Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris/Le Chœur et l’Abside. La Porte Rouge

Le Chœur et l’Abside. La Porte-Rouge.

L’enveloppe de la partie basse du chœur et de l’abside a été reconstruite à plusieurs reprises, entre les années 1257 et 1310 environ. Les quatre premières chapelles après le transsept au nord, et les trois premières au sud, appartiennent à la période de travaux qui commença en 1257, par la réédification de la façade du croisillon méridional. Elles sont percées de fenêtres à meneaux, surmontées de balustrades et de pignons. Des niches trilobées, qui ont aussi leurs pignons historiés, ornent les contreforts dans les intervalles des chapelles. Ces niches, aujourd’hui vides, contenaient des statues. L’abbé Lebeuf y trouva, dans celles du nord, Esther et Assuérus avec leurs noms, David et Goliath ; dans celles du midi, un groupe de grande proportion représentant saint Étienne lapidé par les Juifs. Diverses figures de vertus et de vices, posées vers la porte Rouge, avaient été déjà retirées ; on avait aussi fait disparaître celle de Job. Toutes ces statues conservaient des traces de coloration et dataient du XIVe siècle.

Les chapelles qui succèdent à celles dont nous venons d’indiquer les principaux caractères, accusent bien, par leur ornementation plus abondante et moins ferme en même temps, le style en usage au commencement du XIVe siècle. Les niches des contre-forts sont plus ornées et plus profondes, les pignons plus évidés, les feuillages plus découpés, les animaux et les gargouilles en plus grand nombre, les balustrades plus compliquées. Les tympans des pignons contiennent de très-jolis mascarons à faces humaines qui se fondent dans un feuillage. Les fenêtres des chapelles sont larges et divisées par des colonnettes en plusieurs baies, avec compartiments variés au-dessus de cette arcature. D’un croisillon à l’autre, les chapelles du chœur et de l’abside décrivent une suite de vingt-trois travées. Leur décoration frêle et détaillée, fort endommagée par le temps, exige une restauration presque complète.

La tribune au-dessus du collatéral ne diffère pas de celle de la nef ; même structure et même balustrade tréflée. Les baies qui l’éclairent ont aussi été défigurées ; des travaux, entrepris pour leur rendre leurs formes nécessaires, sont commencés du côté du sud. Quelques-unes de ces baies, les deux premières au nord et les six du rond-point, ont été refaites au XIVe siècle avec meneaux, compartiments et pignons à jour, comme ceux des chapelles basses.

Les fenêtres hautes du chœur et de l’abside sont semblables à celles de la nef ; elles ont été agrandies et modifiées de la même manière. Seulement, le XIIIe siècle ne les a pas dépouillées des billettes carrées de leurs archivoltes, ni des chapiteaux encore romans des colonnettes qui les accompagnent. Une large ceinture, formée de trois rangs de billettes semblables à celles des fenêtres, et disposées comme des créneaux renversés, fait complétement le tour du chevet, au-dessous de la dernière corniche. Quant à cette corniche, aux gargouilles de l’entablement, aux fleurons, à la balustrade, la disposition est la même que sur les côtés de la nef.

Les contre-forts ont été rebâtis à l’époque de la construction des chapelles. Les seuls qui soient anciens sont les plus rapprochés du transsept, et encore ont-ils été modifiés dans leurs formes ; ils se reconnaissent à leur recouvrement bordé de dents de scie. Au rond-point, les contre-forts s’étant multipliés comme les travées des chapelles, en raison de l’étendue de la courbe, il y en a de deux sortes, les principaux qui vont contre-butter les maîtresses voûtes, et les secondaires qui s’arrêtent à la tribune. Tous les contre-forts qui correspondent aux travées de la haute voûte présentent un double rang d’arcs. Les arcs rampants de la rangée supérieure ont en quelques endroits plus de treize mètres de portée, par suite de l’éloignement où les piles extérieures se trouvent des points auxquels ces arcs doivent se rattacher[1]. De nombreux clochetons et de hautes aiguilles, montés sur des édicules à jour, s’élèvent sur les têtes des contre-forts. Un seul, le premier après le croisillon septentrional, est surmonté de deux belles statues adossées, dont les têtes ont été malheureusement brisées. L’architecte du XIVe siècle a déployé ici beaucoup d’adresse et d’habileté pour reprendre successivement tous les arcs-boutants sans compromettre la solidité de l’édifice, et pour équilibrer les poussées des voûtes, tout en réduisant le volume des points de résistance. L’aspect du rond-point est très-pittoresque. Si les grands arcs paraissent maigres et disgracieux, en revanche la multitude des pinacles et des pignons à jour, les aiguilles couvertes jusqu’à leurs sommets de feuillage et d’autres ornements, le triple rang de balustrades qui enveloppe l’abside, les animaux fantastiques dont les gueules ouvertes s’allongent de toutes parts pour déverser les eaux, composent un ensemble plein de mouvement et de variété.

