Des mensonges imprimés/Édition Garnier


DES MENSONGES
IMPRIMÉS
ET
DU TESTAMENT POLITIQUE
DU CARDINAL DE RICHELIEU
(1749-1750)[1]


On peut aujourd’hui diviser les habitants de l’Europe en lecteurs et en auteurs, comme ils ont été divisés pendant sept ou huit siècles en petits tyrans barbares qui portaient un oiseau sur le poing, et en esclaves qui manquaient de tout.

I. Il y a environ deux cent cinquante ans que les hommes se sont ressouvenus petit à petit qu’ils avaient une âme ; chacun veut lire, ou pour fortifier cette âme, ou pour l’orner, ou pour se vanter d’avoir lu. Lorsque les Hollandais s’aperçurent de ce nouveau besoin de l’espèce humaine, ils devinrent les facteurs de nos pensées, comme ils l’étaient de nos vins et de nos sels ; et tel libraire d’Amsterdam, qui ne savait pas lire, gagna un million parce qu’il y avait quelques Français qui se mêlaient d’écrire. Ces marchands s’informaient, par leurs correspondants, des denrées qui avaient le plus de cours, et, selon le besoin, ils commandaient à leurs ouvriers des histoires ou des romans, mais principalement des histoires ; parce que, après tout, on ne laisse pas de croire qu’il y a toujours un peu plus de vérité dans ce qu’on appelle Histoire nouvelle, Mémoires historiques, Anecdotes, que dans ce qui est intitulé Roman. C’est ainsi que, sur des ordres de marchands de papier et d’encre, leurs metteurs en œuvre composèrent les Mémoires d’Artagnan, de Pontis, de Vordac, de Rochefort[2], et tant d’autres dans lesquels on trouve au long tout ce qu’ont pensé les rois ou les ministres quand ils étaient seuls, et cent mille actions publiques dont on n’avait jamais entendu parler. Les jeunes barons allemands, les palatins polonais, les dames de Stockholm et de Copenhague, lisent ces livres, et croient y apprendre ce qui s’est passé de plus secret à la cour de France.

II. Varillas était fort au-dessus des nobles auteurs dont je parle ; mais il se donnait d’assez grandes libertés. Il dit un jour à un homme qui le voyait embarrassé : « J’ai trois rois à faire parler ensemble ; ils ne se sont jamais vus, et je ne sais comment m’y prendre. — Quoi donc, dit l’autre, est-ce que vous faites une tragédie ? »

III. Tout le monde n’a pas le don de l’invention. On fait imprimer in-12, les fables de l’Histoire ancienne[3], qui étaient ci-devant in-folio. Je crois que l’on peut retrouver dans plus de deux cents auteurs les mêmes prodiges opérés et les mêmes prédictions faites du temps que l’astrologie était une science. On nous redira peut-être encore que deux juifs[4], qui sans doute ne savaient que vendre de vieux habits et rogner de vieilles espèces, promirent l’empire à Léon l’Isaurien, et exigèrent de lui qu’il abattît les images des chrétiens quand il serait sur le trône ; comme si un juif se souciait beaucoup que nous eussions ou non des images.

IV. Je ne désespère pas qu’on ne réimprime que Mahomet II, surnommé le Grand, le prince le plus éclairé de son temps[5] et le rémunérateur le plus magnifique des arts, mit tout à feu et à sang dans Constantinople (qu’il préserva pourtant du pillage), abattit toutes les églises (dont en effet il conserva la moitié), fit empaler le patriarche, lui qui rendit à ce même patriarche plus d’honneurs qu’il n’en avait reçu des empereurs grecs ; qu’il fit éventrer quatorze pages pour savoir qui d’eux avait mangé un melon, et qu’il coupa la tête à sa maîtresse pour réjouir ses janissaires. Ces histoires, dignes de Robert le Diable et de Barbe-Bleue, sont vendues tous les jours avec approbation et privilége.

V. Des esprits plus profonds ont imaginé une autre manière de mentir. Ils se sont établis héritiers de tous les grands ministres, et se sont emparés de tous les testaments. Nous avons vu les Testaments des Colbert et des Louvois[6], donnés comme des pièces authentiques par des politiques raffinés qui n’étaient jamais entrés seulement dans l’antichambre d’un bureau de la guerre ni des finances. Le Testament du cardinal de Richelieu, fait par une main un peu moins inhabile, a eu plus de fortune, et l’imposture a duré très-longtemps. C’est un plaisir surtout de voir dans les recueils de harangues quels éloges on a prodigués à l’admirable testament de cet incomparable cardinal : on y trouvait toute la profondeur de son génie ; et un imbécile qui l’avait bien lu, et qui en avait même fait quelques extraits, se croyait capable de gouverner le monde[7]. On n’a pas été moins trompé au Testament de Charles V, duc de Lorraine : on a cru y reconnaître l’esprit de ce prince ; mais ceux qui étaient au fait y reconnurent l’esprit de M. de Chévremont, qui le composa[8].

Après ces faiseurs de Testaments viennent les auteurs d’Anecdotes. Nous avons une petite histoire imprimée en 1700, de la façon d’une demoiselle Durand, personne fort instruite, qui porte pour titre : Histoire des Amours de Grégoire VII, du cardinal de Richelieu, de la princesse de Condé, et de la marquise d’Urfé[9]. J’ai lu, il y a quelques années, les Amours du R. P. La Chaise, confesseur de Louis XIV.

VII. Une très-honorable dame[10], réfugiée à la Haye, composa, au commencement de ce siècle, six gros volumes de lettres d’une dame de qualité de province, et d’une dame de qualité de Paris, qui se mandaient familièrement les nouvelles du temps. Or, dans ces nouvelles du temps, je puis assurer qu’il n’y en a pas une de véritable. Toutes les prétendues aventures du chevalier de Bouillon, connu depuis sous le nom de prince d’Auvergne, y sont rapportées avec toutes leurs circonstances. J’eus la curiosité de demander un jour à M. le chevalier de Bouillon s’il y avait quelque fondement dans ce que Mme Dunoyer avait écrit sur son compte. Il me jura que tout était un tissu de faussetés. Cette dame avait ramassé les sottises du peuple, et dans les pays étrangers elles passaient pour l’histoire de la cour.

