Traduction par Anonyme.
chez les veuves sulamites, aux petits appartements de Salomon (A. Boutentativos). (p. 59-67).

CHAPITRE VIII
Du gouvernement.

Le gouvernement du Merryland est monarchique, ou plutôt despotique au dernier dégré. En France, malgré la galanterie de ses habitans, la loi Salique exclut les femmes du trône. Ici au contraire, il est toujours leur partage. C’est une reine qui domine sur chaque province, et dont le pouvoir est sans bornes ; jamais les tyrans de la Grèce et de Rome n’ont exigé une plus servile obéissance, une plus aveugle soumission que ces maîtresses impérieuses. Appliquons-leur ce passage d’Hérodien, qui dit liv. 4. chap. 3. « Ces maîtres absolus traitoient leurs sujets en esclaves, tandis que dans l’orgueil de leurs cœurs ils se croyoient égaux aux dieux ». En effet, combien de ces reines se regardent comme des divinités, d’après leurs complaisans qui leur en prodiguent souvent le nom, lorsqu’ils en veulent obtenir quelque grâce.

Je pourrois rapporter beaucoup d’exemples du pouvoir arbitraire qu’elles exercent impunément ; je pourrois parler de leurs conquêtes, des ruses, des moyens adroits pour y parvenir, expliquer comment chaque bataille sert à l’aggrandissement du pays ; mais comme je ne prétends faire ici que l’histoire des faits, je n’entrerai -dessus dans aucun détail.

Quelques-unes de ces reines ont un favori ou premier ministre ; tant qu’elles sont contentes de ses talens, elles n’en changent point, et se laissent conduire par lui dans le maintien des affaires : ce sont-là les plus sages. Mais, hélas ! combien en voit-on d’un goût changeant, qui ne se laissent conduire qu’un seul jour par le même ministre, quelques qualités qu’il puisse avoir ; congédient aujourd’hui leurs plus chers favoris pour en prendre demain d’autres ; qui souvent n’ont pas un si gros mérite que les premiers, et cela sans aucune raison, que pour suivre leur humeur inconstante. Ce sont tous les jours de nouveaux caprices qui rendent la place de favori plus sujette à vicissitude dans ces cours déréglées, que celle de grand-visir chez le sultan le plus intraitable.

Le caprice n’est pas toujours la cause de ces changemens répétés. L’insatiable avidité des princesses fait qu’elles forcent leurs ministres en charge à travailler jour et nuit, ils s’épuisent bientôt, n’ont plus la même activité ; des travaux non-interrompus éteignent leur ardeur pour le service journalier, et ces femmes ingrates les disgracient dès-lors qu’elles s’apperçoivent que le dérangement de leur santé ne leur permet plus d’avoir la même application aux affaires, ni de supporter les mêmes veilles ; elles oublient même, avec une facilité surprenante, que c’est à leur service que ces malheureux ont usé leur tempéramment.

Des hommes vraiment courageux, d’un mérite reconnu, infatigables comme Hercule, se sont quelquefois chargés seuls de remplir tout ce qu’exigeroit la place dangereuse de favori de des princesses qui avoient tant d’affaires. Les talens solides et brillans de ces hommes pleins de vertu, étoient souvent très-médiocrement recompensés ; ils ne recevoient que de modiques honoraires, d’autres ruinoient ces reines et s’enrichissoient de leurs dépouilles. J’en ai connu qui se faisoient habiller superbement, nourrir avec délicatesse, et par ce moyen se poussoient rapidement dans le chemin de la fortune : mais gaudeant bene nati.

La rature envers tous n’est pas si libérale,
Et n’a pas de ses dons fait la mesure égale.

Il est de ces reines, faut-il donc l’avouer ? Oui, sans doute, ma qualité d’historien sincère m’y contraint. Il est, dis-je, de ces reines qui ont reçu de la nature un caractère masculin ; elles aiment à travailler seule à leurs affaires. Elles ne se servent point de ministres ; si elles veulent être aidées dans leurs opérations, elles confèrent alors avec une de leurs voisines, et se secourant mutuellement de leurs conseils : elles vaquent à peu-près à tout ce que leurs provinces exigent d’elles : il y manque cependant toujours quelque chose.

