l’intérieur de cette vaste étendue offre les bois de Saint-Remy-en-l’Eau, de la Neuville-en-Hez, ceux de la montagne de Nointel, les bois de Maignelay, de Plainville, ceux de Saint-Martin-aux Bois, et des plaines de grande culture.

C’est à Saint-Just que se réunirent les vingt-trois maires des cantons de Saint-Just, Wavignies, et Léglantier.

  1. On va cherclicv des cendres de tourbes et la houille jusqu’à Bresles, à Amiens, à Rolcau, et à Pronleroy.
  2. Il y a vingt-cinq ans un tiers des habitants fut enlevé par une fievre putride et maligne.
  3. Soixante métiers sont employés à cette fabrique.