VIII. Quelquefois les auteurs de pareils ouvrages font plus de mal qu’ils ne pensent. Il y a quelques années qu’un homme de ma connaissance, ne sachant que faire, imprima un petit livre dans lequel il disait qu’une personne célèbre avait péri par le plus horrible des assassinats ; j’avais été témoin du contraire. Je représentai à l’auteur combien les lois divines et humaines l’obligeaient à se rétracter : il me le promit ; mais l’effet de son livre dure encore, et j’ai vu cette calomnie répétée dans de prétendues histoires du siècle.

IX. Il vient de paraître un ouvrage politique à Londres, la ville de l’univers où l’on débite les plus mauvaises nouvelles, et les plus mauvais raisonnements sur les nouvelles les plus fausses. « Tout le monde sait, dit l’auteur, page 17, que l’empereur Charles VI est mort empoisonné dans de l’aqua tuffana ; on sait que c’est un Espagnol qui était son page favori, et auquel il a fait un legs par son testament, qui lui donna le poison. Les magistrats de Milan qui ont reçu les dépositions de ce page quelque temps avant sa mort, et qui les ont envoyées à Vienne, peuvent nous apprendre quels ont été ses instigateurs et ses complices, et je souhaite que la cour de Vienne nous instruise bientôt des circonstances de cet horrible crime. » Je crois que la cour de Vienne fera attendre longtemps les instructions qu’on lui demande sur cette chimère. Ces calomnies toujours renouvelées me font souvenir de ces vers[11] :

Vos oisifs courtisans, que les chagrins dévorent,
S’efforcent d’obscurcir les astres qu’ils adorent.
Là, si vous en croyez leur coup d’œil pénétrant,
Tout ministre est un traître, et tout prince un tyran ;
L’hymen n’est entouré que de feux adultères ;
Le frère à ses rivaux est vendu par ses frères ;
Et sitôt qu’un grand roi penche vers son déclin,
Ou son fils ou sa femme ont hâté son destin…
Qui croit toujours le crime en paraît trop capable.

Voilà comment sont écrites les histoires prétendues du siècle.

X. La guerre de 1702 et celle de 1741 ont produit autant de mensonges dans les livres qu’elles ont fait périr de soldats dans les campagnes ; on a redit cent fois, et on redit encore, que le ministère de Versailles avait fabriqué le testament de Charles II, roi d’Espagne[12].

XI. Des anecdotes nous apprennent que le dernier maréchal de La Feuillade manqua exprès Turin, et perdit sa réputation, sa fortune, et son armée, par un grand trait de courtisan ; d’autres nous certifient qu’un ministre fit perdre une bataille par politique.

XII. On vient de réimprimer dans les Transactions de l’Europe qu’à la bataille de Fontenoy nous chargions nos canons avec de gros morceaux de verre et des métaux venimeux ; que le général Campbell ayant été tué d’une de ces volées empoisonnées, le duc de Cumberland envoya au roi de France, dans un coffre, le verre et les métaux qu’on avait trouvés dans sa plaie ; qu’il mit dans ce coffre une lettre, dans laquelle il disait au roi que les nations les plus barbares ne s’étaient jamais servies de pareilles armes ; et que le roi frémit à la lecture de cette lettre. Il n’y a nulle ombre de vérité ni de vraisemblance à tout cela. On ajoute à ces absurdes mensonges que nous avons massacré de sang-froid les Anglais blessés qui restèrent sur le champ de bataille, tandis qu’il est prouvé par les registres de nos hôpitaux que nous eûmes soin d’eux comme de nos propres soldats. Ces indignes impostures prennent crédit dans plusieurs provinces de l’Europe, et servent d’aliment à la haine des nations[13].

XIII. Combien de mémoires secrets, d’histoires de campagnes, de journaux de toutes les façons, dont les préfaces annoncent l’impartialité la plus équitable, et les connaissances les plus parfaites ! On dirait que ces ouvrages sont faits par des plénipotentiaires à qui les ministres de tous les États et les généraux de toutes les armées ont remis leurs mémoires. Entrez chez un de ces grands plénipotentiaires, vous trouverez un pauvre scribe en robe de chambre et en bonnet de nuit, sans meubles et sans feu, qui compile et qui altère des gazettes. Quelquefois ces messieurs prennent une puissance sous leur protection ; on sait le conte qu’on a fait d’un de ces écrivains, qui, à la fin d’une guerre, demanda une récompense à l’empereur Léopold pour lui avoir entretenu, sur le Rhin, une armée complète de cinquante mille hommes pendant cinq ans. Ils déclarent aussi la guerre, et font des actes d’hostilité ; mais ils risquent d’être traités en ennemis. Un d’eux, nommé Dubourg, qui tenait son bureau dans Francfort, y fut malheureusement arrêté par un officier de notre armée, en 1748, et conduit au mont Saint-Michel dans une cage. Mais cet exemple n’a point refroidi le magnanime courage de ses confrères.

XIV. Une des plus nobles supercheries et des plus ordinaires est celle des écrivains qui se transforment en ministres d’État et en seigneurs de la cour du pays dont ils parlent. On nous a donné une grande histoire de Louis XIV, écrite sur les mémoires d’un ministre d’État. Ce ministre était un jésuite chassé de son ordre, qui s’était réfugié en Hollande, sous le nom de La Hode, qui s’est fait ensuite secrétaire d’État de France en Hollande pour avoir du pain[14].