Heliogabale, Sardanapale et Conculix, n’ont jamais eu de plus affreux caractères que ceux dont l’on accuse quelques-unes de nos princesses. Des auteurs grecs et latins ont parlé de leurs infamies dans leurs ouvrages satiriques. Un moderne Juvenal nous a donné, dans une excellente satyre latine, une si vive peinture d’une de ces reines scandaleuses, que je ne puis m’empêcher d’en transcrire ici quatre vers, qui surpassent, selon moi, tout ce que j’ai trouvé à ce sujet chez les anciens et les modernes.

Saga petit juvenes, petit innuptasque puellas
Vel tourum peteret : veneris quoque mille figuras.
Mille modos meditans, ætas in crimine vires
Datque animos : crescunt anni, crescisque libido.

Saga, pour satisfaire une ardeur insensée,
Chez l’un et l’autre séxe a cherché ses plaisirs :
Toujours l’art de jouir occupa sa pensée,
De Pasiphaë même elle eut tous les désirs.
L’âge accrut pour l’amour sa force et ses idées,
Ses lubriques fureurs ont suivi ses années,
Et la vieille Saga pousse encore des soupirs.

Je dirai peu de choses de ce qui regarde le militaire en ce pays, n’étant pas bien instruit des différens usages : je sais seulement qu’en général les bons soldats y sont estimés et encouragés. Les forces navales y sont aussi considérables et d’une grande utilité. C’est le département de la marine qui fournit les plus ardens travailleurs, lorsqu’ils sont à terre : alors ils s’emploient avec un zèle édifiant, et n’épargnent aucunement leur peine pour le service de la princesse dont le port leur est ouvert.

Je ne doute point que je ne fisse plaisir au lecteur, après lui avoir parlé du civil et du militaire, si je lui glissois un petit mot de l’ecclésiastique ; mais c’est avec un regret infini que je me vois presque dans l’impossibilité de satisfaire sa curiosité. Le clergé est extrêmement discret, et prétend qu’il y a des mistères qu’il ne faut pas révéler aux profanes. Je supplie même qu’on me dispense de rapporter ici plusieurs choses que j’ai sues par hasard, ne voulant point du tout me brouiller avec un corps que je respecte, comme je le dois, et encore à cause des obligations particulières que j’ai à quelques-uns d’entr’eux qui ont beaucoup contribué aux différens plaisirs que j’ai goûté au Merryland.

L’ingratitude est le dernier des vices,
Lorsque l’on a reçu quelques services.
Sans doute il faut ne les pas oublier,
Mais nous devons encore les publier.

D’après ces principes, nous ne tairons point ceux que ces hommes obligeans nous ont rendu plus d’une fois. Les uns me voyant languir dans une province où je commençois à m’ennuyer ; m’ont fait adroitement l’éloge d’une autre, et se sont engagés à m’y conduire ; les autres m’ont appris les différentes manières de labourer un terrein qui m’avoit toujours rendu fort peu, en le cultivant selon la méthode accoutumée. Car, en général, ce sont les gens d’église qui savent, et même ont inventé toutes ces façons diverses, plus agréables les unes que les autres, propres à varier vos plaisirs, et à écarter le dégoût qu’on prend souvent pour le champ qu’on laboure depuis quelque temps. Je ne dirai donc rien de plus du gouvernement ecclésiastique ; j’observerai uniquement qu’il y a beaucoup d’évêchés qui dépendent des provinces du Merryland. Je ne sais ni leur nombre total, ni combien il en relève de chaque souveraineté ; et sur une matière comme celle-ci, le lecteur judicieux sent bien qu’il ne faut point se hasarder : quand au clergé subalterne, on peut assurer qu’il s’y porte en foule.