Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris/Vitraux

Vitraux.

La suppression des vitraux a complétement dénaturé l’aspect de l’église. En 1741 ils existaient encore, et c’est à celui-là même qui en a exécuté la ruine que nous devons quelques renseignements précieux sur leur importance[1]. Pierre Levieil, fabricant de vitraux modernes, et destructeur patenté de vitraux anciens, raconte froidement qu’il eut mission de démonter toutes les verrières de la nef et du chœur de Notre-Dame pour les remplacer par du verre blanc, avec chiffres et bordures fleurdelisées. Voici ce qu’il y trouva : dans le chœur et l’abside, les deux baies ogivales des fenêtres contenaient deux figures colossales, qui portaient au moins dix-huit pieds de haut, représentant des évêques coiffés de la mitre, tenant à la main des bâtons pastoraux terminés par un simple bouton, au lieu de la crosse ordinaire ; le tout au premier trait, largement dessiné. Les draperies de verre coloré en blanc n’étaient relevées que par une espèce de galon ou de frange de couleur d’or. À l’œil-de-bœuf du tympan, le verre était fort épais, recouvert d’une grisaille avec lacis rehaussés de jaune. Une large frise, peinte de diverses couleurs et composée de verres découpés en losange, encadrait les grisailles ainsi que les personnages, et remplissait les interstices des compartiments. Levieil pensait que la plus grande partie de ces vitres dataient au plus tard de 1182 ; il ajoute même que beaucoup de débris de vitres bien antérieures, provenant sans doute des anciennes basiliques qui avaient précédé Notre-Dame, se rencontraient çà et là confondus dans la grisaille du XIIe siècle. Quelques portions de bordures en rinceaux, d’une merveilleuse disposition et d’un éclat très-vif, avaient été refaites au XIVe siècle. Les fenêtres de la nef étaient aussi garnies de grisailles et de personnages de l’Ancien Testament. Les vitres du fond du sanctuaire, où l’on voyait le Christ entre la Vierge et saint Jean-Baptiste, ont subsisté jusqu’en 1753.

Dans la tribune du chœur, les six fenêtres du rond-point ont été refaites, nous l’avons dit, au commencement du XIVe siècle. Leur vitrage en verre blanc, sans peinture, composé de compartiments en losanges, à surfaces ondées et raboteuses, fut démonté en 1761 ; il avait été donné par Michel de Darency, chanoine et chapelain de Saint-Ferréol, qui se fit représenter sur une des fenêtres, à genoux, vêtu d’une dalmatique, et tenant dans ses mains un des vitraux tout ajusté. La date de ce don n’est pas connue ; mais on sait que Michel de Darency testa en 1358. Levieil assure que le vitrail, donné par Suger à la cathédrale de Paris, s’était en partie conservé dans une des fenêtres de la tribune du chœur, et qu’on le reconnaissait facilement à sa ressemblance avec certaines verrières des chapelles absidales de Saint-Denis. Le fond était formé de ce beau verre bleu, que le XIIe siècle savait si bien préparer ; les personnages représentaient une espèce de triomphe de la Vierge.

Quelques chapelles au nord et à l’orient, dans l’enceinte du chœur, possédaient des vitraux en grisaille, avec fleurons de couleur du XIIIe ou du XIVe siècle. Dans celle de saint Jean-Baptiste, placée entre les chapelles de Gondi et de Vintimille, le repas d’Hérode et la décollation de saint Jean étaient peints sur de petits panneaux ; un roi, Philippe le Bel, et Jeanne de Navarre, sa femme, priaient agenouillés ; ils avaient auprès d’eux les écussons de leurs armes. On faisait assez de cas, dit Levieil, des vitres peintes qui remplissaient le haut de la fenêtre de la chapelle d’Harcourt, ou de Saint-Étienne, ainsi que de quelques panneaux inférieurs de la même fenêtre, sur lesquels s’étaient conservés les portraits des donateurs. Ces vitraux appartenaient à la fin du XVIe siècle ; on y admirait un jugement dernier, et tous les ordres de la hiérarchie céleste rangés autour du Christ.

Ce qui reste aujourd’hui dans les chapelles du chevet mérite à peine une mention. Quelques armoiries, bordures fleurdelisées et guirlandes, XVIIe et XVIIIe siècles ; aux sixième et septième fenêtres, à partir du croisillon nord, les écussons du maréchal et du cardinal de Noailles, peints par Pierre Levieil ; aux huitième, neuvième et dixième fenêtres, quelques restes de grisailles et de bordures semées d’aiglettes et de feuillages, XIVe siècle ; à la huitième, deux petits anges tenant la croix, la couronne d’épines, les clous, et deux autres avec des trompettes ; à la dixième, un pélican qui nourrit ses petits, toutes ces dernières figures du XIVe siècle ; à la seizième, le Christ assis dans le tympan, drapé d’un manteau rouge, montrant ses plaies, autour de sa tête un nimbe bleu croisé d’or, même époque ; à la dix-neuvième, des morceaux d’anciennes bordures d’un rouge très-vif, et une petite figure de la Vierge, les pieds sur un croissant, son fils entre les bras, XVIe ou XVIIe siècle.