XV. Comme il faut toujours imiter les bons modèles, et que le chancelier Clarendon et le cardinal de Retz[15] ont fait des portraits des principaux personnages avec lesquels ils avaient traité, on ne doit pas s’étonner que les écrivains d’aujourd’hui, quand ils se mettent aux gages d’un libraire, commencent par donner tout au long des portraits fidèles des princes de l’Europe, des ministres, et des généraux, dont ils n’ont jamais vu passer la livrée. Un auteur anglais, dans les Annales de l’Europe, imprimées et réimprimées, nous assure que Louis XV n’a pas cet air de grandeur qui annonce un roi. Cet homme assurément est difficile en physionomie ; mais en récompense il dit que le cardinal de Fleury avait l’air d’une noble confiance.

XVI. Il est aussi exact sur les caractères et sur les faits que sur les figures ; il instruit l’Europe que le cardinal de Fleury donna son titre de premier ministre (qu’il n’a jamais eu) à M. le comte de Toulouse. Il nous apprend que l’on n’envoya l’armée du maréchal de Maillebois en Bohême que parce qu’une demoiselle de la cour avait laissé une lettre sur sa table, et que cette lettre fit connaître la situation des affaires ; il dit que le comte d’Argenson succéda dans le ministère de la guerre à M. Amelot. Je crois que, si on voulait rassembler tous les livres écrits dans ce goût, pour se mettre un peu au fait des anecdotes de l’Europe, on ferait une bibliothèque immense dans laquelle il n’y aurait pas dix pages de vérité.

XVII. Une autre partie considérable du commerce du papier imprimé est celle des livres qu’on a appelés Polémiques, par excellence, c’est-à-dire de ceux dans lesquels on dit des injures à son prochain pour gagner de l’argent. Je ne parle pas des factums des avocats, qui ont le noble droit de décrier tant qu’ils peuvent la partie adverse, et de diffamer loyalement des familles ; je parle de ceux qui, en Angleterre par exemple, excités par un amour ardent de la patrie, écrivent contre le ministère des philippiques de Démosthène dans leurs greniers. Ces pièces se vendent deux sous la feuille ; on en tire quelquefois quatre mille exemplaires, et cela fait toujours vivre un citoyen éloquent un mois ou deux. J’ai ouï conter à M. le chevalier Walpole qu’un jour un de ces Démosthènes à deux sous par feuille, n’ayant point encore pris de parti dans les différends du parlement, vint lui offrir sa plume pour écraser tous ses ennemis ; le ministre le remercia poliment de son zèle, et n’accepta point ses services. « Vous trouverez donc bon, lui dit l’écrivain, que j’aille offrir mon secours à votre antagoniste M. Pulteney. » Il y alla aussitôt, et fut éconduit de même. Alors il se déclara contre l’un et l’autre ; il écrivait le lundi contre M. Walpole, et le mercredi contre M. Pulteney. Mais, après avoir subsisté honorablement les premières semaines, il finit par demander l’aumône à leurs portes.

XVIII. Le célèbre Pope fut traité de son temps comme un ministre ; sa réputation fit juger à beaucoup de gens de lettres qu’il y aurait quelque chose à gagner avec lui. On imprima à son sujet, pour l’honneur de la littérature, et pour avancer les progrès de l’esprit humain, plus de cent libelles, dans lesquels on lui prouvait qu’il était athée, et (ce qui est plus fort en Angleterre) on lui reprocha d’être catholique. On assura, quand il donna sa traduction d’Homère, qu’il n’entendait point le grec, parce qu’il était puant et bossu. Il est vrai qu’il était bossu ; mais cela n’empêchait pas qu’il ne sût très-bien le grec, et que sa traduction d’Homère ne fût fort bonne. On calomnia ses mœurs, son éducation, sa naissance ; on s’attaqua à son père et à sa mère. Ces libelles n’avaient point de fin. Pope eut quelquefois la faiblesse de répondre ; cela grossit la nuée des libelles. Enfin il prit le parti de faire imprimer lui-même un petit abrégé de toutes ces belles pièces. Ce fut un coup mortel pour les écrivains qui jusque-là avaient vécu assez honnêtement des injures qu’ils lui disaient ; on cessa de les lire, et on s’en tint à l’abrégé : ils ne s’en relevèrent pas.

XIX. J’ai été tenté d’avoir beaucoup de vanité, quand j’ai vu que nos grands écrivains en usaient avec moi comme on en avait agi avec Pope. Je puis dire que j’ai valu des honoraires assez passables à plus d’un auteur. J’avais, je ne sais comment, rendu à l’illustre abbé Desfontaines un léger service ; mais, comme ce service ne lui donnait pas de quoi vivre, il se mit d’abord un peu à son aise, au sortir de la maison dont je l’avais tiré, par une douzaine de libelles contre moi, qu’il ne fit, à la vérité, que pour l’honneur des lettres et par un excès de zèle pour le bon goût. Il fit imprimer la Henriade, dans laquelle il inséra des vers de sa façon[16] ; et ensuite il critiqua ces mêmes vers qu’il avait faits. J’ai soigneusement conservé une lettre que m’écrivit un jour un auteur[17] de cette trempe. « Monsieur, j’ai fait imprimer un libelle contre vous ; il y en a quatre cents exemplaires ; si vous voulez m’envoyer quatre cents livres, je vous remettrai tous les exemplaires fidèlement. » Je lui mandai que je me donnerais bien de garde d’abuser de sa bonté ; que ce serait un marché trop désavantageux pour lui, et que le débit de son livre lui vaudrait beaucoup davantage ; je n’eus pas lieu de me repentir de ma générosité.

XX. Il est bon d’encourager les gens de lettres inconnus qui ne savent où donner de la tête. Une des plus charitables actions qu’on puisse faire en leur faveur est de donner une tragédie au public. Tout aussitôt vous voyez éclore des Lettres à des dames de qualité ; Critique impartiale de la pièce nouvelle ; Lettre d’un ami à un ami ; Examen réfléchi ; Examen par scènes[18] ; et tout cela ne laisse pas de se vendre.

