Traduction par Anonyme.
chez les veuves sulamites, aux petits appartements de Salomon (A. Boutentativos). (p. 41-49).

CHAPITRE VI.
Des productions comme poissons, oiseaux, quadrupedes, plantes, etc.

Quoique le Merryland soit arrosé par une belle rivière, il est néanmoins peu abondant en poisson. Cependant lorsqu’un étranger y entre pour la première fois, il s’imaginerait à l’odeur qui le frappe, qu’il y aurait de la morrue séche ou du hareng-soret, ou encore mieux des écrévisses, à peu près comme la rivière de Tyssa en Hongrie, dont l’eau sent le poisson qu’on y pêche. Cette odeur au Merryland est quelquefois si forte, qu’elle en devient désagréable, sur-tout à la marée montante, mais on n’y voit pas pour cela plus de poissons. Il s’y trouve souvent des espèces de Crabes en abondance. Je n’ai jamais entendu dire qu’il y eût d’autre poisson dans le Merryland, excepté des Barbues et coquillages nommés Pucelages, mais ils sont extrêmement rares et difficiles à pêcher, et c’est précisément cette difficulté qui les rend plus précieux pour les personnes d’un goût délicat et recherché. J’ai entendu dire que le maquereau n’y était pas inconnu. Quoi qu’il en soit, la rareté du poisson dans cette partie du monde n’est pas une chose bien affligeante, car la viande y est beaucoup plus flatteuse, et supplée agréablement à ce qui peut manquer en poisson. En fait d’oiseaux, vous y trouverez des Cocqs, des Hoches-queus, des Buzzards, des Niais, des Fous ; en très-grand nombre, des Mouettes, des Coucous, et plusieurs autres. Quelques chapons ont voulu s’y introduire, mais ils n’ont pu pénétrer bien avant, et ils y sont dans le plus grand discrédit.

Pour bêtes, on y trouve des ours, des ânes, des taureaux. J’ai entendu dire que par fois il y venait des singes, des magots, des épagneuls ; mais comme il est peu naturel de les rencontrer là, je crois qu’ils y sont moins communs qu’on ne le dit.

On prétend qu’une reine du Merryland avait fait une garenne de sa province, et plusieurs savans comptaient même retirer beaucoup de profit de cette découverte ; mais après bien du bruit, tout cela s’est évanoui, et le fait est maintenant révoqué en doute par tous les gens sensés.

Ma mémoire et mes observations ne me fournissent pas beaucoup de choses au sujet du règne minéral et du végétal. Je dirai donc ici simplement ce que je pourrai me rappeller. Commençons par le règne minéral.

Le vitriol bleu ou romain s’y trouve quelquefois, mais seulement aux frontières du pays, et dans les provinces dont l’air est mal-sain. On y a découvert des mines d’or et d’argent, ou pour mieux, dire toutes les provinces sont de véritables mines d’or et d’argent qui rapportent plus ou moins, selon la faculté de ceux qui les exploitent. On y voit des pierres précieuses ; elles sont ordinairement sur la surface du terrein. Elles sont si recherchées, et en quelque façon si nécessaires, qu’on méprise au Merryland, et l’on en bannit tous ceux qui n’en ont pas une ou deux qu’ils portent sans cesse avec eux dans leurs bourses, pour s’en servir au besoin ; une de leurs propriétés, c’est de contribuer beaucoup à la fertilité du terrein.

Dans l’espèce végétale, on y trouve, par exemple, un doux gazon : la montagne qui domine le Merryland, en est sur-tout couverte. La carotte n’y est point étrangère, on s’en sert beaucoup, et elle y est en vogue. Il y a de la marjolaine, du brin d’amour, et d’une certaine plante appellée capillus Veneris, ou capillaire. On connoît encore bien d’autres espèces dont le nom m’échappe actuellement, et dont on fait un grand profit. Je n’oublierai cependant point cette plante merveilleuse dont la vue seule fait plaisir ; elle ressemble au corail pour la couleur, et a même de ses vertus ; elle est généralement recherchée au Merryland : on s’en est servi bien des fois, avec succès, pour adoucir l’humeur des souveraines acariâtres et méchantes ; rien qu’à la leur faire voir, on les changeait entièrement.

