Description du département de l’Oise/Onsembray

P. Didot l’ainé (1p. 111-119).
CANTON D’ONSEMBRAY.


Malgré les difficultés de la route presque impraticable, et dont l’hiver on a peine à se tirer même à cheval, j’avois résolu de visiter le Bray, vallée curieuse, très étendue, et qui jadis, avant les partages de communaux, qu’on s’est permis pendant la révolution, nourrissoit des milliers de bêtes à cornes.

La route offre d’abord les grands tableaux des environs de Beauvais. Le site se rétrécit près de l’abbaye de S.-Paul ; les coteaux se couvrent de bois. Un peu plus loin les paysages ressemblent à ceux de la Bretagne et de quelques parties de la Normandie.

Le territoire du Bray est resserré entre la montagne dite des Larris et la petite rivière d’Avelon, dont les eaux se rendent à Beauvais. Ce canton du levant au couchant présente une étendue de cinq lieues sur deux de largeur : la surface de son territoire est de cinq mille huit cents quinze arpents ; sa population de trois mille huit cents habitants. Cette vaste étendue de terre étoit jadis un bien communal. Quelque temps avant la révolution le prince de Conti voulut s’emparer d’une moitié du Bray pour en faire une capitainerie ; les seigneurs d’Onsembray, d’Avelon, l’évêque de Beauvais, le chapitre de Gerberoy, les moines de S.-Germer, s’éleverent contre cette usurpation. La révolution termina cette querelle. Pendant ses désordres, des particuliers cultiverent des terrains dans le Bray, s’en emparerent ; la multitude de bestiaux qu’ils nourrissoient disparut ; fort peu de ces terres, mal fumées, mal cultivées, donnerent des récoltes : beaucoup d’habitants se contenterent de faire de légers fossés, ou tracerent un simple sillon autour des champs qu’ils s’approprioient ; le pays perdit sa richesse.

Plusieurs étangs fournissoient une grande quantité d’excellents poissons, ils furent desséchés : on regrette sur-tout le vivier d’Auger, piece d’eau de soixante-douze arpents, qui n’offre plus au voyageur que l’aspect hideux d’un marais dont l’odeur le poursuit au loin.

Auger est un petit village de cinq maisons habitées par des journaliers.

Les montagnes du nord offrent un bel aspect et de grands points de ralliements à celui qui veut étudier la surface de ces contrées ; on voit au nord le moulin de Savignies ; on distingue au nord-ouest les moulins de la Landelle, où l’on fabrique beaucoup de dentelles. On continue sa route sur des sables ondulés comme ceux des bords de la mer, et sur des terres, dont on enlevé la superficie, qu’on brûle pour la répandre sur des champs qu’on a cultivés. Il seroit d’autant plus facile de faire passer ici la route qui conduiroit à Gournay par le Bray, que des silex sont sous la main dans les plaines d’Onsembray à S.-Aubin, Epaubourg, Cuigy, et S.-Germer.

De la Grippe, dans le terroir d’Epaubourg, on apperçoit la Chapelle aux Pots, ainsi nommée d’une fabrique de poteries de la même espece que celle de Savignies. On ne peut transporter ses produits à Paris que sur le dos de mauvais chevaux ; la route de Gournay pareroit à cet inconvénient. Du même point on distingue sur une montagne bien boisée Hodenc en Bray, village de cultivateurs et de journaliers, Ville en Bray, où se fait un commerce de laine et d’étoffes communes : Senantes, fort village où l’on travaille de la laine et de grosses étoffes. On est alors au centre du Bray, entouré de bois et de montagnes. Nous vîmes de là le reste de la vallée ; nous étions à deux lieues et demie de Gournay, qui forme une longue ligne de bâtiments au pied d’une colline assez jolie. La vallée du Bray, changeant de département, se prolonge à quatre lieues au-delà de Gournay jusque à Forges ; elle a par-tout une lieue de largeur. Cette partie de la Normandie intacte, qui n’a point été partagée, conserve ses beaux pâturages, et nourrit des milliers de bestiaux.

Il paroît que la totalité du Bray fut autrefois une grande forêt. On reconnoît encore les places où jadis on a fait du charbon. Les collines dépouillées, sans culture, qu’on voit par-tout dans cette promenade, devroient être replantées ; il est certain que les arbres y réussiroient, puisque de distance en distance on voit des bois épars sur des sommets de même nature à la même élévation.

Tout chemin cesse près d’Epaubourg. Nous traversâmes ce village aux risques de briser nos voitures. Pour reposer nos chevaux fatigués nous descendîmes dans l’église de cette commune, dédiée au bienheureux S. Martin.

On nous fit remarquer d’abord sur la porte principale les quatre fers du cheval du patron de l’église. La voûte est faite de bois de châtaigner ; l’extrémité des poutres est ornée de têtes en saillie, masques bizarres, capricieux, au milieu desquels on distingue le soleil et la lune.