XXI. Mais le plus sûr secret pour un honnête libraire, c’est d’avoir soin de mettre à la fin des ouvrages qu’il imprime toutes les horreurs et toutes les bêtises qu’on a imprimées contre l’auteur. Rien n’est plus propre à piquer la curiosité du lecteur et à favoriser le débit. Je me souviens que parmi les détestables éditions qu’on a faites, en Hollande, de mes prétendus ouvrages, un éditeur habile d’Amsterdam, voulant faire tomber une édition de la Haye, s’avisa d’ajouter à la sienne un recueil de tout ce qu’il avait pu ramasser contre moi[19]. Les premiers mots de ce recueil disaient que j’étais un chien rogneux. Je trouvai ce livre à Magdebourg[20] entre les mains du maître de la poste, qui ne cessait de me dire combien il trouvait ce petit morceau éloquent. En dernier lieu, deux libraires d’Amsterdam, pleins de probité, après avoir défiguré tant qu’ils avaient pu la Henriade et mes autres pièces, me firent l’honneur de m’écrire que, si je permettais qu’on fît à Dresde[21] une meilleure édition de mes ouvrages, qu’on avait entreprise alors, ils seraient obligés en conscience d’imprimer contre moi un volume d’injures atroces, avec le plus beau papier, la plus grande marge, et le meilleur caractère qu’ils pourraient. Ils m’ont tenu fidèlement parole[22]. C’est bien dommage que de si beaux recueils soient anéantis dans l’oubli : autrefois, quand il y avait huit ou neuf cent mille volumes de moins dans l’Europe, des injures portaient coup. On lisait avidement dans Scaliger[23] : « Le cardinal Bellarmin est athée, le R. P. Glavius est un ivrogne, le R. P. Coton s’est donné au diable. » Les savants illustres se traitaient réciproquement de chien, de veau, de menteur, et de sodomite. Tout cela s’imprimait avec la permission des supérieurs. C’était le bon temps. Mais tout dégénère.

XXII.[24] On n’a dit que peu de choses sur les mensonges imprimés dont la terre est inondée : il serait facile de faire sur ce sujet un gros volume ; mais on sait qu’il ne faut pas faire tout ce qui est facile. On donnera ici seulement quelques règles générales, pour précautionner les hommes contre cette multitude de livres qui ont transmis les erreurs de siècle en siècle.

On s’effraye à la vue d’une bibliothèque nombreuse ; on se dit : « Il est triste d’être condamné à ignorer presque tout ce qu’elle contient. » Consolez-vous, il y a peu à regretter. Voyez ces quatre ou cinq mille volumes de la physique ancienne : tout en est faux jusqu’au temps de Galilée ; voyez les histoires de tant de peuples : leurs premiers siècles sont des fables absurdes. Après les temps fabuleux viennent ce qu’on appelle les temps héroïques : les premiers ressemblent aux Mille et une Nuits, où rien n’est vrai ; les seconds, aux romans de chevalerie, où il n’y a de vrai que quelques noms et quelques époques.

XXIII. Voilà déjà bien des milliers d’années et de livres à ignorer, et de quoi mettre l’esprit à l’aise. Viennent enfin les temps historiques où le fond des choses est vrai, et où la plupart des circonstances sont des mensonges. Mais parmi ces mensonges n’y a-t-il pas quelques vérités ? Oui, mais comme il se trouve un peu de poudre d’or dans les sables que les fleuves roulent. On demandera ici le moyen de recueillir cet or ; le voici : Tout ce qui n’est conforme ni à la physique, ni à la raison, ni à la trempe du cœur humain, n’est que du sable ; le reste, qui sera attesté par des contemporains sages, c’est la poudre d’or, que vous cherchez.

XXIV, Hérodote raconte à la Grèce assemblée l’histoire des peuples voisins : les gens sensés rient quand il parle des prédictions d’Apollon et des fables de l’Égypte et de l’Assyrie ; il ne les croyait pas lui-même : tout ce qu’il tient des prêtres de l’Égypte est faux ; tout ce qu’il a vu a été confirmé. Il faut sans doute s’en rapporter à lui quand il dit aux Grecs qui l’écoutent : « Il y a dans les trésors des Corinthiens un lion d’or, du poids de trois cent soixante livres, qui est un présent de Crésus ; on voit encore la cuve d’or et celle d’argent qu’il donna au temple de Delphes : celle d’or pèse environ cinq cents livres ; celle d’argent contient environ deux mille quatre cents pintes. » Quelle que soit une telle magnificence, quelque supérieure qu’elle soit à celle que nous connaissons, on ne peut la révoquer en doute. Hérodote parlait d’un fait dont il y avait plus de cent mille témoins : ce fait d’ailleurs est très-important, parce qu’il prouve que, dans l’Asie mineure, du temps de Crésus, il y avait plus de magnificence qu’on n’en voit aujourd’hui ; et cette magnificence, qui ne peut être que le fruit d’un grand nombre de siècles, prouve une haute antiquité dont il ne reste nulle connaissance. Les prodigieux monuments qu’Hérodote avait vus en Égypte et à Babylone sont encore des choses incontestables.

XXV. Il n’en est pas ainsi des solennités établies pour célébrer un événement ; la plupart des mauvais raisonneurs disent : Voilà une cérémonie qui est observée de temps immémorial, donc l’aventure qu’elle célèbre est vraie ; mais les philosophes disent souvent : Donc l’aventure est fausse.

XXVI. Les Grecs célébraient les jeux pythiens, en mémoire du serpent Python, que jamais Apollon n’avait tué ; les Égyptiens célébraient l’admission d’Hercule au rang des douze grands dieux ; mais il n’y a guère d’apparence que cet Hercule d’Égypte ait existé dix-sept mille ans avant le règne d’Amasis, ainsi qu’il était dit dans les hymnes qu’on lui chantait. La Grèce assigna neuf étoiles dans le ciel au marsouin qui porta Arion sur son dos ; les Romains célébraient, en février, cette belle aventure. Les prêtres saliens portaient en cérémonie, le 1er de mars, les boucliers sacrés qui étaient tombés du ciel quand Numa, ayant enchaîné Faunus et Picus, eut appris d’eux le secret de détourner la foudre. En un mot, il n’y a jamais eu de peuple qui n’ait solennisé, par des cérémonies, les plus absurdes imaginations.