La porte Rouge devait son nom à la couleur qui en couvrait autrefois les vantaux. Elle a été laissée ouverte sous la fenêtre de la troisième chapelle du chœur au nord, à l’époque même de la construction de cette partie de l’édifice, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, vers 1257. On y monte cinq degrés réparés avec des morceaux de pierres tombales. L’architecture consiste en une baie ogivale, accostée de deux pieds-droits, et surmontée d’un pignon à jour qui laisse arriver la lumière à la fenêtre de la travée. Les pieds droits sont coiffés d’élégantes aiguilles. Le pignon, tout évidé en trèfle, a son ajustement de crossettes et de fleurons. Deux niches, avec cordons de feuillage et dais en châteaux, garnissent les ébrasures. Quatre colonnes, dont les chapiteaux à crochets appartiennent évidemment au XIIIe siècle, reçoivent les retombées des deux cordons toriques de la voussure. Au stylobate, décoré avec autant de richesse que d’originalité, des galons perlés et croisés dessinent des cercles remplis par des rosaces et des octogones animés par de charmantes petites figures. Trop exposée aux injures des passants, cette sculpture a été bien endommagée. On y retrouve encore cependant des oiseaux chimériques, la syrène, le pélican qui nourrit ses petits de son sang, des griffons, des dragons, l’autruche, l’âne, la chèvre, le porc, le singe, le lièvre, le lapin, le serpent, plusieurs cerfs qui courent, qui sont au repos, qui se lèchent les jambes, qui aiguisent leurs bois contre les arbres, enfin des centaures qui arment leurs arcs pour lancer des flèches. Il y avait plus de cinquante animaux ou personnages. Les groupes sculptés dans la voussure, au nombre de six, avec une finesse extrême, ont été souvent dessinés et moulés par les artistes. Le premier est en partie brisé ; on y distingue les débris du dragon de saint Marcel, les pieds sur le cadavre de la femme coupable, et deux personnages dont l’attitude annonce qu’ils osent à peine regarder le monstre. Les autres groupes représentent saint Marcel, proposé comme le modèle des vertus épiscopales ; il baptise, il donne la communion, il instruit ses clercs, il emmène enchaîné le dragon, il accueille des pauvres ou des voyageurs. Dans le cinquième groupe, le saint évêque est suivi d’une femme nimbée, coiffée d’un voile, tenant un livre fermé et une palme. Nous avons vainement demandé à la légende quelle pouvait être cette sainte. Le fond du tympan laisse apercevoir des traces de peinture. Comme à la grande façade à la porte de la Vierge, la gloire de Marie dans le ciel est le sujet du bas-relief. La Vierge siège à côté de son fils ; un ange vient de lui poser une couronne sur la tête. Le Christ a sur la tête une couronne royale, et tient un livre fermé ; sa main droite levée pour bénir sa mère, est cassée. À droite, un roi jeune, imberbe, à genoux ; à gauche, une reine, en pareille attitude ; tous deux les mains jointes, vêtus de robes longues et de manteaux. Le Christ n’a pas de nimbe, non plus que sa mère, et contrairement aux principes iconographiques, ses pieds sont emprisonnés dans des chaussures.

Quelles sont ces deux figures royales qui prient si pieusement Jésus et Marie ? Nous n’hésitons pas à répondre que le roi n’est autre que saint Louis, et que la reine représente Marguerite de Provence. Les destructions révolutionnaires ont si bien fait leur œuvre, que ce sont peut-être les seules effigies sculptées au XIIIe siècle qui nous restent du saint roi et de sa digne compagne. Les traits du roi pourront sembler un peu jeunes. Mais, en 1257, saint Louis n’avait encore que quarante-trois ans. Nous ne prétendons pas d’ailleurs que la statuette de la porte Rouge soit le portrait rigoureusement exact de ce grand prince. Nous voulons seulement constater que c’est lui qu’on a voulu figurer ici, et nous nous réservons d’examiner plus tard l’authenticité de son image[2].