Cette plante creuse en dedans, est une espèce de roseau, ou de bois laiteux. Elle rend un suc qui, lorsqu’on le prend intérieurement, cause à bien des personnes une enflure qu’elles ne peuvent faire baisser, qu’après un certain nombre de mois, et avoir beaucoup souffert. Il y en a d’autres qui prennent les doses les plus fortes de cette eau, sans en être incommodées : cela dépend tantôt du tempérament de celles qui boivent la liqueur, tantôt de la liqueur même ; car toutes n’ont pas des qualités semblables, quoiqu’elles sortent de plantes à peu-près pareilles. Ce végétal singulier paroît être de l’espèce sensitive ; mais bien différent des sensitives ordinaires qui se retirent lorsqu’on les touche, même quand ce serait la main délicate d’une jolie femme ; cette plante au contraire s’étend, s’enfle, s’alonge, et semble aller au-devant de la main qui l’approche ; on dirait qu’elle l’invite à la toucher. Lorsqu’il fait froid, il n’es pas trop aisé de faire lever cette plante, à moins que ce ne soit sur couche.

Malgré l’incommodité que peut occasionner cette plante, elle est généralement reconnue pour un excellent cosmétique ; elle chasse la pâleur, anime les yeux, y fait briller un feu divin dans tous les traits. Elle fait du bien non-seulement aux particuliers, mais encore à des états, à des royaumes entiers. Combien de grands empires se sont bien trouvés de ce que son jus précieux avoit été avalé à propos ! Combien de guerres sanglantes terminées tout-à-coup, de traités de paix conclus par l’heureuse application d’une certaine dose de ce jus inappréciable à quelques femmes ou maîtresses de ministres, d’ambassadeurs, etc. etc. etc.

On pourroit appeller avec justice cette admirable production, Plante-corail, à cause de sa ressemblance avec celle-ci par plusieurs endroits. M. Boyle nous dit, en parlant de la nature et de la génération du corail, qu’il est mou tandis qu’il croît, et n’a la vertu de se multiplier que lorsqu’il est grand et dur. Kircher ajoute qu’alors il répand un jus séminal qui, tombant sur un autre corps heureusement disposé par la nature, produit un autre corail. On peut dire la même chose mot-à-mot de la plante que nous décrivons.

On trouve au Merryland des fleurs en abondance ; mais on n’en fait pas grand cas, sans doute à cause de leur peu de beauté. Elles ne sont pas variées dans leurs couleurs. Les rouges et les blanches sont les plus communes. Les premières éclosent douze fois par an, et durent peu de jours ; elles disparoissent et cédent la place aux fruits, lorsque le terrein est prêt d’en porter, c’est-à-dire, huit à neuf mois avant la récolte. On croirait qu’en ce temps la nature consacre à faire grossir et mûrir le fruit, tout ce qu’elle employoit auparavant à produire la fleur ; mais ce n’est nullement notre avis. Quelques naturalistes se sont imaginé que ces fleurs étoient d’une espèce pernicieuse ; cette opinion est sujette à contrariété. Observons seulement que si elles ne paroissent pas dans un temps réglé, le pays est ou mal-sain ou fertile. Les fleurs blanches sont la marque d’un terrein effété ; elles viennent assez souvent dans ceux qui ont donné quelques récoltes. Personne n’aime à les voir, les gens délicats ne mettent jamais le pied ou elles croissent.

Les manufactures ne sont pas en grande honneur au Merryland, si ce n’est celles de quilles, de broches, de chevilles et de boules. Notez que dans les magasins il se trouve presque toujours le double de cette dernière espèce contre une des autres ; et cela est juste, puisqu’on emploie ordinairement deux boules pour une quille, par la manière dont on joue au Merryland.