XXVII. Quant aux mœurs des peuples barbares, tout ce qu’un témoin oculaire et sage me rapportera de plus bizarre, de plus infâme, de plus superstitieux, de plus abominable, je serai très-porté à le croire de la nature humaine. Hérodote affirme devant toute la Grèce que, dans ces pays immenses qui sont au delà du Danube, les hommes faisaient consister leur gloire à boire dans des crânes humains le sang de leurs ennemis, et à se vêtir de leur peau. Les Grecs, qui trafiquaient avec ces barbares, auraient démenti Hérodote s’il avait exagéré. Il est constant que plus des trois quarts des habitants de la terre ont vécu très-longtemps comme des bêtes féroces : ils sont nés tels. Ce sont des singes que l’éducation fait danser, et des ours qu’elle enchaîne. Ce que le czar Pierre le Grand a trouvé encore à faire de nos jours dans une partie de ses États est une preuve de ce que j’avance, et rend croyable ce qu’Hérodote a rapporté,

XXVIII. Après Hérodote, le fond des histoires est beaucoup plus vrai : les faits sont plus détaillés ; mais autant de détails, souvent autant de mensonges. Ajouterai-je foi à l’historien Josèphe, quand il me dit que le moindre bourg de la Galilée renfermait quinze mille habitants ? Non, je dirai qu’il a exagéré ; il a cru faire honneur à sa patrie, il l’a avilie. Quelle honte pour ce nombre prodigieux de Juifs d’avoir été si aisément subjugués par une petite armée romaine !

XXIX. La plupart des historiens sont comme Homère : ils chantent des combats ; mais dans ce nombre horrible de batailles, il n’y a guère que la retraite des Dix-mille de Xénophon, la bataille de Scipion contre Annibal, à Zama, décrite par Polybe, celle de Pharsale racontée par le vainqueur, où le lecteur puisse s’éclairer et s’instruire ; partout ailleurs je vois que des hommes se sont mutuellement égorgés, et rien de plus.

XXX. On peut croire toutes les horreurs où l’ambition a porté les princes, et toutes les sottises où la superstition a plongé les peuples ; mais comment les historiens ont-ils été assez peuple pour admettre comme des prodiges surnaturels les fourberies que des conquérants ont imaginées, et que les nations ont adoptées ?

Les Algériens croient fermement qu’Alger fut sauvée par un miracle lorsque Charles-Quint vint l’assiéger. Ils disent qu’un de leurs saints frappa la mer, et excita la tempête qui fit périr la moitié de la flotte de l’empereur.

XXX. Que d’historiens parmi nous ont écrit en Algériens ! Que de miracles ils ont prodigués, et contre les Turcs, et contre les hérétiques ! Ils ont souvent traité l’histoire comme Homère traite le siège de Troie. Il intéresse toutes les puissances du ciel à la conservation ou à la perte d’une ville. Mais des hommes qui font profession de dire la vérité peuvent-ils imaginer que Dieu prenne parti pour un petit peuple qui combat contre un autre petit peuple dans un coin de notre hémisphère ?

XXXII. Personne ne respecte plus que moi saint François-Xavier : c’était un Espagnol animé d’un zèle intrépide ; c’était le Fernand Cortès de la religion ; mais on aurait dû peut-être ne pas assurer dans l’histoire de sa vie que ce grand homme existait à la fois en deux endroits différents.

Si quelqu’un peut prétendre au don de faire des miracles, ce sont ceux qui vont au bout du monde porter leur charité et leur doctrine ; mais je voudrais que leurs miracles fussent un peu moins fréquents ; qu’ils eussent ressuscité moins de morts ; qu’ils eussent moins souvent converti et baptisé des milliers d’Orientaux en un jour. Il est beau de prêcher la vérité dans un pays étranger, dès qu’on y est arrivé ; il est beau de parler avec éloquence, et de toucher le cœur dans une langue qu’on ne peut apprendre qu’eu beaucoup d’années, et qu’on ne peut jamais prononcer que d’une manière ridicule ; mais ces prodiges doivent être ménagés, et le merveilleux, quand il est prodigué, trouve trop d’incrédules.

XXXIII. C’est surtout dans les voyageurs qu’on trouve le plus de mensonges imprimés. Je ne parle pas de Paul Lucas, qui a vu le démon Asmodée dans la haute Égypte ; je ne parle que de ceux qui nous trompent en disant vrai, qui ont vu une chose extraordinaire dans une nation, et qui la prennent pour une coutume ; qui ont vu un abus, et qui le donnent pour une loi. Ils ressemblent à cet Allemand[25] qui, ayant eu une petite difficulté à Blois avec son hôtesse, laquelle avait les cheveux un peu trop blonds, mit sur son album : « Nota bene, toutes les dames de Blois sont rousses et acariâtres. »