Nous ne nous attendions pas à trouver dans ces lieux écartés, inabordables, dans un séjour de pauvreté, les plus jolis vitraux, d’une conservation parfaite. La naissance de l’enfant Jésus en est le principal sujet. Le nouveau né couché sur un lit de paille, dans une attitude un peu forcée, est entouré du bœuf, de l’âne, et d’un cordelier qui le réchauffent ; le dernier paroît moins s’occuper de l’enfant que de la Vierge, dont la figure finie, élégante, sortit du pinceau d’un grand maître : ses cheveux, tressés à l’étrusque, sont enveloppés d’un mouchoir ; ses doigts alongés, délicats, sont du fini le plus parfait ; sa tunique, d’un pourpre éclatant, est entourée d’un manteau bleu à larges plis. Au-dessus de la Vierge, une jeune fille porte au nouveau né une élégante corbeille de fruits : on n’est pas mieux posé, on n’a pas une tournure plus élancée, une physionomie plus douce ; elle est vêtue d’une tunique violette : la figure d’une vieille qui se penche pour embrasser l’enfant,a toute l’expression que le Poussin auroit pu lui donner. Je ne parle pas des têtes moins délicates de quelques pâtres à bon nets phrygiens, dont les vêtements blancs,ou de l’écarlate la plus éblouissante, tranchent sur la robe sombre et repoussante du cordelier : la scène se passe sous une arcade à cintre plein, d’un gris rougeâtre ; des bergers dans le lointain sont avertis par un ange de la naissance du Fils de Dieu ; l’ange est bien jeté dans les airs, et porte écrit sur un ruban : Gloria in excelsis : l’étoile des mages paroît au ciel dans un des angles du tableau. Tous les ornements des vitraux de cette église sont dignes du sujet principal : les animaux des quatre évangélistes, des vases, des rosaces, des têtes de vieillards, se dessinent sur des fonds blancs ou jaunes, ombrés légèrement de couleurs violettes.

Saint Martin, patron de l’église, en veste d’or, en manteau jadis bleu, est honoré d’une petite statue équestre placée, sur la droite en entrant.

L’épisode de l’église d’Epaubourg nous consola de la fatigue du voyage, et nous donna le courage de l’achever.

Le territoire du Bray est en général aquatique et froid. Le cultivateur aisé mêle de la marne à ses terres ; celui qui ne peut faire ce mélange perd un huitième de sa récolte. L’exploitation des terres est difficile et dispendieuse : le terrain est formé de monticules et d’inégalités ; il faut quatre forts chevaux et deux hommes pour le préparer. Ses produits, qui ne peuvent se porter qu’à Beauvais et à Gournay, augmentent de beaucoup la dépense, vu l’absolue dégradation des chemins. Les pommiers et les poiriers y sont cultivés avec soin ; la grande majorité de ces arbres ne dure que quarante ans ; mais les remplacements se font avec exactitude, et l’on entretient avec soin les pépinières qui servent à ces remplacements.

Le canton d’Onsembray fournit année commune trois mille cinq cent cinquante muids de cidre.

On cultive avec quelque succès des prairies artificielles depuis quinze ans ; elles consistent en trefle, bourgogne et luzerne.

La petite riviere d’Avelon est la seule qui coule à côté de ce territoire vers le nord.

Les hommes de ce pays sont d’un tempérament robuste ; ils éprouvent quelquefois des fièvres occasionnées par les brouillards et l’épaisseur habituelle de l’air : les épidémies, les épizooties y sont rares, quoique sur la fin de l’an V le citoyen Caron, fermier d’Onsembray, ait perdu quarante-sept vaches, et le citoyen Segrier neuf dans l’espace de trois mois. La durée ordinaire de la vie est de soixante-quinze à quatre-vingts ans.

On se plaint ici comme par-tout du peu de respect des enfants pour leurs pères, et du peu de considération qu’on a pour la vieillesse depuis quelques années.

Tous les hommes sont laboureurs dans ce canton. Point de fabriques, point de commerce, si vous en exceptez le beurre, qui se vend à Gournay. Les femmes filent du chanvre, et fabriquent quelques blondes assez recherchées.

On se loue beaucoup ici des ecclésiastiques ; ils sont soumis aux lois, et vantent la constitution actuelle.

Le petit-lait du Bray sert aux blanchisseuses de Beauvais. On envoie à Paris du beurre, du fromage, des œufs, de la volaille.

Après avoir vu quelques autres villages, traversé des terres labourées, faute de route assez large pour laisser passer nos voitures, nous revînmes à Onsembray. Le citoyen Caron, fermier intelligent, nous assura qu’il n’y a pas à présent deux mille vaches, et plus de dix mille moutons dans la partie du Bray qui tient au département de l’Oise.

On bat jusqu’à cent livres de beurre à la fois dans des serennes tournées par quatre hommes ; elles sont de la grosseur d’un muid : le lait du beurre se donne aux porcs.

Les chevaux sont nourris de foin, de pois, de vesce, de bisaille.

Le château d’Onsembray, où l’on n’arrive qu’à travers des précipices, est situé sur un plateau riche de poiriers et de pommiers : il tombe en ruine ; il est bâti d’assises alternatives de briques et de pierres : c’est un triste débris de la fortune de ses anciens propriétaires.

Louis-Léon Pajeau, comte d’Onsembray, né à Paris le 25 mars 1678, membre honoraire de l’académie des sciences en 1716, mort à Paris le 22 janvier 1754, a donné un travail sur les anémometres.

Onsembray fut érigé en comté avec haute justice en 1702.

Le pays de Bray, possédé par les Anglais lorsqu’ils occupoient la Normandie, fut reconquis par Philippe-Auguste, en 1202.

On cite une observation faite à Marivaux, commune de Hodenc en Bray. Un propriétaire avoit acquis une partie de bois la plus mauvaise du lieu : il en fit la coupe beaucoup plus tard que les experts ne le lui conseilloient ; il obtint l’année suivante la plus belle pousse possible : les meilleures parties du bois n’en avoient jamais présenté d’aussi fournies en aussi peu de temps. On en conclut qu’il seroit utile de déterminer par une suite d’expériences bien faites quel seroit pour chaque lieu l’époque la plus favorable à la coupe des bois.