Auprès de la porte Rouge se trouvait autrefois le grand puits du cloître. Un peu plus loin, sept bas-reliefs sont incrustés dans le soubassement des cinquième, sixième et septième chapelles, à deux mètres de hauteur environ. La sculpture y proclame encore la gloire de la mère de Dieu. Marie meurt entourée des apôtres ; les apôtres transportent son cercueil jusqu’à la vallée de Josaphat, et les mains du prince des prêtres restent clouées à la bière qu’il avait tenté de renverser ; la Vierge monte au ciel dans une gloire entourée d’anges ; le Christ, adoré par des anges ; le couronnement de Marie ; la Vierge intercédant auprès de son fils assis et couronné d’épines ; enfin, dans un même cadre, les épisodes principaux de la légende de Théophile.

Du côté du sud, vers l’emplacement de l’ancienne demeure des évêques, il reste, au bas de quelques contre-forts, des traces, aujourd’hui bien peu appréciables, d’une décoration peinte en grisailles. Ce qu’on distingue le mieux, c’est une arcature de cinq ogives trilobées qui contenaient des personnages. Aucun renseignement ne nous est parvenu sur ce curieux emploi de la peinture et de l’ornementation extérieure de la cathédrale. N’oublions pas de citer les petits animaux qui servent de déversoirs aux piscines des chapelles.

Tout l’édifice est construit en bonnes pierres de taille provenant des carrières des environs de Paris ; une charpente énorme, en bois de chêne, longue de 356 pieds, qu’on appelle la forêt[3], soutient la couverture en plomb de toute la partie haute de l’église. La disposition du grand comble est très-simple. Un chapiteau, taillé dans le poinçon qui existe encore au centre de la souche de l’ancienne flèche centrale, fixe au XIIIe siècle, de la manière la plus précise, la date de la construction de la charpente aussi bien que celle de ce campanile. La couverture se compose de 1236 tables de plomb, dont chacune a 10 pieds de longueur sur 3 de large, et dont le poids total est évalué à 420,240 livres. La flèche, aussi couverte en plomb, avait 104 pieds depuis le faitage du comble jusqu’au coq placé à l’extrémité de la croix. Elle menaçait ruine en 1792 ; on la détruisit peu de temps après. La vue que nous publions des bâtiments de l’évêché représente la flèche encore debout et peut donner une idée de l’heureux effet qu’elle produisait pour rompre la longue ligne du comble.

Vue de Notre-Dame et de l’ancien Évêché.

Vue de Notre-Dame et de la Sacristie actuelle.

Notre gravure de la façade occidentale de Notre-Dame la montre complétement restaurée, avec toutes ses statues remises en place, d’après le projet communiqué par les architectes. La gravure de l’élévation méridionale rétablit également la décoration des chapelles et des contre-forts, dans l’état où elle reparaîtra d’ici à quelques mois. Nous avons réédifié la flèche, dont la restitution semble définitivement arrêtée. Nos lecteurs pourront juger, d’après notre planche, de la disposition des bâtiments de la sacristie neuve avec la vieille cathédrale. Quand on a vu, comme nous, la sacristie que Soufflot avait adaptée aux chapelles du chœur, et qui les écrasait de sa pesanteur, on apprécie bien mieux encore tout ce que l’aspect extérieur de Notre-Dame a gagné depuis la construction de la sacristie nouvelle. L’Administration des cultes a généreusement accepté tous les sacrifices pour que cet accessoire indispensable de la cathédrale fût amené à perfection[4].


  1. Les massifs de ces piles ne sont pas plus écartés du mur de l’abside que ceux des piles latérales ne le sont des murs de la nef. Mais les contre-forts sont beaucoup moins élevés, et par une conséquence nécessaire, la portée des arcs-boutants est plus grande.
  2. La date de cette porte, grâce aux observations de M. Didron et à celles que nous avons pu faire nous-mêmes, ne saurait être douteuse : elle appartient au milieu du XIIIe siècle, bien qu’on l’ait attribué longtemps sur la foi de textes erronés au XIVe ou même au XVe siècle.
  3. On a cru longtemps que les charpentes de nos cathédrales étaient construites en châtaignier, et ce bois passait pour avoir la propriété merveilleuse de chasser les insectes. De nombreuses expériences, faites sous les auspices du Comité des arts et monuments, ont prouvé qu’elles étaient en chêne dans la plupart de nos grandes églises du nord.
  4. Le Dictionnaire raisonné d’Architecture de M. Viollet-le-Duc examine successivement tous les détails de la construction de Notre-Dame, et les explique soit par le texte, soit par la gravure.