XXXIV. Ce qu’il y a de pis, c’est que la plupart de ceux qui écrivent sur le gouvernement tirent souvent de ces voyageurs trompés des exemples pour tromper encore les hommes. L’empereur turc se sera emparé des trésors de quelques bachas nés esclaves dans son sérail, et il aura fait à la famille du mort la part qu’il aura voulu : donc la loi de Turquie porte que le Grand Turc hérite des biens de tous ses sujets ; il est monarque : donc il est despotique dans le sens le plus horrible et le plus humiliant pour l’humanité. Ce gouvernement turc, dans lequel il n’est pas permis à l’empereur de s’éloigner longtemps de la capitale, de changer les lois, de toucher à la monnaie, etc., sera représenté comme un établissement dans lequel le chef de l’État peut du matin au soir tuer et voler loyalement tout ce qu’il veut. L’Alcoran dit qu’il est permis d’épouser quatre femmes à la fois : donc tous les merciers et tous les drapiers de Constantinople ont chacun quatre femmes, comme s’il était si aisé de les avoir et de les garder. Quelques personnages considérables ont des sérails : de là on conclut que tous les musulmans sont autant de Sardanapales ; c’est ainsi qu’on juge de tout. Un Turc qui aurait passé dans une certaine capitale, et qui aurait vu un auto-da-fé ne laisserait pas de se tromper s’il disait : Il y a un pays policé où l’on brûle quelquefois en cérémonie une vingtaine d’hommes, de femmes, et de petits garçons, pour le divertissement de Leurs gracieuses Majestés. La plupart des relations sont faites dans ce goût-là ; c’est bien pis quand elles sont pleines de prodiges : il faut être en garde contre les livres, plus que les juges ne le sont contre les avocats.

XXXV. Il y a encore une grande source d’erreurs publiques parmi nous, et qui est particulière à notre nation : c’est le goût des vaudevilles ; on en fait sur les hommes les plus respectables, et on entend tous les jours calomnier les vivants et les morts sur ces beaux fondements : « Ce fait, dit-on, est vrai, c’est une chanson qui l’atteste. »

XXXVI. N’oublions pas au nombre des mensonges la fureur des allégories. Quand on eut trouvé[26] les fragments de Pétrone, auxquels Nodot a depuis[27] joint hardiment les siens, tous les savants prirent le consul Pétrone pour l’auteur de ce livre. Ils voient clairement Néron et toute sa cour dans une troupe de jeunes écoliers fripons qui sont les héros de cet ouvrage. On fut trompé, et on l’est encore par le nom. Il faut absolument que le débauché obscur et bas qui écrivit cette satire, plus infâme qu’ingénieuse, ait été le consul Titus Petronius ; il faut que Trimalcion, ce vieillard absurde, ce financier au-dessous de Turcaret, soit le jeune empereur Néron ; il faut que sa dégoûtante et méprisable épouse soit la belle Acté ; que le pédant, le grossier Agamemnon, soit le philosophe Sénèque : c’est chercher à trouver toute la cour de Louis XIV dans Gusman d’Alfarache, ou dans Gil Blas. Mais, me dira-t-on, que gagnerez-vous à détromper les hommes sur ces bagatelles ? Je ne gagnerai rien, sans doute ; mais il faut s’accoutumer à chercher le vrai dans les plus petites choses : sans cela on est bien trompé dans les grandes.

    une plaisante réduction qu’une dépense qui aurait monté alors à près du tiers du revenu de l’État.

    D’ailleurs, est-il croyable qu’un ministre insiste sur l’abolition de ce comptant ? C’était une dépense secrète dont le ministre était le maître absolu. C’était le plus cher privilége de sa place.

    L’affaire des comptants ne fit du bruit que du temps de la disgrâce du célèbre Fouquet, qui avait abusé de ce droit du ministère. Qui ne voit que le testament prétendu du cardinal de Richelieu n’a été forgé qu’après l’aventure de M. Fouquet ?

    8° Est-il encore d’un ministre d’appeler les rentes constituées au denier vingt les rentes au denier cinq ? Il n’y a pas de clerc de notaire qui tombât dans cette méprise absurde. Une rente au denier cinq produirait la cinquième partie du capital ; un fonds de cent mille francs produirait vingt mille francs d’intérêt ; il n’y a jamais eu de rentes à ce prix. Les rentes au denier vingt produisent cinq pour cent, mais ce n’est pas là le denier cinq. Il est clair que le testament est l’ouvrage d’un homme qui n’avait pas de rentes sur la ville.

    9° Il paraît évident que tout le chapitre ix, où il est question de la finance, est d’un faiseur de projets, qui, dans l’oisiveté de son cabinet, bouleverse paisiblement tout le système du gouvernement, supprime les gabelles, fait payer la taille au parlement, rembourse les charges sans avoir de quoi les rembourser. Il est assurément bien étrange qu’on ait osé mettre ces chimères sous le nom d’un grand ministre, et que le public y ait été trompé. Mais où sont les hommes qui lisent avec attention ? Je n’ai guère vu personne lire avec un profond examen autre chose que les mémoires de ses propres affaires. De là vient que l’erreur domine dans tout l’univers. Si l’on mettait autant d’attention dans la lecture qu’un bon économe en apporte à voir les comptes de son maître d’hôtel, de combien de sottises ne serait-on pas détrompé ?

    10° Est-il vraisemblable qu’un homme d’État qui se propose un ouvrage aussi solide dise que « le roi d’Espagne, en secourant les huguenots, avait rendu les Indes tributaires de l’enfer ; que les gens de palais mesurent la couronne du roi par sa forme, qui, étant ronde, n’a point de fin ; que les éléments n’ont de pesanteur que lorsqu’ils sont en leur lieu ; que le feu, l’air, ni l’eau, ne peuvent soutenir un corps terrestre, parce qu’il est pesant hors de son lieu » ; et cent autres absurdités pareilles, dignes d’un professeur de rhétorique de province dans le xvie siècle, ou d’un répétiteur irlandais qui dispute sur les bancs ?

    11° Se persuadera-t-on que le premier ministre d’un roi de France ait fait un chapitre tout entier pour engager son maître à se priver du droit de régale dans la moitié des évêchés de son royaume, droits dont les rois ont été si jaloux ?

    12° Serait-il possible que, dans un testament politique adressé à un prince âgé de quarante ans passés, un ministre tel que le cardinal de Richelieu eût dit tant d’absurdités quand il entre dans les détails, et n’eût, en général, annoncé que des vérités triviales, faites pour un enfant qu’on élève, et non pour un roi qui régnait depuis trente années ? Il assure que « les rois ont besoin de conseils ; « qu’un conseiller d’un roi doit avoir de la capacité et de la probité ; qu’il faut suivre la raison, établir le règne de Dieu ; que les intérêts publics doivent être « préférés aux particuliers ; que les flatteurs sont dangereux ; que l’or et l’argent « sont nécessaires ». Voilà les grandes maximes d’État à enseigner à un roi de quarante ans. Voilà des vérités d’une finesse et d’une profondeur dignes du cardinal de Richelieu !