Après tout, Notre-Dame a, par un rare bonheur, sauvé du désastre la partie la plus splendide de ses anciennes verrières. Ce sont les grandes et magnifiques roses des trois portails, demeurées intactes jusqu’à ce jour, et dont rien ne surpasse l’éclat. Par une admirable disposition, chacune de ces trois roses complète, avec les ressources de ses combinaisons matérielles et le prestige de ses couleurs, le sens de chacun des trois portails de l’église. À la rose de l’ouest, la patronne du temple, la Vierge, occupe le compartiment central, couronne en tête, sceptre à la main ; son bras gauche soutient le Christ, qui bénit. Autour se rangent en cercle douze prophètes, qui annoncent la gloire de la Vierge mère et de son fils. Dans les deux cercles qui s’interposent entre celui des prophètes et la circonférence, les signes du zodiaque et les travaux des mois mesurent le cours de l’année, qui passe comme une ombre de l’éternité de Dieu ; puis les vertus, coiffées de couronnes, tenant d’une main les attributs de leur dignité, et de l’autre une longue lance, combattent avec énergie les vices, auxquels chaque chrétien doit faire une guerre sans trêve. Au-dessus de la porte du Cloître, consacrée à la vie et aux miracles de Marie, la Vierge paraît encore avec son fils, mais entourée cette fois du nombreux cortége des patriarches, des juges, des prêtres, des prophètes et des rois, tous ancêtres du Christ, les uns selon la chair, les autres selon l’esprit. La rose du midi, qui correspond à la porte des Martyrs, présente, en quatre cercles, le chœur des douze apôtres ; une armée d’évêques et de saints personnages de divers ordres, qui tous ont en mains soit les palmes du triomphe, soit les instruments de leur glorieux supplice ; des anges leur apportent des couronnes d’or. À la hauteur où ces vitraux se trouvent placés, il est difficile de distinguer bien nettement les attributs de chaque figure. Il y aurait d’ailleurs de la témérité à vouloir nommer tous ces personnages. Mieux vaut attendre le jour où les travaux de restauration du transsept rendront nécessaire l’établissement de grands échafaudages, qui permettront d’approcher des roses et de lire les noms inscrits sur des banderoles dans la plupart des médaillons. On peut distinguer dès à présent, dans la rose du nord, ceux d’Aaron, de Sadoch, d’Achin, de Joas et de plusieurs rois de Juda. Au-dessous de cette rose, dans les compartiments des angles, dont les plus petits contiennent des anges qui encensent, on trouve, en montant sur la dernière galerie, deux scènes des plus curieuses : d’un côté l’Antéchrist, couronne en tête, décapite Énoch et le prophète Élie ; dans l’autre médaillon, c’est Dieu lui-même qui sort d’une nuée pour tuer l’Antéchrist, et celui-ci tombe à la renverse. Des légendes viennent ici au secours de l’interprète, en indiquant avec précision les titres de ces sujets rarement représentés, et dès lors très-difficiles à reconnaître. Dans un des médaillons de la rose méridionale, saint Denis porte sa tête à la main. Quelques faits de ce qu’on appelle le Combat des Apôtres se sont aussi introduits dans cette dernière rose, parmi les personnages qui la remplissent, entre autres l’arrivée de saint Matthieu en présence du roi Égyptus et le baptême de ce prince converti par le saint apôtre. Le Christ était certainement assis sur un trône, au centre de la même rose, au milieu de ses apôtres et de ses martyrs. Mais après les restaurations exécutées dans cette partie de l’église par les soins du cardinal de Noailles, lorsque Guillaume Brice remit en plomb neuf, suivant l’ordre primitif, tous les vitraux de la rose, le peintre verrier, Michu, fut chargé de peindre, en 1726, les armoiries du prélat, qui ont occupé la place centrale et qui s’y sont maintenues jusqu’à présent. La rose occidentale a subi quelques pertes et quelques raccommodages fâcheux ; les vitraux, retirés pendant les travaux de réparation du grand portail, viennent d’être remontés après avoir été soigneusement réparés. Les deux roses du transsept sont intactes. À peine sera-t-il nécessaire d’y rapporter quelques rares morceaux pour combler les lacunes causées par le temps. Nous avons seulement parlé des figures si nombreuses et si intéressantes qu’elles contiennent. Mais les fonds vigoureux et les rinceaux qui s’enlacent autour des médaillons, ne sont pas moins dignes d’étude et d’admiration. Les trois roses sont contemporaines des façades qu’elles décorent ; tout concourt à le prouver : unité de style, similitude d’exécution, relation intime dans le choix et la composition des sujets.


  1. Levieil, Traité pratique et historique de la peinture sur verre.