    13° Qui croirait enfin que le cardinal de Richelieu ait recommandé à Louis XIII

    la pureté et la chasteté par son testament politique ? lui qui avait eu publiquement tant de maîtresses, et qui, si l’on en croit les mémoires du cardinal de Retz et de tous les courtisans de ce temps-là, avait porté la témérité de ses désirs jusqu’à des objets qui devaient l’effrayer et le perdre.

    Qu’on pèse toutes ces raisons, et qu’après on attribue ce livre, si on l’ose, au cardinal de Richelieu.

    « On n’a pas été moins trompé, etc. »

    Ce passage fut conservé dans la réimpression qui l’ait partie du tome IX, daté de 1750, des Œuvres de Voltaire, Dresde, 1748 et années suivantes, in-8°. Dans ces deux impressions il y avait en note les mots que voici : « Une partie de ces réflexions avait déjà paru dans les papiers publics. » Elles se trouvent en effet presque textuellement dans les Conseils à un journaliste (voyez tome XXII, page 241), et c’est sans doute ce qui porta Voltaire à les supprimer dans l’édition de 1751 de ses Œuvres, en onze volumes in-12. Mais Voltaire oubliait qu’il renvoyait à une des phrases qu’il retranchait (voyez page 445). (B.)

  1. Un morceau intitulé Des Mensonges imprimés, et imprimé à la suite de la Tragédie de Sémiramis, 1749, in-12, se composait, sauf les variantes, de ce qui forme aujourd’hui les vingt et un premiers paragraphes. À la suite d’Oreste, 1750, in-12, parurent un Chapitre II sur les Mensonges imprimés (c’est ce qui forme aujourd’hui les paragraphes XXII à XXIII), et Chapitre III, sur les Mensonges imprimés, raisons de croire, etc. (voyez, ci-après, page 443). Le morceau imprimé en 1749 fut reproduit, l’année suivante, dans le tome IX de l’édition des Œuvres de Voltaire, publiée à Dresde ; et encore séparément, avec des remarques et des notes, en Hollande, 1750, petit in-8°, de quatre et soixante-deux pages. Sur le faux-titre de cette édition séparée on lit : Défense des libraires hollandais contre les Mensonges imprimés de M. de Voltaire.

    Le Recueil des testaments politiques de Richelieu, Colbert, etc., 1749, quatre volumes in-12, avait donné naissance à l’opuscule Des Mensonges imprimés. Pour combattre l’opinion de Voltaire, on fit paraître : I. Réfutation du sentiment de Voltaire (par Léon Ménard, né en 1706, mort en 1767), 1750, in-12. — II. Lettre sur le testament politique du cardinal de Richelieu, 1750, in-12. L’auteur de ce dernier écrit est Foncemagne, avec qui la querelle se réengagea en 1764 ; voyez, ci-après, les Doutes nouveaux et l’Arbitrage. (B.)

  2. Les Mémoires de M. d’Artagnan, trois volumes in-12, et les Mémoires de M. L. C. D. R. (le comte de Rochefort), 1087, in-12, ont pour auteur Sandras de Courtilz : ce ne sont que des romans. Les Mémoires du sieur de Pontis, 1678, deux volumes in-12, ont été rédigés par P. Thomas Dufossé. Quant aux Mémoires du comte de Vordac, 1730, deux volumes in-12, on sait que le premier volume est de l’abbé Cavard, ex-jésuite ; et le second, de l’abbé Olivier, ex-cordelier, auteur de Roselli, ou l’infortuné Napolitain. (B.)
  3. Rollin, d’ailleurs si estimable, nous berce de tous les contes d’Hérodote, dit Voltaire dans le chapitre II du Pyrrhonisme de l’histoire.
  4. Voyez tome XVI, page 124 ; et le chapitre XXII du Pyrrhonisme de l’histoire.
  5. Sur Mahomet II, voyez tome XII, pages 98-108.
  6. Le Testament de Colbert, 1693, 1711, in-12, est de Sandras de Courtilz, à qui l’on doit aussi le Testament de Louvois, 1693, in-12.
  7. Ici, dans l’édition de 1749, on lisait ce long passage :

    « J’eus quelques soupçons, dès ma jeunesse, que l’ouvrage était d’un faussaire qui avait pris le nom du cardinal de Richelieu pour débiter ses rêveries ; je fis demander chez tous les héritiers de ce ministre si on avait quelque notion que le manuscrit du testateur eût jamais été dans leur maison ; on répondit unanimement que personne n’en avait eu la moindre connaissance avant l’impression. J’ai fait depuis les mêmes perquisitions, et je n’ai pas trouvé le moindre vestige du manuscrit ; j’ai consulté la bibliothèque du roi, les dépôts des ministres, jamais je n’ai vu personne qui ait seulement entendu dire qu’on ait jamais vu une ligne du manuscrit du cardinal. Tout cela fortifia mes soupçons ; et voici les présomptions et les raisons qui me persuadent que le cardinal n’a pas la plus petite part à cet ouvrage.

    1° Le testament ne parut que trente-huit ans après la mort de son auteur prétendu. L’éditeur, dans sa préface, ne dit point comment le manuscrit est tombé dans ses mains. Si le manuscrit eût été authentique, il était de son devoir et de son intérêt d’en donner la preuve, de le déposer dans quelque bibliothèque publique, de le faire voir à quelque homme en place. Il ne prend aucune de ces mesures (que sans doute il ne pouvait prendre), et cela seul doit lui ôter tout crédit.

    2° Le style est entièrement différent de celui du cardinal de Richelieu. On a cru y reconnaître la main de l’abbé de Bourzeis ; mais il est plus aisé de dire de qui ce livre n’est pas que de prouver de qui il est.

    3° Non-seulement on n’a pas imité le style du cardinal de Richelieu, mais on a l’imprudence de le faire signer Armand Duplessis, lui qui n’a de sa vie signé de cette manière.

    4° Dès le premier chapitre, on voit une fausseté révoltante. On y suppose la paix faite, et non-seulement on était alors on guerre, mais le cardinal de Richelieu n’avait nulle envie de faire la paix. Une pareille absurdité est une conviction manifeste de faux.

    5° Aux louanges ridicules que le cardinal se donne à lui-même dans ce premier chapitre, et qu’un homme de bon sens ne se donne jamais, on ajoute une condamnation encore plus indécente de ceux qui étaient dans le conseil quand le cardinal y entra. On y appelle le duc de Mantoue, ce pauvre prince. Quand on y mentionne les intrigues que trama la reine mère pour perdre le cardinal, on dit la Reine tout court, comme s’il s’agissait de la reine épouse du roi. On y nomme la marquise du Fargis, femme de l’ambassadeur en Espagne, et favorite de la reine mère, la Fargis, comme si le cardinal de Richelieu eût parlé de Marion Delorme. Il n’appartient qu’à quelques pédants grossiers, qui ont écrit des histoires de Louis XIV, de dire la Montespan, la Maintenon, la Fontange, la Porstmouth. Un homme de qualité, et aussi poli que le cardinal de Richelieu, n’eût pas assurément tombé dans de telles indécences. Je ne prétends pas donner à cette probabilité plus de poids qu’elle n’en a ; je ne la regarde pas comme une raison décisive, mais comme une conjecture assez forte.

    6. Voici une preuve qui me parait entièrement convaincante. Le testament dit, au chapitre Ier, que les cinq dernières années de la guerre ont coûté chacune soixante millions de livres de ce temps-là, sans moyens extraordinaires ; et, dans le chapitre IX, il dit qu’il entre dans l’épargne trente-cinq millions tous les ans. Que peut-on opposer à une contradiction si formelle ? N’y découvre-t-on pas évidemment un faussaire qui écrit à la hâte, et qui oublie au neuvième chapitre ce qu’il a dit dans le premier ?

    7° Quel est l’homme de bon sens qui pourra penser qu’un ministre propose au roi de réduire les dépenses secrètes de ce qu’on appelle comptant, à un million d’or ? Que veut dire ce mot vague un million d’or ? Ces expressions sont bonnes pour un homme qui compile l’histoire ancienne sans entendre ce que valent les espèces : est-ce un million de livres d’or, de marcs d’or, de louis d’or ? Dans ce dernier cas, qui est le plus favorable, le million d’or comptant aurait monté à vingt-deux millions de nos livres numéraires d’aujourd’hui, et c’était

  8. Le Testament politique de Charles V, 1696, in-12, est de Henri de Straatman. L’abbé de Chévremont n’en fut que l’éditeur ; voyez la note 4, tome XIX, page 31.
  9. Mlle Durand, à qui l’on attribue cet ouvrage, remporta, en 1701, le prix de poésie à l’Académie française. (B.)
  10. La Dunoyer. (Note de Voltaire.) — On a de cette dame, morte en 1720, des Lettres historiques et galantes, et Mémoires, dont la première édition est de 1710, cinq volumes in-12, et la dernière, de 1757, neuf volumes petit in-12. Ce fut dans une des premières éditions qu’elle publia les lettres de Voltaire à sa fille, depuis Mme de Winterfeld ; voyez dans la Correspondance, années 1713-14, et la note sur la lettre à Moussinot, de septembre 1736.
  11. Vers d’Ériphyle (IV, I), tragédie de Voltaire, et qui ne fut imprimée qu’après sa mort. Voyez tome Ier du Théâtre.
  12. Voyez, tome XIV, le chapitre XVII du Siècle de Louis XIV.
  13. Voyez une note du chapitre XV du Précis du Siècle de Louis XV.
  14. Dans son Histoire de la rébellion et de la guerre civile en Angleterre, 1702.
  15. Voyez tome XVI, page 388.
  16. Voyez tome VIII, page 13, la préface de Marmontel pour la Henriade ; et dans le présent volume, pages 39 et 63.
  17. La Jonchère ; voyez page 58, et, plus loin, la vingt et unième des Honnêtetés littéraires.
  18. Ce dernier titre désigne la Critique, scène par scène, sur Sémiramis, tragédie nouvelle de M. de Voltaire, 1748, in-8° de 29 pages.
  19. Une édition des Œuvres de Voltaire contient la Voltairomanie, libelle dont il est parlé tome XXII, page 371 ; et dans ce volume, pages 47 et 59.
  20. C’était en 1743. Voltaire allait à Berlin, chargé d’une mission secrète.
  21. L’édition des Œuvres de Voltaire, publiée à Dresde, chez Walther, a dix volumes in-8°. Les huit premiers sont de 1748 ; le neuvième, de 1750 ; le dixième, de 1754. Une autre édition, publiée chez le même, en 1752, est en sept volumes. (B.)
  22. Le morceau publié en 1749 se terminait alors ainsi :

    « Ils m’ont tenu fidèlement parole. Ils ont eu même l’attention d’envoyer leur beau recueil à un des plus respectables monarques de l’Europe, à la cour duquel j’avais alors l’honneur d’être. Le prince a jeté leur livre au feu, en disant qu’il fallait traiter ainsi MM. les éditeurs. Il est vrai qu’en France ces honnêtes gens seraient envoyés aux galères. Mais ce serait trop gêner le commerce, qu’il faut toujours favoriser. »

    Le texte actuel est de 1751. (B.)

  23. Scaligerana (secunda).
  24. C’est ici le commencement du chapitre II en 1750. (B.)
  25. On raconte cela de l’historien anglais Smolett.
  26. En 1688.
  27. En 1694.